Nous sommes en 1972, et le président Nixon annonce au monde entier l'intention des États-Unis d'abandonner les capsules spatiales pour développer un vaisseau réutilisable : la navette spatiale. Ce programme ambitieux vise à développer une plateforme généraliste et réutilisable pour au moins une centaine de vols. L'objectif est de développer une flotte d'engin, pouvant décoller tous les quinze jours environ , avec des coûts d'achat et d'entretien beaucoup plus bas que lors des années 60.
Quarante ans plus tard, on sait bien que ce programme est devenu un véritable gouffre financier, et que l'objectif d'un décollage tous les quinze jours par navette est passé à six lancements par an avec quatre navettes…pas génial comme rentabilité..
Comment voler sans se fatiguer ? |
Mais ce n'est pas ce qui nous intéresse aujourd'hui. Aujourd'hui nous allons parler d'un autre problème que la NASA a dû résoudre pour les navettes : comment les transporter à travers les Etats-Unis (lorsqu'elle atterrit à Edwards AFB, Californie, avant de revenir au centre spatial Kennedy pour être remise en condition…à l'autre bout des States).
Point question d'utiliser un Super-Guppy ni même un hypothétique Mega-Guppy : un orbiter (navette) de trente tonnes qui est aussi grand qu'un Boeing 707 ne tient dans aucune soute : il faut trouver autre chose. Les ingénieurs de la NASA jamais à court d'idées se précipitent sur la planche à dessin (oui, oui, on dessinait tout à l'époque "pré-Powerpoint")
1ère solution : vu que la navette est essentiellement un avion, pourquoi ne pas installer un "kit" en équipant la navette de quatre ou six moteurs "conventionnels" d'avion et en transformant la soute en réservoir de kérosène ? Trop compliqué, trop coûteux sans compter que la navette vole comme un fer à repasser…le projet est rejeté.
Projet du LARC (les dimensions sont celles d'une maquette de soufflerie...d'où la petite taille annoncée...) |
2ème idée : pourquoi ne pas inventer un "super-transport" ou LaRC pour transporter la navette. L'idée est aussi simple que farfelue : pourquoi ne pas assembler deux fuselages d'avion par une grande aile centrale (style Boeing 747 ou C-5 Galaxy). L'espace entre les deux fuselages permet d'arrimer la navette. Avec une envergure de 143 mètres, cet appareil aurait bien du mal à manœuvrer…ou à trouver une piste pour atterrir, tout simplement ! Devant la complexité du projet, la NASA abandonne, au profit d'une autre idée, plus simple à mettre en œuvre mais plus périlleuse aérodynamiquement parlant : le "piggy-back". L'idée est simple : on prend un gros porteur existant, comme le C-5 "Galaxy" et on "pose" la navette sur son dos, et volez jeunesse !
Autre projet : sur un C-5 "Galaxy" |
Boeing reprend alors l'idée à son compte avec un Boeing 747 et va voir la NASA. Nous sommes en juin 1974, et face au peu de C-5 disponibles et des problèmes posés par son aile haute et sa dérive en "T", Boeing décroche un contrat pour les études de faisabilité. Le 18 du même mois, la NASA achète un 747 d'occasion à American Airlines, le N9668, un 747-100 qui totalise presque 9000 heures de vol. Cet appareil sera utilisé par la NASA quelques mois pour des études sur les vortex, puis le 747 est envoyé à Seattle chez Boeing, et subira pas moins de 30 millions de dollars de modifications entre août et novembre 1976.
Dernier projet : avec un 747 |
Les modifications apportées seront les suivantes :
- Suppression de tout le mobilier de la cabine principale, sauf dans la première classe tout à l'avant, histoire de pouvoir emmener quelques passagers malgré tout.
- Renforcement de la structure au niveau des attaches avant et arrière de l'orbiter
- La dérive verticale est remplacée par celle plus solide d'un 747-200
- Changement des circuits hydrauliques et électriques
- Gouverne de profondeur modifiée pour gagner 2°de braquage supplémentaire
- Installation de stabilisateurs verticaux supplémentaires sur le plan fixe horizontal, chacun mesurant 3 par 6 mètres
- Déplacement de l'antenne VHF à l'arrière de l'appareil
- Remotorisation : les vieux JTD9D sont remplacés par des JT9D 7AM
- Modifications des commandes de vol pour disposer d'un mode "classique" et d'un mode "avec orbiter" qui comporte une atténuation sur l'axe de tangage, pour éviter le couplage aérodynamique des ailes de la navette avec l'avion porteur.
- Installation des équipements nécessaires au suivi et au largage de l'appareil.
- Installation d'un ballast dans la soute avant pour ne pas déséquilibrer l'appareil avec un orbiter plein sur le dos
- Sur le dos, trois points de fixations sont montés pour accrocher la navette
Les points de fixation sont donc au nombre de trois, deux à l'arrière et un à l'avant. Pour la petite note humoristique : il y a des instructions peintes au pochoir sur les fixations, qui indiquent "attach orbiter here - note : black side down" littéralement "fixer la navette içi - NB : face noire vers le bas". J'aimerais bien voir les mécanos de la NASA essayer de fixer la navette sur le dos avec le nez vers l'arrière, ça pourrait être drôle ! Le point d'accroche avant est extensible, pouvant incliner la navette entre 3 et 6 degrés. La position à 3° est réservée au convoyage, 6° pour le largage.
Détail des points d'arrimage de la navette |
Largage ? Oui oui, largage : vous savez (ou vous ne savez pas et donc je vous le dis) qu'avant d'envoyer une navette dans l'espace, la NASA voulait en larguer une à haute altitude pour tester l'approche finale et l'atterrissage. Pour ces essais, dénommés ALT (Approach and Landing Tests), il fallait larguer la navette (avec équipage d'essai) depuis le 747, ce qui demandait des précautions très particulières. Avec une inclinaison à 3°, la navette risquait de venir heurter la queue du 747. Une inclinaison à 6° semblait nécessaire pour éviter tout risque de ce point de vue. Ces essais seront entrepris avec la navette "Enterprise" qui n'était pas une vraie navette (elle n'était pas équipée pour partir dans l'espace) mais avait été conçue spécialement pour ces essais.
Boeing réalisera également le cône de queue de la navette. Ce cône est destiné à protéger les moteurs et à offrir un meilleur écoulement aérodynamique qui réduit la traînée de l'avion. A l'origine conçu en une seule pièce, il est jugé trop compliqué à transporter, et la NASA profitera d'une modification du logement de parachute de queue pour en commander un second exemplaire qui se démonte en 4 parties, ce qui permet de le transporter avec le 747 lorsque la navette n'est pas avec.
Le premier largage de la navette "Enterprise"
Toutes ces modifications alourdissent l'avion de plus de 5 tonnes, soit un poids total de 225 tonnes avec orbiter mais sans carburant. Sa masse maximale au décollage est de 335 tonnes. L'appareil peut voler à Mach 0,6 avec son précieux chargement à 7500 mètres (contre Mach 0,85 en configuration lisse à 10 000 mètres) ce qui lui donne un rayon d'action de 2200 km, contre 10 100km pour le modèle d'origine. Seul bémol : à l'atterrissage, l'appareil est limité à 255 tonnes au niveau du train, ce qui signifie qu'il faut vidanger le carburant et ne garder que 11 000 litres au maximum (pour info, l'appareil consomme environ 15 000 litres à l'heure).
Côté équipage, le 747 se pilote au minimum à trois hommes, deux pilotes et un mécanicien navigant, sans la navette. Un deuxième mécanicien navigant rejoint l'équipage pour les vols de convoyage avec la navette sur le dos. D'autres tests seront effectués pour pouvoir ravitailler en vol le 747, mais devant la dangerosité de la manœuvre, la NASA abandonnera l'idée, préférant faire des vols avec escales si besoin.
Suite de l'histoire
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