lundi 28 avril 2014

Voyage aux Etats-Unis

Ce fut un voyage certes long et fatigant...mais surtout passionnant ! Je suis donc de retour chez moi après un long road-trip aux Etats-Unis, entamé il y a de cela plus de deux semaines, qui avait pour but de visiter quelques musées aéronautiques. Le planning était chargé et ambitieux : 17 jours de voyages avec pas moins de 7 escales pour visiter pas moins de 9 musées et sites majeurs ! J'avais quand même prévu large pour avoir le temps de visiter suivant ma méthode habituelle : la queue devant la grille à l'ouverture, puis sortie après la 2ème injonction de la sécurité le soir en prenant le temps de visiter à mon rythme...c'est à dire souvent lentement !

En résumé : les 9 sites et musées visités
Et le chemin suivi...

Je vous donne aujourd'hui les grandes lignes du voyage, le compte-rendu de visite des musées suivra dans des articles séparés !

Je suis donc parti le vendredi 11 avril, avec un premier arrêt chez "Boeing-city", c'est à dire Seattle ! Au programme, visite du "Museum of Flight" et des usines d'assemblage de Boeing à Everett, les deux sont des destinations très intéressantes à voir, même si le lobbying "If it's not Boeing I ain't going" (si c'est pas un appareil Boeing, je ne pars pas !) est pesant à la fin quand on vient de Toulouse et que l'on est habitué aux produits locaux !

Le Museum of Flight recèle bien des trésors...


Mardi 15, il était temps de repartir, direction le désert, plus précisément à Tucson dans l'Arizona. Au programme, trois visites :
  • le musée des missiles Titan, un ancien silo de missile Titan II reconverti en musée, où je m'était inscris pour la visite dite "top to bottom", une exploration de l'intégralité du silo, avec casque et sac à dos pendant 6 heures pour en percer tous les secrets, une sacrée aventure !
Titan missile museum
  • visite en bus du "boneyard", le fameux cimetière des avions où l'USAF entrepose tous les appareils dont elle ne se sert plus...je n'ai jamais vu autant d'avions de ma vie !

Pima, le "Louvre" des avions

Vendredi 18, long voyage pour rallier le Delaware sur la côte est, pour être sur place le samedi 19 pour la visite de l'"Air Mobility Command Museum", un musée focalisé sur l'histoire des avions de transport de l'USAF de la seconde Guerre Mondiale à nos jours, un musée où l'on peut voir le seul C-5 "Galaxy" visitable au monde !

L'air mobility command museum, et son C-5 (en haut)

Dimanche, retour vers Washington DC pour prendre l'avion, non sans un arrêt au "Bourget" local : le centre Udvar-Hazy, annexe du musée de l'air et de l'espace du Smithsonian, maison de la navette spatiale Discovery et du prototype du Boeing 707, le "Dash-80".

Le Udvar Hazy center, à côté de Dulles

Puis trois journées dans l'antre du musée national de l'US Air Force, à Dayton dans l'Ohio pour visiter une collection unique permettant de découvrir toute l'histoire de l'USAF.

Le NMUSAF de Dayton

Mercredi, de nouveau l'avion pour aller vers Dallas au Texas histoire de se poser un peu...non sans repartir pour une dernière expédition, qui a failli tourner court pour cause de problèmes d'avions, mais heureusement, American Airlines à réussi à trouver un avion de remplacement...le temps de passer une journée à El Paso, histoire de rencontrer le dernier Super-Guppy en état de vol, le N941NA ! Une superbe journée, vous vous en doutez bien !
Visite au N941NA à El Paso

Puis après deux journées "off" à Dallas, il était temps de faire le long chemin de retour vers la France, mais avec des souvenirs pleins la tête et des photos pleins l'ordinateur !

Beaucoup de kilomètres en avions aussi...sans prendre aucun Airbus, il fallait le faire !


En "bonus" : liens vers les albums photos publiques Facebook :


jeudi 17 avril 2014

Hermes, la navette spatiale made in Europe (2/2)

En 1985, le projet "Hermès" d'une navette européenne est bien avancé...

La forme d'Hermès se précise peu à peu


Malgré l'enthousiasme général, les problèmes commencent à arriver : toutes les souffleries d'Europe ne permettant pas de simuler le profil de vol d'Hermes, notamment la rentrée hypersonique et la difficile transition du vol spatial hypersonique au vol atmosphérique supersonique…et les données de la navette américaine ne sont pas d'une grande aide, vu sa taille et sa forme très différente. Le CNES souhaite donc pour lever les inconnus réaliser une maquette inhabitée d'Hermès à l'échelle 1/4. Cette maquette, baptisée "Maia", équipée comme un vrai vaisseau spatial aurait du être lancée au sommet d'une Ariane 4 dès 1989 pour valider le profil de rentrée….coût de l'opération : 1 milliard de francs ! Un surcoût qui n'avait pas été prévu...

Le planning est arrêté en 1986 : début de l'assemblage d'Hermès 01 en 1991, puis Hermès 02 en 1992. Comme pour la navette, des essais de largage depuis l'Airbus porteur seraient nécessaire pour valider l'atterissage, ce qui était prévu sur la base d'Istres vers 1994 avec l'avion 02, le 01 étant envoyé à Kourou pour les tests de compatibilité lanceur. Hermès serait lancé sur la troisième Ariane 5 en avril 1995, avant d'être suivi 6 mois plus tard par l'avion 02. La cadence prévue était de deux vols par an, chaque appareil étant conçu pour survivre 30 vols.

Le premier vol est prévu pour 1995...puis 1997...pour un poids de 17 tonnes....


Pendant ce temps, les tractations politiques continuent jusqu'en 1987, où l'ESA autorise le lancement d'un programme de recherche préliminaire, auquel participe l'Allemagne, et le programme s'engage sur une participation européenne. Hermès entre temps est partie dans un programme de redéfinition : l'Europe entend tirer les leçins de la catastrophe de Challenger survenue une année auparavant : Hermès va aquérir une capsule de sauvetage, capable de sauver l'équipage même pendant les premières minutes de vol, et ce jusqu'à Mach7 et 55km d'altitude, mais en contrepartie la navette est limitée à seulement 3 spationautes…et la charge utile se trouve réduite de 4,5 à 3 tonnes. Le premier vol est ainsi repoussé à 1997…et la facture commence à gonfler ! Hermès ne pourra plus ramener de satellite non plus avec cette nouvelle configuration.

Mai 1987 : le dossier programme est remis à l'ESA : la phase de développement doit commencer le 1 avril 1988 et se monte à 31 milliards de francs, soit plus de double de l'estimation initiale ! En juin 1987, la première maquette grandeur nature d'Hermès est dévoilée au public lors du salon du Bourget. Pour le public, c'est la première occasion de "voir" cette navette de près qui pourtant n'existe encore que sur le papier.

La maquette fera forte impression au Bourget


Novembre 1987 : c'est le conseil interministériel des 13 pays membres de l'ESA. Beaucoup de décisions sont prises lors de cette réunion, dont le lancement officiel de la production de trois programmes majeurs : Hermès, Colombus et Ariane 5, effectif le 1er janvier 1988, mais les travaux ne démarrent pas tant qu'au moins 80% du financement ne soit réuni, ce qui arrive début février. Le premier vol d'Hermès est alors repoussé à 1998...

Le design va subir encore une fois des modifications : extensions de la base des ailes à l'avant du fuselage, donnant une forme triangulaire à l'appareil, ainsi qu'une extension des winglets. Mais la différence la plus remarquable est l'ajout d'un module de service à l'arrière de la navette permettant de diminuer la taille de la navette pour la rentrée dans l'atmosphère. Ce module de service emporte les moteurs et le collier amarrage, ce qui rend le système moins économique car du coup ils ne sont plus réutilisable.

écorché d'Hermès et de son module de service


En juin 1988 a lieu la revue de design préliminaire d'Hermès, et l'ESA doute de la viabilité du design proposé : en effet il y a beaucoup trop d'éléments "jetables" attaché au module de service, ce qui risque de tuer la rentabilité économique du projet, et la capsule éjetable pénalise fortement le devis de masse, réduisant d'autant la charge utile : il va finalement être décidé de remplacer la capsule par des sièges éjectables du même type que ceux de la navette russe "Bourane"...même dans ces années de Guerre Froide, la coopération spatiale était bien meilleure avec les soviétiques qu'avec les américains…

Mais la situation empire encore à la fin de l'année 1988 : le CNES annonce officiellement que la réalisation d'Hermès coutera "significativement" plus que prévu…l'enveloppe budgétaire prévue n'est plus suffisante, le dépassement envisagé serait de 20 à 25%. Des tractations entre les pays membres vont ainsi faire glisser le planning dans le temps, histoire d'étaler les dépenses. Une nouvelle version d'Ariane 5, baptisée Mk2 est mise en chantier…vu qu'Hermès ne cesse de grossir tous les mois : on arrive à un avion de 24,4 tonnes en 1989…contrairement aux 10 tonnes envisagées quelques années auparavant !

Plus de date de premier vol de prévu...et le poids est grimpé à 22 tonnes...

Malgré toutes les difficultés, des petites victoires se font jour : en juillet 1992, Aerospatiale livre le premier démonstrateur du nez d'Hermès, avec ses matériaux composites capables de résister à 1600°, une première en France ! Mais ces avancées sont de courtes durée : la fin du programme arrive…

C'est l'Allemagne qui jette le premier pavé dans la mare en octobre de cette même année : elle annonce que devant le dérapage budgétaire du programme, elle n'a plkus confiance et souhaite en sortir. La France se retrouve alors seule ou presque, sans avoir les moyens de fiancer le programme. On tente en urgence de revoir le programme à la baisse : une navette seulement au lieu de deux, qui effectuera uniquement des vols inhabités dans un premier temps et pas de vol habités avant 2001 au mieux…

Une autre piste est étudiée : une collaboration franco-russe pour relancer la navette "Bourane"…mais les deux pays veulent des choses différentes, et la coopération tourne court avant même de commencer…et c'est ainsi que l'Europe s'est fermée la porte aux vols habités. Malgré des promesses et un projet de démonstrateur de navette (sorte de mini-Hermès, baptisé X2000).

Une autre tentative de programme habité viendra avec le CTV ou Crew Transfer Vehicule, une capsule de type Apollo conçue comme véhicule de sauvetage et de transfert pour l'ISS, mais lui non plus ne verra jamais le jour…annulé avant même que des études sérieuses aient pu commencer, il sera sacrifié au profit de la dépendance américaine et russe pour l'accès à l'espace.

L'hypothétique CTV qui ne verra jamais le jour non plus...on est déjà bien loin d'Hermès...


Que reste-t-il aujourd'hui de la navette européenne ? Les plus pessimistes diront rien, mais ce n'est pas aussi simple que cela. Il n'y a pas eu de navette, nous sommes d'accord, il reste cependant une maquette à l'échelle 1 qui traine quelque part dans les réserves du Bourget. C'est la maquette qui avait été présentée au salon du Bourget, qui fut oubliée pendant quelques temps dans la cour de l'ENSICA à Toulouse, où elle fut dégradée, exposée aux éléments, et la tempête de 1999 fera même tomber son nez ! Suite à cela elle sera rapatriée au Bourget, où elle se trouve toujours, en attente d'une très hypothétique restauration…

Au niveau technologique cependant, il existe des retombées, de nombreuses avancées technologiques devenues orphelines suite à l'arrêt du programme, notamment les céramiques  réfractaires. Même si l'Europe ne construira pas de navette, il y aura quand même une retombée : l'ARD : Atmospheric Rentry Demonstrator : lancée par Ariane 5, cette mini-capsule permettra de valider certaines technologies développées pour Hermès et le véhicule de retour qui ne verra finalement pas le jour. Le vol sera un succès complet…mais sans lendemain

l'ARD est assemblé sur Ariane 5 pour son unique vol.

Mais un autre projet se fait jour : l'IXV ou "Intermediate eXperimental Vehicule", qui est un "lifting body" inhabité destiné à tester les techniques de rentrées dans l’atmosphère. La mise au point de ce véhicule à d'abord été faite par le CNES, puis le programme a été repris par l'ESA. La protection thermique de ce véhicule ainsi que son guidage son directement issus du programme Hermès, et du programme ARD. Son lancement est prévu à bord d'une fusée Vega à la fin de l'année 2014.

Peut-être qu'il finira par sortir quelque chose de concret de ce démonstrateur IXV…et peut-être que l'on pourra dire que l'héritage d'Hermès n'a pas été complètement perdu….je le souhaite en tout cas, mais il n'y a à l'heure actuelle aucune volonté politique d'aller plus loin, et avec des financements de plus en plus retreints, il est à craindre que le IXV reste comme l'ARD une expérimentation sans lendemain...

lundi 14 avril 2014

Hermes, la navette spatiale made in Europe (1/2)

Il fut un temps où la mode était à la navette spatiale. Les américains les premiers bien sûr, qui furent également imités par les soviétiques...mais les européens se lancèrent aussi dans l'aventure. Après les premiers vols de spationautes européens, l'Europe veut sa navette pour se donner un accès indépendant à l'espace...le sujet commence à être évoqué dès 1975, alors même que Ariane n'a jamais volé ! Mais force est de constater que 20 ans et 8 milliards de francs plus tard, il n'en restera plus rien...comment expliquer cet immense gâchis ?

La navette Hermès et la station Colombus, deux éléments qui auraient du assurer l'indépendance spatiale de l'Europe...pourtant aucun des deux ne verra le jour...

Pourquoi l'Europe veut une navette ? Pour le comprendre, il faut revenir en 1973, lorsque le président Nixon lance le programme de la future navette américaine. A cette occasion, il invite plusieurs pays à participer au programme. Intéressée, la France va envoyer une mission à la NASA pour proposer ses services...et ses technologies ! Mais la mission va vite tourner court : les français vont proposer des tuiles de protections thermiques innovantes issues de la technologie des missiles balistiques, ainsi que des commandes de vol électriques conçues par Dassault...mais les américains font rapidement comprendre que ce seront des entreprises américaines qui réaliseront ces éléments. Les délégués français demandent donc quels sont les éléments qu'ils ont le "droit" de réaliser...et la réponse tombe : "structural elements"..en clair des longerons d'ailes, des supports de structure, de l'outillage...bref que de l'usinage de pièces, mais rien de bien excitant...les délégués français rentrent vite à la maison, et l'opinion du CNES est faite : les Etats-Unis veulent en fait des partenaires financiers pour leur navette...rien de plus. Si l'Europe veut une navette, elle devra se débrouiller !

Air et Cosmos publie dès 1979 un des premiers dessin d'Hermès.


En 1977, le CNES, l'agence spatiale française, se lance donc dans l'étude d'un avion spatial réutilisable, qui pourrait être lancé par la dernière né des fusées européennes : Ariane 4. L'objectif serait d'aller à des orbites de 200 à 400km d'altitude, où sera lancé une station spatiale. L'appareil serait un planeur hypersonique emportant trois hommes d'équipage et 400kg de fret. Rapidement cependant, l'arrivée d'un lanceur encore plus puissant, Ariane 5, permet d'être plus ambitieux et d'envisager un engin de 10 tonnes emportant 2 pilotes et trois passagers ou 1,5 tonnes d'équipements, le tout dans une soute pressurisé de 15 mètres cube de volume (pas très grand tout de même). On pense à la sécurité avec un booster d'urgence capable de séparer la navette de son lanceur en cas de besoin. Pour ne pas surcharger les pilotes, guidage et pilotage doivent être entièrement automatisé.

La filière Ariane telle qu'envisagée au début des années 1980...Ariane 5 à l'époque n'est envisagée que comme une évolution d'Ariane 4...mais Hermès est déjà présente...


L'ensemble du projet est estimé à 10 milliards de francs et devrait être opérationnel au début des années 90. Le président du CNES, Frédérique d'Allest, propose de baptiser cet oiseau spatial "Hermès", du nom du messager des dieux, considéré comme protecteur des voyageurs. Il était aussi dieu des menteurs et des voleurs, mais ce n'est sans doute pas ce qui a motivé le choix...

Le projet est dévoilé au salon du Bourget de 1979, et le CNES obtient des financements pour entamer des études de faisabilité sur les éléments "risqués" du programme, principalement les piles à combustibles qui doivent fournir l'énergie et les protections thermiques, gros sujet de débat, en France comme aux Etats-Unis.

Parallèlement, une station spatiale est à l'étude, baptisée SOLARIS (Station Orbitale et Laboratoire automatique de Rendez-vous et d’Interventions Spatiales), qui doit être lancée au début des années 90, pour un coût de 6 millions de francs.

Avant-projet de Dassault pour Hermès.


Cependant, beaucoup de choses changent sur la période 1982 - 1983 : le CNES se rend compte qu'il n'a pas les moyens de financer tout cela...et va tenter de vendre le projet à l'Europe. Au même moment, l'Allemagne et l'Italie planchent sur un projet de station orbitale baptisée Colombus, plus ambitieuse que SOLARIS...mais pour laquelle il n'ont aucun moyen d'accéder sans le bon vouloir des russes ou des américains. Il y a donc convergence entre le projet Hermès et Colombus, mais une fois de plus les sirènes américaines se font entendre : début 1984, le président Reagan lance son projet d'une immense station spatiale internationale, baptisée "Freedom", et appelle l'Europe à coopérer/financer le projet...

Colombus est ainsi transformé en élément de la station "Freedom", et Hermès est examinée par l'agence spatitale européenne. Avion spatial devant être lancé par Ariane 5, sa configuration à encore évoluée : on passe à un équipage de 4 à 6 hommes ou 2 pilotes + charge utile. Elle doit faire à peu près la taille d'un Mirage 2000 : une longueur de 15 à 18 mètres, une envergure de 10 mètres et une masse de 16,7 tonnes au lancement, dont une charge utile de 4,5 tonnes au maximum, le tout pour un vol autonome de 10 jours au maximum ou 90 jours en étant amarré à une station spatiale...qu'elle soit européenne ou américaine par ailleurs...Hermès possède une similitude avec la navette américaine, mais en beaucoup plus petit.

et le projet d'Aerospatiale


Fin janvier 1985, a lieu la grande réunion du conseil de l'Europe sur l'espace. Au cours de cette réunion, la France demande de considérer Hermès, Colombus  et le lanceur Ariane 5 comme trois piliers indispensables de l'accès européen à l'espace, et que le fait de ne pas fiancer l'un des trois revient à condamner les trois...mais les autres pays ne sont pas de cet avis : l'Europe entérine donc les études sur Ariane 5 et Colombus...mais inclut Hermès comme programme facultatif. La France va donc commencer seules les études d'Hermès. Le CNES estime que la réalisation de deux avions coûterait 19 milliards de dollars, et espère pouvoir lever 50% du total par d'autres états membres.

Première difficulté : il faut un maître d'œuvre : mais qui ? Deux sociétés sont bien avancées dans les pré-études d'Hermès : Dassault et l'Aerospatiale...et chacune se bat pour diriger le projet et mettre l'autre sous sa coupe...et c'est la que la politique va s'en mêler : le CNES choisi Dassault comme maître d'oeuvre...mais le premier ministre refuse et impose l'Aerospatiale...refus du CNES puis négociations. Le 18 octobre 1985, le vainqueur sera annoncé : il s'agit de...Aerospatiale ET Dassault ! Et oui, plutôt que de froisser l'un ou l'autre, l'état désigne Dassault comme "maître d'œuvre délégué pour la partie aéronautique" et Aérospatiale comme "maître d'œuvre délégué à la partie spatiale"....tout le monde est à moitié satisfait...


Forcément, ça prête à sourire aujourd'hui...mais l'Europe emploie des moyens à la pointe de la technologie pour produire Ariane 5 et Hermès, dont la conception assistée par ordinateur...

C'est la proposition de Dassault qui est retenue, avec un cockpit basé sur celui de l'A320, et des protections thermiques conçues par la SEP. Beaucoup plus sophistiquée que les "tuiles" de la navette spatiale, il s'agit de structure composites céramique à carbure de silicium, alliant légèreté et résistance, et résistance à plus de 1400°C pendant plus de 20 minutes !

La mini-navette est prévue pour trois types de missions :
  • Orbite seule : la navette effectue une mission autonome, pour l'observation de la Terre  ou des expériences scientifiques par exemple.
  • Rendez-vous et ravitaillement : dans ce type de mission, la navette va s'arrimer à un satellite pour une réparation par exemple
  • Station spatiale : la navette sert de "taxi" pour emmener ou ramener des spationautes  vers la station "Freedom" et le module Colombus en particulier.


La configuration initiale d'Hermès

Le design est arrêté à cette époque, sous le nom Hermès-035. Ce projet à 17,9 mètres de longueur et 10,2 mètres d'envergure, avec une voilure de conception Dassault, composée d'une aile en delta très inclinée (74°) et des méga-winglets qui assurent la direction longitudinale, mais pas de dérive verticale centrale. La structure principale est en matériaux composites, sauf la cabine pressurisée qui est en aluminium. Cette cabine à un volume utilisable de 25 m3, volume auquel vient s'ajouter éventuellement un sas pressurisé dans la soute.

Contrairement à la navette spatiale américaine, la navette Hermès n'emporte que deux petits moteurs de changement d'orbite de 2 tonnes de poussée, ainsi qu'un système d'orientation fonctionnant à l'azote et au MMH. Le contrôle environmental est également conçu avec soin. Il est dimensionné pour 4 personnes pendant 10 jours, cas d'une mission orbitale "solo".

La configuration d'Ariane 5 se précise peu à peu, de même que celle d'Hermès

La protection thermique est réutilisable, et se compose de céramique au carbure de silicium, c'est-à-dire des lès de céramiques noyés dans une matrice également en céramique. Les parties plus froide sont protégés par une protection faite d'un sandwich de deux feuilles de composite en céramique sur une âme ondulé en céramique. L'avantage de ce revêtement, c'est qu'il est structurel : il ne s'agit pas de tuiles collées sur la peau extérieure comme la navette américaine : revêtement thermique et mécanique sont confondus : c'est plus simple et plus résistant…et c'est ce que la délégation française avait proposé aux américains d'utiliser pour leur navette, qu'ils avait refusé comme "technologiquement inférieure à leur propre solution de tuile…on sait ce que ça à donné avec l'accident de Columbia.

Airbus de son côté est mandaté pour modifier un A300 en avion porteur pour transporter Hermès entre l'Europe et Kourou entre deux missions.

Vue d'artiste de l'A300 portant Hermès


La quasi-totalité des études sont nouvelles et n'ont encore jamais été menées en Europe. Même si la littérature américaine permet d'apprendre beaucoup de choses, les ingénieurs de Dassault et de l'Aerospatiale vont également découvrir beaucoup de choses…et surtout le fait que dans la navette spatiale, ce n'est pas forcément la partie spatiale la plus compliquée, mais bien la partie aéronautique : concevoir un vaisseau spatial quelque soit sa forme est bien maitrisé…mais la conception aéronautique est paradoxalement plus complexe !

Progressivement, Hermès va acquérir la forme que l'on connait...


Mais qu'importe : si les américains y sont parvenus, il n'y a pas de raison que l'Europe n'y parvienne pas…

Suite

jeudi 10 avril 2014

Un planeur nommé Boeing 767

Le vol 143 d'Air Canada était en vol de croisière tout ce qu'il y a de plus normal, arrivé à 12000 mètres d'altitude. Le Boeing 767 continuait son vol sans histoire lorsque à quelques minutes d'intervalles, tout devient d'un calme inquiétant…et pour cause les deux moteurs viennent de s'éteindre coup sur coup…le vol 143 n'était pas rentré…

Je vous rassure tout de suite...l'histoire se termine pas trop mal...

Nous somme le 22 juillet 1983, quelque part au Canada sur la route de Montréal à Edmonton, le Boeing 767 immatriculé C-GAUN se retrouve en situation d'urgence : panne totale des deux moteurs…tout le cockpit vient de s'éteindre devant les deux pilotes : le commandant Bob Pearson et son copilote Maurice Quintal. Les ennuis avaient commencé quelques minutes auparavant lorsqu'une alarme de pression de carburant s'était déclenchée sur le moteur gauche, suivi quelques minutes après par l'arrêt du moteur sans aucune autre explication…l'équipage se déclare en urgence et commence une approche directe vers le terrain de déroutement le plus proche…et quelques secondes à peine après avoir sorti les check-lists atterrissage sur un seul moteur…la même alarme s'active sur le moteur droit qui s'arrête à son tour : double panne moteur.

Le Boeing 767 venait d'entrer au service d'Air Canada...


Le problème c'est que les moteurs font également tourner les génératrices qui donnent l'électricité aux systèmes de bord…pas d'électricité et donc plus d'affichage des instruments : le cockpit devient noir…il reste juste quelques instruments de secours : un horizon artificiel, un altimètre et un compas magnétique…aucun indicateur de vitesse de descente permettant d'estimer la portée de l'appareil dans cette nouvelle configuration sans moteurs : les pilotes possèent désormais le planeur le plus lourd du monde avec la navette spatiale…à la différence près que la navette est conçue pour voler sans moteurs !

Est-ce que les pilotes contrôlent encore l'appareil ? Heureusement, la réponse est oui : il existe un système spécialement conçu pour cette éventualité…la RAT ou "Ram Air Turbine". Il s'agit d'une éolienne qui est stockée dans le fuselage et se déploie mécaniquement en cas de panne électrique. Entrainé par le vent relatif, ce moulinet va fournir de la puissance hydraulique de secours pour actionner les commande de vol, et de la puissance électrique pour les instruments de secours et une radio.

Le Boeing 767 possède une RAT, une éolienne de secours


La RAT se déploie et l'appareil redeveient contrôlable…pendant ce temps les pilotes cherchent la checklist pour 2 moteurs en panne…sans succès, et pour cause, cette checklist n'existe pas chez Air Canada à l'époque. ..cas trop peu réaliste sans doute. Heureusement, le "Captain" Pearson est un pilote de planeur accompli…il n'est donc pas complètement perdu…même si un 767 est un peu gros pour planer ! Et il plane mal en plus…le copilote se rend rapidement compte que l'appareil ne rejoindra jamais Winnipeg : l'avion vient de perdre 1500 mètres d'altitude en 12 km de parcours…il propose à la place de se poser à Gimli, une ancienne base de la RCAF qui est juste à proximité.

La situation est critique : il faut descendre le train par gravité vu qu'il n'y a plus d'énergie, s'aligner sur la piste, et se poser…sans volets : il n'y a plus assez d'énergie, car la RAT fournit une puissance directement proportionnelle à la vitesse de l'avion…

Le train principal se verrouille…mais pas la roue avant…l'appareil arrive trop vite et se pose brutalement sur le sol, avant de freiner au maximum, faisant éclater les pneus, avant que le nez ne s'écrase sur le sol avant de racler la piste….heureusement l'avion reste entier, et racle la piste perdant toute son énergie au fur et à mesure, permettant ainsi de stopper l'appareil avant la fin de la piste.

Plus de peur que de mal au final !


Un début d'incendie survient, mais il est rapidement maitrisé par les personnes présentes sur la piste : hé oui, il y avait du monde qui attendait l'avion : il y avait ce jour là une course de karting sur le terrain de Gimli…pas sur la piste, fort heureusement ! Sur les 61 passagers, il y a quelques contusions, mais rien de sérieux. L'évacuation sera compliquée par le fait que les tobogans arrières ne touchent pas par terre vu que le nez est au niveau du sol…

Au final, plus de peur que de mal…mais l'enquête de l'ASBC (Aviation Safety Board of Canada à l'époque) va commencer pour comprendre ce qui s'est passé. La première constatation des enquêteurs est simple : il n'y a même plus assez de carburant dans l'appareil pour allumer un briquet : les réservoirs sont à sec…

Caractéristiques du Boeing 767


A partir de cette simple constatation tout s'explique…mais comment expliquer que personne ne s'en est rendu compte ? Pourquoi l'appareil ne l'a pas signalé au pilote, qui déclarent en plus avoir commandé la bonne quantité de carburant ?

A bord d'un Boeing 767, la quantité de carburant est calculé de manière indépendante par deux calculateurs : c'est le FQIS (Fuel Quantity Indicator System), qui affiche sur des jauges les réserves de carburant de l'appareil. En cas de panne de l'un des deux boitiers cependant, il faut mesurer avec une jauge graduée la quantité restante avant un vol..mais si le système est en panne, l'appareil n'est plus considéré comme opérationnel.

Principe du FQIS d'un Boeing 767, il y a deux cadrans à affichage digital dans le cockpit


Or ce jour là, une suite de fausse manœuvre et mauvaise communication va rendre le système inutilisable : lors d'un test de routine, le système "plante" : l'affichage devient blanc…mais en coupant l'un des deux calculateurs, l'affichage revient : l'avion peut donc voler, mais avec la mesure manuelle de quantité restante avant le vol. L'appareil va effectuer un vol sans histoire dans cette configuration…arrivée à destination, un autre technicien remet le disjoncteur pour tester, et l'affichage redeveint blanc…normalement l'avion ne peut pas voler dans cette condition, mais le manuel est encore en cours d'écriture : le 767 à été mis en service au sein d'Air Canada à peine quatre mois auparavant…

Et c'est là qu'à lieu le premier maillon d'une chaîne d'erreur qui va mener à cette presque-catastrophe : Le 767 cumule trois nouveautés : c'est un appareil que personne ne connait chez Air Canada, il sera le premier appareil calibré en système métrique, en application des lois canadiennes qui venait de changer du système impérial au système métrique, et en plus de cela, il sera le premier avion nouvelle génération sans mécanicien navigant ! Les pilotes n'ont donc pas l'habitude de faire les calculs de carburant, tâche du mécano-nav habituellement, et encore moins l'habitude de le faire en kilogramme…

Les réservoirs du Boeing sont dans les ailes


Comment faut-il calculer le volume de carburant à transporter ? Déjà, on ne parle pas en volume mais en poids : en effet, suivant la température, le kérosène n'a pas la même densité : à poids égal, le volume occupé est plus ou moins grand, mais l'énergie disponible ne varie pas ! Donc pour calculer le poids à emporter, il faut


  • Calculer le poids total à emporter
  • Mesurer le volume déjà présent dans le réservoir
  • Convertir ce volume en poids, en tenant compte de la température
  • Soustraire la valeur trouvée au poids total
  • Convertir cette valeur en volume
  • et demander le tout au pétrolier !


La jauge montrait qu'il restait 7682 litres dans les réservoirs, et qu'il fallait 22300kg de carburant pour le vol…le calcul était donc le suivant :
7682 L × 0.803 kg/L = 6169 kg, avec 0,803 la densité du carburant (1L pèse 803g)
22300 kg − 6169 kg = 16131 kg
16131 kg ÷ (0.803 kg/L) = 20088 L

Au lieu de cela, l'équipage va utiliser un mauvais facteur de conversion : au lieu de 0,803, ils vont prendre 1,77…soit la densité au gallon (1 gallon pèse 1,77kg)...Le résultat :

7682 L × 1.77 kg/gal = 13597 kg
22300 kg − 13597 kg = 8703 kg
8703 kg ÷ (1.77 kg/gal) = 4916 L

Soit une différence de près de 15000 litres sur la commande ! L'avion va donc décoller avec moitié moins de carburant qu'initialement prévu…et l'indicateur étant en panne dans le cockpit, il n'y a pas moyen pour l'équipage de le savoir. Vous connaissez la suite…

Suite au crash, les deux pilotes sont suspendus, ainsi que trois techniciens au sol. Pourtant les deux pilotes verront leur suspension annulée en 1985 : suite à l'enquête, plusieurs équipages tenteront de reproduire leur vol au simulateur…et tous les "runs" aboutiront à un crash ! Au vu de leur maîtrise lors de l'incident, et du fait qu'ils ont sauvés la vie de tous leurs passagers, Pearson et Quintal revoleront pour Air Canada pendant encore de nombreuses années !

Le "Captain" Bob Pearson, commandant du vol

De son côté, Air Canada, à renforcé sa "MEL" ou Minimum Equipment List, la liste des équipements disponibles minimum avant un vol, afin de rappeler que l'avion soit déclaré hors service si son système de gestion de carburant n'est pas opérationnel…

Avec l'arrivée de l'informatique, les erreurs de conversion deviennent de plus en plus rare, l'avion étant de plus en plus équipé pour déceler une erreur aussi basique…

Il n'empêche que ce jour de juillet 1983, deux pilotes ont empêché une catastrophe aérienne, et réussi à ramener tous leurs passagers sains et saufs, ainsi qu'un Boeing 767 avec un minimum de casse...

Les images du crash feront le tour du monde...

lundi 7 avril 2014

L'histoire des commandes de vol électriques (3/3)

Suite à la naissance de l'A320, Boeing se retrouve pris de court…il lui faut innover, et son nouvel appareil sera donc conçu par ordinateur et piloté par ordinateur : ainsi va naitre le Boeing 777. Le "triple seven" n'est pas une simple copie d'Airbus : les ingénieurs de Boeing vont suivre une philosophie toute différente de celle de l'Aerospatiale.

Le Boeing 777, la revanche de Boeing sur l'A320 (au moins en terme d'avionique)


La première chose qui choque lorsque vous êtes un "airbusien" qui entre dans un cockpit de Boeing, c'est le manche : il y a toujours deux grandes colonnes de direction comme dans l'ancien temps. Ce n'est qu'une illusion, il n'y a plus de timonerie classique, le pilotage est bien "fly by wire", sauf que pour ne pas dépayser les pilotes, les ingénieurs de Boeing ont placé un manche avec retour de force au lieu du joystick d'Airbus, qui permet aux pilotes de "sentir" l'avion

L'autre différence fondamentale, quoique invisible au premier abord, c'est les protections du domaine de vol : là où Airbus à installé des limites que l'appareil ne franchira jamais, Boeing n'a pas installé de protection mais des limites dissuasives : plus on s'approche d'une zone dangereuse pour l'avion, plus le manche devient résistant. Si le pilote a suffisamment de force cependant, il pourra aller au-delà. Concrètement, à moins d'avoir David Douillet dans le cockpit, il y a des limites qu'aucun pilote ne pourrait surmonter…mais psychologiquement, le pilote se sent rassuré.

Similitudes et différences : à gauche le cockpit du Boeing 777 avec son manche classique, et à droite l'A330 et son mini-manche. Les deux constructeurs ont choisi des voies très différentes, mais les deux utilisent des CDVE.


Une autre différence majeure, mais plus subtile, dont j'ai déjà parlé dans l'article précédent : il n'y a pas d'architecture COM/MON, mais un vote majoritaire entre les équipements, ce qui demande plus de calculateurs, mais de conception plus simple...

Quelle est la meilleure philosophie ? Airbus ou Boeing ? Vaste question : depuis la sortie du 777 il y a 20 ans, on cherche toujours la réponse : je pense qu'il n'y a pas de conception qui soit "meilleure", juste des inconvénients différents…statistiquement en tout cas, il n'y a pas plus d'accident d'un côté ou de l'autre !

Revenons au principe de fail-safe : il faut que si l'un des calculateurs tombe en panne, un autre prenne le relais…mais voilà, que se passe-t-il si on tombe face à un "bug" informatique ? La réponse est simple : on aura beau avoir 5 calculateurs différents, si ils sont identiques, ils auront tous le même problème : du coup il n'y a plus de redondance : c'est ce que l'on appelle une "cause commune". Pour éviter de tomber dans cette situation, il faut donc installer plusieurs calculateurs, mais qu'ils soient également de deux modèles différents (marque et matériel). C'est ainsi que sur l'A320, les 2 ELAC ont une architecture centrée autour d'un processeur, et les 3 SEC ont une architecture différente et un processeur différent : la probabilité est don quasi nulle que les deux ordinateurs souffrent du même bug en même temps.

Sur A330/340, il n'y a plus d'ELAC et de SEC, mais des ordinateurs PRIM et SEC

Tous les Airbus et Boeing conçus depuis respectivement l'A320 et le 777 sont équipés de CDVE, avec quelques évolutions, mais les principes fondamentaux n'ont pas changés. On notera chez Airbus que la répartition des commandes de vol ont été intégrés au sein de deux types de calculateurs : les "PRIM" ou "Primary" et "SEC" ou "Secondary", il y a 3 PRIM et deux SEC, un seul suffisant à piloter l'appareil si besoin. Plus récemment, sur A380 et A350, il y a eu suppression totale du dernier lien mécanique, remplacé par un calculateur de secours en plus.

L'architecture PRIM/SEC est quasiment inchangée sur A380

La "guerre" Airbus/boeing se joue aussi sur le terrain de l'ergonomie et de la philosophie des commandes de vol : on fustige toujours ce "joystick de rien du tout sans retour de force" d'un côté et on ne manque pas de critiqué "cet énorme manche peu pratique, héritage d'un temps révolu"…et chaque camp à ses partisans parmi les ingénieurs comme parmi les navigants qui préfèrent l'un ou l'autre…Pourtant comme je vous le rappelais, aucune étude indépendante et objective n'a pu mettre en avant une architecture comme étant mieux que l'autre !

 Les CDVE ont permis un allègement considérable de la charge de travail des pilotes, en permettant le pilotage à deux, tout en augmentant le suivi de l'appareil : les défaillances de systèmes sont suivies en temps réel, et souvent un correctif est appliqué avant même que le pilote ne s'en rende compte…mais il y a encore d'autres avantages : on peut réduire la vitesse d'approche de l'appareil, sans danger de perte de contrôle, et en cas d'approche vers un obstacle, le système d'évitement ordonne au pilote de grimper.

Le cockpit de l'A350 s'inscrit dans la même ligne que celui de l'A330 et l'A380...avec cependant des nouveautés, mais la "base Airbus" reste la même.


Les CDVE sont donc devenues en l'espace de quelques années un élément indispensable des avions modernes, apportant une simplification du travail du pilote tout en augmentant la sécurité à bord de l'avion. De même, on réduit la formation des pilotes : prenez un pilote qu'il faut former sur A320 qui n'a jamais vu d'Airbus : il faudra 25 jours de formation, mais si il possède une qualification sur A20, il ne lui faudra que 7 jours de formation pour être déclaré apte sur A330 ! La similarité des systèmes entre différents Airbus permet des économies lors de la formation des navigants.

On observe progressivement l'arrivée de nouvelles innovations, les actionneurs électriques en tête qui permettent de supprimer ou de réduire les installations hydrauliques : il n'y a sur A380 plus que deux systèmes hydrauliques...mais les actionneurs sont désormais combinés, pouvant être alimentés par le système avion ou par leur propre système intégré, réduisant ainsi les risques de panne et permettant la suppression du troisième circuit hydraulique. D'autres recherches se focalisent sur le "fly by optics", à savoir la transmission des commandes par fibre optique. On pourrait ainsi avoir des commandes plus robustes et insensibles aux agressions électromagnétiques.

Et le Boeing 787 dispose toujours de sa colonne de commande "old school" ! Là aussi en héritage direct du Boeing 777 !

Les CDVE ont profondément changé le rapport à l'avion, en remplaçant des fondamentaux du métier de pilote qui n'avaient pas changé depuis les débuts de l'aviation, et ce faisant, nous avons changé le rapport à l'avion : la sécurité aérienne a fait un bond en avant remarquable, mais dans le même temps, les rapports d'enquête n'ont jamais autant mis en avant le fait que les pilotes doivent être vigilant à "ne pas perdre les fondamentaux". Piloter un avion n'est pas pareil que de piloter un ordinateur, et l'enjeu du siècle à venir sera sans doute d'améliorer davantage la sécurité du vol…la grande question étant de savoir quelle sera la place du pilote : vrai opérateur ou simple singe savant ? La réponse à cette question n'est pas simple et agite déjà Airbus et Boeing depuis plusieurs années...

jeudi 3 avril 2014

L'histoire des commandes de vol électriques (2/3)

Malgré la grande réussite des commandes de vol de Concorde, il ne faut pas en rester là ! Ce n'est que la première génération de CDVE !

L'A320, la naissance d'une légende

En 1978, la SNIAS obtient le financement de 10 heures d'essais sur Concorde, pour l'équiper d'un mini-manche en, histoire de voir la réaction du pilote. En effet, tant qu'il fallait actionner des câbles, les pilotes avaient besoin d'un grand manche avec un débattement important…mais avec les CDVE, le manche devient un simple potentiomètre, et plus rien de justifie le grand volant de direction. Les essais sont concluants, et l'Aerospatiale renouvellera l'expérience en 1982 sur l'Airbus A300B2 n°3. Il ne s'agit pas à proprement parler de commandes de vol électroniques, car l'expérience est faite en bouclant le mini-manche sur le pilote automatique, ce qui permet de piloter l'avion via le manche. Airbus n'est pourtant pas le premier à faire cette expérience : l'USF l'a déjà faite sur un B-47E modifié, avec un mini-manche en tangage uniquement, entre 1967 et 1969.

Mini-manche monté sur Concorde

Au début des années 70, c'est une autre révolution qui se prépare : le numérique arrive en force, avec l'avènement du circuit-intégré. La NASA est la première à tester un appareil équipé de commandes de vol numériques. Il s'agit d'un F-8 "Crusader" bricolé et équipé d'un ordinateur de guidage d'Apollo, construit mais non utilisé suite à l'arrêt du programme lunaire !

Le F-8 "Crusader" de la NASA...
Avec à son bord un ordinateur de guidage d'Apollo (34 Ko de mémoire !)


Le F-16 entre en service en 1979, équipé de CDVE, mais avec des calculateurs analogiques, le numérique manquant encore de maturité. Il faudra attendre dix ans de plus et l'arrivée du F-16 Block 40 pour que les calculateurs numériques fassent leur apparition. En France, l'histoire est à peu près identique : le Mirage 2000 sera équipé de calculateurs analogiques sur ses premières versions, et c'est l'arrivée du Mirage 2000D, qui vole début 1991, qui introduira le premier la "révolution numérique" dans l'armée de l'air.

Le mini-manche monté sur Concorde préfigure le "side-stick" d'Airbus

Sur ces deux avions (F-16 et Mirage 2000), le but n'est plus de disposer d'une assistance au pilotage, mais bien de supprimer la timonerie des commandes de vol "classiques" qui est encombrante et demande de la main d'œuvre pour l'entretenir. On estime que sur l'A320, le passage aux CDVE à fait gagner 300kg de câbles, poulies et renvois en tout genre…Mais en plus, on peut exécuter les ordres des pilotes de manière instantanée, tout en tenant compte d'un grand nombre de paramètres extérieurs (altitude, vitesse, dérive due au vent etc…). On voit tout de suite la grande différence avec un système de compensation : il faut que le système soit "intelligent" (j'emploie le mot avec guillemet, car comme tout, l'intelligence est juste une manière de dire "peut synthétiser des informations complexes" et non pas "être créatif"). Il faut donc des logiciels complexes capables de gérer les commandes.

Schéma du pilote automatique sur Mirage 2000C : on voit l'importance des CDVE...

Logiciel…cette grande invention du 20ème siècle si mystérieuse…vous en manipulez tous les jours, et vous savez que un logiciel "ça plante"…que se passe-t-il si un logiciel de commandes de vol plante sur un avion ? Pour faire simple : il n'y a plus d'avion…il n'y a aucun droit à l'erreur : le système doit être parfait.

Mais aucun système n'est parfait...il faut donc s'assurer qu'aucune panne n'aura de conséquence catastrophique  sur l'avion, ou sur la capacité à le piloter. Pour cela il fallait "mesurer" le risque de chaque panne et en évaluer les conséquences. En aéronautique, un événement catastrophique doit avoir une probabilité d'occurrence de 10^-9, c'est-à-dire une chance sur un milliard d'arriver !

Voler en faisant confiance à des ordinateurs ? Comment faire ?


Cette classification des pannes permet de définir ce que l'avion peut supporter. Si une panne se produit toutes les 100 heures de vol, mais qu'elle n'a aucune gravité, on peut faire avec…par contre si cette panne est catastrophique (par catastrophique on entend : qui risque d'endommager l'avion au-delà de toute réparation ou de blesser et/ou tuer des passagers ou membres de l'équipage) alors ce n'est pas acceptable. C'est très schématisé, mais c'est le principe.

Pour l'A320, Airbus prend une décision risquée et très lourde de conséquences : l'avion sera piloté par des calculateurs, et ce sans aucun secours mécanique (contrairement à Concorde) …il n'y a donc plus droit à l'erreur ! Comment faire ? Méthodologie…tout est dans la méthodologie ! Il faut tout penser depuis le début : combien de calculateurs, quelles architectures, qui contrôle quoi : tout est précisément écrit et vérifié de manière indépendante, avant même que la première ligne de code soit écrite !

Le "side stick", caractéristique des appareils Airbus à CDVE


Airbus va ainsi créer un atelier logiciel. On nomme un chef de service qui reçoit sa mission simplement "tu recrutes 60 ingénieurs et tu te débrouilles !"…et comme personne ne savait démontrer la fiabilité d'un logiciel, il faudra mette au point une méthodologie de développement permettant de s'assurer de la qualité du logiciel exécutable. Airbus va ainsi mettre au point une méthode de SAO, "Spécifications Assistée par Ordinateur", qui permet de remplacer les mots par des schémas, rendant les spécifications beaucoup plus claires et moins sujet à interprétation. Il n'y a en effet rien de pire qu'une spécification pouvant être interprétée. Plus tard SAO va évoluer pour devenir SCADE ou "Safety Critical Application Development Environnement", logiciel encore utilisé aujourd'hui dans l'aéronautique et le spatial. C'est seulement après ces étapes que l'écriture du code à proprement parler pouvait commencer.

Grâce à SAO, le développement de l'A320 va suivre un processus itératif : la spécification SAO est codé sur un PC puis exécutée. Si le développeur est satisfait, il envoie le code au laboratoire de vol pour simulation, qui valide et recueille l'avis du pilote. Le code est ensuite retravaillé ou accepté.

Exemple de schéma bloc généré sous SAO pour Airbus

Comme il n'est pas possible de faire un calculateur avec suffisamment de fiabilité pour tenir l'objectif de 10^-9, il va falloir faire appel à une architecture à la fois
  • redondée, c'est à-dire mettre plusieurs calculateurs en parallèle de telle sorte que si l'un tombe en panne, les autres continuent à fonctionner correctement
  • "fail-safe", c'est-à dire que même en cas de panne, il ne faut pas provoquer de catastrophe et assurer la sécurité malgré tout. Concrètement, si un calculateur ne peut plus fonctionner correctement, il va se mettre en situation "dégradée", c'est-à-dire continuer de fonctionner mais avec un logiciel plus rudimentaire, qui sera moins confortable pour les passagers, mais qui continue de fonctionner quand même.

C'est ainsi que l'A320 possède pas moins de 7 calculateurs de commandes de vol:

  • 2 "ELACs"  (Elevator Aileron Computer)
  • 3 "SECs" (Spoiler Elevator Computer)
  • 2 "FAC" (Flight Augmentation Computer)


architecture des commandes de vol sur A320


Ces ordinateurs permettent de commander les surfaces de vol de l'appareil avec facilité. Les lois de commandes de vol programmées sont aussi adaptatives : elles réagissent différemment suivant que l'appareil est en phase de décollage, de croisière ou d'atterrissage.

L'avion peut continuer à voler avec un ou deux calculateurs en panne : C'est ce qu'on appelle chez Airbus l'architecture "monitorée" ou COM/MON ("Command" et "Monitoring"). Avec cette architecture, on trouve à l'intérieur d'un même boitier deux logiciels différents fonctionnant sur deux cartes électroniques différentes : la partie "Command" est le logiciel proprement dit, qui effectue ses calculs de sortie en fonction des entrées du système, et la partie "Monitoring" surveille que la première fait bien son travail…on place ainsi deux boîtiers en parallèle : si l'un détecte un problème, l'avion cesse de l'utiliser et passe sur le second, avec un avertissement au pilote.

Il y a trois systèmes hydrauliques indépendants sur A320

On notera que Boeing de son côté à choisi une approche différente : les différents calculateurs vont comparer leurs sorties, et Ils vont voter à majorité pour savoir si on peut continuer ou si l'un d'eux commence à donner des résultats bizarres et doit être éliminé de la boucle…il faut donc trois boitiers au minimum…contre deux pour un Airbus…

L'appareil possède en outre trois "lois", la loi normale, la loi "alternate" et la loi directe. La loi normale est celle qui est utilisée tout le temps, lorsque tout va bien. Elle possède toutes les caractéristiques de protection d'enveloppe de vol sur les trois axes, et limitation du facteur de charge pour ne pas abîmer l'appareil en cas de manœuvre sévère.

Boeing à choisi une architecture plus complexe avec des calculateurs plus simples...


Si un ou plusieurs équipements tombent en panne, on passe alors en loi "alternate". Dans ce mode, on perd les protections d'enveloppe de vol, même si on garde les protections en décrochage et facteur de charge. Cette loi est un mode dégradé mais qui permet encore de voler tout en offrant une certaine protection à l'équipage…pour info ça correspond à ce qui est utilisé comme loi de vol chez Boeing où il n'y a pas de protection de domaine de vol, juste une limite dissuasive !

En cas de gros pépin (panne de plusieurs calculateurs, par exemple), on passe en loi "directe". Dans ce cas, on perd toutes les protections d'enveloppe de vol, et on obtient un déplacement des commandes proportionnel au mouvement du side stick. Le trim doit être assuré manuellement. Pour info, ce mode très dégradé correspond à ce qui était utilisé en vol normal sur Concorde…

Donc en résumé très schématique : soit tout va bien , on pilote un Airbus, soit ça va moins bien, et c'est comme piloter un Boeing, soit tout va mal, et on pilote Concorde ! Le cas "catastrophe" de tout plante n'est encore jamais arrivé malgré des millions d'heure de vol avec ce système…

Arrivé le moment de présenter leur trouvailles à des pilotes..les pauvres ingénieurs d'Airbus ont bien failli y laisser des plumes : les pilotes sont unanimes "quoi des "protections' ? Qui nous empêchent de faire ce que l'on veut ??" (et encore j'ai édulcoré le discours, beaucoup plus "imagé" de l'époque…qui perdure encore aujourd'hui…

Airbus va donc introduire des protections du domaine de vol : protection contre les basses et haute vitesse, contre les fortes inclinaisons et le facteur de charge, à +2,5G maximum.

L'enveloppe de vol et ses protections associées (schéma valable sur A330)

Les pilotes restent pourtant convaincu qu'il faut maintenir l'autorité totale du pilote, qui peut ainsi "choisir sa propre mort" selon une expression un peu malheureuse…l'idée étant que le pilote préfère avoir autorité totale pour être sûr d'éviter tout obstacle…quitte à tordre les ailes. Pourtant Airbus a épluché les statistiques de plus de 10 millions d'heures de vol pour fixer ces limites. Sur toutes ces statistiques, la manœuvre d'évitement réussie la plus violente a été de "seulement" 1,7G ! Malgré cela, la méfiance des pilotes persiste.

Un autre incident qui a lieu à cette époque relance le débat des CDVE : un "Tornado" de la Luftwaffe s'écrase après avoir survolé une puissante station radio…on pense tout de suite que ses commandes de vol ont été brouillées par les émissions…pourtant ce n'est pas le cas. L'A320 fera des essais électromagnétiques après cela : un A320 avec moteurs en marche au sol sera bombardé par des rayonnements électromagnétiques particulièrement violents…et l'avion ne bronchera pas !

Panavia "Tornado"...l'accident n'était pas lié aux commandes de vol


L'A320 sera un succès sans précédant, malgré des accidents, dont aucun n'a pu être lié directement à une mauvaise conception ou une panne des commandes de vol. On entre ainsi dans la deuxième génération des commandes de vol électriques : l'ère du numérique.

On notera cependant que l'A320 n'est pas le premier appareil à posséder des calculateurs numériques : c'est en effet l'A310 qui avait été le premier à posséder des calculateurs numériques.

Boeing, pris de court, se doit de réagir : c'est l'acte de naissance du Boeing 777