lundi 26 janvier 2015

La naissance du Boeing 707 : le "Dash 80"

Quel est l'ancêtre commun de tous les avions de lignes modernes ? Cette disposition avec des ailes basses et des moteurs en pods sous les ailes ? Ce long fuselage oval qui nous semble si familier ? Cet appareil révolutionnaire en son temps était le boeing 707, mais avant même le Boeing 707, il y avait le prototype du Boeing 707, le Model 767-80, communément appelé le "-80" ou "dash eighty" en anglais. C'est appareil est l'ancêtre commun de deux lignées d'appareil : la famille des Boeing 707 civils et la famille des KC-135 militaires. Aujourd'hui nous allons voir dans quelles circonstances le "dash 80" a été conçu et comment il a donné naissance à deux des plus importantes familles d'appareils de l'histoire. Les dérivés directs du "dash 80" seront produits à plus de 1000 exemplaires au cours d'une production qui va durer plus de 20 ans.

Le "Dash 80", prototype du Boeing 707 et KC-135


Vous lirez dans beaucoup d'ouvrage que le Boeing 707 est le descendant du "dash 80", un prototype crée en 1952 par Boeing pour préfigurer l'avion de ligne du futur. Vous lirez également que cet appareil a été développé sur fond propre par Boeing, au risque de faire couler la firme si celui-ci était un échec…est ce parce que Boeing croyait tellement au futur de cet appareil qu'il a pris tant de risque ? Ou est ce qu'il y avait des motivations plus pragmatiques derrière cette aventure ?

Pour mieux le comprendre, il faut s'intéresser à la personnalité du président de Boeing de l'époque : Bill Allen. Bill Allen n'était pas un pilote et n'était même pas ingénieur : c'était un gestionnaire de métier et avocat de formation. Il avait débuté sa carrière comme avocat pour les scieries de Boeing (oui, Bill Boeing possédait une scierie…avec quoi faisions nous les avions à cette époque lointaine ? En bois bien sûr !). Rapidement il va quitter la scierie pour s'occuper des avions Boeing, toujours d'un point de vue légal, devenant une des personnes incontournable du board de Boeing.

Bill Allen à gauche et "Tex" Johnson à ses côtés : les deux hommes clés du "Dash-80"


Lorsque Bill Boeing quitte sa société en 1934, c'est son adjoint, Philip Johnson qui va reprendre le flambeau de la compagnie et la mener avec succès à travers la Seconde Guerre Mondiale. Hélas, un jour de 1950, lors d''une inspection de la ligne d'assemblage, Johnson fait une crise cardiaque et décède sur le coup. La disparition soudaine du président oblige le Board à lui trouver un remplaçant rapidement : tout le monde se tourne alors vers Bill Allen, qui ne connait pas forcément les avions, mais qui connait tous les rouages de la société. Or ce dernier vient de perdre sa femme des suites d'un cancer et doit s'occuper seul de ses deux petite filles…il pense donc refuser, mais finit par accepter la direction de Boeing.

Boeing en 1950 est une société qui fabrique des bombardiers, mais pas d'avions civils ou si peu : le 307 "Stratoliner" a été un flop, le 377 "Stratocruiser" n'a été vendu qu'à une cinquantaine d'exemplaires : en tout, Boeing détient à peine 1% du marché civil, alors même que tout ses contrats passés pendant la Guerre sont annulés les uns après les autres : Boeing à licencié 80% de son personnel entre 1945 et 1946... Allen est bien conscient qu'il faut gagner des parts sur le marché civil de toute urgence pour maintenir Boeing à flot, et il sent que le jet donne cette opportunité, mais beaucoup sont sceptiques…jusqu'à ce que de Havilland prouve que la technologie est mature avec son "Comet".

Plusieurs configurations étudiées, dont la plus radicale à droite sera celle finalement adoptée !


C'est alors que les grandes compagnies aéronautiques américaines vont demander des fonds publics au gouvernement pour mettre au point un avion de ligne à réaction. Boeing de son côté possède déjà l'expérience du B-47, premier avion moderne avec ailes en flèches et réacteurs en nacelles, et surtout du B-52 et ses ingénieurs planchent sur le Model 367-80, un nom pour tromper les observateurs : le model 367 est le nom de la version militaire du Stratocruiser, ce qui laisse penser les observateurs extérieurs qu'il ne s'agit que d'une version améliorée du Stratocruiser, alors qu'en fait il s'agit d'un appareil totalement nouveau.

Les premières études de ce nouvel appareil remonte en réalité à 1947, mais avec des moyens très réduits : il n'y a pas de grand programme avec de grands moyens comme Boeing sait les réaliser quand il le faut. Boeing avait cependant tenter de "vendre" le concept d'un jet à l'USAF en tant que citerne volante, mais l'armée avait refusé de financer le projet, qui lui paraissait coûteux et à l'avenir incertain…

Deux autres configurations : turbopropulseurs ou réacteurs en pod comme le B-47...


En septembre 1951, l'avionneur repart sur de nouvelles bases pour mettre au point un nouvel appareil. Cet appareil possédait une innovation majeure : une aile basse, ce qui permettait de loger le train principal dans la voilure et non pas sous le fuselage comme sur le B-47 ou B-52. Un premier projet, le 707-1 était présenté en interne dès novembre 1951, qui se caractérisait par quatre réacteurs J-57 rangés par pods de deux sous les ailes. Cet appareil devait pouvoir transporter 76 passagers de 1ère classe à raison de rangées de 4 sièges, dans des conditions beaucoup plus spacieuses que le "Comet" britannique dont l'entrée en service était imminente !

Développer le 367-80 à cependant un coût très élevé et Bill Allen se pose sérieusement la question de savoir si il doit lancer l'appareil sur les fonds propres de la société ou attendre une hypothétique subvention des pouvoirs publics. C'est alors que deux éléments vont venir coup sur coup : le premier est la Guerre de Corée qui va faire s'évaporer la promesse de disposer de fonds publics pour mettre au point le premier jet américain civil, mais aussi la taxe de la Guerre de Corée.

La configuration finale du "Dash 80"


De quelle taxe s'agit-il ? De la taxe sur les profits excessifs voulue par le gouvernement américain. Cette taxe avait été votée par le congrès qui voulait s'assurer que les sociétés d'armement ne profiteraient pas de la Guerre. L'idée était de prendre pour chaque société le montant de ses profits nets entre 1946 et 1949 et en le divisant par le nombre d'année d'obtenir le profit moyen de la compagnie. Dorénavant, chaque année, le profit réel de la compagnie serait comparé à ce bénéfice moyen et en cas de dépassement, tout l'excédant était volé taxé par le gouvernement !

Le problème c'est que si Douglas et Lockheed avaient vendus énormément d'appareil sur cette période, et avaient donc eu des bénéficies importants, Boeing n'ayant pas vendu beaucoup d'avions et ayant eu beaucoup d'annulation de contrats avait eu de maigres bénéfices, or avec l'escalade de la Guerre Froide, ses profits sont en net augmentation, de même que ses taxes.

Construction du Dash-80, à la main, pas de tronçon équipé ou de chaîne d'assemblage !


C'est ainsi que pour l'année fiscale 1952, Lockheed va devoir verser 48 cents au gouvernement par dollar de bénéfice, Douglas 68 cents alors que Boeing plafonne à 82 cents : 82% de ses profits sont immédiatement volés taxés… La solution pour Bill Allen aurait été de passer devant le congrès pour expliquer son cas et demander une dispense ou au pire un échelonnement des taxes…mais Bill Allen est avant tout un avocat, et il va vite trouver un moyen de contourner cette stupide taxe…

Si Boeing investi dans un prototype sur ses fonds propres, tous les dollars dépensés pour ce prototype passeront dans le bilan de la compagnie comme des investissements, et non pas comme des bénéfices : astucieux : au lieux de donner 82% de ses bénéfices au gouvernement, Boeing va dépenser cet argent pour produire ce nouvel appareil de ligne à réaction : Washington ne peut rien dire sur la manière dont Boeing dépense ses bénéfices, du moment qu'il livre ses appareils à l'heure, et il ne peut pas taxer un bénéfice qui a été dépensé ailleurs : tout bénéfices pour Boeing en somme ! Cela veut pourtant dire investir le quart de la valeur de la société sur un unique appareil : les risques sont donc très grands si ce nouvel appareil est un échec.

Ce sera la naissance du Boeing 707...


Il ne faudra qu'un mois pour que Bill Allen arrive à convaincre tout le management de Boeing du bien fondé de la manœuvre, et dès le 22 avril 1952, le conseil d'administration de l'avionneur vote un budget de 15 millions de dollars pour mettre au point ce nouvel appareil, somme qui sera portée à 16 millions quelques semaines plus tard, et Bill Allen lance la fabrication du prototype le 8 mai 1952.. Le projet est désigné Boeing 707-7 en interne…et en septembre 1952, Bill Allen révèle à la presse la naissance d'un nouvel appareil moderne, sans donner beaucoup plus de détails, mais il annonce que ce prototype volera dès 1954, et qu'il sera destiné à la fois pour un usage civil et militaire. Il donne également son nom : Boeing 367-80, ceci afin de ne pas mettre la puce à l'oreille de tous les concurrents...

Bill Allen vient de signer un coup de génie : du même coup il évite de se faire taxer tous les profits de sa société, il peut mettre au point un vrai prorotype que les compagnies aériennes pourront tester "grandeur nature", et en plus il va donner un démonstrateur d'avion ravoitailleur à l'US Air Force pour décrocher le contrat d'un avion ravitailleur à réaction, appareil rendu indispensable par le grand nombre de B-52 qui rentrent en service. Alors que ses concurrents adaptent à la hâte leurs avions de transport, Boeing va créer un nouvel appareil spécialement adapté pour les besoins des compagnies aériennes et  des militaires. Ce coup de génie à tout de même un prix, colossal pour l'époque : 16 millions de dollars..

De nombreuses études seront faites sur le train d'atterrissage..


Le design du -80 était très supérieur à celui du "Comet" britannique, car il avait une génération de plus : même nombre de moteurs, mais pouvant emporter 4 fois plus de passagers, tout en volant 150 km/h plus vite. De plus, les leçons tirées des mésaventures du Comet seront longuement étudiées à Renton pour la mise au point du nouvel appareil.

L'équipe de conception était dirigée par Edward C. Wells, un vétéran de Boeing ayant travaillé sur tous les appareils depuis le B-17. Pour faciliter la mise au point de l'appareil, une maquette grandeur nature sera construite à Renton pour tester le cheminement des différents câbles et tuyauteries dans le fuselage. Le choix des moteurs se portera finalement sur le JT3, version civile du J57 qui équipait déjà le B-52, dans le but de rassurer les clients potentiels sur la fiabilité de ces "chalumeaux". Sur recommandation de l'ATA, pour des raisons de sécurité, Boeing va déplacer les moteurs dans quatre nacelles séparées pour éviter tout dégât collatéral en cas de problème sur un des moteurs.

Le fuselage du nouvel appareil possédait le même diamètre que le C-97, mais il n'était plus bilobé en forme de "8", mais directement de forme ovale. Clairvoyance de Boeing : la section du nouvel appareil est constante, ce qui permettra ultérieurement de rajouter ou de supprimer la longueur de l'appareil pour s'adapter aux exigences des clients. Les ailes et pods moteurs étaient inspirés des B-47 et B-52, sauf que l'aile était plus rigide et n'était plus montée en position haute, mais en position basse pour dégager l'espace de la cabine pour les passagers.

15 mai 1954 : roll-out du "Dash 80", l'aube d'une nouvelle ère !


La légende va débuter le 15 mai 1954, jour du "roll-out", présentation officielle du prototype à la presse et au monde entier ! L'appareil porte également une décoration "constructeur" ce qui était nouveau à l'époque, la plupart des avions faisant leurs premiers vols sans peinture ou avec la livrée du client final. Cette décoration était du jamais vu : un mélange de couleurs vives en brun-ocre et jaune…assez moche pour nos standards actuels, mais à l'époque c'était à la mode…et cela va marquer les esprits ! L'appareil est déjà immatriculé N70700 ! C'est madame William Boeing en personne qui va baptiser ce nouvel appareil en disant "je te baptise l'avion du futur" phrase prémonitoire !

Pour les observateurs extérieurs, l'appareil ressemble plus à un prototype d'avion militaire vu le nombre de hublots réduits : 6 à gauche et 10 à droite ! Avant de faire le premier, il restera de nombreux détails à fignoler, dont certains ne sont pas "techniques" : il fallait aussi assurer cet appareil qui était encore unique…et  là c'est un problème : l'appareil est unique et n'a jamais volé. Boeing veut donc une assurance "tout risque" et personne ne veut lui en vendre ! Heureusement, Boeing va réussir à trouver un ensemble de compagnie d'assurance qui vont assurer le "dash 80" : ce sera la police d'assurance la plus chère de l'histoire pour un prototype, et le contrat stipulait que seul "Tex" Johnston pouvait prendre les commandes de ce nouvel appareil.

Bon, pour le premier vol, il faudra attendre un peu...

Les préparations se passent bien en vue du premier vol, jusqu'au 21 mai 1954 : ce jour là, le train gauche lâche sans raison apparente, et l'extrémité de l'aile ainsi que le moteur numéro 1 touchent le sol…il faudra donc remettre l'appareil en état avant même son premier vol !

Le dash-80 fera son premier vol le jour même des 38 ans de la firme Boeing, le 15 juillet 1954. Il était 14h14 lorsque le train du 367-80 quitte le sol. A son bord, se trouve probablement l'homme le plus expérimenté en vol d'essai sur avion multi-moteurs, Alvin "Tex" Johnston, déjà pilote d'essai des B-47 et B-52. Il est accompagné par Richard Dix Loesch en place droite qui est aussi mécanicien navigant. Sur ce vol grâce à un panneau amovible. L'équipage a volontairement été réduit à deux hommes car il n'y a pas de moyen d'évacuation d'urgence de l'appareil. Le vol va durer un peu plus d'une heure, escorté par un F-86 "Sabre", avant de revenir à Boeing Field, où Bill Allen en personne attendait l'appareil !

Le panneau du mécanicien navigant sera manœuvré par les pilotes...


Deux jours plus tard, deuxième vol qui va durer deux heures : au cours de ce second vol, l'appareil va déjà atteindre 8300m d'altitude et une vitesse de 780km/h. Après une première semaine d'essais, l'appareil va retourner en usine pour subir plusieurs modifications en vue de vols de démonstrations pour l'USAF.

La faiblesse des moyens d'essais en vol fait bien sourire aujourd'hui !


Peu de temps après la reprise des vols, le 5 Août, "Tex" et "Dix" posent le dash 80 sur la grande piste de Boeing Field..et là, plus de freins : Tex à beau appuyer sur les pédales, il ne se passe rien…il actionne le frein d'urgence, rien non plus ! La tension monte d'un cran, car voilà le Dash 80 qui fonce à toute vitesse sur la piste de Boeing Field, avec à sa droite les avions privés de l'aéroport, et à sa gauche un alignement du B-57 et de B-52 dont la plupart sont remplis de carburant…Tex va alors remonter la piste en perdant de la vitesse, et va essayer de faire un "U turn" dans l'herbe avant de prendre la piste dans l'autre sens jusqu'à ce que l'appareil s'arrête de lui-même. Ce que Tex ne savait pas, c'est que peu de temps auparavant, la piste de Boeing Field avait été rallongé de plusieurs centaines de mètres, et que à la fin, une des bétonneuses était encore pleine, et que son conducteur avait décidé de la vider dans un fossé courant le long de la piste…le dash-80 va foncer à pleine vitesse dessus et le bloc de ciment va arracher le train avant, plantant le nez de l'avion dans la terre !

Béton...herbe puis ciment...crash !


L'appareil est arrêté, et à part le train avant et quelques tôles autour, il n'y a pas de dégâts, Tex à sauvé le prototype, et il ne faudra qu'une petite semaine pour le remettre en état de vol. Le dash-80 va ensuite accumuler près de 1000 heures de vol au cours de ses quatre années d'essais. Il va être équipé d'une perche de ravitaillement du même modèle que les KC-97 pour faire des essais avec des B-52. Le Dash-80 va également s'illustrer en faisant deux tonneaux au dessus du lac Washington devant un parterre de VIP ! L'appareil sera également utilisé comme banc d'essai volant pour tester toute une série d'équipement pour les futurs 707 et KC-135 : inverseurs de poussée, silencieux pour les moteurs, perche de ravitaillement, insonorisations de la cabine etc, ou encore un 5ème moteur sur le fuselage pour tester l'installation du futur 727 !

Essais de ravitaillement en vol !

Si le Comet inaugure le premier service transatlantique en jet le 4 octobre 1958, trois semaines plus tard, c'est au tout d'un Boeing 707 de la Pan Am de le rejoindre, et ainsi le retard américain avait été rattrapé. Les commandes mettront un peu de temps à suivre, vu que beaucoup de compagnies aériennes venaient d'acheter des avions à moteurs à pistons qu'il fallait rentabiliser un minimum, mais après cette courte période, des commandes vont affluer du monde entier pour le nouveau jet de Boeing, et ce sera le début de la très longue "success story" de Boeing sur le marché des jets civils : de son faible 1% du marché, Boeing va réussir en quelques années à faire jeu égal avec Lockheed et Douglas, et comme vous le savez aujourd'hui, de ces trois compagnies, seul Boeing à survécu et fabrique toujours des avions de ligne…

Le profil du "Dash 80" (à g) ne correspond ni au KC-135, ni au 707 : sur pression des compagnies, Boeing devra élargir le 707 pour accueillir 6 sièges de front !


Qu'est devenu le Dash-80 après tout cela ?

Le dash-80 restera stocké à Tucson pendant de longues années...

En 1962, n'ayant plus d'utilité pour Boeing, il sera prêté à la NASA comme banc d'essais pour des recherches sur la couche limite et l'écoulement de l'air sur les voilures, puis en 1964, il sera rendu à Boeing qui va l'équiper d'un train d'atterrissage "tout terrain" qui va permettre de tester plusieurs concepts mis au point pour le futur avion gros porteur de l'USAF, compétition finalement perdue par Boeing, et qui sera remportée par Lockheed avec son C-5 "Galaxy". D'autres séries d'essais seront réalisées par la NASA pour simuler le comportement du futur Concorde américain.

L'appareil sera remis en état pour les 75 ans de Boeing


Le 22 janvier 1970, l'appareil est officiellement retiré du service, avant d'être donné au Mussée de l'Air et de l'espace de Washington DC, l'appareil arrive donc à Dulles le 26 mai 1972, mais le musée n'a pas la place de le stocker ni de l'exposer et va donc l'envoyer en stockage au "Boneyard" de Tucson. Après plus de 17 années de stockage au "Boneyard", le Dash 80 sera entièrement restauré en 1990 pour pouvoir participer aux cérémonies des 75ans de Boeing en juillet 1991. Après avoir été stocké chez Boeing, il fera son ultime vol en 2003, pour rejoindre l'aéroport de Dulles où le musée de l'air et de l'espace a enfin une annexe qui peut l'accueillir. Il va ainsi rejoindre la collection permanente du Smithsonian, une place largement méritée pour cet appareil qui a révolutionné le transport aérien. C'est là que j'ai enfin pu croiser cet appareil lors de mon périple aux Etats-Unis en avril dernier

Le Dash-80 est aujourd'hui exposé à l'annexe du musée de l'air et de l'espace, sur le Udvar-Hazy center de Dulles.

lundi 19 janvier 2015

L'Auto & Technik museum de Speyer

Il existe en Allemagne deux musées "techniques" qui ont de belles collections dans le domaine aéronautiques, situés à quelques kilomètres l'un de l'autre : il s'agit des musées de Sinsheim et Speyer. Speyer était le second musée sur ma liste : il possède également une collection aéronautique très importante mais aussi la seule navette spatiale soviétique encore en existence à avoir volé : Bourane.

Une navette nommée Bourane...

La visite commence par le pavillon "espace", avec en son centre le clou de la visite : la navette spatiale "Bourane". Un peu d'histoire pour comprendre d'où vient cette navette : au milieu des années 70, les Russes ont voulu concurrencer les américains et leur programme de navette spatiale, en construisant leur propre navette. Il leur faudra 12 années d'efforts, et leur navette, appellée "Bourane" fera un unique vol inhabité mais entièrement automatique en 1988. Le programme sera annulé peu de temps après, lors de la chute de l'Union Soviétique, et la navette qui est partie dans l'espace a été réduite en poussière lorsque le bâtiment d'assemblage où elle était stockée s'est effondré suite au manque d'entretien ! En plus de cette navette, il existait une autre navette appelée "Bourane analogue" ou encore codée OK-GLI. Il s'agkssait d'une navette identique à Bourane, mais conçue pour effectuer des vols atmosphérique pour valider les techniques d'approche et d'atterrissage pour la vraie navette. Cette simili-navette avait même été équipée de quatre moteurs pour pouvoir décoller et voler de manière entièrement autonome. Elle avait effectué pas moins de 25 vols de qualifications, permettant la mise au point du pilote automatique de Bourane.

On peut même visiter la soute de la navette...


Vue de l'arrière de Bourane, avec ses quatre réacteurs qui lui permettait de décoller comme un véritable avion...

Après l'arrêt du projet, elle avait été convoyée pour être exposée en Australie puis à Bahraïn. Elle restera ensuite coincée là-bas plusieurs années, suite à un différent financier entre son propriétaire russe et un consortium singapourien qui devait l'exposer. Le musée de Speyer va contacter les russes et racheter cet appareil…il va s'ensuivre 4 longues années de procès avec les Singapouriens, avant que la justice ne donne enfin raison au musée de Speyer qui va ramener la Navette en Allemagne ! Entièrement restaurée, on peut aujourd'hui la visiter, grâce à la ténacité de l'équipe du musée !
La soute fait la taille d'un  grand bus...

On peut également monter dans la soute, ce qui nous donne une idée de la taille impressionnante de cette navette ! Le gros réservoir vert qui occupe la moitié de la soute est un réservoir de carburant qui alimente les quatre moteurs qui rendent la navette indépendante.

BOR-5

A côté de Bourane, se trouve BOR-5, qui est une maquette de Bourane à l'échelle 1/10, qui avait été conçue pour être équipée de la même protection thermique que Bourane, avant d'être bardée de capteurs et d'être lancée au sommet d'une fusée-sonde et de rentrer dans l'atmosphère. Elle fera 5 vols au total, et l'étude des résultats va permettre de valider la protection thermique de Bourane, constituée de milliers de tuiles thermiques comme la navette américaine.

Encore à côté, se trouve une capsule Soyouz, celle du vol TMA-19. Depuis 1967, Soyouz est la capsule qui est utilisée par les russes pour envoyer des hommes dans l'espace. Il s'agit d'une capsule à trois place…mais quand on voit la place à l'intérieur, on se demande comment trois hommes peuvent passer des heures et des heures à l'intérieur : les trois hommes d'équipages sont allongés sur des couchettes avec les jambes repliées à tel point qu'avec mon mètre 85, j'ai les genoux littéralement dans le menton !

Le troisième étage d'Europa : Astris

Vue du moteur d'Astris

Comme souvent, les plus belles trouvailles sont dans des coins obscurs, et Speyer n'échappe pas à la règle : dans un coin du hangar, avec très peu d'explications, se trouve un étage de fusée, dont le nom m'a immédiatement mis au fait de l'importance de cette découverte : "Astris". Astris était le troisième et dernier étage de la fusée "Europa" qui précéda Ariane, et qui subit 12 échecs sur 12 tirs ! Elle ne parvient jamais à mettre de satellite en orbite, mais les leçons de cette fusée éphémère furent retenues au moment de concevoir celle qui allait devenir célèbre, c'est-à-dire Ariane. Europa se constituait d'un premier étage "Blue Streak" fourni par les britanniques, sur lequel venait l'étage "Coralie" français et enfin le troisième étage fabriqué par l'Allemagne qui accueillait le satellite en son sommet : Astris.

Une réplique grandeur nature du module lunaire d'Apollo..

Le hall possède également une grande exposition consacrée aux missions Apollo et à la conquête de la Lune. On y trouve beaucoup d'objets et de témoignages de ceux qui sont allés sur la lune, dont une réplique du module lunaire d'Apollo, grandeur nature.

Apollo 13 anyone ?


Un autre hall est consacré à l'automobile, ce qui m'intéresse beaucoup moins, mais même dans ce hall on trouve quelques appareils : un Mirage IIIE aux couleurs constructeur par exemple, et aussi un autre appareil rare : un Potez - Heinkel CM-191. Il s'agit d'un appareil dérivé du Fouga-Magister, dont il conserve le fuselage arrière et les moteurs, mais l'avant a été redessiné pour accueillir quatre personnes, comme le "Paris". Il ne sera fabriqué qu'à deux exemplaires, et celui-ci est le numéro 2.

Le CM-191

Un Mirage IIIE bien mis en valeur...

Après ce tour, il me fallait braver le froid pour aller voir les avions exposés à l'extérieur, parmi lesquels on trouve des appareils rares comme l'Antonov 22 ou le Mercure.

F-BTTB, Dassault "Mercure"


On commence par l'extrémité du parc, avec deux appareils qui n'ont pourtant pas grand chose en commun : l'Antonov 26 et le Mercure. Je vous ai déjà parlé du Mercure, tentative de Dassault pour percer sur le marché de l'avion de ligne court courrier, qui a réalisé l'équivalent d'un A320 avant l'heure, mais avec des moteurs consommant trop polluants, qui ne parvient jamais à se vendre, car même le trajet Paris -Nice était trop long pour lui. Il restera ainsi cantonné à des vols intérieurs pour la Compagnie Air Inter, qui va acquérir les 10 exemplaires plus le prototype, et ce sera là toute l'étendue de la production de cet appareil qui pourtant était bien réussi, mais ne répondait à aucun besoin commercial.
Aux commandes du "Mercure"...

L'Antonov 26 est un autre appareil intéressant, c'est un peu le Transall à la russe. Il est développé à partir de l'Antonov 24, un bi-turbopropulseur moyen courrier de transport de passagers. En ajoutant une vaste soute et une rampe de chargement arrière à l'An-24, on obtient un An-26. L'avant de l'appareil contient également une mini-zone pour le transport de passagers ou de blessés, alors que la soute à l'arrière accueille le chargement plus lourd : je suis tombé sur une imposante "Zil" est-allemande à l'intérieur de la soute !

C'est ensuite au tour de l'An-26

Avec une Zil à bord !

Un peu plus loin, on rencontre un tracteur d'avion un peu particulier : le "Plane Transport System 1" ou PTS-1. Il s'agit du premier tracteur d'aion gros porteur conçu sans barre de remorquage : il vient enserrer le train avant de l'appareil pour le tracter et le guider tout à la fois, de manière beaucoup plus efficace qu'avec une barre de remorquage. Ce système peut tracter tous les gros porteurs de l'époque : Boeing 747, DC-10, Tristar etc...

Le PTS-1

On continue ensuite par un monstre : l'Antonov 22 ! Il s'agit d'un quadripropulseurs à hélices contra-rotatives très imposant, conçu dans les années 60 pour transporter les charges lourdes pour le Pacte de Varsovie. Cet appareil possède une vaste soute, un peu à l'image du C-141 "Starlifter" américain, quoique en un peu plus haut et plus large ! Une large rampe de chargement à l'arrière permet aux véhicules de monter à bord, et deux grues mobiles peuvent se déplacer sur toute la longueur de la soute pour déplacer les palettes ou caisses…il n'y a en effet aucun rail sur cet appareil !

L'imposant Antonov-22...

Et ses hélices contra-rotatives...

Vers l'avant, le poste de pilote est organisé autour du puit de train avant : un couloir le longe de part et d'autres pour accéder au logement du "bombardier" à l'avant…je dis bombardier car l'avion à gardé un nez vitré comme les bombardiers, mais c'est en réalité le navigateur qui loge ici. Une échelle permet de monter sur le pont supérieur, où est situé le cockpit ainsi qu'une zone de repos en arrière, avec un astrodôme. Le musée à pensé à surrélever l'astrodome, ce qui permet d'observer le panorama aux alentours, vu que l'Antonov est perché à près de 5 mètres de haut !

Le poste du navigateur...

Et le cockpit principal...

Et l'immense soute...

Il est ensuite temps de monter voir le Boeing 747 ! C'est probablement l'appareil le plus impressionnant à voir, car c'est un Jumbo Jet d'une part, et d'autre part, il est perché à 20m de haut ! On monte par un long escalier qui nous mène sur une plateforme sous l'avion. De là, on peut admirer le train d'atterrissage à multiple bogie de l'appareil, avant de continuer l'ascension jusqu'à la porte arrière du pont passager.

Sous le Boeing-747...

Qui est visible de très loin...

Le train est impressionnant de près...

L'appareil est aménagé un peu de la même manière que le 747 du Bourget : on peut se promener sur le pont passager, dont certaines zones ont été évidées pour montrer le "squelette" de l'appareil, avant de descendre dans la soute ou voir le poste de pilotage. C'est un 747-200, donc l'appareil comporte encore un poste de pilotage analogique pour trois personnes. Différence par rapport au 747 du musée de l'air du Bourget : l'arrière est évidé, ce qui permet d'admirer le "rear pressure bulkhead", le dôme arrière qui limité la zone pressurisée. Pièce essentielle, sa bonne tenue est indispensable au maintient de l'intégrité de l'appareil ! Autre différence : on peut aller se promener sur les ailes, oui, oui, sur les ailes ! Une petite "promenade" est délimitée sur l'aile gauche, et on peut sortir, admirer le 747 de près, ou encore observer la magnifique cathédrale de Speyer à quelques kilomètres de là. La vue est totalement dégagée, et nous sommes le point dominant des environs à bord de cette tour de guet improvisée !

L'arrière du 747 avec la structure primaire...

On peut même se balader sur les ailes !

Le cockpit du Boeing 747

Retour un peu plus bas, pour visite un autre appareil, lui aussi perché au dessus du sol : un Vickers "Viscount", comme à Sinsheim, mais cette fois, aux couleurs de Lufthansa !

On visite ensuite le Vickers "Viscount"

En marge de ces appareils, on trouve aussi une belle collection de chasseurs américains et soviétiques de la Guerre Froide : MiG-21, MiG-23 côté Pacte de Varsovie, et même un Yak-27, appareil ressemblant étrangement au "Vautour" de la SNCASO !

Le MiG-21 au soleil

Le Yak-27, qui ressemble beaucoup au  SNCASO Vautour..


Du côté américain, on trouve un F-101B "Voodoo", deux F-4 "Phantom", dont un aux couleurs des "Blue Angels", la patrouille acrobatique de l'US Navy, ainsi qu'un F-104 "Starfighter" (ou du moins ce qu'il en reste !). On trouve également un F-15 "Eagle", appareil plus moderne que les précédents.

Vue d'un F-104...pour pièces détachées sans doute !

F-101B "Voodoo"

Un F-4 "Phantom" des Blue Angels

F-15 "Eagle" au fond et F-4 "Phantom" devant


Voilà pour la visite du musée de Speyer, un musée impressionnant par la diversité de sa collection, mais aussi par l'originalité de la présentation : le fait de percher les appareils en hauteur permet d'en profiter beaucoup plus que si ils étaient au sol, mais de pouvoir les visiter malgré tout…d'autres musées (surtout ceux en manque de place) devraient s'en inspirer !

Un beau Saab "Draken"