jeudi 11 décembre 2014

Les records du SO9000 "Trident" (1/2)

Cela semble loin aujourd'hui, mais dans les années 50, il existait une race d'avions aujourd'hui éteinte : les "intercepteurs fusées" Le concept est simple : face à la Guerre Froide et au risque de déferlement des bombardiers nucléaires sur un territoire somme toute réduit (Europe de l'ouest), il était nécessaire de disposer d'appareils légers et manœuvrables capables de s'envoler pour intercepter des bombardiers en un minimum de temps. A l'époque où les réacteurs possédaient encore une poussée limitée et une consommation très élevée, l'avion répondant à cet exigence était l'intercepteur fusée, un appareil doté d'un ou plusieurs moteurs fusées, capable de décoller sur alerte, d'intercepter des bombardiers et de revenir se poser en planant, concept inauguré par le Me-163 "Komet". Aujourd'hui nous allons parler de l'ultime évolution de ce concept : le SNCASO SO-9000 "Trident".

Ascension d'un Trident grâce à son moteur fusée...


Le bureau d'étude de la SNCASO dirigé par Lucien Servanty étudie dès 1948 les enjeux des intercepteurs pour les années 50, en réfléchissant aux moyens de lutter contre les bombardiers soviétiques. Deux approches sont étudiées : le statoréacteur et les moteurs-fusées. Le Statoréacteur n'est pas encore mature, et la SNCASO accuse d'un certain retard dans ce domaine par rapport à la SNCAN et Leduc. Servanty décide donc de se lancer dans un programme d'intercepteur fusée. l'idée est de combiner les moteurs fusées pour obtenir des performances supersoniques très élevées pour l'interception, couplés à des réacteurs classiques pour un retour plus tranquille à la maison après la mission.

L'ambition était de disposer d'un intercepteur supersonique, capable de décoller rapidement sur alerte. Pour obtenir des performances optimales, il est décidé de monter des moteurs fusées dans le fuselage et des turboréacteurs en bout d'aile, ce qui permet une bonne stabilisation de l'avion.

Un appareil mixte réacteurs / fusée


Trois moteurs fusées, trois pods moteurs (fusées + 2 réacteurs : le nouvel appareil ne pouvait que s'appeler "Trident". Lucien Servanty dessine très tôt la configuration d'un petit appareil à aile droite et rectangulaires, avec deux pods réacteurs en bout d'ailes. La configuration, figée très tôt, permet d'avancer rapidement sur la réalisation de l'appareil.

Pourtant avant de réaliser le Trident, il est vital de vérifier sa motorisation en vol : fort heureusement, la SNCASO dispose d'un appareil qui fera un très bon banc d'essai : le SO 6020 "Espadon". Modifié pour emporter le turboréacteur "Marboré" et le moteur fusée SEPR, il va permettre d'engranger des heures de vol pour parfaire la mise au point du Trident.

C'est le 7 juillet 1949 que SNCASO présente son projet aux services officiels, qui acceptent de financer son étude : le projet est bien pensé et son étude bien avancé. Après une phase de pré-étude, l'état signe un premier contrat le 1er mars 1951, mais dès le 8 avril suivant, un amendement était ajouté pour permettre la réalisation de deux prototypes, avec des voilures légèrement différentes (6% et 7% d'épaisseur relative). La vitesse contractuelle prévue est de M1,40 avec des réacteurs Marboré.

L'appareil se présente déjà comme révolutionnaire..


L'appareil est d'une conception révolutionnaire et fait appel à de nouvelles méthodes qui commencent seulement )à être maîtrisée en France, comme l'utilisation des structures en nid d'abeille ainsi que le collage métal-métal, qui avait déjà été timidement testé sur le "Vautour". Les ailes sont sèches, sans aucun réservoir, et se compose d'un grand caisson en nid d'abeille. Une longue conduite de carburant court sur tout le bord de fuite des ailes pour aller nourrir les réacteurs "marboré II" en bout d'ailes fournissant près de 400kgp.

Planche de bord du trident 9000 - 01.


Surprise : aucun aileron sur les ailes : le contrôle est assuré par le plan fixe arrière ! Une autre première en France ! La conception soignée de la dérive fait que cette absence d'ailerons est absolument transparente pour le pilote, qui contrôle l'appareil de la manière la plus classique qu'il soit, avec manche et palonnier. Pour augmenter l'efficacité de ces gouvernes, elles sont entièrement mobiles, un autre tour de force, mais rendu possible grâce à la mise au point de l'empennage monobloc sur Vautour. Les commandes sont hydrauliques, de marque jaccotet-Leduc. Ces commandes avaient déjà été utilisées sur l'Espadon, et elles seront ainsi réutilisées avec confiance sur le Trident. Un système de "sensibilisateurs", c'est-à-dire un système de retour d'effort artificiel est installé pour le pilote

Toutes les commandes de vol sont à l'arrière de l'appareil


Le fuselage était conçu en trois parties : la partie arrière contenant les empennages et supportant les moteurs-fusées, la partie centrale contenant le train principal et les réservoirs de carburant, et enfin une point avant, détachable, permettant de sauver le pilote si besoin. Cette capsule utilisait le système Leduc, qui avait le premier conçu ce type de capsule. Le pare-brise est en forme d'étrave, forme classique des appareils contemporains comme chez le Skyrocket américain. Chaque détail, chaque aspérité est soigneusement étudiée pour minimiser la traînée. Charles Goujon racontera ainsi que bien que le pilote a de la place dans le trident, il a les yeux au ras du fuselage, ce qui est suffisant pour la plupart des phases du vol mais limite grandement sa vision vers le bas. Le moteur fusée était un SEPR-48 fonctionnant au kérosène, mais celui-ci ne délivrant pas la poussée promise, SNCASO va se rabattre sur le SEPR 481, fonctionnant à la Fluraline et à l'acide nitrique. Il faudra d'ailleurs prévoir un système de vide-vite très efficace pour empêcher tout accident en cas de crash. L'avion pouvait emporter au total 800 litres de kérosène pour ses réacteurs, et 320 litres de furaline et 900 litres d'acide nitrique pour son moteur fusée

Le prototype 01 fait son premier vol le 2 mars 1953, avec Jacques Guignard aux commandes. Ce premier vol était réalisé sans moteur-fusée, avec du ballast pour compenser l'absence du moteur. Ce sera le début d'une année complète d'essai grâce à cet appareil dénommé SO 9000-01. Cela va permettre de défricher le domaine de vol subsonique, ainsi que les tests de vibrations.

C'est Jacques Guignard qui le premier va prendre les commandes du "Trident"...


6 mois plus tard, le second prototype est paré pour ses essais en vol. son premier vol à lieu le 1er septembre 1953, mais il ne va pas aller bien loin : la chaleur est caniculaire ce jour là, et les réacteurs ne donnent pas assez de poussée. Guignard se retrouve avec un appareil qui vole à la limite du décrochage, il ne peut pas toucher le manche sous peine de faire décrocher l'appareil..hélas, droit devant l'appareil se dresse un poteau électrique. Le pilote ne peut rien faire et le Trident heurte le poteau en béton à près de 300km/h. La capsule se détache et part en faisant des tonneaux avant de s'arrêter plusieurs centaines de mètres plus loin. Les pompiers se précipitent mais n'ont pas beaucoup d'espoir : ils ouvrent la capsule et trouvent le pilote encore sanglé à son siège, son casque est fendu et un mince filet de sang coule le long de sa tête…on le sort de son siège, et miracle il est vivant, et trouve quand même la force de dire "je n'ai rien, fo… moi la paix !" avant de s'évanouir. On l'emène d'urgence à l'hopital : le médecin annonce qu'il ne passera pas la nuit : traumatisme cranien, vertèbres fracturés, moëlle osseuse aimée, côtes cassées, bras cassé…et pourtant, et pourtant : Jacques Guignard va s'accrocher à la vie. Il passera tout de même 10 jours dans le coma, et va se réveiller paraplégique, mais il refuse d'accepter cet état de fait, et il va se battre pendant des mois : d'opérations complexes en rééducation poussée qui le fait atrocement souffrir, il va retrouver l'usage de ses jambes ! Il parviendra même à retrouver sa licence de pilote d'essai ! Quasiment miraculé, même si ses jambes ne fonctionneront jamais aussi bien qu'à l'origine, il aura encore une longue carrière devant lui !

Le SO 9000 en vol


C'est donc le second pilote titulaire de l'appareil, Charles Goujon dit "Charlie",  qui va poursuivre les essais du 01. Il fait son premier vol sur Trident le 16 janvier 1954. Ancien pilote de l'"Espadon", il est déjà familier du maniement des moteurs-fusées et c'est également lui qui va effectuer le premier vol avec moteur fusée le 4 septembre de la même année.  Après plusieurs essais de roulage à haute vitesse pour "sentir l'avion", c'est le moment du premier vol. Ce premier vol n'ira pas bien loin : au moment d'atteindre la vitesse de décision, un voyant rouge s'allume : il faut couper les moteurs et rentrer au hangar. Heureusement l'inspection révèle que c'est un capteur capricieux qui est à l'origine du problème : après vérification, il est décidé de retenter l'expérience, et à 18h le Trident peut enfin décoller. Ce premier vol n'a lieu qu'avec une seule des trois fusées, mais même dans cette configuration, l'accélération est impressionnante !

Charles Goujon va reprendre les essais de l'appareil...


Le 26 octobre, grosse frayeur : le moteur fusée s'arrête au moment ou l'appareil quitte la piste…trop lourd, il ne peut pas s'élever sur la puissance des ses deux faibles moteurs : Goujon vidange les réservoirs d'acide en urgence, mais  l'appareil à perdu sa vitesse, et le voilà qui fonce sur une rangée d'arbre…heureusement, ses qualités de pilote hors pair vont lui permettre de grignoter quelques km/h de badin, ce qui lui permet de franchir la cime des arbres, et de reprendre de l'élan pour revenir au terrain.

Le plus impressionnant : décollage sur fusée !


Hormis ces incidents, la carrière de l'appareil se passe bien, et il ne va pas tarder à recevoir de nouveaux moteurs : fin 1954, les "Marboré" sont remplacés par des "Viper" fabriqués sous licence par Dassault, ce qui va donner plus de punch à l'appareil. Il revole dans cette configuration pour la première fois le 17 mars 1955 à Istres. Le vol manque de se terminer en catastrophe lorsque l'un des aérofreins se bloque : le Trident échappe au contrôle de Goujon et commence à ruer dans tous les sens. Heureusement ce dernier à le réflexe de réduire les gaz et à basse vitesse, l'appareil reste contrôlable, même si cela s'apparente plus à du rodéo qu'à du pilotage ! Heureusement, il parvient à ramener l'appareil sans casse !

D'autres Tridents améliorés vont venir s'ajouter à la liste des appareils...


Pourtant, malgré de nombreux rebondissements, toute cette période n'est qu'une période d'essais limités : le Trident allait encore battre bien des records !

1 commentaire:

  1. 1959 ou 1949 dans

    C'est le 7 juillet 1959 que SNCASO présente son projet aux services officiels, qui acceptent de financer son étude : le projet est bien pensé et son étude bien avancé. Après une phase de pré-étude, l'état signe un premier contrat le 1er mars 1951, e ne serait pas 1949 et non 1959 dans

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