jeudi 27 février 2014

Mission "Looking Glass"

3 février 1961, ce matin là, un Boeing 707 militaire décolle pour une mission de la plus haute importance. Cet appareil est un EC-135, qui a été spécialement équipé pour sa mission top-secret, qui est connue sous le nom de "Looking Glass". A son bord se trouve un état major commandé par un général. Leur rôle : assurer la continuité du pouvoir militaire américain et transmettre les ordres d'engagement aux forces nucléaires si jamais le gouvernement est décapité par une première frappe nucléaire ou si les moyens de communications sol sont détruits.

En alerte...en attente...


C'est le début d'une alerte qui va durer plus de 29 ans : durant ces 29 ans, les avions de "looking glass" vont se relayer en l'air pour assurer l'alerte : 24 heures sur 24 et 365 jours par an, un appareil du Strategic Air Command est en vol avec un "battle staff" à bord, prêt à agir si besoin. Durant plus de 282 000 heures de vol, des équipages vont ainsi orbiter tout autour des Etats-Unis, dans l'attente d'un ordre dont chacun espérait qu'il n'arriverait jamais, avec un général à bord pour envoyer les ordres de riposte nucléaire si jamais les Etats-Unis subissait une attaque nucléaire.

L'idée d'un poste de commande aérien avait été évoqué dès 1958, et l'arrivée massive du C-135 au sein des forces en avait fait le candidat idéal pour être transformé en poste de commandement. En mai 1960, le KC-135 58-0022 va subir un grand chantier de transformation pendant deux mois : au programme : installer une réplique rudimentaire du NORAD…ambitieux !

Convertir un KC-135A en poste de commandement aérien


Basé à Offutt AFB dans le Nebraska, au QG des forces stratégiques américaines, ce KC-135 modifié va prendre part à des alertes et des exercices. Un total de 5 appareils seront modifiés et placés en alerte "-15", c'est-à-dire 15 minutes de temps de réaction. AU bout de 6 mois d'alerte, le commandant du SAC, le général Thomas Power considère que le programme est un succès, et va commander plus de C-135 pour ce rôle.

Une des premières mesure du président Kennedy lors de son arrivée au pouvoir en 1960 sera de demander à ce que l'un de ces poste de commandement soit en vol en alerte permanente, 24h sur 24, 365 jours par an. Cette mesure prendra effet une année plus tard, le 3 février 1961  c'est le début de "Looking Glass"

Les avions configurés pour les missions "Looking Glass" étaient uniques : extérieurement, rien ne les différenciaient des KC-135 "lambda", ils avaient même gardés la perche de ravitaillement en vol. A l'intérieur en revanche, tout change : le pont passager, d'ordinaire vide, est rempli à craquer : l'appareil est occupé en grande partie par des consoles et des racks d'équipements électroniques, laissant peu de place au personnel. Il dispose également d'un réceptacle de ravitaillement en vol, ce qui lui permet de rester en l'air tant que l'équipage peut tenir si besoin...

La soute électronique, juste en arrière du cockpit


A l'intérieur, si on excepte le cockpit, l'appareil a été divisé en quatre compartiments. Juste derrière le cockpit, on trouve l'espace de stockage des équipements électriques et électroniques : tout un ensemble d'armoires et de racks qui laissent à peine de quoi passer au milieu. Equipé d'un sytème de refroidissement intégré, cet ensemble est le cœur du système de communication et de suivi.

Juste en arrière se trouve le compartiment radio, où prenaient place jusqu'à 5 opérateurs : 2 opérateurs radio (2 & 3), 2 opérateur crypto (4 & 4A) dont le rôle était de faire tourner les différents moyens de communication de l'appareil : réseaux UHF, HF, VLF/LF remorquée et AFSAT (Air Force Satellite Communication). l'APM prend également place dans ce compartiment.

Salle des communications


Une cloison sépare cette zone de la zone "staff" qui est en quelque sorte la "salle de guerre" de l'appareil. Cet espace peut accueillir jusqu'à 11 personnes :
  • 1 contrôleur (7) qui fait l'interface entre le battle staff (équipe opérationnelle) et l'équipe radio (équipe technique)
  • 1 sous-officier EAM ou "Emergency Action NCO" (chargé des communications des ordres de tir, ou "Emergency Action Message").(8)
  • 1 officier de communication qui surveille les équipements de communications HF et VHF et dispatche ensuite les messages aux destinataires (9)
  • 2 responsables logistiques (un officier et un sous-officier) dont la mission consiste à gérer les points de ravitaillements en vol ainsi que les différentes bases de retour et repli pour les bombardiers en vol. (5&6)
  • 1 officier général, l'"Airborne Emergency Action Officer", en charge de la mission, dont la responsabilité est de "distribuer les coups" en cas de besoin. (11)
  • 1 conseiller SIOP (deuxième après le général dans la chaîne de commandement) qui est l'expert du SIOP ("Single Integrated Operation Plan", c'est-à-dire les plans de guerre) (10)
  • 1 officier de renseignement qui est au fait des derniers dossiers (16)
  • 1 sous-officier capable de donner en temps réel l'état d'engagement des forces armées. (15)
  • 1 officier de tir, au courant de l'état des forces et qui peut rédiger les ordres de tir (13)
  • 1 chef d'équipe ou 'Operation Officer" , chargé de coordonner les différents membres d'équipage et de diriger la mission (14)
Salle de guerre


Enfin, tout à l'arrière, se trouve une zone de repos, où il y a 6 couchettes, une table de réunion/travail avec quatre sièges.

Cet équipage est en liaison permanente avec les différentes branches des forces stratégiques américaines, à savoir :
  • Strategic Air Command
  • Air Combat Command
  • Transportation Command
  • Space Command
  • COMSUBGRU 9 (flotille des sous marins nucléaires lanceurs d'engins du Pacifique)
  • COMSUGRU 10 (flotille des sous marins nucléaires lanceurs d'engins de l'atlantique)
  • NORAD
Salle de repos tout à l'arrière


On trouve en plus à l'avant un équipage "classique" à 5 (ben oui, c'est bien de faire la guerre, mais l'avion ne va pas se piloter tout seul...)
  • 2 pilotes
  • 1 navigateur
  • 1 spécialiste du ravitaillement en vol
  • 1 ingénieur de vol/radio


En 1962, le système est étendu : il y a toujours des missions "Looking Glass" avec un poste de commandement aérien, mais en plus il y a des AUXCP ou Auxiliary Command Post : ils s'agit d'un appareil identique au "Looking Glass", mais qui peut le remplacer si besoin, l'autorité à bord des AUXCP étant un général de grade moins élevé. L'USAF met également en place des escadrille de soutien équipées de EB-47L, appareils dérivés du B-47 "Stratojet" mais configurés en relais radio pour retransmettre les ordres de tir sur une distance encore plus longue. Cela permettait au "Looking Glass" de voler encore plus loin des centres de commandement nationaux, tout en restant à portée de communication radio. La dénomination des appareils change : les KC-135 modifiés deviennent ainsi des EC-135.

Opérateurs au travail à bord d'un EC-135A

En 1965, les EB-47L sont retirés du service, et remplacés par des EC-135, permettant ainsi au SAC de disposer d'un réseau homogène d'appareils, qui sont désormais connus sous le nom de "PACCS" pour Post Attack Command and Control System". Le PACCS se compose donc d'un appareil de commandement : le fameux "Looking Glass", auquel vient s'adjoindre plusieurs AUXCP's (généralement au nombre de 3) et en plus des EC-135 utilisés comme relais radio.

Le système peut vous paraître lourd et complexe, il l'est d'ailleurs..mais en cette période où la guerre froide pouvait être plutôt chaude, surtout après la crise des missiles de Cuba, disposer d'une capacité de seconde frappe était vu comme essentiel par le Pentagone. Tous les avions du PACCS sont indifférenciables les uns des autres, un observateur extérieur ne peut donc pas savoir lequel est "Looking Glass", ce qui permet de protéger encore davantage l'avion vis-à-vis d'éventuels espions soviétiques !

Appareils et avions dépendent du 7th Airborne Command and Control Wing, basé à Offut, Nebraska, le fief des forces aériennes stratégiques, où ils sont regroupés au sein d'un ACCS ou "Airborne Command and Control Squadron". Il y avait trois squadrons : 2nd ACCS (Offutt AFB, gère le "Looking Glass" et les AUXCP),3rd ACCS (Grissom AFB, gère les AUXCP et relais radio pour la côte est), 4th ACCS (Ellsworth AFB, gère les AUXCP et relais radio pour la côte ouest).

L'appareil sera progressivement informatisé au fil des ans


On notera qu'il existait d'autre poste de commandement aérien, pour les "Commander in Chief" de régions militaire : on parlait ainsi de "Silk Purse" pour le CinC Europe, "Blue Eagle" pour le CinC Pacifique et "Scope Light" pour le CinC Atlantic. Ces avions n'étaient pas airborne H24, mais prenaient l'alerte au sol en cas de crise, formant ainsi un complément au "Looking Glass".

Un EC-135 bardé d'antennes en vol

En 1967, on va un cran plus loin : les avions reçoivent un nouveau système : l'"ALCC" ou "Airborne Launch Control Center" un ordinateur embarqué capable de diriger la séquence de tir des missiles balistiques au sol directement depuis l'EC-135. Le 17 avril 1967, deux officiers de tir vont ainsi réaliser le premier lancement d'un missile "Minuteman II" depuis un EC-135, démontrant la faisabilité du système. On place ainsi à bord des appareils des coffres rouges munis de deux cadenas, chaque officier de tir possédant la combinaison d'un des deux cadenas, les deux étant nécessaires pour ouvrir le coffre où sont stockés les codes de lancement des missiles.

Pupitre de tir de l'ALCC

Des avions d'alerte peuvent donc orbiter autour des  bases de lancement de missiles dans le Dakota et autres états…en permettant au "Looking Glass" de transmettre les ordres de tir…

Des années 70 à la fin de la guerre froide, le format des postes de commandement aéroportés restera le même : un avion "Looking Glass" en vol, deux AUXCP en alerte 15 minutes au sol, plus trois avion équipés d'un système de contrôle de tir (ALCC), plus deux relais radio, également en alerte 15 minutes.

Dans l'éventualité d'une crise, tous les avions au sol devaient décoller, et rejoindre des orbites d'attentes prédéfinies, alors même que le président serait évacué de Washington à bord du NEACP (National Emaergency Airborne Command Post), un Boeing 747 modifié.

Le coffre rouge contient les clés de tir des missiles

Les avions relais radio maintiendraient les communications entre le NEACP et "Looking Glass", Looking Glass répercutant ensuite les ordres de tir aux ALCC qui orbitent autour des sites de lancement de missiles nucléaires.

Dans l'éventualité où le contact serait perdu avec le président, et après suivi une série de règle très strictes, le général à bord de "Looking Glass" avait pour mission de déclencher la riposte…heureusement, rien de tout cela n'est jamais arrivé.

3 février 1981 : 20 années d'alerte continue

Avec la fin de la Guerre Froide, la chute de l'URSS, le besoin d'avoir un appareil en vol 24h sur 24 devient inutile, et le 24 juillet 1990, c'est la fin de l'alerte aérienne : les avions ne sont plus en l'air 24h sur 24, mais au moins un avion est en permanence ravitaillé et près à partir, avec un équipage en alerte. C'est une alerte beaucoup moins lourde, et les membres d'équipage peuvent rester en alerte pendant 24h, sans le stress d'être en vol et de devoir se ravitailler. Avec la fin de la Guerre Froide, les missions "Looking Glass" ne sont plus assurées par l'Air Force, mais par des groupements mixtes, même si la mission de base restait inchangée.

L'alerte ne se prendra plus que au sol désormais...


Le 1er octobre 1998, c'est la fin de l'alerte : le dernier appareil "Looking Glass" est rentré au hangar, ses équipements de communication éteints et les codes de tir sont retirés. C'est la fin de l'alerte nucléaire permanente. Depuis cette date, l'alerte est tenue depuis les nombreux bunkers des forces stratégiques.

Un général reçoit un rapport à bord du "Looking Glass"

lundi 24 février 2014

Le congélateur pour avions

Où trouver un environnement extrême à -40° pour tester comment va se comporter votre avion flambant neuf ? Et si vous voulez tester votre appareil à +50° ? La réponse va peut-être vous surprendre : dans les deux cas, il faut aller en Floride ! Au centre McKinley pour être précis, sur la base d'Eglin…Pour mieux comprendre ce choix, Hist'Aero vous emmène dans les coulisses du plus grand frigo de la planète ?

Un bombardier B-1B au congélateur...

Alors que la Seconde Guerre Mondiale commence à battre son plein, les américains commencent à se rendre compte que vu la diversité des terrains sur lesquels il faut combattre, de l'Alaska à la jungle asiatique, les équipements souffrent et cassent car ils n'ont jamais été testés dans ces conditions… Il faut trouver une solution pour que chasseurs et bombardiers puissent être testés dans les conditions les plus extrêmes, afin qu'il ne lâchent pas sur le terrain.

L'expérience de Stalingrad à montré que l'aviation allemande a été clouée au sol par temps froid, dès que la température descendait en dessous de -15°…et sans aviation, l'Allemagne a perdue la maitrise du ciel avant de perdre celle du sol…les américains ne veulent pas connaitre pareille mésaventure.

L'US Army Air Force dispose pourtant d'un endroit pour tester ses équipements par temps froid : la base de Ladd Field en Alaska…mais il faut attendre l'hiver…et une fois sur place, on est bloqué pour un bout de temps : les avions peuvent à peine décoller en hiver…et en cas de blizzard, on est totalement coupé du monde. De plus, suivant les caprices de la météo, il faut parfois attendre des jours voire des semaines avant de trouver les conditions idéales de froid pour tester les équipements…

La machinerie est à la taille du laboratoire...


Il faut trouver autre chose : c'est l'AAFPGC qui en est chargé : l'Army Air Force Proving Ground Command, qui doit trouver une solution. Le 9 septembre 1943, , le colonel Ashley McKinley est mis en charge du projet.

McKinley va raisonner que pour pouvoir tester aussi bien les conditions chaudes que froides, humides et sèches, Le mieux est de disposer d'un environnement de test contrôlable qui permettrait de modifier les conditions à loisir. Un hangar qui serait à la fois un four et un congélateur en somme. Le bénéfice est énorme, car il évite de devoir trimbaler des prototypes secrets à travers tout le pays, voire le monde…sans être sûr de trouver les conditions idéales.

La façade du laboratoire climatique
McKinley propose donc de construire un immense hangar climatique sur la base d'Eglin. Le projet n'a jamais été fait auparavant, mais la technologie ayant fait beaucoup de progrès dans les années 40 en matière de climatisation et de chambre froide, il devient envisageable de construire une immense chambre froide capable d'accueillir le dernier né des bombardiers, le B-29, avec de la place pour les avions futurs.

Le projet est approuvé en 1944, avec une priorité urgente. Malgré cela de nombreux obstacles techniques et des pénuries de matériel se font jour et vont retarder le projet. Le "Climatic Laboratory" qui aurait du être livré en mars 1945 ne sera prêt que en mai 1947 pour accueillir ses premiers locataires. Il est vrai que les grèves post-victoire ont retardé tout le projet.

Le laboratoire n'est pas un simple hangar : il se compose de plusieurs chambres froides, de différentes taille, capable de générer différentes températures. Il se compose de six chambres : 4 dans le bâtiment 440, bâtiment principal et deux autres à l'écart : les bâtiments 430 et 448. Le bâtiment principal, le 440 est le plus grand hangar thermiquement isolé au monde. Ses dimensions intérieures sont assez impressionnantes : 75 mètres de large par 60 mètres de profondeur par 21 mètres de haut dans la partie centrale : l'ajout d'une petite extension (25 mètres par 18 tout de même ! a été réalisée en 1968 afin de permettre de rentrer un C-5 "Galaxy" en entier ! Les deux portes principales sont coulissantes et donnent accès à toute la largeur du bâtiment une fois ouvertes. Chaque moitié de porte pèse pas loin de 150 tonnes !

Un C-5 "Galaxy" en pleine séance d'UV : essais "soleil" avec d'immenses lampes

Le système de réfrigération a été conçu comme un système réversible : soit on veut du froid, et l'air passe par de grands échangeurs de chaleur où circule du fréon à basse température.

Un autre système appelé "Air Makeup System" permet de produire de l'air en quantité, avec une température donnée, ce qui permet de faire des essais moteurs en simulant de l'air chaud ou de l'air froid à la demande.

Le plancher du hangar est en béton renforcé de plus de 30 cm d'épaisseur, avec des points d'ancrages, ce qui permet également de faire des essais moteurs. Les murs sont également en béton renforcé sur une hauteur de 8 mètres, le reste du bâtiment étant réalisé avec une structure en acier, recouverte d'isolant (le revêtement qui fait penser à de la neige sur la photo est en réalité une couche d'isolant. Cet isolant est constitué d'une couche de laine de verre de plus de 30 centimètres d'épaisseur, prise en sandwich entre deux plaques d'acier, ce qui limite les échanges thermiques avec l'extérieur. Tous les climatiseurs et équipements sont suspendus par des chaînes depuis le plafond, et seules ces chaines traversent l'isolant du toit, limitant ainsi les pertes thermiques). Ces chaines sont très renforcés : il peut y avoir des stalagmites de près de 90kg qui pendent du plafond à l'occasion des tests...

Vue du bâtiment


En observant le complexe de plus près, nous pouvons discerner les éléments suivants
1) Bâtiment administratif
2) Portes du hangar principal, avec leur rails de guidage
3) Bâtiment abritant les machines et échangeurs d'air
4) Zone de stockage des liquides froids
5) Tour de refroidissement
6) Chambre d'essai des réacteurs
7) Une chaufferie surmontée d'une cheminée (pour les tests  canicule)

En plus de ces deux hangars, il y a pas moins de 4 autres chambres, plus petites, permettant de tester des équipements, le tout alimenté par une machinerie impressionnante afin de permettre de couvrir toute la gamme de température de -55° à +60° !

On trouve ainsi une chambre "météo" qui permet de simuler la neige ou les tempêtes de sable, ou la chambre d'altitude, qui permet de simuler des altitudes jusqu'à 24000 mètres !

A l'origine il existait d'autres chambres d'essai : une chambre "marine" une chambre "jungle" et une chambre "désert"…avec les avancées technlogiques, il est devenu possible pour de nombreux équipementiers d'avoir leurs propres chambres d'essai, ce qui a amené l'US Air Force à fermer ces chambres, pour ne garder que les salles principales.

Un F-117 "Nighthawk" en mode igloo

Le 24 mai 1947, l'USAF teste pour la première fois ses équipements en conditions arctiques : un mini aérodrome est recrée à l'intérieur du hangar principal : un B-29, un P-80, un P-38 ou encore un hélicoptère R5D de Sikorski et un Fairchild "Packet" subissent un "cold soaking" c'est-à-dire passent plusieurs jours par -50°, le but étant de déceler les équipements sensibles, mais aussi de tester la simulation de l'environnement arctique à grande échelle. Le test est un succès complet : le toute jeune USAF hérite ainsi du centre climatique le plus vaste et le plus complet du monde.

Depuis bientôt 60 ans, ce centre a été utilisé pour tester tout et n'importe quoi : plus de 300 avions de tous les types sont venus ici pour des tests de "cold soaking" ou d'endurance, plus de 2500 équipements différents ont été testés : cela va du kit de survie mer froide au C-5 "Galaxy" - oui, un Galaxy entier tient (tout juste) dans le hangar - sans oublier les sièges éjectables, chasseurs ou les avions civils, le dernier en date étant le Boeing 787 "Dreamliner" qui est venu faire un petit séjour pour sa certification.

Un "Nimrod" britannique en "cold soaking"


Le centre climatique a été renommé "McKinley Climatic Centre" en 1970, pour rendre hommage à son concepteur. Le hangar sera rénové plusieurs fois au cours de sa carrière : son intérieur sera remanié en 1968 pour accueillir le C-5 "Galaxy", des équipements pour simuler les tempêtes de neige ou de sable seront rajoutés dans les années 75 et à la fin des années 90, il a fallut changer tout le liquide de refroidissement car il détruisait la couche d'ozone…

Le laboratoire climatique est très demandé de part le monde : on accourt de tous les pays pour le tester, et il faut réserver des mois voire même des années en avance…il reste après tout le seul endroit au monde où vous pouvez passer un avion de ligne gros porteur entier au congélateur, ce qui en fait un atout unique pour beaucoup de sociétés !

jeudi 20 février 2014

Hawkeye : les yeux de la flotte

Au sein de l'US Navy, les porte-avions représentent la force de projection la plus redoutable qui soit pour tout adversaire potentiel : une véritable ville flottante, doublé d'un aérodrome, dont les aéronefs n'ont besoin d'aucune autorisation pour se poser sur une base aérienne d'un pays étranger.

Le "Hawkeye", avion à la soucoupe volante (US Navy)
Or le porte-avions possède un défaut : ses radars, bien que très puissants sont limités dans leur portée de détection : ne disposant d'aucun réseau de radar en plein océan, le porte-avions ne peut compter que sur lui-même pour se défendre. Or ses radars sont limités par la rotondité de la Terre : leur portée pratique est donc de 350 à 500 kilomètres (le chiffre exact n'est évidemment pas connu), et les avions volant au ras de l'eau passent inaperçus. Or 350 km est inférieur à la portée de certains missiles anti-navires lancés par avion. La sécurité des porte-avions repose donc aussi sur sa capacité à détecter toute menace au-delà de cette limite. Or pour cela il faut soit disposer d'un réseau radar en amont, difficile à réaliser en pleine mer, ou disposer d'un appareil capable d'embarquer un radar pour voir au-delà de l'horizon, et détecter les échos radars bien plus lointains. Il doit pouvoir identifier et traiter en temps réel les "bandits" potentiels qui approchent du porte-avions.

Cet appareil aux capacités si exceptionnelles, c'est le E-2 "Hawkeye", l'appareil de veille aérienne embarqué de l'US Navy et de la Marine Nationale.

Les deux avions radars : le E-1B "Tracer" et le E-2A "Hawkeye"

On peut tracer ses origines au projet "Cadillac", un programme d'après guerre qui visait à doter un Grumman "Avenger" d'un radar de veille aérienne embarqué. En 955, l'US Navy demande un appareil capable d'être embarqué sur porte-avions et possédant un radar de veille aérienne embarqué. Grumman va alors modifier un appareil de lutte anti sous-marine déjà existant, le S2F "Tracker". En l'équipant d'une grande soucoupe volante, on peut embarquer un radar de veille aérienne, et le vaste volume interne permet d'embarquer toute l'électronique et les opérateurs qui vont avec. Le radar embarqué est un AN/APS-82. Ce nouvel avion se nomme le WF-2 "Tracer", qui sera renommé E-1B peu de temps après, avec l'adoption du système de désignations communes USAF/Navy.

Cet appareil utilise un radar encore largement analogique, qui consomme énormément de ressource pour une portée limitée. L'état de l'art ne permettait pas mieux à la fin des années 50, mais la Navy finance le E-1B comme une machine d'intérim en attendant un appareil plus mature et mieux équipé : ce sera le E-2.

Le hawkeye est conçu dès l'origine comme avion radar

Le projet 123 de Grumman est choisi dès 1957 sous la dénomination W2F-1, avant de devenir le E-2A "Hawkeye". Il sera le premier appareil construit dès le départ comme une plateforme radar. Bien que semblable au Tracer au premier abord, il n'en est pas moins radicalement nouveau.

Tout d'abord, on observe que les moteurs sont des turbopropulseurs Allisson T-56, et non plus des moteurs à pistons, ce qui donne une grande puissance à l'avion, grâce à deux grandes hélices quadripales. La dérive quadruple est caractéristique. Elle permet au E-2 de virer à plat (inconfortable pour les opérateurs, mais cela évite de perturber l'assiette du radar, et donc de ne pas perturber le suivi des cibles) tout en permettant de ne pas dépasser en hauteur dans les hangars des porte-avions, même les anciens de la seconde Guerre Mondiale modernisés. Les ailes se replient le long du fuselage pour gagner encore plus de place dans les hangars.

Le prototype du Hawkeye durant les essais en vol (d'où la perche à l'avant)

Sa caractéristique principale est la soucoupe volante posée sur son fuselage : d'un diamètre de plus de 7 mètres, ce rotodome abrite le radar principal qui tourne durant tout le vol, à raison de 6 tours par minute. On notera que ce rotodome possède deux positions : une position "basse" utilisée au décollage et au retour, et une position "haute" utilisée lors des phases de détection. Sa forme est étudiée pour qu'il se comporte comme un fuselage porteur pendant le vol 

Le premier prototype du E2-A vole le 21 octobre 1960…mais il ne s'agit en réalité que d'une coquille vide : l'avion vole, mais son radar n'est pas prêt et il y a du ballast partout dans la soute pour compenser le poids des boîtiers électroniques qui ne sont pas encore prêts ! Il faudra attendre le 19 avril 1961 pour voir le premier vol d'un E-2 équipé d'un radar fonctionnel.

Vue de la tranche tactique du E-2A avec les "scopes" des opérateurs

L'équipage du E-2 se compose de 5 hommes : deux pilotes, et trois opérateurs. L'équipage monte à bord de l'appareil via une porte avec escalier intégré sur le côté gauche du fuselage. A l'avant se trouve le cockpit, et à l'arrière se trouve le logement des opérateurs, le "CIC" ou "Combat Information Center" (dans la Marine Nationale, on parle aussi de "tranche tactique", les opérateurs étant les TACAE ou Tacticiens d'aéronautique), et encore à l'arrière des WC chimique d'un confort tout relatif. Les trois hommes d'équipage sont assis en travers du fuselage, faisant face à des consoles équipées de "scope" de visualisation. Les trois hommes tournent leur siège de 90° pour être dans le sens de la marche au décollage et à l'appontage, et se remettent face à leurs consoles pendant le vol.

Les trois opérateurs ont un rôle bien défini : CICO, ACO et RO pour "Combat information officer", "Air Control Officer" et "Radar Officer".

Les opérateurs au travail, circa 1965

  • Le Radar Officer est le moins expérimenté de la bande. Assis tout à l'avant de la tranche tactique, c'est lui qui gère les systèmes de détection (radar et radio). Il veille au bon fonctionnement des instruments, et peut également servir de "Tanker King", c'est à dire gérer les avions ravitailleurs, et diriger les avions amis vers les "nounous".
  • l'ACO, Air Control Officer est le contrôleur aérien en titre, c'est lui qui gère la détection et l'identification des cibles, ainsi que les échanges de données avec les autres unités via la "liaison 16". Il "vectorise" c'est à dire guide les chasseurs amis vers l'interception. Il est assis tout à l'arrière.
  • le CICO, "Combat information officer" est le "boss" : c'est lui qui est responsable de la mission : il gère les communications avec les autorités (navires et ou état-major), et c'est également lui qui prend les décisions lorsqu'il faut ou non engager un hostile. Installé au milieu, il peut aider l'un ou l'autre des opérateurs en cas de besoin.
Autre époque : un environnement bien plus moderne sur un E-2D

Le travail en tranche arrière est véritablement un travail d'équipe : la coordination est essentielle, de même que la bonne répartition des rôles. En vol de croisière, un seul des deux pilotes est nécessaire pour piloter l'avion, le deuxième pilote peut alors aider les opérateurs arrière si besoin.

Le radar AN/APS-96 opère en bande UHF sur onde métrique. Cette bande a été choisie car elle est très peu sensible au échos parasites formés par la surface de l'eau. Lorsque le Hawkeye est à une altitude 9000 mètres, il peut surveiller l'espace aérien dans un rayon de presque 400 kilomètres, en étant capable de détecter un appareil ennemi qui rase l'eau en échappant au radars du porte-avions.  Grande nouveauté : le radar est capable de suivre une cible, et de déterminer son cap et sa vitesse, ce qui changeait par rapport aux radars antérieurs où l'opérateur devait manuellement calculer le cap et la vitesse des cibles en observant les échos radars.

Le E-2A/B

La livraison du E2-A commence en 1964…avant de s'arrêter après seulement 59 machines livrées l'année suivante. La raison en est que le E2-A ne répond pas aux spécifications de la Navy. Trop ambitieux, trop complexe, l'appareil souffre de nombreuses pannes et bugs, passant sa vie en maintenance. Lorsque tout marchait, c'était le bonheur, mais nous sommes encore avec la technologie des années 50 : la mémoire de l'ordinateur central de bord repose sur plusieurs tambours de mémoire, sensibles aux vibrations et aux chocs…bref, incompatible avec la vie sur porte-avions. Et pour ne rien arranger, la cellule souffrait de la corrosion  , le comble pour un appareil embarqué !

Les E-2A seront rapidement remplacés par les E-2B
La situation est inacceptable pour la Navy qui va forcer Grumman à trouver une solution. C'est ainsi que va naître le E2-B : cellule renforcées, traitement anti-corrosion, et surtout un ordinateur numérique Litton L-304. Le premier E2-B fait son premier vol le 20 février 1969. Tous les E-2A seront rétroffités au standard E-2B, mais l'appareil reste une machine d'intérim : la Navy et Grumman travaillent déjà sur la version suivante, qui est une refonte totale : ce sera le "Charlie", le E-2C. L'arrivée du radar AN/APS-120 va permettre de démultiplier les capacités du Hawkeye. Le premier E-2A modifié fait son premier vol le 20 janvier 1971, et suite à la satisfaction de la Navy, la fabrication en série est lancée, le premier appareil de série effectuant son premier vol le 23 septembre 1972, pour une admission au service au sein de la flotte en novembre 1973.

Planche de bord du E-2


Bien qu'extérieurement presque identique au E-2B, intérieurement, le "Charlie" est une vraie révolution. En plus de l'AN/APS-120, le E-2C comporte également un système de détection passif d'émission électromagnétique, situé dans le nez, des moteurs plus puissants, et un super ordinateur (pour l'époque) OL-77. Un énorme radiateur est installé au dessus du fuselage pour permettre d'évacuer la chaleur fournie par toute l'avionique de bord. Cette version sera appelée E-2C "Basic Charlie" ou "group 0".

E-2C au catapultage...

L'US Navy tient enfin son avion radar d'alerte avancé, et au fil des ans, il sera constamment modifié et amélioré, et ce même si sa version reste officiellement le E-2C. Un nouveau radar amélioré fait son apparition dès 1976 : l'AN-APS-125. Ils seront ensuite pour beaucoup rénovés dans les années 80 avec l'AN-APS-138 une nouvelle évolution du radar plus résistante au brouillage et d'une portée encore plus grande, ainsi qu'un meilleur ordinateur, disposant d'une capacité énorme de…48ko…oui oui, vous avez bien lu : 48ko !

55 E-2 seront ainsi livrés dans ce nouveau standard "group 0" jusqu'en 1988, alors même qu'une autre version se préparait, encore plus puissante : le "Group I" puis le "Group II", permettant de suivre 2400 cibles simultanément, contre 600 en version "Group 0".

E-2D, reconnaissable à ses hélices octopales


Mais l'histoire ne s'arrête pas là : il va encore y avoir d'autres versions : "Group II+" puis "Hawkeye 2000". Le "Group II" fait appael au radar AN/APS-145, qui possède une vitesse de rotation variable, capable de scanner rapidement ou de manière plus précise, ainsi que le changement des consoles des opérateurs : plus de "scope" ronds, place à des écrans multifonctions couleurs de 11 pouces

Le E-2C+ avec ses consoles rectangulaires

Le Hawkeye n'est pas en service que dans la Navy : il a été acheté par Israël, le Japon, l'Egypte, Singapour, et surtout la Marine Nationale, qui a acheté quatre E-2C en version "Group II+" en 1997. Notons que la France est le seul pays à utiliser le Hawkeye depuis un porte-avion en dehors des Etats-Unis.

Le E-2 doit sa longévité au fait qu'il est sans cesse modernisé

Alors même que le Hawkeye 2000 était en cours de livraison, une nouvelle version voyait le jour : le E-2D "Advanced Hawkeye"…quoi encore une version ? C'est pire que les téléphones de la marque à la pomme ! Et oui, une nouvelle version, tirant parti des dernières nouveautés du début des années 2000. la structure ne change presque pas, mais l’électronique à été profondément reprise et modernisée, avec comme il se doit un nouveau radar : le AN/APY-9, combinant une antenne tournante et une antenne active, permettant de scanner le ciel tout en "zoomant" sur une zone particulière en haute résolution, grâce au radar à antenne active.



Le "Hawkeye" s'est fait une réputation d'appareil délicat à piloter, car il est encore largement manuel dans son pilotage : il est surmotorisé, mais ses hélices tournent dans le même sens, et une mise de gaz provoque un effet gyroscopique qui à tendance à faire monter l'avion vers le haut et sur la gauche, ce qui est dangereux dans la phase de l'appontage. Le pilote doit alors se battre pour garder le contrôle. En contrepartie, il peut faire un "bolter", c'est à dire ne pas attraper le brin d'appontage et redécoller, le tout sur un seul moteur ! Idem pour le catapultage : le E-2 est capable de monter avec un angle de plus de 30° en sortie de catapulte, chose dont seuls les avions conçus depuis les années 80 voire 90 sont capables.

2014 marque le cinquantième anniversaire du premier déploiement du Hawkeye. Après 50 ans de bons et loyaux service, constamment modernisé et upgradé, le E-2 sera encore appelé à servir de nombreuses années au sein de nombreuses forces armées. Même si ses grandes hélices font démodées par rapport aux jets modernes, le "Hawkeye" n'en demeure pas moins essentiel à la sécurité de la flotte !


lundi 17 février 2014

"old 300" : le Douglas DC-1

Vous connaissez tous le DC-3…aussi connu sous le nom de C-47, ou encore "Dakota". Il s'agit d'une des légendes de l'aviation : fabriqué à des dizaines de milliers d'exemplaires, le DC-3 est l'archétype de l'appareil simple et robuste…mais avant le DC-3 il y avait son petit frère, le DC-2, et encore avant, le premier avion de transport fabriqué par Douglas : le Douglas Commercial Aircraft Model 1, ou simplement DC-1.

Il ressemble à s'y méprendre au DC-3...mais ils s'agit en réalité de l'unique DC-1, le premier avion commercial de Douglas


Pour mieux comprendre la généalogie du DC-3, il faut aller à Bazaar, dans le Kansas, le 31 mars 1931. Ce jour là à lieu le crash du vol TWA 599 dans une tempête, qui va avoir un retentissement national aux Etats-Unis. Un Fokker F-10A timoteur qui transportait un coach de football (américain) célèbre de l'époque : Knute Rockne, volait 150 mètres du sol pour éviter une tempête. Soudainement, l'avion s'écrase, tuant tous ses occupants. La TWA (la Transcontinental and Western Air, future Trans World Airline) qui opérait le vol est consterné, et va demander un nouvel appareil de fabrication américaine, qui doit être beaucoup plus sûr que les Fokker.

Boeing met au point un avion qui représentait une grande avance pour l'époque : le Boeing Model 247…seul problème : à cette époque United Air Lines appartient à Boeing…et donc l'avion n'est pas vendable à la TWA.

Une silhouette qui va rapidement devenir familière...

Jack Frye, le vice-président de TWA ne peut pas se laisser distancer ainsi sans réagir : il va donc demander un avion pour la TWA à d'autres constructeurs : Consolidated, Curtiss-Wright, General Aviation (futur North American).

Le 2 août 1932, Donald Douglas reçoit une lettre de la TWA dans ses bureaux de Clover Field à Santa Monica. Le choix de Douglas est surprenant : il n'a jamais construit d'avion de transport civil, que militaire ou postal…mais Jack Frye à préféré ratissé large. La lettre est courte "la TWA est intéressée par acheter dix ou plus appareils de transport de passagers, trimoteurs". Les spécifications jointes donnent un peu plus de détails, mais peu. Le post scriptum demande de traiter l'information comme confidentielle, et demande à l'avionneur de retourner les spécifications si il n'est pas intéressé, ce qui prête à sourire dans notre monde actuel où règnent les règlements pondus par des avocats !

Cette lettre est l'acte de naissance du DC-1. Il sort du hangar de Clover Field moins d'un an après, en juin 1933. L'avion à couté 182 000$ de plus que prévu, soit un total de 325 000 dollars , mais Douglas à réussi un grand coup auprès de la TWA : plus large et plus puissant que le 247 de Boeing…et bimoteur également ! L'appareil fait son premier vol le 1er juillet 1933, à midi pile. Le vol manque de se terminer en catastrophe lorsque les deux moteurs s'éteignent…heureusement, le chef pilote de Douglas, Carl Cover, est un as, et il parvient à ramener l'appareil en un seul morceau sur la piste. Après inspection, on découvrira que les régulateurs de débit de carburant ont été montés à l'envers…la correction du défaut est donc facile !

Les essais en vol vont pouvoir commencer, avec un seul incident notable à signaler : quelques mois après de retour d'un vol d'essai, le pilote pense que le mécanicien va sortir le train d'atterrissage…or ce dernier à changé de place avec l'ingénieur en vol de Douglas qui n'est pas au courant de la manœuvre. C'est ainsi que le pilote pose l'appareil sur le ventre. Donald Douglas est furieux…mais les dégâts sont minimes : moyennant deux nouvelles hélices, l'appareil repart, ce qui témoigne de la solidité de la structure...

L'appareil suscite l'enthousiasme des foules...

L'appareil est livré à la TWA en décembre 1933, après plus de 200 vols d'essais, ce qui faisait du DC-1 l'un des avions les plus testés de l'époque. Son intérieur était aussi l'un des plus luxueux : fini les tôles branlantes et le hurlement des moteurs : le fuselage était capitonné et isolé phoniquement, d'épais tapis couvraient le sol, et les sièges étaient montés sur des amortisseurs en caoutchouc..tout le confort moderne, avec de la place pour les jambes en prime ! Sa capacité d'emport de 14 passagers était déjà beaucoup pour l'époque.

Un galley était même fourni pour servir des cafés ou boissons chaudes. Double avantage de l'isolation : elle permettait de maintenir la cabine à une température confortable de 20 degrés, même si il faisait -20° à l'extérieur. A l'arrière, les toilettes étaient spacieux…comme on en connait plus aujourd'hui !

Arrivée du DC-1 au parking...

La TWA est ravie de ce nouvel appareil, et passe une commande de 1,6 million de dollars pour une série de 25 appareils, une somme colossale pour l'époque. Différent légèrement du DC-1 au niveau de ses moteurs et de sa taille (il a été un peu rallongé), le nouvel appareil se nommera le DC-2, Douglas Commercial Model 2

Le 13 mai 1934, la TWA réceptionne son premier DC-2, et lui donne le numéro de série 301…l'appareil qui a fait son premier vol deux jours auparavant est en service commercial à peine cinq jours plus tard sur le ligne Newark - Chicago, et le DC-2 va battre le record de vitesse sur cette route…quatre fois de suite en à peine huit jours !

Grâce au nouvel appareil, la TWA va pouvoir vendre un concept qui nous semble banal aujourd'hui : un service de Newark à Los Angeles de nuit, départ à 16h00 pour une arrivée à 7h00 le lendemain. Pour peu que le passager dorme, il pouvait ainsi relier la côte est à la côte ouest en une nuit, sans perdre une journée de transport !

Le confort de la cabine a été soigneusement étudié

Le DC-2 va rencontrer un franc succès auprès de la TWA, mais aussi auprès des autres constructeurs : Anthony Fokker par exemple, va acheter la licence du DC-2 pour le vendre en Europe, où KLM sera son premier client. Fokker, grand rival de Douglas et Boeing avait ainsi préféré vendre des avions Douglas que d'essayer de les copier.

Le DC-2 est un véritable succès, mais qu'est devenu le DC-1 ? En fait le "300" est toujours au service de la TWA qui a conservé l'appareil, et il va établir de nombreux records : en particulier le 30 avril 1935, il relie Los Angeles à New York en 5 heures et 28 minutes…nouveau record….sa carrière va ensuite devenir rocambolesque...

En janvier 1936, le DC-1 est vendu en secret à Howard Hughes, qui compte battre le record de vitesse autour du monde. Il va remotoriser le "300" et lui installer des réservoirs supplémentaires. Au dernier moment cependant, il va partir en Lockheed Lodestar…laissant le DC-1 au parking de Burbank…il y restera jusqu'en mai 1938 où Hughes va le revendre au Vicomte Forbes, pour un vol transatlantique qui ne se fera finalement pas. Forbes fait expédier l'appareil en caisses jusqu'à Londres, où il l'utilisera quelques temps pour faire des aller-retour entre la Grande Bretagne et le continent, mais il va le revendre rapidement. Comme plus personne n'en veut aux Etats-Unis, il va le revendre à une compagnie française : la SFAT : Société Française des Transports Aériens…

Le DC-1 appelé sous les drapeaux espagnols...

Et la, le mystère de la fin de vie de l'unique DC-1 s'épaissit : selon le registre britannique, il a été vendu à la SFTA…mais on ne retrouve pas sa trace à Paris, et un mois plus tard, il refait surface, personne ne sait comment, en Esapagne sur le registre de la LAPE, Linéas Postales Españoles un mois plus tard en août 1938, après avoir été repeint en camouflage et voyagé via Toulouse et voyagé jusqu'à Barcelone, en pleine guerre d'Espagne.

L'histoire ne s'arrête pas là : en mars 1939, Barcelone tombe sous la coupe de Franco, et des membres du gouvernement républicain partent en exil à Toulouse à bord de ce DC-1. Là le gouvernement français restitue l'avion à Franco…le DC-1 reprend du service commercial pour la compagnie Ibéria, volant entre Séville et Tetouan au Maroc via Malaga, sous le nom de "Manolo Négron".

L'épave du DC-1 après le dernier vol du "300"


Tout ceci prend fin le 4 octobre 1940 : lors d'un décollage à Malaga,  les deux moteurs rendent l'âme, exactement comme son vol inaugural sept années et demi auparavant. L'appareil retombe lourdement sur le sol, le train d'atterrissage cède, et l'appareil termine sa course hors de la piste. Un seul blessé à déplorer, mais l'appareil est détruit. Il n'y aura pas vraiment d'enquête…et la cause de l'arrêt des moteurs n'est pas connu…peut-être que le vieux "300" de Douglas avait décidé que son temps était venu…

Pour la petite histoire, le pilote ce jour là est Rodolfo Bay, qui va fonder la compagnie Spantax quelques années plus tard. Cette compagnie possèdera uniquement des avions Douglas, et elle fera faillite des suites d'un crash de DC-10 en 1982 sur l'aéroport de...Malaga !

Le sort réservé aux reste de l'appareil n'est pas connu avec certitude, mais plusieurs indices laissent à penser que la communauté locale à récupéré  l'épave et qu'une partie de l'aluminium a été utilisé pour faire un "andas", un trône, utilisé par la congrégation de Notre-Dame de l'Espérance pour transporter une statue de la Sainte Vierge lors de la semaine de Pâques à Malaga... 

Les restes du DC-1 ?


Histoire vraie ou légende ? Personnellement, je préfère croire à la légende…que le DC-1 n'a pas eu une fin aussi indigne au final. l'arrivée sur le marché du DC-2 puis du DC-3 va reléguer le DC-1 aux oubliettes de l'histoire...mais sans lui, le DC-3 n'aurait jamais pu voir le jour...

Certains avions deviennent des légendes...

jeudi 13 février 2014

Tragédie à Farnborough

Au salon de Farnborough en 1952, un appareil avait fait sensation lors de l'ouverture du salon : l'ultime évolution du Vampire, le DH110, qui était passé en vitesse supersonique en radada, spectaculaire. Le lendemain, hélas, impossible de démarrer l'appareil pour sa nouvelle démonstration…le DH110 risquait de ne pas pouvoir participer à la démonstration de l'après-midi…

Prévenu par téléphone, l'équipe de Havilland informe l'équipe qu'il y a un autre DH110 à Hatfield en état de vol : le WG236. Le pilote John Derry et son navigateur Anthony Richards quittent donc Farnborough pour Hatfield, avant de monter à bord du WG236 dont les pleins viennent d'être refaits. L'équipage décolle en trombe, direction Farnborough où ils peuvent encore être à l'heure pour leur démonstration.

Configuration particulière de l'appareil avec son cockpit décentré

Nous somme le samedi 6 septembre 1952 et il fait beau ce jour là, la foule est estimée à 120 000 spectateurs, répartis tout autour de l'aéroport.

Le DH110 se lance dans une démonstration acrobatique et musclée, passant au ras du sol à vitesse supersonique. John Derry pilote fermement son appareil, amène le manche à gauche et l'appareil commence un virage avant de monter…et la démonstration tourne au drame : devant les spectateurs qui n'en croient pas leurs yeux, l'appareil fait une embardée puis se disloque en plusieurs morceaux…les pièces éparpillées continuent sur une trajectoire balistique avant de retomber sur terre.

reportage d'époque sur le salon et la tragédie

Le pire reste pourtant à venir : sous l'effet du choc, les deux moteurs "Avon" se sont littéralement arrachés de leurs fixations et continuent comme des bombes non guidées. Le premier retombe en bordure de piste, mais le second se brise en deux avant de retomber de plein fouet sur une colline, nommée "observation hill" où se trouvent de très nombreux spectateurs. Les deux pièces de moteurs tombent en fauchant les spectateurs comme des quilles.

Photographie de la désintégration de l'appareil

Le bilan est dramatique : John Derry, premier britannique à avoir franchi le mur du son, et son navigateur, Anthony Richards, sont tués, et surtout on dénombre 28 spectateurs tués, et une soixantaine de blessés, dont certains très gravement.

Le pilote, John Derry, premier britannique à avoir franchi le mur du son.


L'évènement fait la une des quotidiens anglais et européens, et va avoir un retentissement considérable. Que s'est-il passé ce jour là ?

Paradoxalement, alors que la presse était présente en nombre sur le terrain de Farnborough, aucune photographie ou film ne sera pris de l'accident. Ce n'est que quelque jour plus tard que les enquêteurs vont trouver un film amateur qui a filmé les derniers instants du DH.110.

Autre vue de la catastrophe

Le film, bien que n'étant pas d'excellente qualité, va permettre de reconstituer le crash dans les moindres détails. Lorsque le DH.110 est passé devant la foule, sa vitesse était de 780 km/h. Derry tire sur le manche et l'amène à gauche pour rétablir l'avion en sortie de piqué. Les forces aérodynamiques sont alors trop élevées, et le saumon de l'aile droite cède, se retrouvant violemment arraché. Déséquilibré, l'appareil bascule, ce qui va arracher le saumon d'aile extérieur gauche.

Les ailes en flèche du DH.110 vont le déséquilibrer de manière fatale...


Or, les deux extrémités arrachées des ailes sont les parties les plus en arrière : sur un avion avec des ailes en forte flèche, la perte des extrémités change brutalement le centre de portance des ailes : le DH.110 est donc violemment déséquilibré : il va se cabrer brutalement vers le haut, sans que le pilote ne puisse faire quoi que ce soit. L'appareil n'a pas été conçu pour ce genre de manœuvre : le cabrage violent arrache littéralement le nez et les ailes, et emporté par leur inertie, les deux moteurs se détachent de leur fixation pour continuer leur propre vol. Le fuselage effectue un tour sur lui-même avant de s'écraser sur le terrain. De la même manière, le cockpit va s'écraser à quelques dizaines de mètres de là. On retrouvera les deux pilotes encore sanglés sur leurs sièges. La décélération a été si violente qu'ils ont probablement perdus connaissance au moment même où l'avion s'est désagrégé. L'ensemble de la scène depuis la perte du premier saumon d'aile avait duré à peine une seconde.

Ce qu'il reste du fuselage


Malheureusement, l'un des deux moteurs va retomber au milieu de la foule, avec les conséquences que l'on sait.

La question qui se pose ensuite est de savoir si Derry avait dépassé les limites structurelles de l'appareil ou non. L'équipe de Havilland va tester une autre aile de DH.110 à Hatfield…et découvrir que sa résistance était de 36% inférieure à ce qu'elle aurait du être. Or les calculs de résistance ont été bien faits : pourquoi cette différence ? On découvrira par la suite un problème d'écoulement d'air irrégulier lors d'un piqué transsonique, qui en l'absence de cloisons d'extrados pouvait mener à des ondes de choc capable d'arracher un bout d'aile.

C'est exactement ce qui s'est passé ce jour là à Farnborough. De Havilland va ainsi redessiner l'aile de son DH.110, qui sera produit en grande série pour la Royal Navy, devenant ainsi le "sea vixen", qui aura une brillante carrière.

Le Sea Vixen aura une longue carrière


Mais en ce 6 septembre 1952, dans le ciel de Farnborough, Derry et Richards ont été au prise avec un phénomène aérodynamique encore mal connu qui va leur coûter la vie, ainsi qu'à de nombreuses personnes au sol.

Les britanniques vont également modifier les règlements concernant les démonstrations lors des meetings, afin de les rendre plus strictes : interdiction du survol de la foule, distance minimale de séparation verticale et horizontale par rapport à la foule, etc..

Ces conditions plus strictes font que depuis cette date, aucun spectateur de meeting n'a plus été tué au Royaume Uni, espérons que cela dure le plus longtemps possible.