lundi 14 avril 2014

Hermes, la navette spatiale made in Europe (1/2)

Il fut un temps où la mode était à la navette spatiale. Les américains les premiers bien sûr, qui furent également imités par les soviétiques...mais les européens se lancèrent aussi dans l'aventure. Après les premiers vols de spationautes européens, l'Europe veut sa navette pour se donner un accès indépendant à l'espace...le sujet commence à être évoqué dès 1975, alors même que Ariane n'a jamais volé ! Mais force est de constater que 20 ans et 8 milliards de francs plus tard, il n'en restera plus rien...comment expliquer cet immense gâchis ?

La navette Hermès et la station Colombus, deux éléments qui auraient du assurer l'indépendance spatiale de l'Europe...pourtant aucun des deux ne verra le jour...

Pourquoi l'Europe veut une navette ? Pour le comprendre, il faut revenir en 1973, lorsque le président Nixon lance le programme de la future navette américaine. A cette occasion, il invite plusieurs pays à participer au programme. Intéressée, la France va envoyer une mission à la NASA pour proposer ses services...et ses technologies ! Mais la mission va vite tourner court : les français vont proposer des tuiles de protections thermiques innovantes issues de la technologie des missiles balistiques, ainsi que des commandes de vol électriques conçues par Dassault...mais les américains font rapidement comprendre que ce seront des entreprises américaines qui réaliseront ces éléments. Les délégués français demandent donc quels sont les éléments qu'ils ont le "droit" de réaliser...et la réponse tombe : "structural elements"..en clair des longerons d'ailes, des supports de structure, de l'outillage...bref que de l'usinage de pièces, mais rien de bien excitant...les délégués français rentrent vite à la maison, et l'opinion du CNES est faite : les Etats-Unis veulent en fait des partenaires financiers pour leur navette...rien de plus. Si l'Europe veut une navette, elle devra se débrouiller !

Air et Cosmos publie dès 1979 un des premiers dessin d'Hermès.


En 1977, le CNES, l'agence spatiale française, se lance donc dans l'étude d'un avion spatial réutilisable, qui pourrait être lancé par la dernière né des fusées européennes : Ariane 4. L'objectif serait d'aller à des orbites de 200 à 400km d'altitude, où sera lancé une station spatiale. L'appareil serait un planeur hypersonique emportant trois hommes d'équipage et 400kg de fret. Rapidement cependant, l'arrivée d'un lanceur encore plus puissant, Ariane 5, permet d'être plus ambitieux et d'envisager un engin de 10 tonnes emportant 2 pilotes et trois passagers ou 1,5 tonnes d'équipements, le tout dans une soute pressurisé de 15 mètres cube de volume (pas très grand tout de même). On pense à la sécurité avec un booster d'urgence capable de séparer la navette de son lanceur en cas de besoin. Pour ne pas surcharger les pilotes, guidage et pilotage doivent être entièrement automatisé.

La filière Ariane telle qu'envisagée au début des années 1980...Ariane 5 à l'époque n'est envisagée que comme une évolution d'Ariane 4...mais Hermès est déjà présente...


L'ensemble du projet est estimé à 10 milliards de francs et devrait être opérationnel au début des années 90. Le président du CNES, Frédérique d'Allest, propose de baptiser cet oiseau spatial "Hermès", du nom du messager des dieux, considéré comme protecteur des voyageurs. Il était aussi dieu des menteurs et des voleurs, mais ce n'est sans doute pas ce qui a motivé le choix...

Le projet est dévoilé au salon du Bourget de 1979, et le CNES obtient des financements pour entamer des études de faisabilité sur les éléments "risqués" du programme, principalement les piles à combustibles qui doivent fournir l'énergie et les protections thermiques, gros sujet de débat, en France comme aux Etats-Unis.

Parallèlement, une station spatiale est à l'étude, baptisée SOLARIS (Station Orbitale et Laboratoire automatique de Rendez-vous et d’Interventions Spatiales), qui doit être lancée au début des années 90, pour un coût de 6 millions de francs.

Avant-projet de Dassault pour Hermès.


Cependant, beaucoup de choses changent sur la période 1982 - 1983 : le CNES se rend compte qu'il n'a pas les moyens de financer tout cela...et va tenter de vendre le projet à l'Europe. Au même moment, l'Allemagne et l'Italie planchent sur un projet de station orbitale baptisée Colombus, plus ambitieuse que SOLARIS...mais pour laquelle il n'ont aucun moyen d'accéder sans le bon vouloir des russes ou des américains. Il y a donc convergence entre le projet Hermès et Colombus, mais une fois de plus les sirènes américaines se font entendre : début 1984, le président Reagan lance son projet d'une immense station spatiale internationale, baptisée "Freedom", et appelle l'Europe à coopérer/financer le projet...

Colombus est ainsi transformé en élément de la station "Freedom", et Hermès est examinée par l'agence spatitale européenne. Avion spatial devant être lancé par Ariane 5, sa configuration à encore évoluée : on passe à un équipage de 4 à 6 hommes ou 2 pilotes + charge utile. Elle doit faire à peu près la taille d'un Mirage 2000 : une longueur de 15 à 18 mètres, une envergure de 10 mètres et une masse de 16,7 tonnes au lancement, dont une charge utile de 4,5 tonnes au maximum, le tout pour un vol autonome de 10 jours au maximum ou 90 jours en étant amarré à une station spatiale...qu'elle soit européenne ou américaine par ailleurs...Hermès possède une similitude avec la navette américaine, mais en beaucoup plus petit.

et le projet d'Aerospatiale


Fin janvier 1985, a lieu la grande réunion du conseil de l'Europe sur l'espace. Au cours de cette réunion, la France demande de considérer Hermès, Colombus  et le lanceur Ariane 5 comme trois piliers indispensables de l'accès européen à l'espace, et que le fait de ne pas fiancer l'un des trois revient à condamner les trois...mais les autres pays ne sont pas de cet avis : l'Europe entérine donc les études sur Ariane 5 et Colombus...mais inclut Hermès comme programme facultatif. La France va donc commencer seules les études d'Hermès. Le CNES estime que la réalisation de deux avions coûterait 19 milliards de dollars, et espère pouvoir lever 50% du total par d'autres états membres.

Première difficulté : il faut un maître d'œuvre : mais qui ? Deux sociétés sont bien avancées dans les pré-études d'Hermès : Dassault et l'Aerospatiale...et chacune se bat pour diriger le projet et mettre l'autre sous sa coupe...et c'est la que la politique va s'en mêler : le CNES choisi Dassault comme maître d'oeuvre...mais le premier ministre refuse et impose l'Aerospatiale...refus du CNES puis négociations. Le 18 octobre 1985, le vainqueur sera annoncé : il s'agit de...Aerospatiale ET Dassault ! Et oui, plutôt que de froisser l'un ou l'autre, l'état désigne Dassault comme "maître d'œuvre délégué pour la partie aéronautique" et Aérospatiale comme "maître d'œuvre délégué à la partie spatiale"....tout le monde est à moitié satisfait...


Forcément, ça prête à sourire aujourd'hui...mais l'Europe emploie des moyens à la pointe de la technologie pour produire Ariane 5 et Hermès, dont la conception assistée par ordinateur...

C'est la proposition de Dassault qui est retenue, avec un cockpit basé sur celui de l'A320, et des protections thermiques conçues par la SEP. Beaucoup plus sophistiquée que les "tuiles" de la navette spatiale, il s'agit de structure composites céramique à carbure de silicium, alliant légèreté et résistance, et résistance à plus de 1400°C pendant plus de 20 minutes !

La mini-navette est prévue pour trois types de missions :
  • Orbite seule : la navette effectue une mission autonome, pour l'observation de la Terre  ou des expériences scientifiques par exemple.
  • Rendez-vous et ravitaillement : dans ce type de mission, la navette va s'arrimer à un satellite pour une réparation par exemple
  • Station spatiale : la navette sert de "taxi" pour emmener ou ramener des spationautes  vers la station "Freedom" et le module Colombus en particulier.


La configuration initiale d'Hermès

Le design est arrêté à cette époque, sous le nom Hermès-035. Ce projet à 17,9 mètres de longueur et 10,2 mètres d'envergure, avec une voilure de conception Dassault, composée d'une aile en delta très inclinée (74°) et des méga-winglets qui assurent la direction longitudinale, mais pas de dérive verticale centrale. La structure principale est en matériaux composites, sauf la cabine pressurisée qui est en aluminium. Cette cabine à un volume utilisable de 25 m3, volume auquel vient s'ajouter éventuellement un sas pressurisé dans la soute.

Contrairement à la navette spatiale américaine, la navette Hermès n'emporte que deux petits moteurs de changement d'orbite de 2 tonnes de poussée, ainsi qu'un système d'orientation fonctionnant à l'azote et au MMH. Le contrôle environmental est également conçu avec soin. Il est dimensionné pour 4 personnes pendant 10 jours, cas d'une mission orbitale "solo".

La configuration d'Ariane 5 se précise peu à peu, de même que celle d'Hermès

La protection thermique est réutilisable, et se compose de céramique au carbure de silicium, c'est-à-dire des lès de céramiques noyés dans une matrice également en céramique. Les parties plus froide sont protégés par une protection faite d'un sandwich de deux feuilles de composite en céramique sur une âme ondulé en céramique. L'avantage de ce revêtement, c'est qu'il est structurel : il ne s'agit pas de tuiles collées sur la peau extérieure comme la navette américaine : revêtement thermique et mécanique sont confondus : c'est plus simple et plus résistant…et c'est ce que la délégation française avait proposé aux américains d'utiliser pour leur navette, qu'ils avait refusé comme "technologiquement inférieure à leur propre solution de tuile…on sait ce que ça à donné avec l'accident de Columbia.

Airbus de son côté est mandaté pour modifier un A300 en avion porteur pour transporter Hermès entre l'Europe et Kourou entre deux missions.

Vue d'artiste de l'A300 portant Hermès


La quasi-totalité des études sont nouvelles et n'ont encore jamais été menées en Europe. Même si la littérature américaine permet d'apprendre beaucoup de choses, les ingénieurs de Dassault et de l'Aerospatiale vont également découvrir beaucoup de choses…et surtout le fait que dans la navette spatiale, ce n'est pas forcément la partie spatiale la plus compliquée, mais bien la partie aéronautique : concevoir un vaisseau spatial quelque soit sa forme est bien maitrisé…mais la conception aéronautique est paradoxalement plus complexe !

Progressivement, Hermès va acquérir la forme que l'on connait...


Mais qu'importe : si les américains y sont parvenus, il n'y a pas de raison que l'Europe n'y parvienne pas…

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