lundi 9 décembre 2013

Mercure, l'échec de Dassault

Monsieur Dassault avait coutume de dire qu'un bel avion volera bien…et on pourrait penser en poussant le raisonnement qu'un appareil bien conçu se vendra bien…pourtant l'Histoire me donne tord sur ce point. Je vais donc vous parler d'un avion très bien conçu, mais qui fut un échec commercial…un avion Dassault justement.

Un A320 ? Non non, un "Mercure"



Si je vous dit "Dassault" et "avion de ligne", vous allez me dire "aucun rapport"…Dassault est synonyme de Mirage, Rafale ou autre Falcon, mais pas avion de ligne. On retient plus Sud Aviation, et plus près de nous Airbus pour ce rôle. Et pourtant, pourtant, Dassault a bien conçu un avion de ligne…il s'appelait le Mercure, conçu bien avant l'A320 tout en ayant des caractéristiques proches. Techniquement très réussi, il fut produit en série à…10 exemplaires. Un échec patent.

Dassault s'est déjà intéressé à l'aviation commerciale dès les années d'après-Guerre. Aucun projet sérieux, mais des ébauches. Il y aura ensuite une coopération éphémère avec Sud-Aviation pour le programme Concorde à partir de 1961. Cette histoire s'étant assez mal terminée, Dassault partira de cette collaboration dès 1966, et cherchera d'autre projets. Il y aura le "Mystère 1000", un avion de transport de 150 passagers à Mach 0,9, qui restera sans suite, faute d’intérêt, puis une tentative de collaboration avec Fokker pour un biréacteur avec 70 passagers.

En 1965, Dassault et Sud-Aviation, réconciliés, signent un accord de participation croisée sur deux appareils : un gros porteur nommé "Gallion" sous responsabilité de Sud-Aviation et un petit porteur de 50 places, le "Mercure" sous la responsabilité de Dassault. Mais un nouveau projet couve en France : il s'agit de la "Grosse Julie", ou l'on envisage une coopération avec l'Allemagne projet qui prendra alors le nom d'"Aérobus"…la naissance de l'A300 et d'Airbus donc ! Dassault voyant une nouvelle collaboration internationale "style Concorde" préfère se retirer, sentant qu'il sera de nouveau le dindon de la farce ! Dassault est également furieux contre Sud, qui n'a pas tenu ses engagements, n'apportant qu'une participation symbolique au mercure, alors que son équipe s'était beaucoup impliquée dans la définition du "Gallion", coulé et remplacé par Airbus au final, et il décide donc de faire cavalier seul.

écorché du "mercure" (Flight International)


En octobre 1967, le Mercure I est présenté : c'est un projet de biréacteur "à la Caravelle", propulsé par des Rolls Royce "Spey", et pouvant transporter 86 passagers et 900kg de fret sur 1000 km. Quelques mois plus tard, les moteurs déménagent de la dérive vers les ailes. Pourtant il y a un problème : personne ne veut de cet avion "trop petit, trop court". Le marché est déjà occupé par les DC-9, Boeing 737-100 et BAC 1-11. Le principal reproche envers le mercure concerne son potentiel 'amélioration qui est jugé presque nul, la cellule étant parfaitement optimisé (en gros il est trop bien, mais on ne pourra plus rien changer dessus).

Avril 1968, nouvel itération : le Mercure II reprend la définition du I, mais avec cette fois des moteurs JT8D-11 sous les ailes, et une capacité portée à 134 places et une capacité en fret 3 300kg au maximum…chose qui avait tant manquée à Caravelle. Cette nouvelle définition intéresse l'état, et en octobre 1968, l'état accepte d'aider Dasssault pour la réalisation du prototype Mercure 100.

D'un autre côté, Dassault décroche des partenariats avec des firmes étrangères, italiennes (FIAT) et espagnoles (CASA), portant la participation étrangère à 25% du coût de lancement du programme. L'arrivée du Canada et de la Suisse allait porter cette participation à 44% pour la production en série. Le contrat de lancement est signé le 9 avril 1969.

L'objectif pour le premier vol est mars 1971, et la fabrication du prototype commence en avril 1969. Dassault choisi le site de Mérignac pour l'assemblage. Le bureau d'étude de Saint-Cloud conçoit et dirige, alors que les éléments du fuselage arrière (T4 et T5), fabriqués par FIAT, arrivent de Turin, les autres étant fabriqués directement à Mérignac. Conçu en partie par ordinateur, la masse finale de l'appareil n'a que 150kg de plus que ce qui avait été calculé à Saint-Cloud. Pour un prototype, c'est plutôt pas mal.

Le premier vol a lieu le 28 mai 1971, Il s'agit d'un vol de 75 minutes au cours duquel tout se passe à merveille. Le 7ème vol, l'appareil est convoyé au Bourget pour le salon de 1971. Malgré des vibrations qui obligent à modifier les mâts de fixation pour reculer le centre de gravité des moteurs, les vols se passent bien, et les pilotes trouvent les commandes de vol remarquables. La seule autre modification sera de modifier le dièdre du plan fixe horizontal pour compenser une instabilité longitudinale. Dans l'ensemble l'avion se comporte aussi bien voire mieux que ce qui était exigé. Le Mercure est donc un avion bien né.

Le Mercure aux couleurs "Dassault"


Reste le plus dur : le vendre. Air Inter, qui opère sur beaucoup de petites lignes intérieures est intéressé, et s'engage à acheter dix appareils, plus dix option. Mais les négociations avec Air France sont moins faciles : la compagnie nationale n'est pas intéressée par un avion au rayon d'action aussi limité. Pour Air Inter, le Mercure à une portée suffisante, et l'avion à un avantage que ne possède pas le Boeing 727 : l'atterissage tout temps, qualité jugée indispensable par Robert Vergnaud, le vice président d'Air inter.

Il faut lancer le projet : Dassault, avec l'aide de l'état lance le programme industriel : il faut tout faire pour assurer une cadence de six avions par mois. L'usine de servo-commandes d'Argonnay est agrandie, mais surtout, 4 nouvelles usines vont sortir de terre entre 1971 et 1972 ! Il s'agit de Séclin (usinage mécanique), Martignas (voilure), Poitiers (tronçon de fuselage) et surtout l'usine d'Istres pour l'assemblage final. Cette usine d'Istres est en fait composée de deux chaines d'assemblage en parallèle, pour une surface totale de 42 000 mètres carrés, employant 350 cadres et compagnons. Chaque cadence avait une cadence théorique de 3 avions par mois.

Mercure en vol


Le transport des pièces posera aussi problème, jusqu'à ce qu'un certain "Super-Guppy" soit loué par l'Aéromaritime à la fin 1972 ! Le programme industriel roulait donc bien, et la production pouvait commencer.

Livraison spéciale par Guppy...

Le programme, bien parti, va pourtant se dégrader rapidement au cours des années suivantes. Aucun problème technique, mais une conjecture économique. On notera premièrement que le monde aéronautique est un monde en dollars, mais que le Mercure est vendu en francs. En 1969, l'avion est annoncé à un prix de 28,5 millions de francs…or en 1972, le prix a bondi à 40,6 millions de francs, inflation oblige. l'inflation ayant été plus violente en France qu'aux Etats-Unis, le Boeing 727 en devient plus compétitif que le Mercure. En 1969, le Mercure valait 5,4 millions de dollars contre 5,6 pour le 727….5 ans plus tard, le 727 valait 7,9 millions de dollars…contre 8,55 pour le Mercure ! Le président de la SABENA dira ainsi (en exagérant quelque peu) que "pour le prix de deux Mercure, on peut avoir trois Boeing 727". La formule est restée. Le choc pétrolier de 1974 ne va rien arranger : le prix du carburant explose (le prix du baril de brut passe de 1,8 dollars en 1970 à 11,6 dollars en janvier 1974), et les moteurs JTD8 sont à simple flux…donc très gourmands ! Le peu d'avantage du mercure recule encore davantage.

Les JTD8 simple flux : bons moteurs, mais beaucoup trop gourmands


Au final, la vente à Air Inter sera le seul contrat signé. Air France, malgré un intérêt initial comprend que le mercure ne correspond pas à ses besoins, et s'en désintéresse, malgré une forte pression de l'état qui a investi dans cet appareil. Dassault proposera cependant un "Mercure 200", rallongé et capable d'étape plus longues de 1500 km…mais Air France est un fidèle client de Boeing, et ne veut pas s'en détourner, alors que ses pilotes et techniciens sont formés au système américain. Le président d'Air France, Georges Galichon enverra d'ailleurs une lettre au ministère des transports l'informant que "l'achat du Mercure [par Air France] le conduira à limiter le nombre d'Airbus qu'il compte mettre en service…menace facile, à un moment où Airbus va d'ailleurs pas très bien. Finalement, la compagnie nationale à gain de cause, et suite à plusieurs déceptions avec la Sabena et d'autres compagnies européennes, Dassault comprend qu'il faut jeter l'éponge, et abandonner le programme…mais il y a une commande d'Air inter à honorer…sans compter que tous les investissements déjà réalisés doivent être justifiés d'une manière. Je ne parle pas de la SNIAS, qui veut tout faire pour empêcher le Mercure de grignoter ses parts de marché ! La SNIAS va d'ailleurs proposer un contre-projet au Mercure, motorisé par 2 CFM-56 et équipé d'une voilure supercritique…qui n'aura pas beaucoup plus de succès que ce dernier. C'est vrai que plutôt que de se concentrer sur l'ennemi, cad boeing, il est plus intéressant de transformer cela en système franco-français en laissant Dassault et la SNIAS, se tirer dans les pattes !

Le Mercure est remarquable par le dièdre négatif de la dérive arrière

La certification de type intervient le 12 février 1974, suivie de la livraison du F-BTTA à Air Inter le 15 mai de la même année. C'est le début d'une longue période qui va durer jusqu'au 29 avril 1995, date du dernier vol commercial d'un mercure, toujours sous les couleurs d'Air inter.

Les pilotes d'Air Inter volant sur mercure l'ont beaucoup apprécié : ponctuel, fiable, simple d'emploi, c'était un bel avion. Il était d'ailleurs surnommé le "chasseur d'Air Inter" en raison de ses caractéristiques de vol un peu violentes, héritées des commandes de vol faites par des ingénieurs habitués aux chasseurs ! Conçu pour les étapes courtes, il pouvait effectuer un Paris - Perpignan sans soucis…mais au-delà, il était un peu "short"

Au total, 360 815 heures de vol effectuées, et plus de 430 916 atterrissages (dont plus de 20 000 en automatique !)…le tout sans aucun accident ou incident grave à déplorer ! Le taux avec un taux de ponctualité à plus de 97% (97% des vols ont été à l'heure ou sont arrivés avec moins de 15 minutes de retard, ce qui est beaucoup). C'est donc l'histoire d'un avion techniquement très réussi, malgré ses limitations.

Mercure au parking, la fin de l'aventure

Financièrement par contre, c'est une autre histoire : le total du budget alloué au mercure a été de 531 millions de francs entre 1969 et 1974, plus 125 millions de francs de compensation à Air Inter pour assurer le soutien des avions achetés. C'est donc un total de 656 millions de dollars "prêtés" par l'état, qui ne sera jamais remboursé (avec nos impôts donc) puisque Dassault avait négocié que le remboursement des aides de l'état n'interviendrait que à la livraison du 45ème exemplaire. Dassault à investi 438 millions de francs dans cette affaire, pour un résultat de 211 millions de francs de perte sur la fabrication des dix premiers appareils….un échec cuisant pour la maison Dassault, qui ne fabriquera plus jamais d'avion civils, c'est désormais Airbus qui va régner en maître dans ce domaine.

3 commentaires:

  1. en tant que passager fréquent je n'aimais pas cet avion qui avec son instabilité longitudinale et sa puissance élevée (d'où des accélérations et des ralentissements en cascade) procurait un malaise jamais rencontré dans un autre avion...

    RépondreSupprimer
  2. un détail est passé sous silence , il a pourtant une importance capitale : le Mercure est construit en métrique ! sa visserie est en normes françaises , TOUS les avions , Airbus y compris sont équipés en cotes américaines , tout est en pouces ! allez comprendre pourquoi ,

    RépondreSupprimer
  3. Je garde un très bon souvenir de mon seul vol à son bord. Confortab,stable et semblant de très bonne facture, rien ne bougeait

    RépondreSupprimer