jeudi 18 octobre 2012

Mystérieuses boites noires (2/3)

Seconde partie : du Hussenographe aux boîtes noires modernes

A la fin de la Guerre, François Hussenot avait déjà posé les bases de ce qui allait devenir la "boîte noire" moderne.

Profitons-en pour revenir sur son nom et sa couleur.

Dès le début, les ingénieurs sont conscients que cette boîte permet de restituer les paramètres de vol pour améliorer la connaissance d'un prototype, mais permet surtout de restituer les derniers instants du vol en cas de crash. Le magasin de bande photographique est donc rapidement enfermé dans un caisson blindé, et le Hussenographe est peint en couleur vive, à savoir rouge ou orange vif, afin de pouvoir l'identifier rapidement dans les décombres d'un avion. Cette couleur orange ou encore "safety orange" (orange de sécurité) est restée jusqu'à aujourd'hui.

Crash puis incendie, la boite noire est à peine reconnaissable...mais le caisson blindé est intact

La genèse des enregistreurs de vol permet aussi de comprendre le terme de "boîte noire" qui vient non pas de la couleur du boîtier, mais de son principe : l'enregistrement sur film photographique fait que le caisson blindé est conçu comme une chambre noire de photographe. L'expression a perduré jusqu'à nos jours, malgré le fait que la bande photographique ait disparu depuis belle lurette !

Le Hussenographe représentait un net progrès dans le dépouillement des essais en vol : avant même que la bande soit complètement sèche, on pouvait déjà commencer son exploitation. Même si la qualité n'était pas toujours au rendez-vous suivant le film utilisé, les données étaient facilement utilisables.

Un autre programme allait changer la donne : l'opération "100 000 heures". Réalisée par la SFIM, elle visait à démontrer l'avantage de suivre certains paramètres de vol, ainsi que la grande adaptabilité des Hussenographes qui pouvaient s'insérer sur des chaînes de mesures avec un minimum de modifications. L'expérience débuta en 1954, les 100 000 heures de vol étant atteintes en 1957. Convaincu par cette expérience, plusieurs compagnies demandèrent alors à faire enregistrer leurs paramètres de vol pour un suivi plus fin de leurs appareils en vol.

Pourtant, du Hussenographe à la boîte noire actuelle, il y avait encore un pas à franchir : le Hussenographe demandait beaucoup de pellicules photographiques, et cette pellicule ne pouvait pas être réutilisée. C'est pour cette raison qu'il demeura longtemps utilisé pour des mesures ponctuelles lors de vols d'essais. Le Hussenographe sera d'ailleurs rendu obligatoire en Grande Bretagne pour tous les essais de prototypes à partir de 1955. Plus de 70 Hussenographes seront achetés pour le programme TSR-2 jusqu'en 1965.

Un des premiers modèle de CVR de chez Fairchild, installé à bord du Super-Guppy

Dans les années 60, deux évènements vont se produire : tout d'abord l'explosion du trafic aérien et l'augmentation du nombre de vols et ensuite le développement d'un nouvel enregistreur de vol. C'est en Australie que l'histoire se poursuit, plus précisément à Melbourne, où le docteur David Warren, conscient de l'utilité d'avoir des enregistrements en continu à bord des vols commerciaux, développa la première boîte noire moderne : le CVR - Cockpit Voice Recorder ou enregistreur de voix dans le cockpit. Le système est simple : un microphone est installé dans le cockpit et enregistre les sons d'ambiance. Un boîtier semblable au Hussenographe enregistre ce qu'entend le micro, ainsi que ce qui passe sur la radio de bord. Un caisson blindé contient la bande qui enregistre en continu.

David Warren avait collaboré à l'enquête qui avait suivi les crashs des Comet, et le manque d'information sur ces accidents lui avait fait réaliser à quel point l'enregistrement des données pouvait être crucial.

C'est au milieu des années 60 que les premières vraies boîtes noires ont commencé à être montées en série sur les avions de ligne commerciaux. Un des premiers appareils équipés fut le Boeing 707. Il était équipé d'un enregistreur de vol analogique pouvant enregistrer en continu la bagatelle de..5 paramètres ! L'enregistrement était effectué sur bande métallique, et des aiguilles venaient graver cette fine feuille métallique. L'enregistreur était installé dans la queue de l'appareil, ce qui, statistiquement, lui assurait les meilleures chances de survie en cas de crash. Cette disposition perdure jusqu'à nos jours.


Une petite plongée dans un enregistreur de vol analogique

Plusieurs accidents et collisions en plein ciel aux Etats-Unis à la même époque vont vite rendre cet appareil obligatoire à bord de tous les grands avions de transport de passagers. Cependant, le son ne suffit pas, il faut trouver un moyen d'enregistrer les paramètres de vol. Le Hussenographe va donc évoluer : fini les bandes photographiques à plier, l'enregistrement se fait désormais sur bande magnétique. L'avantage étant que l'appareil est plus compact et peut tourner en continu : la bande est réécrite à intervalles réguliers et permet d'enregistrer plus d'une vingtaine de paramètres.

Malheureusement François Hussenot ne verra jamais l'aboutissement de son invention. Le 16 mai 1951, il décolle de Villacoublay à bord d'un Martinet 137 pour un vol d'essai. Pris dans une tempête, son avion s'écrase sur un sommet du Massif Central. Hussenot et les trois autres membres d'équipage périssent sur le coup.

Son nom a été largement oublié aujourd'hui, et c'est bien dommage, puisse ce modeste article lui rendre hommage.


Il existe une stèle commémorative de François Hussenot sur la base de Brétigny

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