lundi 8 septembre 2014

La saga des "V bombers" de la RAF (2/2)

En 1949, les travaux avancent rapidement au Royaume-Uni sur la mise au point des nouveaux bombardiers qui vont devenir la série "V".

Le premier appareil mis au point sera le "Valiant"
Après bien des péripéties, Vickers réussira son pari : mettre au point le "Valiant" avec des caractéristiques proches des concurrents d'Avro et handley Page : un appareil capable de voler à Mach 0,82 en vol de croisière avec une bombe de 4,5 tonnes à 2400km. Il n'y a que en terme de plafond pratique que le Valiant ne pouvait pas rivaliser avec les Vulcan et Victor. Le Valiant présentait une silhouette somme toute classique, et sa mise au point fut difficile, mais les ingénieurs de Vickers parvinrent à surmonter toutes les difficultés.

Le V660 "Valiant" effectue son premier vol le 18 mai 1951 à partir de la piste en herbe de Wisley. Il sera suivi par deux autres prototypes en 1953. Vickers s'attela ensuite à la fabrication en série des 25 appareils commandés par la RAF, avec le premier appareil de pré-série qui fit son premier vol le 21 décembre 1953, avec 10 jours d'avance sur le planning !

Le Valiant largue une maquette de la bombe "Blue Danube"
A ce moment de l'histoire en1952, la RAF n'avait commandé que deux prototypes du Vulcan et deux prottotypes du "Victor"…chacun espérant rafler le marché, convaincu qu'il y aurait un gagnant et un perdant dans l'histoire. Pourtant, la RAF se rend compte que les caractéristiques des deux appareils sont proches, tellement proches qu'en juin 1952, la RAF décide de commander 25 exemplaires de chaque appareil ! Par la suite, l'état major ne pourra jamais trancher en faveur d'un appareil plutôt que l'autre : c'est ainsi que le gouvernement passera commande alternativement de Victor et de Vulcan, chose impensable aujourd'hui.

Pendant ce temps, Avro et Handley Page avançaient très lentement pour cause d'un financement très réduit par rapport à ce qui avait été prévu au départ. Il faudra attendre la guerre de Corée pour que des crédits importants soient débloqués. Avro pourra ainsi avancer sur son "aile volante", un appareil à aile delta doté d'un empennage simple, qui rappelait certaines configurations découvertes dans les archives allemandes à la fin de la Guerre. Les conséquences de cette forme en revanche étaient très mal connues : l'aérodynamisme d'une telle formule n'avait jamais été tentée à aussi large échelle auparavant. Il faudra donc réaliser des maquettes et des appareils d'essais, dont le fameux Avro 707, avant que les ingénieurs d'Avro puissent mettre au point la version finale de leur bombardier. Le prototype fit son premier vol le 30 Août 1952, avec des moteurs "Avon" temporaire en attendant l'arrivée des "Olympus", beaucoup plus puissants.

L'Avro "Vulcan" sera le deuxième bombardier "V" à entrer en service

Handley Page de son côté avançait avec du retard : le comportement de la voilure en forme de croissant était inconnu, et il faudra aussi faire de nombreux essais et construire un appareil d'essai, le HP.88 avant de trouver la bonne formule. L'appareil fit son premier vol fin 1952, propulsés par des "Sapphire", qui furent ensuite adaptés sur le Vulcain.

Rapidement cependant, les prototypes vont se révéler insuffisants pour tester les appareils en vol, il faut utiliser les avions de série pour permettre la mise en service des appareils dans les temps : le premier Vulcan B Mk1 décolle le 4 février 1955, et le premier Victor B Mk1 un an plus tard. C'est également en février 1955 que le "Valiant" entre en service opérationnel au sein du "Squadron 138". L'Angleterre possède enfin son bombardier nucléaire moderne, mis en œuvre par le fameux "Bomber Command" de la RAF. En 1962, la RAF met au point le QRA ou Quick Reaction Alert : chaque squadron de bombardier V doit pouvoir mettre des avions en  l'air en moins de 15 minutes, l'ensemble du Bomber Command devant se préparer à mobiliser 80% de ses effectifs dans les 12 heures suivant une alerte. Cependant, il va rapidement apparaître que en cas d'attaque nucléaire surprise, le délai de 15 minutes n'était pas suffisant pour permettre aux appareils de prendre l'air et d'évacuer les bases avant leur destruction. Il va falloir faire une alerte permanente, "24/7".

Décollage sur alerte des "Vulcan"

L'alerte permanente peut alors commencer sur les bases du Bomber Command : des appareils sont en alerte avec un équipage à bord et une bombe atomique en soute. Un téléphone avec une ligne reliée directement au QG du "Bomber Command" était dans le cockpit de l'avion. Dès que l'ordre de décollage ou "scramble" était reçu, les lignes étaient débranchées, le plein de carburant arrêté et les moteurs mis en route. L'objectif était que le bombardier quitte la piste en 4 minutes maximum à compter du  scramble. Les équipages connaissaient leurs objectifs à l'avance et n'avaient donc pas besoin de briefing avant vol. Contrairement aux américains, les britanniques ne pouvaient pas se payer le luxe de maintenir des bombardiers dans les airs en permanence.

L'ensemble des bombardiers V seront dispersés sur dix bases principales "class A". Il s'agissait là des bases dépôts avec tous les ateliers et hangars de maintenance, et une grande piste de 3000 mètres. Pour assurer la crédibilité de la dissuasion nucléaire, garder toute la flotte de bombardiers sur seulement dix bases est vu comme trop risqué, et les bombardiers pouvaient également utiliser une trentaine de terrains secondaires utilisés par l'aviation de chasse britanniques. En cas de risque de guerre, les bombardiers pouvaient également rallier des aérodromes de dispersion. Ces 26 aérodromes étaient très rudimentaires, constitués d'une piste, d'une aire de parking, et de bâtiments en dur pour accueillir équipages et installations électriques. Chaque terrain était équipé pour accueillir quatre bombardiers pour un temps court (de quelques jours à quelques semaines)

De g à d : Valiant, Vulcan et Victor : rare photo des 3 bombardiers "V"


La participation des équipages de la RAF aux exercices du Strategic Air Command américain va permettre de maintenir la compétence des équipages, et les nombreuses missions en déploiement extérieurs permettront également de montrer au monde entier les capacités de projection de la flotte de bombardiers stratégiques britannique. Les 3 modèles de bombardiers seront ainsi envoyés au fil des ans en Australie, Nouvelle-Zélande, Amérique du sud, Etats-Unis etc…

L'apogée des "V Bombers" est atteinte en 1962 : à cette époque, pas moins de 144 bombardiers nucléaires étaient en service au sein de la RAF. L'apparition des versions Mk2 des "Victor" et "Vulcan" va aussi permettre de libérer certains appareils de leurs missions nucléaires.

Le missile "Blue Steel" va donner une allonge plus grande aux "V" bombers

Le plus gros changement venait cependant de la mise au point des missiles SAM par les soviétiques : la RAF craignait que ses bombardiers ne puissent jamais atteindre leurs objectifs, faute de protection suffisante. La leçon retenu par les anglais suite à l'affaire du U-2 de Gary Powers sera de transformer les profils de missions : de pénétration à haute altitude, les bombardiers V vont devoir désormais attaquer à basse altitude. Les bombardiers V vont ainsi commencer à s'entraîner au vol à très basse altitude dans l'espoir de pénétrer au cœur de l'Union Soviétique sans être détecté. Le seul problème venait que à basse altitude, un appareil est beaucoup plus malmené qu'à haute altitude : la structure des bombardiers va commencer à souffrir bien plus que ce qui avait été prévu.

Le premier des bombardiers V à prendre sa retraite sera le "Valiant", dont les derniers exemplaires seront retirés du service en 1964, suite à de nombreux problèmes structurels engendrés par la rigueur des vols à basse altitude.

Une autre piste pour améliorer la protection des bombardiers était de leur fournir une  allonge supplémentaire en le dotant d'un missile longue portée pouvant être tiré à 150km de son objectif au moins, ce qui offrait de meilleures chances de survie à l'équipage du bombardier. C'est ainsi que sera mis au point le "Blue Steel", un missile nucléaire propulsé par un moteur à poudre d'une portée de 160km. Les essais de ce nouveau missile auront lieu principalement en Australie de 1959 à 1960, avant d'entrer en service au sein de la RAF en 1962. Les Victor et Vulcan seront tous les deux porteurs de l'arme. Par la suite, un autre missile sera envisagé, mais celui-ci sera annulé, étant remplacé par le missile "Skybolt" américain de chez Douglas. Petit problème cependant : seul le Vulcan pouvait emporter le Skybolt, mais pas le Victor. Cela n'aura que peu d'incidence sur la suite vu que l'administration Kennedy annula le Skybolt en 1962, laissant les britanniques sans aucune solution de repli.

Un "Vulcan" transportant un missile "Blue Steel"
N'ayant plus aucun missile nucléaire crédible, ce sera le début du déclin de la force des bombardiers V. Le Royaume-Uni va tout miser sur les missiles Polaris des sous-marins nucléaires, et va  progressivement démanteler toute son aviation stratégique : les Vulcan et Victor Mk1 vont commencer à partir à la ferraille, alors même que les Victor Mk2 sont transformés en ravitailleurs, et les Vulcan en bombardiers conventionnels. Le missile Blue Steel est retiré du service en juin 1969, et à partir de ce moment là, les Vulcan n'assureront plus l'alerte permanente : c'est la fin de l'alerte nucléaire pour la RAF, et aussi la fin des bombardiers V en tant que bombardiers nucléaires.

Les Victor seront transformés en citernes volantes et les Vulcan seront transformés en bombardiers conventionnels. Même si le Vulcan peut emporter une charge de bombe moins importante que le Victor, il peut voler plus haut grâce à sa voilure plus large.

Vol en formation au tout début du programme...


Le chant du cygne des bombardiers V aura lieu en 1982, à l'occasion de la Guerre des Malouines : la junte militaire argentine va envahir ces petites îles appartenant au Royaume-Uni, espérant que l'Angleterre ne réagirai pas. Pourtant, Margaret Thatcher fit son devoir de les récupérer, et même si le gros de l'action sera effectué par la Royal Navy, les Vulcan et Victor seront appelés une dernière fois à la rescousse, avec l'organisation des missions "Black buck" de bombardement des Malouines. Les Vulcan retrouveront brièvement leurs capacités de ravitaillement en vol, et la flotte de Victor fournira le carburant pour ces missions qui comptent parmi les plus longues missions de Guerre de l'histoire. Les Vulcan participèrent également à des missions de reconnaissance.

En résumé, les 3 bombardiers "V"

Malgré leurs succès lors de la guerre des Malouines, les Vulcan seront retirés du service et envoyés à la ferraille en 1983. Les Victor seront retirés du service à leur tour dans les années qui vont suivre : le rythme de vie intensif des Victor pendant la Guerre des Malouines va accélérer la fin de leur carrière, et même si une quinzaine d'exemplaires resteront en service au-delà de 1984, le Victor va disparaitre de première ligne, remplacés par les VC-10 pour le rôle de ravitaillement en vol. En 1985, seul le Squadron 55 alignait encore des Victor à Marham. L'ensemble de la flotte est retiré en 1993, ce qui va clôre la grande saga des bombardiers "V" britanniques.

1 commentaire:

  1. Je signale un petit article sur des manœuvres en 1960/1961 ou les Vulcan ont percé les défenses aériennes nord américaines :

    https://en.wikipedia.org/wiki/Operation_Skyshield

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