lundi 7 avril 2014

L'histoire des commandes de vol électriques (3/3)

Suite à la naissance de l'A320, Boeing se retrouve pris de court…il lui faut innover, et son nouvel appareil sera donc conçu par ordinateur et piloté par ordinateur : ainsi va naitre le Boeing 777. Le "triple seven" n'est pas une simple copie d'Airbus : les ingénieurs de Boeing vont suivre une philosophie toute différente de celle de l'Aerospatiale.

Le Boeing 777, la revanche de Boeing sur l'A320 (au moins en terme d'avionique)


La première chose qui choque lorsque vous êtes un "airbusien" qui entre dans un cockpit de Boeing, c'est le manche : il y a toujours deux grandes colonnes de direction comme dans l'ancien temps. Ce n'est qu'une illusion, il n'y a plus de timonerie classique, le pilotage est bien "fly by wire", sauf que pour ne pas dépayser les pilotes, les ingénieurs de Boeing ont placé un manche avec retour de force au lieu du joystick d'Airbus, qui permet aux pilotes de "sentir" l'avion

L'autre différence fondamentale, quoique invisible au premier abord, c'est les protections du domaine de vol : là où Airbus à installé des limites que l'appareil ne franchira jamais, Boeing n'a pas installé de protection mais des limites dissuasives : plus on s'approche d'une zone dangereuse pour l'avion, plus le manche devient résistant. Si le pilote a suffisamment de force cependant, il pourra aller au-delà. Concrètement, à moins d'avoir David Douillet dans le cockpit, il y a des limites qu'aucun pilote ne pourrait surmonter…mais psychologiquement, le pilote se sent rassuré.

Similitudes et différences : à gauche le cockpit du Boeing 777 avec son manche classique, et à droite l'A330 et son mini-manche. Les deux constructeurs ont choisi des voies très différentes, mais les deux utilisent des CDVE.


Une autre différence majeure, mais plus subtile, dont j'ai déjà parlé dans l'article précédent : il n'y a pas d'architecture COM/MON, mais un vote majoritaire entre les équipements, ce qui demande plus de calculateurs, mais de conception plus simple...

Quelle est la meilleure philosophie ? Airbus ou Boeing ? Vaste question : depuis la sortie du 777 il y a 20 ans, on cherche toujours la réponse : je pense qu'il n'y a pas de conception qui soit "meilleure", juste des inconvénients différents…statistiquement en tout cas, il n'y a pas plus d'accident d'un côté ou de l'autre !

Revenons au principe de fail-safe : il faut que si l'un des calculateurs tombe en panne, un autre prenne le relais…mais voilà, que se passe-t-il si on tombe face à un "bug" informatique ? La réponse est simple : on aura beau avoir 5 calculateurs différents, si ils sont identiques, ils auront tous le même problème : du coup il n'y a plus de redondance : c'est ce que l'on appelle une "cause commune". Pour éviter de tomber dans cette situation, il faut donc installer plusieurs calculateurs, mais qu'ils soient également de deux modèles différents (marque et matériel). C'est ainsi que sur l'A320, les 2 ELAC ont une architecture centrée autour d'un processeur, et les 3 SEC ont une architecture différente et un processeur différent : la probabilité est don quasi nulle que les deux ordinateurs souffrent du même bug en même temps.

Sur A330/340, il n'y a plus d'ELAC et de SEC, mais des ordinateurs PRIM et SEC

Tous les Airbus et Boeing conçus depuis respectivement l'A320 et le 777 sont équipés de CDVE, avec quelques évolutions, mais les principes fondamentaux n'ont pas changés. On notera chez Airbus que la répartition des commandes de vol ont été intégrés au sein de deux types de calculateurs : les "PRIM" ou "Primary" et "SEC" ou "Secondary", il y a 3 PRIM et deux SEC, un seul suffisant à piloter l'appareil si besoin. Plus récemment, sur A380 et A350, il y a eu suppression totale du dernier lien mécanique, remplacé par un calculateur de secours en plus.

L'architecture PRIM/SEC est quasiment inchangée sur A380

La "guerre" Airbus/boeing se joue aussi sur le terrain de l'ergonomie et de la philosophie des commandes de vol : on fustige toujours ce "joystick de rien du tout sans retour de force" d'un côté et on ne manque pas de critiqué "cet énorme manche peu pratique, héritage d'un temps révolu"…et chaque camp à ses partisans parmi les ingénieurs comme parmi les navigants qui préfèrent l'un ou l'autre…Pourtant comme je vous le rappelais, aucune étude indépendante et objective n'a pu mettre en avant une architecture comme étant mieux que l'autre !

 Les CDVE ont permis un allègement considérable de la charge de travail des pilotes, en permettant le pilotage à deux, tout en augmentant le suivi de l'appareil : les défaillances de systèmes sont suivies en temps réel, et souvent un correctif est appliqué avant même que le pilote ne s'en rende compte…mais il y a encore d'autres avantages : on peut réduire la vitesse d'approche de l'appareil, sans danger de perte de contrôle, et en cas d'approche vers un obstacle, le système d'évitement ordonne au pilote de grimper.

Le cockpit de l'A350 s'inscrit dans la même ligne que celui de l'A330 et l'A380...avec cependant des nouveautés, mais la "base Airbus" reste la même.


Les CDVE sont donc devenues en l'espace de quelques années un élément indispensable des avions modernes, apportant une simplification du travail du pilote tout en augmentant la sécurité à bord de l'avion. De même, on réduit la formation des pilotes : prenez un pilote qu'il faut former sur A320 qui n'a jamais vu d'Airbus : il faudra 25 jours de formation, mais si il possède une qualification sur A20, il ne lui faudra que 7 jours de formation pour être déclaré apte sur A330 ! La similarité des systèmes entre différents Airbus permet des économies lors de la formation des navigants.

On observe progressivement l'arrivée de nouvelles innovations, les actionneurs électriques en tête qui permettent de supprimer ou de réduire les installations hydrauliques : il n'y a sur A380 plus que deux systèmes hydrauliques...mais les actionneurs sont désormais combinés, pouvant être alimentés par le système avion ou par leur propre système intégré, réduisant ainsi les risques de panne et permettant la suppression du troisième circuit hydraulique. D'autres recherches se focalisent sur le "fly by optics", à savoir la transmission des commandes par fibre optique. On pourrait ainsi avoir des commandes plus robustes et insensibles aux agressions électromagnétiques.

Et le Boeing 787 dispose toujours de sa colonne de commande "old school" ! Là aussi en héritage direct du Boeing 777 !

Les CDVE ont profondément changé le rapport à l'avion, en remplaçant des fondamentaux du métier de pilote qui n'avaient pas changé depuis les débuts de l'aviation, et ce faisant, nous avons changé le rapport à l'avion : la sécurité aérienne a fait un bond en avant remarquable, mais dans le même temps, les rapports d'enquête n'ont jamais autant mis en avant le fait que les pilotes doivent être vigilant à "ne pas perdre les fondamentaux". Piloter un avion n'est pas pareil que de piloter un ordinateur, et l'enjeu du siècle à venir sera sans doute d'améliorer davantage la sécurité du vol…la grande question étant de savoir quelle sera la place du pilote : vrai opérateur ou simple singe savant ? La réponse à cette question n'est pas simple et agite déjà Airbus et Boeing depuis plusieurs années...

1 commentaire:

  1. la grande question étant de savoir quelle sera la place du pilote : vrai opérateur ou simple singe savant ?
    Et où sera le pilote?
    dans l'avion ou à distance comme pour les drones?

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