L'aviation peut se comparer au monde du vivant : c'est un monde qui évolue, constitué de différentes "espèces", qui peuvent évoluer, muter, se diversifier ou disparaître. Comme en biologie, on peut être tenté de trouver le "chainon manquant de l'évolution", un appareil hybride pouvant justifier le passage de telle espèce à une autre.
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Le premier avion moderne |
Si le fameux "chainon manquant" n'existe pas en biologie, il existe en aviation. Si l'on s'intéresse aux avions de ligne modernes, on peut en tracer l'origine jusqu'au Boeing 707 : ailes en flèche, moteurs en nacelles sous les ailes, fuselage long et étroit…pourtant des avions de transport de la Seconde Guerre Mondiale au Boeing 707, il existe un "chainon manquant", qui permet de comprendre que le design du 707 n'est pas venu comme ça.
Ce chainon manquant, c'est le Boeing model 450, ou B-47 "Stratojet"
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Le B-47 en vol, premier bombardier du Strategic Air Command |
Conçu par Boeing sous le nom de "model 450" en réponse à un appel d'offre de 1943, cet appareil sera le premier à posséder toutes ces caractéristiques qui nous semblent aujourd'hui si familières : des ailes en flèches, des réacteurs, répartis en nacelles sous les ailes pour la propulsion. L'aile en elle-même était très flexible, et fine, ne transportant pas de carburant. En contrepartie, l'appareil était équipé d'un train d'atterrissage monotrace, plus délicat à poser. Sa présence au sein de la toute jeune US Air Force va servir à crédibiliser la dissuasion nucléaire américaine.
Au départ, il s'agissait simplement de réaliser une version plus petite du B-29, mais équipé de quatre réacteurs. Au fil des itérations, ce concept va évoluer pour donner un appareil entièrement nouveau, dont la caractéristique reste l'aile haute en flèche. Boeing soumet sa proposition en décembre 1944, en même temps que NAA, Convair et Glenn-Martin pour le futur bombardier moyen de l'USAAF. Après la reddition allemande, des ingénieurs américains sont envoyés visiter les usines allemandes pour "inspiration"…L'un d'eux est George Schairer, qui tombe sur un rapport concernant l'utilisation des ailes en flèche…d'abord intrigué puis fasciné, il téléphone à sa maison mère, Boeing, et ordonne d'abandonner les travaux sur les ailes droites, et de concevoir une aile en flèche. Le B-47 vient de naitre. La motorisation sera constitué de quatre, puis 6 moteurs General Electric TG-180. A l'origine installés dans le fuselage, les moteurs seront déplacés à la demande de l'USAAF qui considère le risque d'incendie trop grand.
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Profil du Boeing 450, avec un fuselage pressurisé à l'avant et une large soute à bombes |
Le model 450 sera la dernière itération, avec six moteurs implémentés sous les ailes dans des pods profilés. L'USAAF est satisfaite et commande deux prototypes XB-47
Véritable bond technologique, cet appareil est véritablement l'ancêtre des avions modernes, combinant toutes les innovations de l'époque (dont beaucoup venaient des recherches allemandes). Holden Withington, un des ingénieurs en chef du projet B-47, raconte qu'il avait encore un doute sur le fait que l'appareil puisse voler au moment où il assistait à son premier décollage !
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Schéma général du B-47 |
Le cockpit tranchait avec les cockpits des bombardiers antérieurs : un pilote et un navigateur s'asseyaient en tandem sous une large verrière dominant l'avant de l'appareil, alors qu'un observateur/bombardier prenait place à l'extrémité avant du nez de l'appareil. Tout le compartiment avant était pressurisé, apportant un confort par rapport au B-17, mais l'étroitesse et surtout l'absence de contact visuel entre les trois membres d'équipage était un "moins" par rapport au B-29/B-50, ce qui demandait une excellente coordination de la part de l'équipage. L'équipage pouvaient en outre accueillir deux instructeurs, portant à 5 le nombre maximum d'hommes d'équipage. Une porte était aménagée à l'avant gauche du fuselage, permettant aux hommes de rejoindre leurs positions via un passage sur le côté gauche de la carlingue.
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Schéma général de l'arrangement du cockpit du B-47 |
Le bombardier possédait un nez vitré à l'origine, mais qui sera vite remplacé par un nez métallique, renforçant la structure de l'appareil (et surtout plus léger), la vision vers l'avant étant fourni par le radar de bombardement, via un périscope. Il ne fallait pas que le bombardier soit claustrophobe !
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Compartiment (étroit) du bombardier |
L'équipage prenait place sur des sièges éjectables de marque "Stanley", deux s'éjectant vers le haut, et celui du bombardier vers le bas…la mise au point du siège éjectable vers le bas sera difficile…et il y aura de nombreux volontaires blessés lors des essais (on est encore à la préhistoire de la simulation)
Mais, si cet appareil est paré de presque toutes les vertus il a aussi un côté plus sombre. Premier revers de la médaille : sa complexité était un frein à sa mise en service : bourré de systèmes électriques et mécaniques complexes, il fallait former toute une nouvelle catégorie de mécaniciens pour pouvoir l'entretenir correctement.
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Les sièges "Stanley" du pilote et copilote. Celui du copilote pouvait pivoter à 180° pour se servir de la mitrailleuse de queue ! |
De la même manière, les pilotes ont été formés directement de B-17 ou B-29 sur B-47, ce qui représentait un saut technologique proprement ahurissant à l'époque. Imaginez plutôt : passer d'un bombardier lourd non pressurisé à moteurs à pistons à un bombardier équipé de 6 réacteurs le propulsant à près de 750 km/h !
Malgré des tests structuraux, qui avaient montrés que l'appareil pouvait survive à des charges de plus de 150% de la charge nominale, il n'existait pas de moyens de simuler les charges subies lors des vols répétés, et ce problème aura de lourdes compétences sur la suite…
Le premier XB-47 est le 46-0065 sort d'usine à Seattle le 12 septembre 1947, quelques jours avant que le président ne signe l'acte de naissance de l'USAF (le 18 septembre). Il fait son premier vol le 17 décembre de la même année, avec aux commandes les pilotes Robert Robbins et Scott Osler aux commandes. Le vol se passe bien hormis quelques incidents mineurs.
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Un B-47 en vol montrant la pureté des lignes de l'appareil |
La tragédie frappe le programme pour la première peu de temps après : au cours d'un vol à grande vitesse, le canopy se détache, tuant sur le coup le pilote Scott Osler. Son copilote parvient à poser l'appareil en urgence, et l'enquête montre qu'il faut renforcer le cockpit de toute urgence. Boeing doit également engager un nouveau chef pilote : ce sera "Tex" Johnston (celui là même qui fera un tonneau avec le Boeing 707 quelques années après !)
Le deuxième prototype vole pour la 1ère fois le 21 juillet 1948, équipé de moteurs J-47 beaucoup plus puissants. Tous les détracteurs du B-47 le jugeant trop novateurs sont bientôt conquis : l'appareil se comporte bien en vol, et ses capacités sont conformes aux espoirs de ses concepteurs. Il faudra quand même installer un "yaw damper", amortisseur en lacet, ainsi que des générateurs de vortex pour contrer la tendance à l'autocabrage de l'avion.
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Descente de l'appareil, via une échelle intégrée |
La grande difficulté de l'appareil se présentait à l'atterrissage, en raison de deux facteurs : la pureté aérodynamique et les moteurs. En raison de la pureté aérodynamique, il était difficile de "plaquer" l'avion au sol à l'atterrissage, et en cas de problème, il fallait être patient pour remettre les gaz : plus de 16 secondes entre la mise des manettes à plein gaz et le moment où les six moteurs développaient véritablement la pleine puissance ! Pour éviter tout accident, les pilotes devaient remonter la puissance des gaz AVANT d'atterrir, tout en déployant un parachute frein, situé dans le logement de queue…une fois le contact avec le sol établi, le pilote pouvait mettre les moteurs au ralenti sol.
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Décollage avec la pleine puissance des RATO...et la fumée qui va avec ! |
Le problème était moins grave pour le décollage, où l'USAF pouvait installer 18 fusées RATO (pour Rocket Assisted TakeOff), développant chacune 440 kg de poussée, donnant un décollage assez spectaculaire ! La capacité de carburant était de 64 400l, trois fois plus que le B-29, mais avec six moteurs peu économes à la base, il fallait au moins ça…le tout pour une capacité de 4,5 tonnes de bombes.
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Un extrait du manuel de vol du B-47...les pilotes avaient encore le droit à quelques caricatures pour agrémenter le manuel, chose totalement impensable aujourd'hui... |
Pourtant, le B-47 était délicat à manœuvrer, ne possédant que un pilote automatique rudimentaire…mais à haute altitude, là où les moteurs étaient optimisés, l'aile ne l'était pas…et il y avait une marge de 5kt entre la vitesse de décrochage et la vitesse maximum…ce que les pilotes appelaient le "coin du cercueil" ("coffin corner")…et pour traverser l'atlantique, le pilote devait laisser le pilote auto en "off", et piloter manuellement l'appareil pour ne pas décrocher…je vous laisse imaginer la fatigue au bout de 8 heures de vol (sur un avion contemporain, cette limite est de l'ordre de 30 à 50 kt).
Pour convaincre l'USAF du bien fondé du nouvel avion, Bill Allen, le PDG de Boeing va inviter deux généraux à venir faire un vol à bord d'un B-47, en l'occurrence les généraux Wolfe et le May…et un premier contrat de 10 avions est signé le 3 septembre 1948. Curtiss le May se montre plus qu'enthousiaste pour ce nouvel appareil, qui finalement est commandé en série, et servira au sein de l'USAF de 1951 à 1965, une remarquable longévité !
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Cette photo montre le réceptacle de ravitaillement en vol du B-47 |
Pourtant, si on regarde bien, il faut attendre 1953 pour que l'appareil soit véritablement opérationnel. La combinaison des ailes flexibles et du manque de réponse des moteurs en finale à détruit plus d'un avion : si le pilote se présentait sous un mauvais angle, l'appareil partait en rebonds sur la piste, jusqu'à ce qu'une aile touche le sol, et là c'était le début de la fin…
Il faudra mettre au point un programme d'entrainement poussé et rigoureux pour permettre aux équipages de maîtriser l'animal…mais malgré tout, l'avion demandait une charge de travail très élevée à tout l'équipage. En comparaison, le nouveau bombardier B-52 demandait un équipage de pas moins de 6 hommes !
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Retour d'une mission d'entrainement pour l'équipage de ce B-47 |
Le B-47 connaitra plusieurs versions. La première à rentrer en service sera le B-47A, très proche du prototype XB-47. 399 B-47B seront commandés alors que le B-47A n'a même pas encore été livré. Le -B se distinguait du -A par une avionique plus avancée, et la possibilité d'être ravitaillé en vol, un avantage non négligeable étant donné la consommation en carburant de l'appareil ! Un autre changement ne sera pas populaire vis-à-vis des équipages sur le B-47B : la suppression des sièges éjectables…pour réduire le poids de l'avion…même si les sièges du B-47A n'étaient pas les mieux conçus de l'époque, c'était toujours mieux que rien ! La pression sera telle que la version suivante du B-47 réintégrera les sièges éjectables.
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Cockpit du pilote d'un B-47A |
Cette nouvelle version sera le B-47E, les dénominations -C et -D n'étant pas utilisées. Le B-47E sera la principale version de l'appareil, qui restera en service le plus longtemps. Le principal changement se fera au niveau des moteurs : adoption du J-47, et avec injection d'eau, donnant un "boost" au décollage bien appréciable ! Les sièges éjectables seront remis en place, mais la capacité en carburant sera réduite….ce n'était pas considéré comme critique, grâce à l'adoption de réservoirs de carburant externes, ainsi que la présence du réceptacle de ravitaillement en vol. L'adoption du AN/APS-64 va aussi révolutionner le travail du B-47 : ce nouveau radar de bombardement permettait de chercher un objectif par tous les temps…ou utiliser comme radar de recherche, il permettait de retrouver un avion ravitailleur !Un total de 1341 B-47E seront construits, et la plupart des B-47B seront convertis au même standard que les B-47E.
Conçu comme bombardier nucléaire, le B-47 possédait peu de volume interne pour la charge offensive, et ne pouvait emporter qu'une seule bombe atomique (encore très volumineuse à cette l'époque). Mais l'appareil compensait sa faible charge par le nombre d'avions en service : en 1956, l'USAF possédait pas moins de 28 "Wings" de B-47, plus 5 de RB-47, version de reconnaissance de l'appareil. Pour arriver à ce nombre, l'USAF va mobiliser toutes les usines disponibles : Boeing, Lockheed, Douglas…tous vont participer à l'assemblage des avions en un temps records !
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Poste du copilote d'un B-47E |
Les différentes escadrilles fonctionnaient en "alerte par tiers", le tiers des avions étant armés et ravitaillés, avec le tiers des pilotes d'alerte également. Les pilotes s'entrainaient également au décollage à intervalle minimum (Minimum Intece qui rvall Takeoff ou MITO). L'exercice consiste à décoller en un minimum de temps en laissant un intervalle minimum entre deux appareils, du style 15 secondes, ce qui laissait à peine le temps de dissiper les lourds nuages de fumées crées par l'injection d'eau des moteurs. La visibilité nulle et les turbulences derrière les autres avions ne facilitent pas du tout le pilotage de l'aéronef, rendant l'exercice dangereux mais nécessaire.
La production de l'avion cesse en 1957, pour laisser la place au nouveau super-bombardier, le B-52. Si ce nouveau bonbardier commença ses tours d'alerte dès 1959, le B-47 restera encore plusieurs années sur le devant de la scène. Présent en grand nombre, rapide et ravitaillable en vol, il n'avait certes pas l'allonge du B-52, mais pouvait encore se rendre utile.
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épreuve épuisante pour les équipages, ravitaillement en vol d'un B-47E par un KC-97G |
En 1958, il faudra lancer un programme d'urgence de renforcement des ailes face à une usure prématurée des longerons d'ailes (qui a dit A380 ?), suite à plusieurs désintégrations d'avions en vol.
Le B-47 est également à l'origine du premier accident "Broken Arrow" ("flèche brisée"). "Broken Arrow" est un nom de code qui désignait pendant la Guerre Froide toute perte accidentelle d'arme nucléaire. Le 5 février 1958, Un B-47 basé à Homestead AFB rentre en collision avec un F-86 lors d'une attaque simulée. Le F-86 s'écrase, après que son pilote ait réussi à s'éjecter, et le B-47 est sérieusement endommagé…il tente de se poser mais n'y arrive pas, il doit donc larguer son chargement avant de tenter un aterissage forcé. Or le B-47 est équipé d'une bombe atomique Mk-15 (mais sans plutonium)…le pilote reçoit donc l'ordre d'aller larguer sa bombe en mer, au large des côtes. Malgré une opération de recherche par la Navy qui va durer plus de neuf mois, la bombe ne sera jamais retrouvée.
Le B-47 ne prendra plus l'alerte nucléaire à partir de 1963, étant retiré de première ligne, mais restera en service au sein de l'USAF jusqu'en 1969, et au sein de l'US Navy comme appareil de reconnaissance météo jusqu'en 1976 !
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Vue du bombardier d'un B-47, avec les deux instructeurs en arrière. Les pilotes sont plus haut, sur la gauche de la photo |
Si les B-47B et B-47E ne connaitront jamais le baptême du feu, une autre variante de l'appareil va connaitre ce baptême : il s'agit de la version de reconnaissance, le RB-47. Basés sur les aérodromes entourant le rideau de fer, les RB-47 vont souvent venir "tester" les défenses soviétiques, pénétrant de manière sporadique dans le territoire soviétique, sans toutefois y rester plus de quelques minutes pour ne pas se faire intercepter ! Ces excursions seront aussi l'occasion de venir prendre quelques photographies du territoire soviétique afin de tenter d'y voir un peu plus clair sur leurs moyens de production…sans grand succès, les renseignements les plus croustillants étant cachés bien à l'intérieur des terres. On ne sait pas tout sur cette période, mais on estime que au moins trois B-47 ont ainsi été abattus à proximité du territoire soviétique.
Le B-47 sera progressivement retiré du service tout au long des années 60, l'arrivée des B-52 le rendant obsolète. Si le gros octo-réacteurs à quelque peu éclipsé le B-47, il a eu un rôle très important, faisant passer l'USAF des "vieux" bombardiers aux avions modernes. Il a ainsi permis de former toute une génération de pilotes, et surtout une génération d'ingénieurs sur la conception d'appareils à réaction de grande dimension. Quand on regarde d'un peu près le B-52 ou le Boeing 707, on y voit tout de suite l'héritage de cet appareil exceptionnel qu'était le B-47.
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Un B-47 dans un musée |