Il existe un exercice redoutable et redouté de la certification d'un avion : l'essai d'évacuation d'urgence.
Dans la cadre de la certification d'un nouvel avion de ligne, les autorités de certification demandent à ce que l'avionneur fasse une démonstration pour prouver que l'intégralité des passagers de l'avion peuvent évacuer l'appareil en moins de 1 min 30. Les conditions de cet essai sont drastiques :
- L'équipage et les passagers ne doivent pas connaitre l'avion
- Les passagers sont des volontaires devant être en bonne condition physique pour éviter les accidents, et il faut au moins 40% de femmes et 35% de passagers de plus de 50 ans.
- Aucun essai avant la simulation n'est autorisé, en cas d'échec (non déploiement d'un toboggan par exemple) il faut recommencer avec un autre équipage et d'autres passagers.
- L'exercice doit se faire dans le noir.
- Seul la moitié des issues de secours peuvent être ouvertes, l'autre moitié est condamnée. L'équipage et les passagers découvrent lesquelles au moment de l'évacuation.
- L'avion n'est éclairé que par le système d'éclairage de secours (veilleuses et marquage lumineux au sol)
- L'ensemble des passagers et de l'équipage doit être assis et attaché avant le début de l'essai
- Plusieurs passagers portent des poupées pour simuler la présence de bébés
- Il y a des couvertures et des oreillers qui jonchent certains couloirs
Comment évacuer un A380 complet en 1 min 30s ? |
Le chronomètre est déclenché lorsque le commandant déclenche le signal d'évacuation. L'équipage dispose alors de 90 secondes pour évacuer l'intégralité de l'appareil. Le chronomètre est arrêté lorsque le dernier passager ou membre d'équipage touche le sol. Si le temps est dépassé, le nombre de passagers ayant évacué l'avion à T+90s représente la valeur maximale du nombre de passagers qu'il pourra transporter une fois en service.
Ces exercices sont non seulement compliqué à mettre en œuvre, mais aussi dangereux pour les passagers cobayes. Les blessures sont monnaies courantes : jambes cassés, blessures au dos et aux côtes. Plus grave encore, une femme est restée hémiplégique suite à une chute du toboggan chez McDonnell Douglas dans les années 80. L'exercice est donc loin d'être de la routine.
Airbus se frottera donc à cet essai en 2006 pour certifier l'A380. Avion de toutes les démesures, il faut certifier la capacité maximale de l'appareil, à savoir plus de 850 passagers, qu'il faut évacuer en moins de 90s. Face à la complexité de l'évacuation, Airbus demande à faire deux essais : d'abord le pont supérieur, puis le pont inférieur. L'autorité européenne (l'EASA) est d'accord, mais son équivalent US, la FAA dit non et exige un test grandeur nature, malgré les risques !
Le test sera réalisé à Hambourg. Une grande campagne de recrutement est organisée, et ce n'est pas moins de 2000 volontaires qui sont recrutés. En effet, Airbus organise deux tests, et les volontaires ne peuvent pas participer à deux tests. C'est vous dire la confiance qu'avait le management dans les chances de succès du premier coup !
Un test grandeur nature |
L'affaire n'est pas simple : il faut trouver 2000 volontaires disponibles (1000 par essai : 583 passagers, et des remplaçants "au cas où". Ils doivent répondre à des critères stricts en terme d'âge et de bonne santé physique, et ne doivent pas avoir de connaissance préalable de l'appareil. Comme toujours, la catégorie "passagers de plus de 50 ans et en excellente santé physique" est la plus difficile à remplir ! Chacun recevra une petite indemnité de 60 euros, mais beaucoup auraient été prêts à le faire gratuitement !
La date est fixé au 26 février 2006, avec l'A380 n°002. Lufthansa "prête" un équipage pour l'essai, et les volontaires reçoivent chacun un T-shirt blanc avec un numéro. Face au manque de fiabilité des toboggans supérieurs, ils sont déployés avant le test (je vous rassure, ils ont été certifiés séparément et fonctionnent beaucoup mieux sur les avions actuels !). Les autorités permettent également à des employés d'Airbus de se placer en bas des toboggans pour aider en cas de problème pour éviter qu'un passager ne se fasse piétiner. Autre concession : le hangar n'est pas plongé dans le noir complet, mais dans la pénombre pour que les gens puissent s'orienter vers les sorties une fois arrivés au sol.
La vidéo ci-dessus relate l'essai.
- 1'20" : Les passagers montent à bord pour l'essai.
- 1'57" : 1h30 plus tard, tout le monde se met en position décollage. l'ordre d'attacher les ceintures est donné, pendant que des coussins et couvertures sont posés au milieu des allées. Des observateurs se place dans les "galleys" (cuisine) et toilettes pour mieux observer de l'intérieur.
- 2'00" : Les hôtesses s'attachent également en position décollage. l'éclairage de la cabine est éteint, l'éclairage de secours est allumé.
- 2'06" : T0 : le commandant actionne la sirène d'évacuation ce qui déclenche le chronomètre, les hôtesses se lèvent pour ouvrir les portes pendant que les toboggans du pont inférieurs se déploient. On admire la douceur des stewards pour guider les passagers vers la sortie.
- 2'16" : Toutes les issues de secours du côté gauche de l'appareil sont condamnées, et tout le monde évacue du côté droit. Les 40 caméras thermiques disposées dans l'avion et le hangar observent la manœuvre.
- 2'32" : L'évacuation suit son cours, et on admire la délicatesse de la langue allemande en situation d'urgence.
- 2'57" : Le dernier passagers quitte l'avion, les membres d'équipage évacuent à leur tour. Le commandant est le dernier à quitter l'appareil, et touche le sol à T0 + 78,04 secondes. Fin de l'essai.
Malgré les craintes d'Airbus, on ne déplorera qu'une jambe cassée...et pas mal de bleus. La trentaine de pompiers présents pour l'exercice n'ont pas été débordés et tant mieux !
Les autorités retiennent pour la certification la valeur de 873 personnes en 78,04 secondes, on aurait même pu en évacuer un peu plus ! Les trente experts présents sur les lieux sont pleinement satisfaits : l'A380 obtient un "OK vert" pour l'évacuation d'urgence, et plus rien ne s'oppose à ce qu'il transporte jusqu'à 850 passagers en vol commercial ! Le deuxième essai prévu une semaine plus tard est annulé. Voilà une journée dont beaucoup se souviendront !
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