mercredi 12 décembre 2012

Les ailes brisées du Canada (3/3)

Le 20 février 1959 est connu au Canada comme le "black Friday" ou "vendredi noir". C'est en effet ce jour là que l'Arrow fut annulé.

L'unique vol du RL-205


"Le gouvernement ayant fait une étude approfondie à la lumière de tous les éléments disponibles concernant la nature des menances contre l'amérique du Nord et des moyens de défense alternatifs contre ces menaces et des coûts associés est arrivé à la conclusion que le développement de l'Arrow et du moteur Iroquois doivent être arrêtés sur le champ" C'est par ces mots devant la "house of commons" que le premier ministre Diefenbaker annonça au gouvernement et au Canada tout entier à la radio l'arrêt du programme.

Pour information, le président d'Avro appris la nouvelle comme le reste de la nation, à la radio depuis chez lui. Il n'en avait pas été informé.

Ce coup de hache dont les échos résonnent encore aujourd'hui allait avoir de profonds effet sur des milliers de personnes. Chez Avro, ce n'est pas moins de 14 500 employés qui se retrouvent au chômage technique par cette annonce. On estime également que 25 000 autres personnes étaient touchées directement chez l'ensemble des sous-traitants. Ce n'est donc pas loin de 40 000 personnes qui se retrouvent du jour au lendemain à tourner en rond.

Pire encore : les ordres du gouvernement sont encore plus terrible que cela, puisque AVRO doit, sous la contrainte de l'armée, détruire les plans et notes de projet, les rapports, les outils, et surtout les six appareils, qui sont découpés sur place. De la même manière, tous les autres appareils en cours d'assemblage seront découpés, ainsi que les pièces de rechange. L'Arrow après un brillant début sera ainsi exterminé de la surface du globe comme si il n'avait jamais existé.

La fin de l'"Arrow". Prise de manière clandestine par un journaliste survolant la zone en avion, cette photo témoigne de la destruction des derniers "Arrow" existants.

Et pourtant, même si l'Arrow a disparu, il est devenu un mythe, une légende étant donné les conditions de sa disparition. Aujourd'hui encore, il reste une fierté au Canada, à tel point que la télévision canadienne réalisera une mini-série sur la saga de l'"Arrow", qui bien que romancée sur les bords, présente de manière assez factuelle les éléments du programme.

Pourquoi cet abandon ? Pire cet acharnement sur cet appareil ? Il y a beaucoup de raisons et beaucoup de zones d'ombres derrière cette histoire

Ce qui est sûr, c'est que suite à l'annonce de l'arrêt du programme, beaucoup voulurent sauvegarder les avions et les acquis du programme. L'US Air Force fit une demande, dont le montant n'a jamais été connu, pour racheter les avions et les pièces détachées. General Electric demanda à racheter les moteur "Iroquois" existants, et la France était prête à payer la licence pour finir et produire l'"Iroquois". La Grande-Bretagne était prête à racheter toutes les liasses de plans de l'"Arrow". Il est probable que l'ordre de détruire les appareils et les plans fait suite à ces offres, qui politiquement auraient eu un effet négatif sur le gouvernement canadien.

Il est en effet probable que le gouvernement Diefenbaker, convaincu de l'inutilité d'un programme d'avions pilotés, comme Eisenhower et d'autres leur avait fait comprendre, a été pris de court par l'engouement pour l'appareil, et qu'il a préféré sauver les apparences en détruisant toutes les connaissances accumulées sur le programme, plutôt que de vendre une technologie qui après tout était canadienne.

La décision de licencier la quasi-totalité des personnels travaillant sur l'"Arrow" peut aussi être vu comme une tentative désespérée d'Avro pour forcer le gouvernement à reconsidérer sa décision, sans succès hélas.

On a aussi découvert lors de la chute du mur de Berlin, que des renseignements secrets concernant l'"Arrow" sont arrivés en Union Soviétique, et que les capacités de l'appareil étaient connus des soviétiques. On ne sait pas si cette infiltration était connue du gouvernement canadien, et si oui ou non elle a influencée la décision d'arrêter le programme.

Une légende veut que l'un des appareils ait survécu, après avoir été caché par les ouvriers d'Avro pour empêcher sa destruction. C'est une belle légende, mais rien de concret ne vient le confirmer hormis quelques témoignages bien imprécis. Un appareil de cette taille passe difficilement aperçu...même en pièce détachées !

Le nez du RL-206, qui n'a jamais quitté le sol.
Ce qui a survécu c'est le nez du RL-206, sixième exemplaire, et premier Mk2 qui n'a jamais volé. De la même manière, les extrémités d'ailes du RL-203 ont été préservées (plus par accident que par volonté de les préserver) et sont exposés avec le nez du RL-206 au Canada Aviation and Space Museum à Ottawa.

Les ailes du RL-203
En 1961, la RCAF achètera 66 chasseurs F-101 "Voodoo", dont les Etats-Unis n'avaient plus l'utilité et qui ne répondait pas à la fiche programme et de loin, le tout pour une somme qui aura largement permis la production d'au moins une quarantaine d'"Arrow". Le Canada acheta également les missiles guidés "Bombarc" que les américains tenaient tant à leur vendre. Difficile d'entretien, installés à grand frais sur des bases que les bombardiers soviétiques pouvaient contourner sans problème, ils furent rapidement retirés du service. Dès lors c'est l'US Air Force qui assurera la défense aérienne du Canada. Cette politique du parapluie américain fera tomber le gouvernement Diefenbaker peu de temps après.

On ne saura jamais ce qu'aurait donné l'"Arrow" en service. beaucoup pensent qu'avec les moteur iroquois, l'"Arrow" était parti pour les records du monde de vitesse et d'altitude, et c'est vrai que l'appareil avait beaucoup de potentiel...que serait-il devenu avec son contrôle de tir intégré au dessus du cercle arctique ? Nul ne le saura jamais.

Note finale de l'histoire : dans les jours et les semaines qui suivirent l'arrêt de l'"Avro", des recruteurs de Boeing, North American, du NACA et d'autres encore se déplacèrent à Toronto, et embauchèrent plusieurs milliers d'ingénieurs et de techniciens ayant travaillés sur l'"Arrow". Beaucoup ne revinrent jamais au Canada, écœuré de la manière dont leur gouvernement les avait traités. Jim Chamberlain et 33 ingénieurs de haut niveau furent engagés par le NACA. Ils travaillèrent sur le programme Apollo et sont directement responsable de la mise au point du module lunaire. James Floyd travailla sur le SST qui allait devenir le Concorde, programme sur lequel il fut aérodynamicien. Il n'existe aucune statistique précise sur le nombre d'ingénieurs et de techniciens canadiens qui ont émigrés au States suite à l'abandon du programme "Arrow".

Concrètement, on peut aussi constater que l'industrie aéronautique canadienne est morte en ce "Black Friday". Le Canada, qui venait de mettre au point le chasseur le plus avancé au monde et avait dans ses cartons bien des projets encore plus ambitieux ne produira plus jamais d'avion. Le CF-100 "Canuck" reste donc le dernier chasseur canadien produit et mis en service.

Ayant presque tout misé sur l'"Arrow" et ses retombées, la société Avro ne survivra pas. Le 30 avril 1962, elle est mise en liquidation, ses actifs passant sous le contrôle de Hawker Siddeley. On remarquera qu'aujourd'hui, le CF-18 qui équipa la RCAF ne remplit pas les critères de la fiche programme de l'"Arrow". Il est vrai que vitesse et altitude ne sont plus les seuls critères déterminant pour un avion d'arme.

Le RL-201 en vol...

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