jeudi 10 avril 2014

Un planeur nommé Boeing 767

Le vol 143 d'Air Canada était en vol de croisière tout ce qu'il y a de plus normal, arrivé à 12000 mètres d'altitude. Le Boeing 767 continuait son vol sans histoire lorsque à quelques minutes d'intervalles, tout devient d'un calme inquiétant…et pour cause les deux moteurs viennent de s'éteindre coup sur coup…le vol 143 n'était pas rentré…

Je vous rassure tout de suite...l'histoire se termine pas trop mal...

Nous somme le 22 juillet 1983, quelque part au Canada sur la route de Montréal à Edmonton, le Boeing 767 immatriculé C-GAUN se retrouve en situation d'urgence : panne totale des deux moteurs…tout le cockpit vient de s'éteindre devant les deux pilotes : le commandant Bob Pearson et son copilote Maurice Quintal. Les ennuis avaient commencé quelques minutes auparavant lorsqu'une alarme de pression de carburant s'était déclenchée sur le moteur gauche, suivi quelques minutes après par l'arrêt du moteur sans aucune autre explication…l'équipage se déclare en urgence et commence une approche directe vers le terrain de déroutement le plus proche…et quelques secondes à peine après avoir sorti les check-lists atterrissage sur un seul moteur…la même alarme s'active sur le moteur droit qui s'arrête à son tour : double panne moteur.

Le Boeing 767 venait d'entrer au service d'Air Canada...


Le problème c'est que les moteurs font également tourner les génératrices qui donnent l'électricité aux systèmes de bord…pas d'électricité et donc plus d'affichage des instruments : le cockpit devient noir…il reste juste quelques instruments de secours : un horizon artificiel, un altimètre et un compas magnétique…aucun indicateur de vitesse de descente permettant d'estimer la portée de l'appareil dans cette nouvelle configuration sans moteurs : les pilotes possèent désormais le planeur le plus lourd du monde avec la navette spatiale…à la différence près que la navette est conçue pour voler sans moteurs !

Est-ce que les pilotes contrôlent encore l'appareil ? Heureusement, la réponse est oui : il existe un système spécialement conçu pour cette éventualité…la RAT ou "Ram Air Turbine". Il s'agit d'une éolienne qui est stockée dans le fuselage et se déploie mécaniquement en cas de panne électrique. Entrainé par le vent relatif, ce moulinet va fournir de la puissance hydraulique de secours pour actionner les commande de vol, et de la puissance électrique pour les instruments de secours et une radio.

Le Boeing 767 possède une RAT, une éolienne de secours


La RAT se déploie et l'appareil redeveient contrôlable…pendant ce temps les pilotes cherchent la checklist pour 2 moteurs en panne…sans succès, et pour cause, cette checklist n'existe pas chez Air Canada à l'époque. ..cas trop peu réaliste sans doute. Heureusement, le "Captain" Pearson est un pilote de planeur accompli…il n'est donc pas complètement perdu…même si un 767 est un peu gros pour planer ! Et il plane mal en plus…le copilote se rend rapidement compte que l'appareil ne rejoindra jamais Winnipeg : l'avion vient de perdre 1500 mètres d'altitude en 12 km de parcours…il propose à la place de se poser à Gimli, une ancienne base de la RCAF qui est juste à proximité.

La situation est critique : il faut descendre le train par gravité vu qu'il n'y a plus d'énergie, s'aligner sur la piste, et se poser…sans volets : il n'y a plus assez d'énergie, car la RAT fournit une puissance directement proportionnelle à la vitesse de l'avion…

Le train principal se verrouille…mais pas la roue avant…l'appareil arrive trop vite et se pose brutalement sur le sol, avant de freiner au maximum, faisant éclater les pneus, avant que le nez ne s'écrase sur le sol avant de racler la piste….heureusement l'avion reste entier, et racle la piste perdant toute son énergie au fur et à mesure, permettant ainsi de stopper l'appareil avant la fin de la piste.

Plus de peur que de mal au final !


Un début d'incendie survient, mais il est rapidement maitrisé par les personnes présentes sur la piste : hé oui, il y avait du monde qui attendait l'avion : il y avait ce jour là une course de karting sur le terrain de Gimli…pas sur la piste, fort heureusement ! Sur les 61 passagers, il y a quelques contusions, mais rien de sérieux. L'évacuation sera compliquée par le fait que les tobogans arrières ne touchent pas par terre vu que le nez est au niveau du sol…

Au final, plus de peur que de mal…mais l'enquête de l'ASBC (Aviation Safety Board of Canada à l'époque) va commencer pour comprendre ce qui s'est passé. La première constatation des enquêteurs est simple : il n'y a même plus assez de carburant dans l'appareil pour allumer un briquet : les réservoirs sont à sec…

Caractéristiques du Boeing 767


A partir de cette simple constatation tout s'explique…mais comment expliquer que personne ne s'en est rendu compte ? Pourquoi l'appareil ne l'a pas signalé au pilote, qui déclarent en plus avoir commandé la bonne quantité de carburant ?

A bord d'un Boeing 767, la quantité de carburant est calculé de manière indépendante par deux calculateurs : c'est le FQIS (Fuel Quantity Indicator System), qui affiche sur des jauges les réserves de carburant de l'appareil. En cas de panne de l'un des deux boitiers cependant, il faut mesurer avec une jauge graduée la quantité restante avant un vol..mais si le système est en panne, l'appareil n'est plus considéré comme opérationnel.

Principe du FQIS d'un Boeing 767, il y a deux cadrans à affichage digital dans le cockpit


Or ce jour là, une suite de fausse manœuvre et mauvaise communication va rendre le système inutilisable : lors d'un test de routine, le système "plante" : l'affichage devient blanc…mais en coupant l'un des deux calculateurs, l'affichage revient : l'avion peut donc voler, mais avec la mesure manuelle de quantité restante avant le vol. L'appareil va effectuer un vol sans histoire dans cette configuration…arrivée à destination, un autre technicien remet le disjoncteur pour tester, et l'affichage redeveint blanc…normalement l'avion ne peut pas voler dans cette condition, mais le manuel est encore en cours d'écriture : le 767 à été mis en service au sein d'Air Canada à peine quatre mois auparavant…

Et c'est là qu'à lieu le premier maillon d'une chaîne d'erreur qui va mener à cette presque-catastrophe : Le 767 cumule trois nouveautés : c'est un appareil que personne ne connait chez Air Canada, il sera le premier appareil calibré en système métrique, en application des lois canadiennes qui venait de changer du système impérial au système métrique, et en plus de cela, il sera le premier avion nouvelle génération sans mécanicien navigant ! Les pilotes n'ont donc pas l'habitude de faire les calculs de carburant, tâche du mécano-nav habituellement, et encore moins l'habitude de le faire en kilogramme…

Les réservoirs du Boeing sont dans les ailes


Comment faut-il calculer le volume de carburant à transporter ? Déjà, on ne parle pas en volume mais en poids : en effet, suivant la température, le kérosène n'a pas la même densité : à poids égal, le volume occupé est plus ou moins grand, mais l'énergie disponible ne varie pas ! Donc pour calculer le poids à emporter, il faut


  • Calculer le poids total à emporter
  • Mesurer le volume déjà présent dans le réservoir
  • Convertir ce volume en poids, en tenant compte de la température
  • Soustraire la valeur trouvée au poids total
  • Convertir cette valeur en volume
  • et demander le tout au pétrolier !


La jauge montrait qu'il restait 7682 litres dans les réservoirs, et qu'il fallait 22300kg de carburant pour le vol…le calcul était donc le suivant :
7682 L × 0.803 kg/L = 6169 kg, avec 0,803 la densité du carburant (1L pèse 803g)
22300 kg − 6169 kg = 16131 kg
16131 kg ÷ (0.803 kg/L) = 20088 L

Au lieu de cela, l'équipage va utiliser un mauvais facteur de conversion : au lieu de 0,803, ils vont prendre 1,77…soit la densité au gallon (1 gallon pèse 1,77kg)...Le résultat :

7682 L × 1.77 kg/gal = 13597 kg
22300 kg − 13597 kg = 8703 kg
8703 kg ÷ (1.77 kg/gal) = 4916 L

Soit une différence de près de 15000 litres sur la commande ! L'avion va donc décoller avec moitié moins de carburant qu'initialement prévu…et l'indicateur étant en panne dans le cockpit, il n'y a pas moyen pour l'équipage de le savoir. Vous connaissez la suite…

Suite au crash, les deux pilotes sont suspendus, ainsi que trois techniciens au sol. Pourtant les deux pilotes verront leur suspension annulée en 1985 : suite à l'enquête, plusieurs équipages tenteront de reproduire leur vol au simulateur…et tous les "runs" aboutiront à un crash ! Au vu de leur maîtrise lors de l'incident, et du fait qu'ils ont sauvés la vie de tous leurs passagers, Pearson et Quintal revoleront pour Air Canada pendant encore de nombreuses années !

Le "Captain" Bob Pearson, commandant du vol

De son côté, Air Canada, à renforcé sa "MEL" ou Minimum Equipment List, la liste des équipements disponibles minimum avant un vol, afin de rappeler que l'avion soit déclaré hors service si son système de gestion de carburant n'est pas opérationnel…

Avec l'arrivée de l'informatique, les erreurs de conversion deviennent de plus en plus rare, l'avion étant de plus en plus équipé pour déceler une erreur aussi basique…

Il n'empêche que ce jour de juillet 1983, deux pilotes ont empêché une catastrophe aérienne, et réussi à ramener tous leurs passagers sains et saufs, ainsi qu'un Boeing 767 avec un minimum de casse...

Les images du crash feront le tour du monde...

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire