lundi 3 février 2014

L'épopée du "Comet" (1/2)

Après avoir vu successivement le comité Brabazon d'un côté et l'histoire de l'Avro "Jetliner", il est temps de s'intéresser au premier avion de transport à réaction civil, le DH-106, plus connu sous le nom de "Comet".

Le DH-106 "Comet"


Même si son nom est lié à la tragédie dont il sera victime, il n'en occupe pas moins une place importante dans l'histoire de l'aviation mondiale, ayant été le premier à prouver que des passager pouvaient voyager à bord d'un avion pressurisé équipé de turboréacteurs.

Les origines du "Comet" remontent à la fin 1943. Sir Geoffrey de Havilland, président de la société portant son nom réunissait ses chefs de départements une fois par semaine, toujours à 15h15, heure du thé. Le comité réunissait entre autre Richard Clarkson, aérodynamicien en chef, Ron Bishop, le concepteur en chef, et C.C. Walker, son ingénieur en chef. Le but de ces réunions était d'avoir un échange informel sur les projets en cours et à venir de la société. De nombreuses discussions étudiaient la propulsion par réaction, et c'est ainsi que vers la fin  1943, C.C. Walker annonce qu'il est possible de réaliser un avion à réaction de transport de passagers.

Sir Geoffrey de Havilland, qui siège alors au sein du comité Brabazon, va insister pour inscrire un appareil de transport à réaction dans les recommandations du comité. C'est ainsi que le "Type IV" sera ajouté, demandant un avion de transport de courrier et ou de passager capable de transporter une tonne de charge utile.

L'évolution du "Comet", de l'avion postal transatlantique au transporteur de passagers


De Havilland se lance donc dans l'étude d'un nouvel appareil révolutionnaire. Les premières ébauches sont assez inhabituelles : un appareil de petites dimensions, avec trois réacteurs en triangle à l'arrière, et surtout une voilure avec un empennage canard à l'avant, des ailes en arrière..et pas d'empennage horizontal arrière ! La formule à de quoi surprendre, mais les ailes sont encore droites. Un contrat est signé dès février 1945 sous le nom de DH-106. L'appareil est alors considéré comme le contrat le plus risqué, car tout est nouveau sur cet appareil.

En mai 1945 : Ronald Bishop et Richard Clackson partent en Allemagne, pour décoder les trouvailles aéronautiques allemande que les alliés viennent de découvrir. C'est ainsi que les deux hommes vont se trouver face à des projets d'avions à aile en flèche…et les deux hommes comprennent tout de suite l'avantage de cette formule : le nouvel appareil, baptisé DH-106 va donc incorporer une aile en flèche à 20°, encore jamais vu à l'époque. Un fuselage large, capable de transporter 36 passagers par rangées de 4 avec une allée centrale : l'avion moderne est en train de naître.

Le DH108 "Swallow"

Mais l'aile en flèche suscite encore bien des interrogations. De Havilland décide alors de construire un démonstrateur pour prouver le bien-fondé de la formule : ce sera le DH-108 "Swallow", un appareil dérivé du "Vampire", auquel on a coupé les ailes et les deux poutres arrières, remplacées par une gouverne verticale et deux grandes ailes en flèche. Le but de cet appareil était double : tester la voilure du "Comet" et en même temps battre le record de vitesse établi par le Gloster "Meteor". Clarckson voulait obtenir plus de données à partir d'essais en soufflerie, mais hélas, il n'en aura pas le temps : le 27 septembre 1946, Geoffrey de havilland Junior, le fils du fondateur, perd la vie dans le crash du D.H. 108, suite à un vol à basse altitude qui avait entrainé des oscillations qui n'étaient pas récupérables. Malgré cette tragédie, le DH 108 prouve le bien fondé de l'aile en flèche, mais l'absence de stabilisateur n'est pas retenu : le travail sur le DH 106 continue, avec des ailes en flèche et un gouvernail "classique".

L'appareil est nommé "Comet" en décembre 1947. Côté motorisation, le réacteur envisagé, le Rolls Ryce "Avon" n'est pas prêt : il faut lui substituer un réacteur par intérim: ce sera le Halford "Ghost". Quatre moteurs sont ainsi implantés à la base des ailes, profondément intégrés dans la structure.

La grande nouveauté : les moteurs (ici un Comet 4, plus tardif)


Comme le Comet comporte de nombreuses innovations, il faut tout tester, encore et encore. Les trois crashs de 1954 donneront l'impression que le Comet est un avion révolutionnaire mis en service à la hâte sans avoir été testé…mais en réalité, ce n'est pas le cas : le Comet a été l'un des appareils le plus testé de sa génération. La période 1947 - 1948 sera une période de tests intensifs : pressurisation, train d'atterrissage, résistance structurale : tout est testé et analysé en détails.

Durant cette période, de nombreuses propositions sont rejetées : décollage assisté par moteurs fusées, injection d'ammoniac dans les moteurs au moment du décollage, ravitaillement en vol qui semblait loin d'être au point. Dans le même temps, un bombardier "Lancaster" sera équipé de deux réacteurs "Ghosts" pour tester le moteur en conditions de vol. de Havilland devra également tester le train d'atterrissage : de modèle tricycle, il s'agissait d'une première en Grande Bretagne. On va donc construire un modèle du train du Comet sur un bâti spécial, un bâti de camion sur lequel sera monté le train du Comet, surmonté de deux sièges pour les conducteurs. Sir Geoffrey lui-même pilotait ce drôle d'engin à l'occasion sur l'aérodrome d'Hatfield ! Pour tester la visibilité depuis le cockpit, une maquette de cockpit sera "greffée" sur le fuselage d'un planeur "Horsa" (les planeurs du débarquement en Normandie), le planeur sera ensuite baladé à travers le pays pour tester la visibilité des pilotes. L'imagination n'avait pas de limite dans cette ère pré-numérique ! De nombreux autres tests seront menés : flexion des ailes jusqu'à la rupture, pressurisation de portion de cabine (mais qui ne permirent pas de déceler le risque de fatigue du métal) etc…

Le prototype du "Comet" à Hatfield

La production du premier "Comet" pouvait donc être lancée dans les ateliers d'Hatfield. De nombreuses méthodes sont nouvelles, et surtout en même temps que l'avion, l'équipe de Havilland à également mis au point tout une série d'outillage permettant de former et monter les pièces directement sur l'avion avec une précision encore jamais atteinte.

La production de l'appareil à lieu dans le secret : personne en dehors de l'équipe de design et celle de montage ne connait la forme exacte de l'appareil. Le prototype est même assemblé dans un hangar derrière une forêt de bâtis et d'échafaudages qui empêchent de voir la forme exacte de l'appareil. Même Ron Bishop avait pour habitude de garder des maquettes de design futuriste sur son bureau, mais ne ressemblant en rien au "Comet" pour dérouter les visiteurs un peu trop curieux !

Le secret sera bien gardé jusqu'au 27 juillet 1949. Ce jour là, toute la presse londonienne est invitée à Hatfield pour assister au "roll-out" et au premier décollage du Comet ! Hélas, bien qu'invitée, la météo n'était pas de la partie : devant le mauais temps, sir Geoffrey informa la presse que l'avion ne volerait que lorsque tout serait en ordre. Les journalistes rentrèrent donc chez eux déçus de ne rien avoir à rapporter.

Un premier vol couronné de succès

Pourtant le soir même, John Cunningham, chef pilote, décida que tout était en ordre pour un premier vol, et il fit décoller l'appareil pour un premier vol de 31 minutes…mais sans prévenir aucun journaliste. La presse sera furieuse de ne pas avoir été invitée : le correspondant du Times écrira d'ailleurs à ce sujet que son journal ne mentionnerait jamais plus le nom "de Havilland"…et ce fut effectivement le cas ! Il fallut du temps pour que la presse pardonne à de Havilland ce premier vol secret !

Le prototype, (G-ALVG), sera rejoint par un second (G-ALZK) un an après pour les vols d'essais : la disponibilité de l'appareil était tellement bonne qu'il pouvait effectuer jusqu'à 5 vols par jour, moyennant le plein de carburant et un changement d'équipage d'essais ! L'appareil donnera satisfaction, et peu de changements seront nécessaires, hormis le remplacement des larges pneus du train principal par un système de bogies plus léger et moins encombrant.

Le Comet n'était pas un grand avion par rapport au standard actuels : il avait à peine la taille d'un Airbus A319 ou d'un 737-100, tout en transportant peu de passagers : 36 sièges dans la version BOAC ou 44 dans la version Air France. La présence d'un galley capable de servir des plats froids ou chauds, ainsi que de toilettes hommes/femmes ou encore du silence des réacteurs...très bruyant par rapport à nos standards actuels…mais par rapport à des moteurs à pistons, le changement était déjà bien appréciable !

Le prototype, avec ses grandes roues d'origine, que l'on ne retrouvera pas sur les avions de série

Implanter les moteurs à la base des ailes permettait de réduire le risque d'ingérer des corps étrangers, mais le poids de l'installation était lourd : il fallait installer des plaques de blindage autour des réacteurs pour protéger les réservoirs de carburant en cas d'incendie sur un moteur.

Les quatre hommes d'équipage prenaient place dans un cockpit plutôt spacieux : pilote et copilote à l'avant, navigateur à gauche et ingénieur de vol à droite. L'organisation du cockpit était très conventionnelle, fortement inspiré du Lockheed "Constellation, alors très en vogue à l'époque.

Equipé des dernières innovations telles que l'avitaillement sous pression, les systèmes hydrauliques quadruplé ou encore un limiteur d'efforts sur les gouvernes à haute vitesse, le Comet représentait un bond en avant à la fois en terme de sécurité et de confort. La présence de commandes de vol assistées et irréversibles était également une première.

Dans la liste des points négatifs, la soute à bagage était située directement sous l'appareil…et pour charger une valise, il fallait donc se baisser sous l'appareil avant de la porter à bout de bras pour la mettre dans la soute…ce point avait été mal conçu, et les compagnies aériennes ne manqueront pas de remonter le problème aux constructeurs.

La BOAC fait penser que le "Comet" est un vaisseau spatial...


Le Comet reçoit son certificat de navigabilité le 22 janvier 1952, et entre en service le 2 mai de cette même année, avec six mois d'avance sur le planning prévu. C'est une véritable révolution : on passe des moteurs à pistons avec une vitesse de pointe de 450 - 500 km/h à des vitesses encore jamais atteinte de presque 700 km/h : le Comet vient de relever de 250 km/h la vitesse moyenne des avions de transport civils ! C'est le plus gros changement que l'on ait connu en aviation de tout le XXème siècle, Concorde excepté. C'est ainsi que le voyage Londres Tokyo devenait possible en 35 heures (et 8 escales) contre presque 85 heures auparavant !

C'est la BOAC (ancêtre de British Airways) qui est la première à mettre en œuvre le "Comet" en service commercial, sur une des routes les plus difficiles de l'empire : l'Afrique du sud, avec des aéroports en altitude et surchauffés (deux conditions que n'aiment pas les moteurs). Au niveau efficacité, la compagnie gagne beaucoup : cinq Comet peuvent effectuer le même travail que 8 avions à pistons, même à raison de seulement 36 passagers en première classe (oui, il n'y avait que de la première classe sur les Comet de la BOAC !). Économiquement l'avion est rentable : ses moteurs ont certes une consommation élevée, mais le kérosène ne coûtait rien ou presque à l'époque comparé  à l'essence à octane élevé des moteurs à pistons. Le temps entre deux révisions majeures pour le de Havilland "Ghost" était de 375 heures à la mise en service de l'appareil, et un an après, elle était de 1000 heures, un niveau jamais atteint par des moteurs à pistons ! Au terme de la première année, la BOAC aura transporté 30 000 passagers !

Les premiers Comet aux couleurs de la BOAC


10 appareils seront construits à Hatfield pour la BOAC. Malheureusement, sur ces dix appareils de construits, cinq seront perdus dans les quatre années qui vont suivre.

Après le vol inaugural du Comet vers Johannesburg, le 2 mai 1952, les progrès avaient été spectaculaires : les Comet desservaient des ligne en Afrique et Asie, jusqu'à Tokyo ! Quatres compagnies exploitaient le Comet : la BOAC, l'UTA, Air France et South African Airways

La succès n'était pas sans zone d'ombre : il y avait eu plusieurs crashs. Le 2 mai 1953, une violente tempête avait fait s'écraser un Comet près de Calcutta en Inde (cet accident sera ensuite attribué à la fatigue du métal). Deux décrochages au décollage avaient entrainés la perte de deux appareils à Karachi et Rome, mais la crédibilité de l'avion n'avait pas été entachée, ce malgré un problème d'écoulement d'air qui avait nécessité de redessiner les bords d'attaque des ailes. Mais l'avenir du Comet allait s'assombrir brusquement...

Un nouveau standard de confort

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