jeudi 20 mars 2014

Un appareil nommé "Vautour" (2/2)

Nous avons vu précédemment l'histoire du "Vautour" dans l'armée de l'air, qui avait réceptionné un total de 112 Vautour…mais 140 furent produits…que sont devenus les 28 autres ? En réalité l'armée de l'air ne fut pas le seul client  : une autre armée de l'air va utiliser le "Vautour" : c'est l'armée israélienne.

Ce Vautour IIN codé 30-ML est dans les réserves du Bourget est le 330...il a servi plusieurs années dans les forces israéliennes...


Israël est un pays en guerre depuis avant même sa création, qui a sans cesse du lutter pour se procurer les armements les plus modernes malgré des menaces d'embargo plus au moins fortes selon les époques. L'opération "Kadesh', plus connu en France sous le nom de campagne de Suez va servir de véritable électrochoc à l'état major de l'armée israélienne.

L'aviation israélienne à cette période était constituée de chasseur dépassés ou sur le point de l'être : P-51 "Mustang", B-17, Meteor NF-11 et Mosquito, et Dassault "Ouragan". A l'exception de l'Ouragan, tous montrèrent leurs limites lors de cette campagne. Il manque surtout un "jet" d'attaque et de reconnaissance, ainsi qu'un intercepteur nocturne - un nouveau "Mosquito" en somme.

En 1954, le seul appareil disponible était le "Canberra" britannique…mais il manqauit de puissance défensive et de capacité d'emport. Les américains l'avait modifié en donnant naissance au B-57…mais ces derniers ne voulaient pas le vendre au moyen-orient. Juste à cette époque là, apparu le "Vautour" en France, qui répondait au dilemme israélien : un fuselage commun pour une version d'attaque, chasse de nuit et bombardement...

La capacité d'emport du IIN sera très appréciée


Le gouvernement israélien approche le gouvernement français en 1956 à propos de la possibilité d'acheter le "Vautour". En avril, une délégation menée par Danni Shapira arrive visite le CEV de Brétigny et de Mont de Marsan pour évaluer les exemplaires de pré-production du "Vautour". Les israéliens sont satisfaits, et le 21 juin, c'est le colonel Shlomo Lahat, numéro 2 des forces aériennes israéliennes qui fait un vol de familiarisation en "Vautour".

Les négociations avec la SNCASO seront courtes, ce qui laisse suggérer que le gouvernement français était plutôt favorable à la vente de l'appareil. Les négociations ont pourtant lieu dans le secret le plus absolu, l'embargo contre Israël étant en vigeur à cette époque par tous les pays de l'Ouest. Les israéliens demandent en plus une majorité de Vautour IIA, en production et dont la commande a été annulée par l'armée de l'air…ce qui satisfait tout le monde.

Les négociations aboutissent à une offre de la part du gouvernement français : un lot de 18 appareils (12 "A" plus 6 "B") pour un prix de 742 850$ par unité (incluant les pièces de rechange et équipements divers). La commande finale passée en avril 1957 portera sur 28 appareils (17 "IIA", 7 "IIN" et 4 "IIB").

Un Vautour IIA monoplace...le plus rare de la famille...


Ce délai entre le début des négociations et commandes fermes est du aux hésitations d'Israël face à un effort financier aussi important : l'appareil n'est pas encore en service, ses capacités ne sont pas connues avec précision, et il n'est pas de chez Dassault…mais les rapports de Dani Shapira, qui est resté à Mont de Marsan pour évaluer l'appareil plus en détail sont très positifs, incitant Israël à passer commande.

Le total de la commande va s'élever à 20 millions de dollars, pour un total de 31 appareils (dont trois qui furent utilisés par l'armée de l'air avant d'être reversés à Israël plusieurs années après). Le chiffre de 25 est souvent avancé dans les ouvrages spécialisés…mais il est faux…

Les 28 appareils commandés arrivèrent en Israël entre Août 1957 et mars 1959, après entrainement des pilotes et radaristes israéliens à Tour et Saint-Nazaire. Deux escadrilles vont recevoir le "Vautour" en Israël : la 110 "Yehezkel Somekh" et 119 "Yoash Tsiddon"

Le Vautour IIA sera très apprécié par l'armée israélienne


Le premier appareil livré sera un Vautour IIA dont l'armée de l'air ne voulait plus. Il quitte la France le 31 juillet 1957. L'embargo étant toujours en place, il faut garder le secret : l'appareil va donc décoller de Saint-nazaire en pleine nuit, et va mettre le cap sur Bizerte en Tunisie, où il se pose 1h30 plus tard. Il redécolle le lendemain et met le cap sur Israël, avant de se poser à Hatzor le 1er Août 1957 après un vol de 3 heures, mouvementés car le compas est tombé en panne, il a fallut naviguer avec les procédures de secours…

Un groupe de VIP discrets attend l'appareil lorsqu'il arrive au parking, dont le premier ministre en personne, David ben Gourion, arrivé en catimini par une entrée dérobée de la base ! Une fois la petite cérémonie d'arrivée terminée, l'appareil est remorqué dans un hangar isolé, et gardé en permanence...

Pour la petite histoire, les services secrets français avaient donnés aux deux pilotes israéliens des uniformes, tenues de vol et des papiers français, et le Vautour avait été peint aux couleurs françaises de sorte que en cas de déroutement personne n'irait soupçonner que le vol était un vol de convoyage au profit de l'état hébreux…

Le "69"..celui qui est dans les réserves du musée de l'air...


Les vols de convoyage vont ainsi se poursuivre tout au long de l'année 1958, toujours suivant le même principe : départ de nuit dans un appareil aux cocardes tricolores, avec des pilotes en tenue française (mais parlant un français avec un bel accent…), avec une formation de 2 à 4 avions à chaque fois. Durant ces vols de convoyage, il y aura au moins deux interceptions de "Vautour" par des "Sabre" grecques…mais sans suite : les Vautour vont littéralement laisser les "Sabre" sur place à chaque fois…qui ont sans doute du penser avoir affaire à des "Yak 27" soviétiques ressemblant de loin au "Vautour"...

Les derniers appareils livrés seront les Vautour "IIB", les derniers à avoir été construits. Israël aura d'ailleurs le douteux privilège d'avoir le premier exemplaire "IIB" équipé d'une dérive monobloc, le no 616…

Je dis douteux, car le vol va mal se finir…lors de l'arrivée en Israël, une fuite hydraulique va bloquer la dérive, et le système de secours doit lutter contre un vérin bloqué : le pilote réussi à se poser en catastrophe au prix d'un effort surhumain pour manœuvrer la gouverne (la SNCASO dira par la suite que la maneouvrer tenait du miracle)…et l'appareil fait un crash-landing plutôt violent sur le terrain de Tel-Noff…le navigateur en place avant sentait la piste à quelques 20cm sous ses fesses…les deux pilotes sont blessés, mais s'en remettront et l'appareil sera réparé. Il sera remis en service pas loin de 10 mois plus tard.

A peine arrivé...déjà bon pour être réparé...

En revanche, nous sommes le dimanche, et trois Vautour IIB français identiques doivent décoller de Saint-Nazaire le lendemain… potentiellement avec le même défaut. Les équipes israéliennes tentent d'appeler Saint-Nazaire et Mont de Marsan…mais c'est dimanche, il n'y a personne. Le lendemain en début de journée, deux "Vautour IIB", les 616 et 617 s'écraseront à l’atterrissage à cause du même défaut, les quatre membres d'équipage sont tués…(NB : je n'ai qu'une source assez peu précise sur cet événement...si vous en savez plus, faites moi signe !)

Avec ces derniers appareils livrés, Israël est la seule force aérienne à posséder en escadre de première ligne les 3 versions du "Vautour"…pourtant, durant les 8 premiers mois, ils ne sortiront pas de leur hangar. Ce n'est que lorsque le "contrat Vautour" sera rendu public en France en juil(let 1958 que les israéliens pourront enfin les sortir et les déployer en escadrille. Et encore, le communiqué n'est pas exact : il parle seulement d'une dizaine de Vautour "A"…mais évite soigneusement de parler du vautour "N" ou encore "B", vu comme bombardier et donc arme offensive. Les vols de convoyage pourront alors avoir lieu de manière officielle entre la France et l'état hébreu.

Vautour de l'IAF en approche, le train monotrace est bien visible sur cette photo


Les Vautour israéliens seront continuellement modernisés, plus que leurs homologues français : les "B" seront convertis en avion de photo-reconnaissance, par montage d'un pod de caméra, les "N" seront équipés de pod de guerre électronique et aussi pour la photo reconnaissance.

Le "Vautour" va commencer son baptême du feu à partir de 1964 : il va être mis à contribution pour des attaques contre des positions syriennes, emportant une charge de bombe comme auun autre avion ne pouvait le faire dans les forces israéliennes. Il s'illustrera en "dogfight" contre des MiG-17 et s'en sortira brillament. En revanche le Vautour IIN aura moins de succès : les tentatives d'intercepter des Il-28 de nuit seront en partie un échec…même si ce n'est pas que la faute du "Vautour" : la petite taille du territoire israélien donne assez peu de temps pour intercepter des appareils ennemis survolant son territoire : le temps disponible pour accrocher et se rapprocher de la cible était extrêmement court et demandait une extrême concentration de la part des équipages, ce qui explique le faible nombre d'interceptions réussies.

Composants du radar d'interception du IIN


Tout au cours de la décennie, les "Vautour" vont réaliser un nombre de vols impressionnants : sorties opérationnelles, entrainement, conversion, reconnaissance…un rythme de vol très intensif. Il y aura aussi des pertes : 3 pilotes et 10 "Vautour" seront perdus durant cette première décennie d'utilisation…ce qui au final est assez peu face au rythme plus qu'intensif d'utilisation de la flotte.

Le Vautour sera utilisé de manière intensive pour l'éxécution du plan "Moked"…plus connu sous le nom de guerre des six jours. Cette courte guerre fut l'occasion pour Israël d'attaquer ses voisins arabes par surprise, afin de détruire leur aviation au sol, tout en se lançant dans une campagne terrestre permettant de consolider son territoire.

Les "Vautour" de reconnaissance pourront ainsi photographier les aérodromes cibles en Egypte et en Jordanie à de nombreuses reprises, sans être inquiétés, permettant à tsahal de disposer de renseignements de première main pour lancer sa grande attaque.

Deux Vautour IIA en ravitaillement
Les Vautour auront un rôle important dans toute la campagne des six jours; capable de transporter un chargement important et disposant d'un radar de nuit, ils seront très utilisés…mais subiront de lourdes pertes : en plus des 10 appareils déjà perdus, quatre seront très fortement endommagés pendant la guerre des six jours. Cette guerre est vue comme une guerre d'agression en France, oùm le général de Gaulle va décider d'un embargo contre Israël, qui ne pourra plus compter sur l'aide de Sud-Aviation pour remettre ses "Vautour" en état…ce sera le début de la fin.

Plus de maintenance, plus de pièces détachées…Israël aligne en 1968 péniblement 14 Vautour…dont la moitié ne sont pas opérationnels pour des raisons de manque de pièces détachées. Heureusement pour Israël, la relève arrive : les A-4 "Skyhawk" américains entrent en service au début 1968, ce qui permet de reléguer le "Vautour" au second plan. La mission des Vautours se limite ainsi à un rôle d'intercepeur ou d'attaque au sol rapproché. Israël parviendra cependant à "racheter" de manière plus ou moins clandestine 2 Vautours supplémentaires (disons que les bonnes personnes ont fermés les yeux dans l'administration française…).

Le Vautour restera utilisé pour des missions de guerre électronique tout au long de l'année 1970, mais l'heure de la retraite sonne enfin pour ce vieux guerrier : en mars 1972, après presque quinze années de bons et loyaux service, Israël remplace ses derniers Vautour par des F-4 "Phantom" américains, beaucoup plus modernes.

Ainsi se termina la carrière de ce bel avion, qui avait ses défauts, mais était très apprécié de ses équipages pour sa polyvalence, sa solidité et sa fiabilité.

Le Vautour est désormais à la retraite...

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