lundi 30 juin 2014

La naissance de l'Armée de l'Air

Le 2 juillet 2014, l'armée de l'air souffle ses 80 bougies ! C'est en effet le 2 juillet 1934 qu'est promulguée la loi d'organisation de l'armée de l'air, qui divise la France en régions aériennes et donne naissance aux principales bases de l'armée de l'air. C'est l'acte finale d'une longue histoire de la naissance de l'arme aérienne en France.

La patrouille de France, symbole par excellence de l'Armée de l'Air


La France possède la plus ancienne force aérienne du monde : c'est en effet dès 1909 que le ministère de la Guerre accorde 400 000 francs or pour développer une force aéronautique, et l'armée achète ses 9 premiers avions. Pas plus tard que le 9 juin 1910 a lieu le premier raid militaire : 160km de parcouru en 2h30 à bord d'un "Farman". Un an plus tard c'est la création du brevet de pilote militaire.

Le 29 mars 1912 est voté la loi qui porte sur la création de l'"aviation militaire" au sein de l'armée de Terre. L'aviation devient ainsi la cinquième armée, au côté des autres armes que sont l'infanterie, la cavalerie, l'artillerie et le génie. Cette loi va ainsi permettre la création des 5 premières escadrilles, chacune constituées de six appareils identiques. On décide que sur chaque appareil sera peinte une cocarde tricolore de 1 mètre de diamètre. Le nom de l'escadrille est donnée en fonction du modèle d'avion qui l'équipe (N pour Nieuport, SPA pour SPAD etc…).

Le SPAD-13, un des avions les plus célèbres de la Grande Guerre


Comme on le voit, quand arrive 1914, l'aéronautique militaire existe déjà, et possède pas moins de 148 appareils au moment du déclenchement du conflit, et le baptême du feu viendra vite : pas plus tard que le 5 octobre 1914 a lieu le premier combat aérien entre un Farman français et un Aviatik allemand. Ce premier combat aérien de l'histoire sera gagné par le Farman français.

A la fin de la Guerre, la France aligne 3608 avions en service, technologiquement beaucoup plus avancés qu'au début du conflit, le tout réparti dans 331 escadrilles ! Il y a pas moins de 45 000 aviateurs et aérostiers en 1918. Si l'armée de Terre compte 182 "as", 31% des aviateurs engagés pendant la Guerre ont été tués avant l'armistice. Sur le plan industriel, la France a produit 52 000 avions et 90 000 moteurs en à peine 5 ans !

La Guerre à également montré le rôle de l'aviation : l'avion est passé d'un phénomène de foire à celui d'une arme de guerre redoutée et redoutable. Mais l'arrivée de la paix s'accompagne aussi d'une diminution notable des capacités aériennes : sur les 331 escadrilles de 1918, il n'en restera que 127 un an plus tard.

Pourtant la force aérienne qui s'est si bien illustrée pendant les combats ne pourra pas obtenir son indépendance à la fin de la Guerre : il faudra encore attendre quinze années de lutte et d'obstination pour parvenir à obtenir un statut séparé de l'armée de Terre. Un premier pas est franchi dès 1928 par la création d'un "ministère de l'air", mais ce n'est qu'administratif : la force aérienne n'est pas plus autonome. Deux ministres de l'air vont alors se battre pendant des années face à la marine et l'armée de terre pour obtenir un décret instituant l'armée de l'air.

Pierre Cot, nouveau et énergique ministre de l'air


Le premier est Laurent Eynac, qui en 1929 va déposer pas moins de six projets de loi instituant  une force aérienne indépendante…toutes seront rejetées par la marine et l'armée de terre qui pour une fois sont unis face à un ennemi commun : une troisième arme qui va leur prélever des budgets.

Le 31 janvier 1933, Laurent Eynac quitte son poste sur un échec. Son successeur est Pierre Cot, qui va reprendre le flambeau là où Eynac l'a laissé. Pierre Cot possède une double qualification qui le rend idéal pour le rôle de ministre de l'air :  il est agrégé de droit, et possède de solides connaissances juridiques, tout en ayant siégé à la comission parlementaire de l'aéronautique, il connait donc le rôle et les besoins de l'aviation. Arrivé au ministère de l'air, il va rencontrer le général Victor Denain, qui est un fervent défenseurs des idées de Gulio Douhet dans son ouvrage "la maîtrise de l'air".

Le maréchal Pétain (à g) et le général Victor Denain (à dr)


L'ouvrage de Douhet prône l'importance d'avoir une armée de l'air séparée et autonome, pour sa dimension de  bombardement et de chasse, indépendante de toute force terrestre. Pierre Cot s'enthousiasme pour cet ouvrage et va nommer Denain chef d'état major général des forces aériennes dès le 7 février. Leurs efforts conjugués font enfin réussir à faire bouger les choses au parlement.

A partir de là, tout va aller très vite : le problème de l'aéronautique navale avait déjà été réglé fin 1932 grâce à un accord instituant une force aérienne spéciale appartenant à la marine, il reste le problème de l'armée de terre. La "bataille" a lieu au cours des séances du Haut-Comité militaire, les 20 et 27 mars 1933 : Pierre Cot et le général Weygand, chef d'état major général de l'armée de terre vont s'affronter violemment. Comme aucune entente n'est possible, il faut trouver un "arbitre", un chef incontesté et incontestable qui pourra rendre un avis éclairé et qui ne sera pas remis en question. Le maréchal Pétain se voit ainsi confié ce rôle. Le vieux maréchal est plutôt pro-aviation, ayant constaté son efficacité lors de la bataille de Verdun, et ayant dans son entourage plusieurs officiers influencé par les écrits de Douhet : il va donc trancher entre les deux parties, reconnaissant ainsi le besoin d'une aviation indépendante.

La loi du 2 juillet 1934, qui officialise la naissance de l'armée de l'air

C'est ainsi que le 1er avril 1933 est publié un décret qui va créer l'Armée de l'Air" : c'est la première fois que le terme est employé dans un document officiel. L'armée de l'air doit être capable de participer aux "opérations aériennes, ou opérations combinées, avec les armées de mer et de terre". C'est l'acte de naissance de l'armée de l'air. Il crée ainsi une école de l'air, et prévoit un nouvel uniforme pour les aviateurs.

Mais si ce décret signe la naissance de l'armée de l'air, à quoi correspond donc cette date du 2 juillet 1934 ? Excellente question ! Ce décret du 1er avril 1933 est un décret qui donne naissance à l'armée de l'air en tant qu'entité séparée de la marine et de l'armée de terre, mais ne fixe ni son organisation, ni ses règlements.

L'existence de l'armée de l'air est donc établie, mais sur le papier uniquement…et cette position est fragile, les litiges réglés à la hâte ne vont pas tarder à refaire surface ! Le texte d'application fixant l'organisation de l'armée de l'air est soumis le 31 mars, mais ne sera soumis au vote que le 16 novembre suivant en raison des multiples pressions, à la fois au niveau de l'armée, du gouvernement et du parlement.

La suite de la loi du 2 juillet 1934


Le texte ne plait pas, il va donc être corrigé, amendé, rectifié, faire la navette entre les deux chambres et il ne sera définitivement adopté que le 2 juillet 1934 ! Maintenant vous comprenez l'origine de la date du 2 juillet : ce n'est pas le décret de création de 1933 qui a été retenu, mais bien la loi fixant l'organisation générale de l'armée de l'air et son l'organisation territoriale. Cette loi est le véritable acte fondateur sans lequel l'armée de l'air ne saurait exister.

Pierre Cot avait déjà quitté son poste depuis le 19 février 1934 au moment de voter cette loi, c'est le général Denain qui lui a succédé et devra appliquer cette nouvelle organisation. Partageant la même vision que Pierre Cot, il y a une continuité dans la gestion du dossier, assurant ainsi une cohérence bien appréciable pour cet embryon d'armée de l'air encore bien fragile.

Suite et fin du texte originale de loi du 2 juillet 1934


Que contient cette loi ? Elle fixe l'organisation du territoire en cinq "régions aériennes", héritées des régions militaires de l'armée de terre. Chaque région est sous le commandement d'un général qui dépend directement du ministère de l'air, et qui commande les forces "réservées", c'est-à-dire dépendant de l'armée de l'air seule, à différencier des forces aériennes "organiques", qui dépendent encore d'un général de l'armée de terre. De plus, en cas de Guerre, toute cette organisation est chamboulée : de nouveaux commandements "intégrés" verront le jour pour commander directement les forces réservées, sans passer sous la tutelle des régions aériennes.

Cette organisation est complexe et montre combien les aviateurs doivent lutter pour obtenir leur indépendance. Malgré tout, cette loi fixe également les établissements de l'armée de l'air et par là son indépendance organique de l'armée de terre. C'est ainsi que dès novembre 1935, la première promotion de l'école de l'air sera diplômée, fournissant ainsi une nouvelle génération d'officiers qui n'auront connu que l'armée de l'air sans avoir jamais fait partie de l'armée de terre. Cette première promotion sera baptisée "promotion Guynemer"

80 années de tradition...ce lieutenant qui reçoit la croix du combattant est mon grand-père


Les premières années seront cependant difficile pour la force aérienne : si le budget augmente, le prix unitaire des appareils explose : il a été multiplié par 14 entre 1919 et 1938…dans le même temps, le budget affecté à l'aviation a été multiplié par…2 ! Ainsi au moment des accords de Munich, l'armée de l'air n'alignait que 1500 avions, la plupart dépassés. Les efforts pour fournir des appareils supplémentaires ne finiront par aboutir que en 1939, et ce sera malheureusement trop tard : malgré une résistance héroïque, l'aviation de chasse française de 1940 sera balayée par la Luftwaffe…entre appareils dépassés et structure de commandement dépassée, ce n'est qu'après la Guerre que l'armée de l'air pourra trouver un rythme de croisière au gré des différents conflits auxquels la France va participer.

Mais en ce 2 juillet 2014, n'oublions pas que notre armée de l'air fête ses 80 ans, en grande partie grâce à ces deux visionnaires que furent Pierre Cot et Victor Denain.

jeudi 26 juin 2014

Le "Space Plane" d'Airbus

Avion spatial ou vaisseau spatial en forme d'avion ? Depuis 2006, il existe aux Mureaux dans les Yvelines, au milieu des bureaux d'étude dédiés à Ariane 5 et aux missiles balistiques une autre division qui planche sur un nouveau concept, qui ne porte toujours pas de nom en 2014 : on l'appelle tout simplement le "space plane prgram", ou encore "l'avion spatial d'Astrium"

Aujourd'hui, Astrium est devenu Airbus Defence and Space, mais le projet de Space Plane continue lentement. L'occasion de faire le point sur ce programme dont on entend peu parler depuis les annonces initiales au salon du Bourget 2007.

Un projet assez mystérieux...


Quel est le but de cet avion ? 

Les buts de cet appareil sont triples : les vols commerciaux habités, les vol de recherche et le lancement  de mini-satellites. Trois missions très différentes mais faisant appel au même appareil. Est-ce que cet appareil est conçu pour le tourisme spatial ?

Alors, non ce n'est pas du tourisme spatial, c'est du vol habité commercial ! Quelle différence me direz-vous ? En France, il parait que tourisme spatial fait "sport de riche", et que c'est très mal vu, alors que "commercial" fait mieux…sémantique me direz vous, et vous avez raison. Cette dénomination ne pose pourtant pas de problème en Allemagne ou aux Etats-Unis, mais l'exception française nous joue encore un tour !

Le but de cette avion-spatial est donc de faire un vol "suborbital", c'est-à-dire à la frontière de l'espace, mais sans y rester : on ne décrit donc qu'une grande parabole avant de redescendre. Comment est-ce que cela marche ? Est-ce qu'il ne faut pas une énergie colossale pour partir là-haut ?

Pour l'énergie colossale, je vais vous décevoir, mais non, il ne faut pas tant d'énergie que cela : pour aller en orbite terrestre et y rester, il faut accélérer notre objet à 28 000 km/h pour qu'il ne retombe pas. Or le vol suborbital ne demande d'aller à 28 000km/h…il demande d'arriver à 100km d'altitude avec une vitesse de… 0km/h ! En fait, envoyer l'avion en vol suborbital ne nécessite que 4% de l'énergie requise pour envoyer le même objet en orbite terrestre ! Vous voyez, ce n'est donc pas tant que cela ! Autre avantage de cette vitesse nulle une fois là-haut : il y aura peu d'énergie à dissiper, donc peu d'échauffement cinétique lors de la rentrée.

Vue d'artiste du Space Plane au décollage : 1 moteur fusée, et 2 réacteurs conventionnels de chaque côté.


L'avion est équipé de trois moteurs : il possède deux moteurs latéraux qui sont des réacteurs conventionnels, et un moteur fusée de forte puissance fonctionnant à l'oxygène liquide et au méthane. Ce moteur fusée doit être rallumable et réutilisable, ce qui est loin d'être le cas de tout les moteurs fusées qui sont souvent à usage unique. Le fait de mettre au point un tel moteur fusée représente l'un des défis majeurs du programme.

Côté dimension, l'appareil fait grosso-modo la taille d'un Falcon 7X : un jet d'affaire donc, ce n'est pas aussi gigantesque que la navette américaine. Le plan actuel prévoit d'emmener 4 passagers payants et un pilote (oui, un seul, je vais y revenir). Si le "Space Plane" parvient à être certifier comme un avion civil, il pourra décoller depuis n'importe quel aéroport civil, pas besoin d'installations spécialisées coûtant des millions d'Euros : une centrale de conditionnement pour remplir les réservoirs du moteur fusée, ce sera à peu près la seule contrainte.

Après le décollage sur ses deux moteurs conventionnels, l'appareil pourra  monter à une altitude de croisière de 10 000 mètres comme n'importe quel liner civil, et c'est seulement après que le grand voyage commence : après avoir vérifié que tout est normal, le pilote pourra allumer son moteur fusée, faisant ainsi passer la vitesse de Mach 0,8 à Mach 3 en un peu plus de 90 secondes ! L'appareil suivra ensuite une trajectoire balistique qui va l'amener jusqu'à 100km d'altitude où les passagers seront en microgravité pendant quelques minutes.

Microgravité pour tous pendant quelques minutes...

Durant toute cette phase, l'avion aura ses moteurs arrêtés, et suivra une trajectoire balistique. Un système de contrôle par jets, c'est-à-dire des petites tuyères alimentées avec du gaz sous pression, permettront de contrôler l'attitude de l'avion, c'est-à-dire sa position en roulis, tangage et lacet. Ce système est nécessaire car les gouvernes sont inefficaces à très haute altitude à cause de la très faible pression atmosphérique.

La redescente s'effectuera nez devant, l'achauffement étant faible grâce à une faible viitesse (je vous parlais de Mach 3 plus haut, la navette spatiale rentrait à Mach 25 !). Arrivé à 20km d'altitude, il faudra rallumer les moteurs "classiques" pour que l'appareil redevienne un avion tout ce qu'il y a de plus classique. Il pourra ensuite redescendre jusqu'à son aéroport de départ et s'y poser comme n'importe quel jet lambda. L'ensemble du vol aura duré un peu moins d'une heure.

vue du plan de vol prévu

Les projections d'Airbus tablent sur des débuts modestes, mais leur business model prévoit tout de même entre 30 et 50 000 passagers payants 12 ans après la mise en service de l'appareil. Contrairement à ce que l'on pourrait croire, ce nombre ne représente qu'une petite fraction des gens très aisés dans le monde : c'est donc atteignable d'autant plus que le prix du "ticket" sera beaucoup plus modeste que pour un "vrai" vol spatial (plusieurs dizaines de milliers d'euros pour un vol de type suborbital contre plusieurs dizaines de millions pour un vol sur l'ISS.

Pour atteindre ces objectifs commerciaux, Airbus s'attache à concevoir une cabine modulable et confortable. Les sièges développés par la Sogerma répondent à plusieurs objectifs dont la sécurité et la minimisation des efforts ressentis lors de la montée. L'accélération dans toute les phases du vol sera maîtrisé pour être la plus faible et la moins désagréable possible, l'idée principale étant que tout le monde puisse profiter du vol, sans avoir forcément besoin de gens dans une forme olympique, ce qui risquerait d'en dissuader plus d'un. Les fauteuils sont ainsi montés latéralement, et épousent la courbure de la cabine, ce qui laisse un maximum de place pour pouvoir évoluer librement durant la période de microgravité. La cabine est étudiée pour transporter 4 passagers en plus d'un pilote.

Autre maquette...autre configuration...rien n'est encore définitif !


Pour les missions scientifiques au contraire, on cherche à avoir un maximum de place également pour des expériences. L'avion spatial vient combler un trou en terme d'environnement entre les vols paraboliques qui offrent une dizaine de secondes de microgravité et les vols spatiaux qui offrent une dizaine de jours voire de mois…içi on offre une dizaine de minutes, ce qui serait suffisant pour nombre d'expériences. On pourrait aussi imainer des vols d'exploration de la haute atmosphère, domaine peu étudié actuellement faute de moyens fiables de monter à 40 ou 50km d'altitude de manière régulière sans se ruiner. La communauté scientifique possède cependant le "défaut" d'avoir des crédits de recherche assez limités, il n'est donc pas dit qu'ils seront les premiers utilisateurs de l'avion !

Le lancement de satellite présente également un autre challenge. La prolifération à l'heure actuelle de micro et nano-satellite (soit entre 1kg et 100kg offre un défi intéressant. l'existence d'un avion capable de monter à 100km pour les lancer offrirait un nouveau concept très intéressant.

Certains observateurs n'ont pas manqué de critiquer le nouvel appareil, avec principalement deux critiques fortes : la première c'est la présence de trois moteurs alors qu'un seul gros moteur-fusée pourrait faire l'affaire, et l'autre c'est 'absence de capsule de sauvetage.

A la première question on répondra qu'un seul moteur fusée ne permet pas de décoller d'un aéroport civil quel qu'il soit : souvenez-vous de Concorde : trop de bruit, trop de riverains mécontents…imaginez qu'on  lance des avions fusées depuis CDG ? Mauvaise idée n'est-ce pas ! Le but est de fabriquer un avion équipé d'un moteur fusée…et pas un véhicule spatial en forme d'avion !

Autre critique : pas de capsule de sauvetage : encore une fois, est ce qu'un avion possède une capsule de sauvetage ? La réponse est non, car un avion n'est pas un prototype dont le comportement risque de réserver des surprises. Un avion commercial est (en théorie) éprouvé et rodé…il en ira de même pour l'avion spatial : le but est de le certifier et de l'opérer comme un avion civil, pas comme un prototype, donc pas besoin de capsule de sauvetage sur l'avion spatial ! Il faudra par contre prouver qu'il répond aux critères de certification des aéronefs civils, sans parler du moteur fusée qui devra répondre à un autre règlement qu'il faudra mettre au point. Par opposition, Virgin négocie actuellement avec la FAA pour une utilisation de type "licensing" : concrètement, ça veut dire que Virgin fera signer une décharge à tout ceux qui monteront à bord du "Space Ship", mais tout ce que demande la FAA, c'est de protéger les tiers en cas d'accident…le lancement depuis le désert sur un polygone dédié permettra d'assurer cette sécurité sans soucis…

Le but est toujours de ramener l'avion, non de l'alourdir avec des mécanismes de sécurité redondants...


Alors, où en est le développement de cet appareil ?

Lors de son annonce en 2007, certains responsables du CNES avait acceuilli ce projet avec froideur : "il est hors de question que l'on dépense le moindre centime du contribuable pour développer un passe-temps de riche"  lâchera un des haut responsable de l'agence spatiale.

Astrium, aujourd'hui Airbus, s'est donc lancé seul dans cette aventure. Pourtant nous sommes sur un marché qui est encore de type "pionnier" : les industriels n'ont pas les moyens de financer leurs propres développement et de vendre leurs produits après. Airbus à donc besoin d'aide de la part d'entités extérieures, comme Singapour par exemple.

Il y a quelques semaines en effet, Airbus à annoncé avoir réalisé un vol d'essai d'une maquette de l'avion spatial mesurant 2m de long et bourrée de capteurs pour tester le comportement de l'appareil dans les couches basses de l'atmosphère. Le test a eu lieu sur un polygone d'essai des forces aérienne de Singapour, suite à la signature d'un accord de coopération et de financement.

le test de juin 2014 en vidéo

Le planning initial prévoyait le premier vol de l'appareil pour 2012, or force est de constater qu'aujourd'hui rien n'a encore été assemblé…entre temps, les budgets ont été drastiquement réduits pour limiter les effets de la crise sur l'industrie spatiale, les études ont donc été bien ralenties. A l'heure actuelle, on estime que le premier vol commercial du Space Plane pourrait intervenir d'ici 2022, à la condition que les budgets soient maintenus, ce qui n'est pas sûr.

Airbus, qui n'a pas vocation à devenir exploitant devra également trouver des partenaires commerciaux prêts à exploiter cet appareil, Airbus n'étant que l'industriel qui fourni la plateforme. Il reste encore de nombreux enjeux avant de voir le "Space Plane" s'élancer d'un aéroport à l'assaut de l'espace. Est-ce que cet avion est un appareil à la croisée des chemins à même créer son propre marché ? Ou s'agit-il d'un beau défi technologique qui in fine ne débouchera sur aucun marché commercial viable à long terme ? Seul l'avenir nous le dira !

lundi 23 juin 2014

Un KC-135 sur deux réacteurs

On était en Guerre…pourtant rien ne laissait penser que l'équipage de "Balls 13" allait connaître une aventure aussi palpitante, et qu'ils passeraient à deux doigts d'y rester !

Une histoire assez incroyable d'un KC-135 devenu bimoteur par la force des choses...heureusement, l'histoire se termine bien !

Nous sommes en février 1991, en pleine Guerre du Golfe et "balls 13" est un KC-135E, serial 58-0013 (oui, en 1990, un avion fabriqué en 1958 volait encore et il n'était pas le seul !). Le KC-135 est une citerne volante de l'USAF, chargé du ravitaillement en vol des chasseurs et bombardiers. Depuis plusieurs semaines déjà, les équipages vont et viennent en permanence, prenant l'air au gré des urgences et des raids. Le rythme est épuisant pour tous, mais chacun se donne à 200% pour parvenir à tenir le rythme demandé par l'USAF lors de la campagne. L'équipage de "Balls 13" est constitué de quatre hommes : le lieutenant colonel Kevin Sweeney, commandant, le captain Jay Selanders, copiplote, le captain Greg Mermis, navigateur, et enfin le Senior master Sergent Steve Stucki, "boomer", tous sont normalement basés à Grissom AFB.

L'équipage de "Balls 13"


Leur mission est de ravitailler des chasseurs pour un raid de nuit. Ils décollent à bord de "Balls 13" au coucher du soleil, il est alors 17h24. L'avion décolle et monte en altitude sans encombre, mettant le cap sur sa zone de ravitaillement.

Aux commandes dun KC-135E


L'appareil traverse alors quelques turbulences, rien de grave, jusqu'à un moment précis qu'aucun des membres d'équipages n'est prêt d'oublier : l'appareil part soudainement hors de contrôle comme si un marteau géant venait de le frapper, oscillant dangereusement alors que les pilotes se débattent au commandes, sans avoir l'impression de contrôler quoi que ce soit…l'appareil passe presque sur la tranche avant de repartir en sens inverse, le tout avec une intensité et une force inouïe, le nez passant en une seconde de +20 à -20 degrés, avant de repartir dans l'autre sens…

Le colonel Sweeney n'a pas besoin de regarder ce qui se passe : il sait qu'il est en train de tomber en chute libre…heureusement son entrainement lui revient : il ouvre les aérofreins en grand…et miracle, ça marche ! Heureusement pour lui, l'appareil n'est pas passé sur le dos, ce qui aurait sans doute été fatal. Il vient de dépasser le taux de roulis qui est de 45° par seconde au maximum d'après le manuel : son appareil à survécu à un roulis de 90° par seconde !

à bord d'un KC-135E


Progressivement Sweeney et Selanders arrivent à reprendre le contrôle, lorsque les deux voyants incendie s'allument pour les deux moteurs situés sous l'aile gauche. Sweeney sent que l'appareil est lourd, et il pique du nez pour prendre de la vitesse, tout en actionnant les extincteurs…et rien ne se passe ! Stucki, le "boom operator" part à l'arrière pour regarder ce qui se passe…avant de faire son rapport par radio "Les moteurs ne sont pas feu…ils ne sont plus là, ils ont disparu !".

Les deux moteurs de l'aile gauche ont été arrachés par la violence des turbulences…"Balls 13" est devenu bimoteur. Le pilote vidange rapidement son carburant pour s'alléger au maximum, mais la situation est tendue : de nuit avec un appareil à peine contrôlable et au dessus du territoire ennemi, il y a mieux comme manière de passer sa soirée.

La vue "normale" sur l'aile gauche, avec deux moteurs bien accroché sous les ailes...


"Mayday, Mayday", l'équipage demande une approche directe sur le premier terrain contrôlé par la coalition, situé à 15 minutes de vol. L'appareil reste contrôlable, même si cela demande la concentration des trois pilotes à 200%..et ils vont tenter un atterrissage. Pour cela il faut descendre le train atterrissage, mais comme les deux moteurs ont été arrachés, il n'y a plus assez de pression hydraulique pour descendre le train : il faut le descendre à la main comme les bombardiers d'antan.

"Stucki, combiende temps pour descendre le train" demande Sweeney, "7 minutes mon colonel"…"on en a pas 7, on en a que 3" sera la réponse du commandant. Stucki ne se laisse pas démonter et répondra avec toute l'assurance du professionnel qui connait son avion : "ce sera fait dans trois minutes !"

Une aile bien nette...


Trois minutes plus tard, le train est descendu, et "balls 13" termine son vol sur la piste d'un terrain sommaire, mais sur ses roues. Le travail d'équipe entre tous les membres d'équipage à payé : l'appareil est entier au sol (si l'on excepte les deux moteurs). L'appareil est sauvé, l'équipage aussi, et c'est un véritable exploit : personne n'avait jamais posé de 707 avec deux moteurs physiquement absents !

Un des deux moteurs sera même récupéré comme souvenir !

L'USAF reconnaissant la bravoure et la maîtrise de l'équipage, décide de leur attribuer des médailles : une commission de l'USAF attribue ainsi trois "Distinguished Flying Cross" et une "Air Medal" aux quatre membres d'équipages. Etrangement, Stucki, le "boom operator" qui est aussi le seul non officier de l'équipage se voit attribuer une "Air Medal", belle décoration mais aussi beaucoup moins prestigieuse que la DFC, attribuées aux trois officiers ! Dave Stucki est pourtant celui qui a réussi à baisser le train principal en trois minutes au lieu des sept minutes du manuel…

La Distinguished Flying Cross


Devant cette injustice, les officiers vont faire bloc : ils vont alors refuser la médaille qu'on leur attribue. Après une année de procédure et une rencontre avec un général quatre étoiles, l'injustice sera réparée, et les quatre hommes recevront sur le même podium et le même jour la même médaille : la "Distinguished Flying Cross", marquant ainsi leur bravoure au cours de cette mission qui failli bien être leur dernière !

jeudi 19 juin 2014

Le C-141 "Starlifter" (2/2)

Les premiers C-141 produits entament un grand marathon de tests pour l'USAF. Avant même d'attendre le résultat de tous les premiers essais, la production bat son plein chez Lockheed : il sort un C-141 tous les 3 jours de l'usine ! Une deuxième série d'appareils seront affectés à l'US Air Force dans le cadre du programme "Lead the Force". Ces C-141 seront livrés rapidement, et subiront un planning de vols accélérés pour engranger un maximum d'heures de vol en un minimum de temps. Ce vieillissement accéléré grandeur nature va permettre de déceler les petites faiblesses de l'appareil et d'y remédier avant que la majorité de la flotte n'atteigne le même nombre d'heure.

Certains appareils voleront beaucoup plus que la moyenne...


Si tout se passe bien pour la mise en service au sein de l'USAF, il n'en va pas autant de la version civile : il n'existait à l'époque aucun marché pour un avion cargo spécifique de cette taille. Malgré une campagne publicitaire agressive, Lockheed ne vendra pas un seul appareil à une compagnie civile : le L300 (désignation du C-141 civil) sera fabriqué à un seul exemplaire. Comme personne n'en veut, la NASA finira par l'acheter pour le transformer en télescope volant, le "Kuiper Airborne Aerial Observatory".

Le C-141 entre en service opérationnel début 1965 à Travis, Charleston et Dover. Le premier appareil livré à Travis est le fameux "Golden Bear",le 53-8088, livré en avril 1965. Le "Starlifter" va rapidement connaître son baptême du feu : dès la fin 1965, il entame une série de missions de ravitaillement à Saïgon au Vietnam. Au 31 décembre 1965, l'USAF possède 65 "Starlifter" en service.

Gros plan sur la planche de bord


1966 sera l'année de montée en régime : le C-141 va larguer des parachutistes à travers tout le pays, transporter de plus en plus de cargo, et réaliser sa première mission à McMurdo, devenant ainsi le premier "jet" à ravitailler la station en antartique. Le C-141 sera d'ailleurs un visiteur régulier à McMurdo tout au long de sa carrière (ce n'est qu'en 2002 que le C-17 pourra le remplacer). Fin 1966, il y a 164 C-141 en service. Au total 284 C-141A seront livrés au MATS.

Cockpit du C-141B

C'est au Vietnam que le C-141 va s'illustrer le plus : tout au long du conflit, il va ravitailler le pays sous le nom de "red ball express" un rappel aux route d'approvisionnements pendant la Seconde Guerre Mondiale, à la différence près que cette fois le ravitaillement utilise des C-141 à la place des camions ! Les "Starlifter" vont ainsi ravitailler tout le sud-est asiatique pendant près de 11 ans.

La flotte de C-141 se rendra rapidement indispensable...

La peinture des avions évoluera au fil du temps : le finish aluminium sera remplacé vers 1970 par les couleurs du MATS : gris sur le bas du fuselage et blanc sur le haut. Cela permettait de réduire la température à l'intérieur de l'appareil, et surtout le protéger de la corrosion. Au début des années 80, il sera décidé de camoufler tous les C-141 avec le thème "European one", puis à la fin des années 90, il sera décidé de repeindre toute la flotte en gris foncé, pour un look moins guerrier et plus discret…

La livrée du MATS et la livrée European One


Tout au long de la Guerre du Vietnam, les C-141 auront deux rôles importants : le premier était de ramener les corps des soldats tués "à la maison", via Travis AFB. Les C-141 rentraient souvent à Travis avec à bord dix palettes contenant des cerceuils recouvert d'un drapeau américain. L'autre mission plus joyeuse, et mieux médiatisé, était le "hanoï Taxi", le retour des prisonniers de guerre aux Etats-Unis, certains ayant passé plusieurs années voire même une décennie en captivité. Ces derniers n'avaient d'ailleurs jamais vu de "Starlifter" de leur vie, et se demandaient si ces appareils n'étaient pas des avions soviétiques déguisés !

Les corps des 7 astronautes morts dans l'explosion de la navette Challenger feront leur ultime voyage à bord d'un C-141B.


En 1973, la guerre d'octobre débute entre l'Egypte et la Syrie contre Israël. Les américains ont besoin de soutenir Israël qui a désespérément besoin de renfort, mais les pays européens interdisent aux avions américains de se poser sur leur sol. Seuls les C-5 Galaxy, peuvent atteindre Israël…mais pas le "Starlifter" qui n'est pas ravitaillable en vol. Finalement l'Espagne donnera son autorisation aux américains, et les C-141 pourront également venir ravitailler Israël…mais la situation a été très tendue pour les Etats-Unis. Pour la première fois le C-141 est exposé au feu : les "Starlifter" sont vulnérables aux chasseurs égyptiens à leur approche d'Israël, ils devront être escortés par des chasseurs à chaque vol.

Malgré une mission couronnée de succès, iI faut faire quelque chose pour donner une allonge aux "Starlifters". Ainsi commence le programme YC-141B, qui vise à "allonger" les C-141 et les équiper d'un réceptacle de ravitaillement en vol. Le premier appareil modifié vol début 1977, mais il faudra attendre 1979 pour que les premiers C-141 A de première ligne commencent leur modernisations en C-141 B

L'avant des C-141A (à droite) et C-141B (à gauche)


Les C-141 sont donc convoyés chez Lockheed, avant d'être découpés et rallongés par l'ajout de deux "greffons", un de chaque côté des ailes. Pourquoi cet allongement ? Depuis le Vietnam, les responsables du MATS sont conscients que le C-141 est trop petit : sa soute est souvent complètement remplie alors qu'il n'a pas encore atteint son poids maximum : il y a donc perte de capacité de transport. Rallonger l'appareil permettra ainsi de le remplir davantage pour atteindre son poids maximum. L'ajout du réceptacle de ravitaillement va rajouter une "bosse" sur le dos, caractéristique du C-141B. 270 avions seront ainsi modifiés : tous sauf les quatre NC-141A d'origine…et 10 qui avaient déjà été détruits à cette date ! Le travail était rapide : il fallait 64 jours pour modifier un appareil, plutôt rapide quand on sait qu'il fallait commencer par le couper en trois morceaux !

La livrée "European One", la plus sinistre de toutes...on notera le réceptacle de ravitaillement en vol au dessus du cockpit


Le 29 juin 1982, le dernier C-141 est transformé : il n'y a plus que des C-141B en service à cette date…et un nouveau baptême du feu ne va pas tarder : en 1983, les Etats-unis envahissent la Grenade, et la 82ème division aéroportée est amenée au sol grâce aux C-141B. En 1989, nouvelle opération : cette fois c'est Panama pour l'opération "Just Cause" : le 504th PIR de Fort Bragg est parachuté sur Panama, grâce aux "Starlifter"…et surtout grâce à sa capacité de ravitaillement en vol ! Il s'agissait du premier saut en zone de guerre depuis la deuxième Guerre Mondiale.

Le C-141 s'illustrera également à Panama grâce à sa capacité de larguer des charges volumineuses…plus précisément des tanks (légers, certes, mais blindés tout de même !). Pas moins de 8 tanks "Sheridan" seront largués en parachute depuis la soute de C-141, fournissant un appui crucial aux parachutistes sur place !

Et son rôle ne s’arrêtera pas là : le "Starlifter" s'illustrera également En Irak en 1990 puis 2003, mais aussi en Afghanistan et dans les Balkans. Appréciés des pilotes pour leur rusticité et très apprécié sur le terrain pour leur quasi-autonomie pour le chargement/déchargement, le C-141 participera tout au long de sa carrière à de nombreuses opérations diplomatiques et humanitaires, non sans risques : un "Starlifter" sera la cible de rebelles en Afrique, mais rentrera moyennant quelques trous, et lors d'un autre incident, un C-141 ayant reçu de mauvais code diplomatiques sera intercepté par des Mirage près de Djibouti…heureusement les pilotes français savent réfléchir avant de tirer, et l'incident sera vite résolu !

Dans les dernières années, les C-141 seront toujours autant sollicités !


A la fin des années 90, les C-141 vieillissent…conçu pour une durée de vie de 30 000 heures, la flotte a déjà volé plus de 25 000 heures pour beaucoup…il faut un remplaçant, qui commence à prendre forme : ce sera le C-17 "Globemaster III". Le C-17 tire parti de l'expérience du C-141 tout en incorporant des éléments beaucoup plus modernes, notamment pour lui assurer des atterrissages et décollages courts…mais le programme prendra beaucoup de retard, et l'USAF devra garder ses fidèles C-141 pendant encore plusieurs années !

Les appareils vieillissent, et des criques de fatigue commencent à apparaître sur l'emplanture des ailes. Avec les retards du C-17, il faut faire quelque chose, et l'USAF va devoir faire la même chose que sur ses C-5 "Galaxy" : refaire une section centrale pour fixer les ailes : 63 C-141B devront ainsi recevoir une "center wing box" toute neuve, et au passage, ils recevront également un cockpit modernisé avec des écrans à affichage numérique : ces 63 appareils deviendront ainsi des C-141C. Les modifications auront lieu entre 1997 et 1999.

Il ne restera rien du F-16 ou de l'avant du C-141 après l'accident de Pope AFB...


Conçu à la base pour une vie de 30 000 heures, la moyenne de la flotte sera de 37 400 heures, si on excepte les 21 avions détruits (dont un qui sera détruit dans un incendie après seulement 53 heures de vol !). Sur les 21 avions détruits, aucun accident ne sera lié à la conception de l'avion. On notera également un incident spectaculaire et mortel à Pope AFB en 1994 : un F-16 en approche rentre en collision avec un C-130..le pilote s'éjecte, mais le F-16 hors de contrôle s'écrase sur un C-141B rempli de carburant avec des parachutistes à bord qui se préparaient à partir en mission. Il y aura 28 morts et plus d'une centaine de blessés, la plupart gravement brûlés.

Les deux C-141 de Dover cote à cote...


2003 arrive, et les premiers C-17 peuvent enfin entrer en service, permettant aux C-141B à bout de souffle de pouvoir partir à la retraite. Les C-141C feront l'intérim en attendant la montée à pleine capacité du C-17, ce qui arrive en 2006. Les C-141 sont alors pour la plupart envoyés dans le Boneyard de Tucson pour être stockés puis démantelés. Le dernier vol d'un C-141 a lieu le 6 mai 2006 : le "Hanoï Taxi" est convoyé jusqu'au musée de l'USAF de Dayton, où il se trouve toujours, marquant ainsi la fin de 43 années de service bien remplies !

Le "Hanoi Taxi" est au musée de Dayton

lundi 16 juin 2014

Le C-141 "Starlifter" (1/2)

Pendant plus de 40 années, il a sillonné les cieux du monde entier : il a ramené les prisonniers de Guerre du vietnam, transporté des milliers de soldats au front, sans oublier d'en ramener un nombre impressionnant dans des hôpitaux. Il a ravitaillé toutes les bases américaines les plus difficiles d'accès sur les six continents…pourtant peu de gens aujourd'hui connaissent son nom : il s'agit du C-141 "Starlifter". Premier avion de transport militaire équipé de turboréacteurs, il a fait passer l'USAF dans l'ère du transport de masse.

L'histoire de cet appareil qui est resté la cheville ouvrière de l'USAF pendant quatre décennies commence à la fin des années 50.

Il a silloné les cieux pendant plus de 40 ans pour l'oncle Sam : le C-141 "Starlifter"
En 1958, le général William Tunner est nommé commandant du MATS, le Military Air Transport Service, c'est-à-dire la branche transport militaire de l'US Air Force. Un grand débat faisait rage à cette époque : faut-il oui ou non remplacer les avions de transports lourds comme le C-124 "Globemaster" ou le C-133 "Cargomaster" par des avions plus gros et équipés de réacteurs ? Pour beaucoup la réponse est non : en cas de crise, l'USAF peut compter sur la coopération des compagnies civiles qui disposent d'une flotte d'avions de transport de passagers modernes et confortables, sans oublier des flottes d'avions cargo : le MATS n'a donc besoin que d'une flotte réduite d'appareils pour les besoins de temps de paix, mais c'est tout.

Le général Tunner ne voit pas les choses de cet œil : il est convaincu que les appareils civils ne sont pas adaptés au transport militaire : ils sont conçus pour opérer depuis de  larges pistes d'aéroport civils, avec des moyens de maintenance et  de manutention lourds. Turner est convaincu que ce qu'il faut à l'Air Force c'est un camion rustique, capable de se poser sur des terrains non préparés, même sur la glace si il le faut, avec des rampes de chargement utilisables facilement sans aucun moyen extérieur : un C-124 "Globemaster" amélioré, bénéficiant d'une motorisation à réacteurs lui donnant ainsi une capacité d'emports et une distance franchissable dont ne disposait aucun appareil à l'époque.

La lettre de Lockheed pour son offre de ce qui allait devenir le C-141


C'est ainsi que l'USAF émet une fiche programme pour un appareil à ailes haute et plancher bas capable de transporter 35 tonnes de fret sur 10 000 kilomètres en se posant sur une piste en terre. Le programme avance à pas de fourmis : il n'y a pas de budget, le besoin semblant "superflu" par beaucoup, dont le congrès qui ne veut pas financer de nouvel appareil. Le cri d'alarme des militaires sur la faiblesse des moyens de transport lourds sera cependant entendu par un homme, et pas n'importe lequel : John Kennedy, nouvellement élu prend le problème à bras le corps, et annonce son intention de moderniser la flotte du MATS.

Un appareil résolument moderne

Le 1er juillet 1960, une résolution est votée au congrès, qui donne 310 millions de dollars à l'USAF pour la création d'un nouvel appareil de transport lourd. Les choses bougent enfin pour remplacer la flotte du MATS ! L'appel d'offre est lancé aux industriels dès le 21 décembre 1960. Douglas, Convair, Boeing et Lockheed vont faire des offres. Après analyse des propositions, le président Kennedy annonce le vainqueur le 13 mars 1961 : Lockheed, avec un appareil quadrimoteurs à ailes hautes et en flèche pour un prix de 4 millions de dollars par appareils. L'annonce est une surprise car traditionnellement c'est Douglas qui fournissait l'USAF en avion de transport…mais leur proposition est plus conventionnelle et offre moins de performances.

Le "Starlifter" prend forme petit à petit

Le nouvel appareil reçoit la dénomination de C-141, et sera baptisé le "Starlifter". Lockheed se lance alors dans le processus de développement, et va alors prendre une décision inhabituelle pour l'époque : il demande à faire certifier son noivel appareil à la fois par les autorités militaires et civiles, ouvrant la voie à la vente d'une version civile du "Starlifter".

La production est lancé à Marietta en Géorgie, au sein de l'USAF Plant 6 (un atelier n'appartenant pas au constructeur mais à l'USAF). Pourtant de nombreux sous-ensembles ne sont pas fabriqués par Lockheed, mais par des sous-traitants : AVCO fabrique les ailes dans le Tennessee avant de les envoyer par voie ferrée à Marietta, General Dynamics fabrique l'empennage etc..

L'empennage est particulièrement haut, dégageant ainsi la soute pour le chargement

Le moteur utilisé sur le "Starlifter" n'est pas un moteur nouveau : il s'agit du TF-33, une version développée à la fois pour les B-52, les KC-135, les VC-137 et d'autres appareils encore. Montés sous les ailes dans des nacelles rappelant vaguement la disposition des 707, mais avec une aile beaucoup plus haute, l'appareil acquiert cette silhouette basse qui le caractérise vue de face.

On peut dire que l'appareil emprunte les ailes haute du 707, le plancher bas des C-130 avec les portes de soute en pétale du C-133 "Cargomaster" permettant de le charger "ras la gueule" et de pouvoir quand même fermer la soute. La dérive en "T" est une spécificité Lockheed qui permet d'éloigner le plan fixe horizontal du sol et diminue les chances de l'abîmer lors du chargement.

La soute est dégagée de tout obstacle...


Autre innovation, les "kits". Le C-141 a été conçu dès l'origine pour être modulable en fonction de sa mission à accomplir. Pas moins de 19 configurations seront demandés par l'Air Force, allant du cargo pur à l'évacuation médicale ou le transport de passager et même les vols VIP ! Chaque kit est configuré dans des conteneurs qui sont déployables sur les bases avancées, ce qui permet de changer la configuration d'un C-141 'à la demande', y compris sur un théâtre d'opérations : un appareil peut ainsi transporter du cargo sur une destination lointaine avant d'être configuré en hôpital volant pour le vol de retour, le tout en à peine quelques heures.

La soute en mode "parachutistes"


Le premier C-141, le 61-2775, sort des usines le 22 Août 1963. Pour la petite histoire, c'est le président Kennedy qui en appuyant sur un bouton depuis le bureau oval va déclencher par télécommande l'ouverture de la porte du hangar de Marietta ! Une première démonstration de chargement est faite ce jour là : à la fin de la cérémonie, les portes arrière s'ouvrent, et une file de 10 "jeeps" descendent de l'appareil ! Le C-141 a été développé selon le plan Cook and Craigie : le premier appareil est donc un exemplaire de série, il n'y aura pas de prototype. Ce premier appareil est officiellement accepté par l'USAF le 28 Août.

Le premier C-141A produit, aujourd'hui à la retraite !

Hélas, le président Kennedy ne verra jamais le "Starlifter" voler : il est assassiné le 22 novembre, et le premier vol intervient le 17 décembre de la même année. Pour préparer ce premier vol, les employés de Lockheed et les techniciens de maintenance de l'USAF ont du travailler de concert, 7 jours sur 7 en faisant les trois huit. Enfin le 17, Léo Sullivan peut faire décoller le premier C-141 "Starlifter" du sol, le jour même du 60ème anniversaire du premier vol des frères Wright ! Le  vol de 55 minutes se passe sans anomalie, même si le train n'est pas rentré par précaution.

Poste du mécanicien navigant, bien encombré !

Ce premier C-141 est peut-être un appareil de série, pourtant il passera sa vie comme  appareil de test tant chez Lockheed que l'USAF. Il est aujourd'hui exposé à l'Air Mobility Command Museum.  Lui et trois autres appareils passeront leur vie comme appareil d'essais et seront désignés NC-141A, ils ne seront jamais convertis en C-141B ou C.

Vue éclatée de l'appareil.


En attendant l'entrée en service de l'appareil, ce seront ces quatre appareils qui vont engranger tous les vols d'essais, aussi bien chez Lockheed en Géorgie qu'à Edwards au sein de l'USAF. Le C-141 numéro 7 partira également à Eglin en Floride au laboratoire McKinley pour des essais en températures extrêmes.

L'USAF réceptionne son premier "Starlifter" en Août 1963


Pour économiser du poids et du temps, l'USAF demande ne ne pas peindre les appareils, ce qui était courant à l'époque : ils sont donc livrés couleur aluminium avec juste les insignes règlementaires. Des problèmes de corrosion finiront par avoir raison de cette philosophie et les appareils seront peints !

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jeudi 12 juin 2014

Le Gulfstream qui se prenait pour une navette spatiale

Quel est la différence entre un Gulfstream et une navette spatiale ? La navette spatiale ne pense pas qu'elle peut voler comme un Gulfstream !

Une descente plutôt sportive pour ne pas dire plus.

Descendre de 8400 mètres au sol en un peu plus d'une minute, avant de se poser, après avoir ouvert les "reverse", inverseurs de poussée, en plein vol, demandez à n'importe quel pilote, il vous dira que le fait de penser à une telle chose est déjà de la folie…et pourtant, pendant plus de trente ans, de nombreux pilotes l'ont fait de manière quasi journalière, à bord d'avion d'affaires modernisés : les STA ou "Shuttle Trainer Aircraft"

Au milieu des années 70, la mise au point de la navette spatiale bat son plein. Rapidement, les ingénieurs de la NASA vont se rendre compte que la phase la plus délicate du vol reste l'atterrissage, et qu'il faut trouver un moyen d'entrainer les pilotes avant le vol, car aucune simulation ne peut reproduire parfaitement les sensations de l'atterrissage.  Il n'est pas question bien sûr d'utiliser une vraie navette pour ces approches, et la NASA pense donc utiliser un de ses appareils qui possède déjà l'avantage de posséder deux cockpits : le Boeing 737 numéro 1.

Le 737 numéro 1...trop cher !


Mais rapidement, la NASA se rend compte que cette solution n'est  pas viable : devant le nombre de vols envisagés, il faudrait au moins trois appareils identiques, et ils voleraient autant que des appareils commerciaux tout en étant soumis à un stress beaucoup plus important. Financièrement, la solution 737 n'est donc pas envisageable, surtout dans un contexte de crise pétrolière et d'envolée du prix du carburant. Il faut trouver autre chose.

Le Gulfstream II


Le choix de la NASA se pose donc sur un jet d'affaire qui pourra "encaisser" des descentes aussi brutales que celles de la navette, tout en étant moins chers de l'heure de vol : le Gulftream II, dont la NASA va acquérir quatre exemplaires qu'il va falloir modifier.

Gulfstream II vs navette...une belle différence de taille


La structure extérieure de l'appareil est renforcée pour survivre à la violence des approches, et le cockpit entièrement reconstruit : toutes les commandes de vol du Gulfstream sont placées à droite pour qu'il soit pilotable à une personne, et une réplique du cockpit de la navette est construite à gauche. Quand je dis réplique, c'est très proche de la vraie navette : la vision est la même, et on trouve une planche de bord et même les sièges de la navette. Les astronautes peuvent s'entrainer en bras de chemise, mais souvent ils s'entrainent en portant la "pumkin suit", la combinaison orange qu'ils utilisent lors de l'atterissage de la navette, afin d'être dans les mêmes conditions  que pour un vrai vol.

Le cockpit du STA, navette à gauche et avion classique à droite (ici avec le cockpit "écrans plats" de la navette).
Les quatre appareils ainsi modifiés sont basés au dépôt d'El Paso, actuelle maison du Super-Guppy de la NASA. L'équipage du STA est au minimum de trois hommes : un pilote, un ingénieur de vol et l'élève, futur pilote ou commandant de navette. Les simulations se font sur la piste de White Sands ou directement sur celle du centre spatial kennedy.

L'entrainement à bord du STA est plus qu'intensif, avant un vol de navette, son commandant aura effectué plus de 800 approches (au minimum !) avec cet appareil d'entrainement, souvent à raison de dix approches par vol, contrairement à la navette qui ne possédant aucun moteur lors de l'approche n'a le droit qu'à un seul essai !

La première mouture du STA utilisait les commandes d'origine de la navette, avec les écrans cathodiques monochromes
En revanche, si la navette à largement été décrite comme une "brique volante", il en va tout autrement du Gulfstream qui possède des qualités de vol très agréables comme on peut s'y attendre d'un avion d'affaire. Manœuvrable et bon planeur, il faut détruire toutes ces qualités pour faire une brique d'un gulfstream !

Pour obtenir cela, il faut avant  d'entamer la descente :

  • Sortir le train principal
  • Actionner les inverseurs de poussée
  • Descendre les volets
Comment transformer un bel avion en brique volante ?

Tout ceci ne prend que quelques secondes, le temps d'actionner quelques boutons. Soudainement votre tête semble plus légère avant que ne débute la descente qui ressemble plus à une chute contrôlée. Le résultat est spectaculaire : il faut neuf minutes de vol pour monter à 9000 mètres et juste une minute pour en descendre…avec une pente sept fois supérieure aux avions commerciaux : presque 20° de descente, le tout à une vitesse de presque 600km/h, c'est un peu effrayant à voir, et pourtant tout est sous contrôle. Un rapide coup d'œil par les hublots latéraux montre l'horizon incliné plus que raisonnable…le manque d'habitude sans doute !


Dans le cockpit, on ne voit plus du tout le ciel, que le sol, et il se rapproche de de seconde en seconde… L'astronaute ne commande pas l'avion directement : ses commandes sont reliées à l'ADAS ou "Advanced Digital Avionics System", un ensemble d'ordinateurs qui reproduisent le modèle de vol de la navette dans les moindres détails. Ils sont couplés au "Direct Lift Control", un calculateur qui commande les reverse des moteurs et les volets lorsque l'avion est en mode "navette". La partie "Shuttle" du cockpit répond ainsi aux sollicitations du pilote, en lui donnant sa vitesse, son altitude et surtout son "HUD", le Head-up Display, afficheur tête haute situé devant le pilote, bien différent d'un modèle d'avion commercial.

En tenue, il ne manqe plus que le casque !


La pente de 20° est ce que l'on appelle l"Outer Glide Slope", c'est une descente directe qui vise un point imaginaire à 2km avant le début de la piste. À 500 mètres du sol, il est temps de redresser : la pente n'est plus que de 1,5° lorsque l'appareil passe à 90 mètres du sol : c'est l'"Inner Glide Slope". 

La roulette avant du STA n'est pas sortie en début de run à cause des contraintes aérodynamiques, mais elle est sortie lorsque l'appareil est à 50 mètres du sol, non pas pour se poser, mais juste pour éviter un accident. Il faut en effet savoir que sur la navette, le cockpit est situé à presque 6 mètres du sol…alors que le cockpit du Gulfstream est situé à 2 mètres à peine. Le STA ne va donc pas se poser, mais va juste "simuler" le Touchdown, en volant au niveau de la piste à 5 mètres du sol, pour donner à l'élève la vue correcte qu'il aura aux commandes du "Shuttle". Si la vitesse est bonne de même que l'altitude, un voyant vert s'allume sur la planche de bord indiquant à l'élève qu'il s'est posé sans casse !


Le STA remonte donc la piste, et lorsque c'est bon, le "vrai" pilote reprend les commandes, rentre les volets et remet les gaz avant de remonter…c'est parti pour un nouveau "run" ! Le STA ne doit normalement jamais se poser lors d'une approche simulée de navette, et lors de chaque vol, l'élève peut faire jusqu'à 10 "run" en mode navette, avant que l'instructeur ne revienne poser l'appareil.

Les quatre appareils utilisés par la NASA étaient : N944NA (sn144), N945NA (sn118), N946NA (sn146) et N947NA (sn 147). Ils sont actuellement en attente de trouver une place dans des musées ou sur des sites de la NASA.

La famille STA au grand complet
Tout au long de leur carrière, les STA ont été basés à El Paso, les équipages de la NASA faisant le déplacement en T-38 pour la journée, le temps de faire une dizaine d'approche, avant de repartir à Houston le soir. Pour des entrainements plus réalistes, la NASA envoyait un STA ou deux au centre spatial Kennedy, permettant ainsi aux astronautes de s'entrainer aussi sur la "vraie" piste de la navette afin de se familiariser avec l'approche et le terrain. C'est ainsi que le dépôt d'El Paso à joué un rôle crucial pour l'entrainement des astronautes tout au long du programme de la navette spatiale, pendant plus de 30 ans. La presse n'en a pas souvent parlé, mais les témoignages de remerciements des astronautes envers le staff d'El paso sont accrochés sur les murs…et il y en a beaucoup ! On estime que les astronautes ont pratiqués près de 100 000 approches depuis les débuts de la navette.

De jour comme de nuit, les équipes de la NASA étaient à pied d’œuvre pour l'entrainement des astronautes

Avec le départ des STA, il ne reste que le Guppy et les T-38 à El Paso