lundi 9 juin 2014

Un géant nommé B-36 (2/2)

Après une mise au point retardée par la Guerre, 1947 arrive et le B-36 peut enfin avancer, épargné par les coupes budgétaires de la fin de la Guerre. Le premier B-36A de série, serial 44-92004 décolle de Fort Worth le 28 Août 1947, équipé de toutes les modifications, il ne fera cependant qu'un seul vol avant d'être testé jusqu'à destruction pour vérifier la résistance de la cellule.

Premier vol du XB-36 avec ses énormes roues !

C'est donc le 42-13571 qui volera ensuite, un YB-36 (Y désignant un appareil de pré-série), et qui va faire le gros des essais en vol. Le XB-36 sera modifié, puis utilisé pour l'entrainement avant de finir sa vie comme carcasse utilisée par les pompiers. Mais le programme avance : en juin 1948, les quatre premiers B-36A sont livrés à l'USAF. C'est le 7th Bomb Group qui recevra les premiers B-36, basés à Carswell AFB. Plutôt facile comme choix : la base est situé de l'autre côté de l'usine d'assemblage des B-36 par rapport à la piste de Fort Worth…en cas de soucis, les mécaniciens de Convair pouvaient être sur place en un quart d'heure, facilitant le "service après vente" !

La maintenance des moteurs n'est pas toujours très aisée..

L'arrivée du B-36 va faire entrer la jeune US Air force dans une nouvelle ère : le B-29 ressemble à un nain comparé au B-36 ! Pourtant l'appareil n'est qu'intermédiaire : le B-36A possède tous les équipements essentiels, mais ne possède encore aucun armement. Il faudra attendre l'arrivée du B36B en juin 1948 pour avoir un B-36 armé et donc près au combat. La performance du B-36B est de 575 km/h à une altitude de 13000 mètres en ordre de combat (carburant à moitié consommé et plein de bombes). La raison pour laquelle aucun armement n'a été monté sur le B-36A est simple : rien n'est au point. Le système était supposé être une version agrandie du système du B-29, mais en réalité le fait d'agrandir le système à l'échelle du B-29 pose une myriade de problèmes : les signaux électriques se brouillent entre eux, des câbles placés côte à côte provoquent des interférences entre eux etc...

Le canon de 20mm de queue..


Enfin en service, l'immense appareil va vite être mis à l'épreuve : appareil de Carswell va réaliser la première mission "grandeur nature" d'un B-36 : le 7 décembre 1948, un B-36B décolle de Carswell AFB au Texas, met le cap sur Hawaï, largue une bombe de 10 000 livres dans l'océan avant de survoler Honolulu de nuit et de rentrer à Carswell. Distance parcourue de 12 150 kilomètres, en 35 heures et demi de vol, un record !

La taille de la queue était impressionnante !

La version suivante du B-36, le "C" ne verra jamais le jour…dès 1947, l'USAF se rend compte que les performances sont excellentes en capacité d'emport, mais sa vitesse est bien trop lente. Le général Kenney, commandant le SAC propose d'arrêter le production du B-36, au profit du B-47, plus récent plus rapide (mais pas de même catégorie…)…Convair doit trouver une solution si ils veulent garder le contrat avec l'USAF. Heureusement, Pratt et Whitney arrive à la rescousse, avec l'invention d'une turbine de décharge variable sur le R-4360, ce qui devrait permettre de gagner 45km/h et 600 mètres de plafond, à condition de changer l'orientation des moteurs en remettant les hélices "devant" en mode traction ! Ce B-36C ne verra cependant jamais le jour, car finalement, la vanne variable ne délivrera pas la puissance escomptée…le B-36C aurait même fini par être plus lent que le B-36B !

En bonus...démarrage et décollage d'un B-36 (un peu de propagande, mais pas trop !)

Le SAC menace d'annuler le contrat avant de se raviser : le blocus de Berlin vient de commencer…et finalement le SAC confirme sa commande de 100 appareils, au standard B-36B.

L'aménagement de la partie avant de la cabine


Les versions suivantes du B-36 tenteront cependant de compenser ce point faible qu'était la vitesse du lourd bombardier. En octobre 1948, Convair va proposer à l'USAF son concept pour le B-36 "D". Le principal changement est l'ajout de quatre turboréacteurs répartis en deux nacelles doubles au bout des ailes. Pour réduire le coût de développement, Convair réutilise le pod des Boeing B-47, avec des moteurs J-47.

Aménagement de la partie arrière


C'est en mars 1949 que le premier B-36 équipés de réacteurs vole. De 6 moteurs, il passe à 10 moteurs, consommant deux types de carburant différents ! Les moteurs sont des J-35 qui seront vite remplacés par les J-47, et malgré quelques soucis de vibrations, le montage est un succès. Cette victoire de Convair s'ajoute à l'annulation du B-49, l'aile volante de Northrop. l'USAF décide donc de monter des pods de réacteurs sur tous les B-36B, donnant ainsi le B-36D, et de convertir tous les B-36A en RB-36E, version non armée de reconnaissance, tout en passant une commande de 30 appareils supplémentaires, et ce malgré de nombreuses critiques à Washington qui considèrent que l'immense bombardier est un dinosaure d'une autre époque.

Les pods de moteurs des B-36 sont les mêmes que sur le B-47 (à droite)

Le premier RB-36D est accepté par l'US Air Force en juin 1950. On notera cependant que l'ajout des réacteurs n'est pas la seule différence entre le B-36B et B-36D : les portes de la soute à bombe ont aussi été profondément modifié, passant à un modèle appelé "snap-action", plus rapide et qui génère moins de traînée à haute altitude. Le B-36 peut ainsi atteindre une vitesse de 610km/h à 11 000 mètres d'altitude.

L'équipage du B-36 se composait au minimum de 15 hommes : un commandant, deux pilotes, deux mécano-nav, un navigateur, un bombardier, deux radios, un observateur à l'avant, et 5 mitrailleurs ! Le tout pendant deux jours de vol si besoin…

Le RB-36 se  caractérise par les 3 pods photos situés sous le fuselage


Le B-36 possédait une armamda de systèmes électronique comme aucun appareil n'en avait connu auparavant, à l'exception peut-être du B-29. Un ensemble K-1 de navigation et bombardement formait la raison d'être du B-36. Le K-1 sera ensuite remplacé par une version avancée, le K-3A. Lorsqu'on étudie le B-36 de près, on se rend compte que sous ses airs de géant un peu pataud, il était très en avance sur son temps : tourelle commandée, contre-mesures, pilote automatique etc… Mais ce qui surprend c'est la complexité inouïe de ces équipements, entièrement mécanique et analogique. Il n'y avait aucun microprocesseur, aucun ordinateur dans les années 50, et pourtant, tout ce qui est courant sur un avion aujourd'hui existait déjà à cette époque…mais sous une forme beaucoup plus complexe, et qui marchait beaucoup moins bien : la fiabilité des équipements était encore une science naissante !

L’impressionnante soute à bombe avec les portes à ouverture rapide


Prenons l'exemple du système défensif : la tourelle arrière était commandée par radar, avec un AN/APG-32, et les mitrailleuses étaient toutes contrôlées électriquement, avec un système de contrôle qui laisse rêveur aujourd'hui : un système entièrement analogique et déporté, utilisant la différence de phases de deux générateurs de signaux électriques alternatifs dont l'un est monté sur la mitrailleuse, l'autre sur le viseur. Le système est lourd, complexe et fragile...mais marchait...de temps en temps en tout cas !

Une autre version de l'appareil n'allait cependant pas tarder à voir le jour : l'arrivée d'une version améliorée du Wasp Major allait donner naissance au B-36F. Chaque moteur produisant presque 300cv de plus que les anciens, le B-36F donnai ainsi 1800cv de plus que son prédecesseur. Cette nouvelle version fit son premier vol en pleine Guerre de Corée, le 11 novembre 1950.

Le B-36 était aussi un bombardier nucléaire...


Les performances du B-36 sont encore améliorées, avec une vitesse de pointe portée à 625km/h. 34 de ces appareils seront livrés entre mai et novembre 1951, ainsi que 24 RB-36F, version de reconnaissance équipée de 14 caméras optiques du B-36F. Il y aura encore deux autres versions du B-36 par la suite : le B-36H, avec un arrangement intérieur repensé, et un poste pour un deuxième mécano-nav, ce qui n'était pas du luxe avec 10 moteurs à surveiller en vol ! L'ultime version sera le B-36J, qui possédait des réservoirs de carburant supplémentaires dans les ailes.

La partie centrale de la soute à bombe pouvait aussi servir de réservoir de carburant supplémentaire


Malgré les améliorations successives, beaucoup d'appareils seront repris, modifiés et améliorés. Tenant compte de l'expérience d'après guerre, l'USAF se rend compte que les canons sont dépassés à l'ère des missiles, et qu'il est donc superflus de garder pas moins de 10 canons et autant d'équipements à bord : c'est le début du programme "featherweight" ("poids plume") : L'USAF va définir trois niveaux d'allégement : le I consiste simplement à nettoyer l'appareil de tous ses équipements inutilisés, le II consiste à alléger l'équipement de l'équipage mais à garder l’armement, et sur la phase III les canons sont retirés, à l'exception du canon de queue, ainsi que tous les équipements permettant leur mise en œuvre, et les viseurs sont remplacés par des petits hublots plats, diminuant encore un peu la traînée générale de l'avion. Les B-36J (III) ainsi modifiés n'emportent plus que 13 membres d'équipage. En revanche, les équipages ont beaucoup moins appréciés les B-36 "featherweight", car bon nombre d'équipements de confort ont été retirés, jugés superflus par l'Air Force. C'est ainsi que les lits, les tables, les galleys et même les moquettes qui protégeaient du bruit sont retirés pour sauver quelques kilos…

L'inspection de l'équipage avant Featherweight....


Avec le dernier B-36J (III) livré le 14 Août 1954, c'est la fin d'une époque à Fort Worth pour les usines convair : pas moins de 383 B-36 ont été produits, dont les deux prototypes, pour un coût moyen de 3,7 millions de dollars par appareil, un coût énorme pour l'époque !

Au même moment, le B-36 est opérationnel au sein de pas moins de 10 escadrilles : 6 de bombardement et 4 de reconnaissance, soit 209 B-36 et 133 RB-36.

Mais la carrière du B-36 n'est pas terminée : l'USAF doit encore mettre tous les B-36 produits au standard "Featherweight", tâche qui va occuper les dépôts de l'Air Force jusqu'en 1957 ! Pourtant un autre appareil est entré en service dès 1952, et commence progressivement à remplacer les B-36 : il s'agit du B-52 de Boeing. Le dernier appareil quitte le service actif le 12 février 1959, remplacé par un B-52.

Le tableau récapitulant les versions du B-36...toutes ne sont pas listées cependant

Les ingénieurs de Convair avaient pourtant tentés de fournir un remplaçant du B-36 à l'USAF sous la forme du YB-60, une sorte de B-36 modernisé avec des ailes en flèche et huit réacteurs sous les ailes comme le B-52. Les deux appareils possédaient la même motorisation, mais le YB-60 était plus lourd et moins manœuvrable, et ses performances furent jugées décevantes par l'USAF qui commanda finalement le B-52 en masse.

Ce sera la fin du service du B-36 dans l'USAF


Même si il est vrai que le B-36 n'a jamais connu le combat, les longues missions de dissuasion menées par les différentes "Wings" de B-36 ne seront pas sans accidents :il y aura 9 crashs faisant 70 victimes dans les deux premières années d'opérations du B-36. Un crash à Newfoundland coûtera d'ailleurs la vie au général Richard Ellsworth, commandant le 28th SRW le 18 mars 1953. Le général était copilote d'un B-36 effectuant un raid simulé de nuit. Suite à une mauvaise visibilité et une erreur de route, l'appareil s'écrase sur une montagne. L'appareil venait de la base de Rapid City AFB qui sera renommé Ellsworth AFB en l'honneur du général. Au total, 32 B-36 seront rayés des listes suite à des accidents, dont 17 furent mortels, ce qui fait du B-36 un des avions les plus sûrs du SAC comparés aux autres comme le B-58 dont le taux d'accident était très élevé.

Le général Ellsworth, victime d'un crash de B-36

Le B-36 sera également au centre de la fameuse tornade de Carswell qui dans la nuit du 1er septembre 1952 va balayer et endommager 70 B-36 en l'espace de quelques heures ! Je vous avais déjà raconté cette histoire dans l'un des premiers articles du blog !

D'autres B-36 seront également utilisés pour des projets de remorquage de chasseurs parasites : les projets "TomTom" et "Ficon", et l'un de ceux endommagé par la tornade de Carswell aura même une seconde vie en devenant prototype de l'avion à propulsion nucléaire, même si cette expérience restera sans lendemain.

Le B-36 de Pima, 52-2827 "City of Fort Worth"


Que sont devenus les B-36 ? A quelques rares exceptions, ils ont tous été ferraillé après avoir été stocké au "Boneyard" de Tucson. Les premiers sont arrivés dès mai 1956, mais leur arrivée fut chaotique : le retrait des B-36 étant programmé à l'origine pour 1953...mais sera sans cesse décalé à cause des retards de production du B-52, il fallait à la fois garder un maximum de B-36 en état de vol..et commencer à s'en débarrasser ! L'USAF devant faire face à un budget tendu (déjà !) va devoir cannibaliser ses appareils qui sont à peine retirés du service pour maintenir les autres en état de vol ! Pourtant en 39 mois, il ne restera plus un seul B-36 à Tucson ! Coulés en lingots, ils ont servi à construire de nouveaux appareils plus modernes ! Le dernier vol d'un B-36 date d'avril 1959 : le 52-2220 est convoyé à Wright Patterson AFB pour rejoindre le musée de l'USAF où il se trouve toujours. Il n'existe aujourd'hui plus que quatre B-36 complets dans le monde, tous aux Etats-Unis, dont celui du NMUSAF et celui de Pima (le 52-2827, "City of Fort Worth").

Le 52-220, B-36 du musée de l'USAF


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire