En 1949, les travaux avancent rapidement au Royaume-Uni sur la mise au point des nouveaux bombardiers qui vont devenir la série "V".
Le premier appareil mis au point sera le "Valiant" |
Après bien des péripéties, Vickers réussira son pari : mettre au point le "Valiant" avec des
caractéristiques proches des concurrents d'Avro et handley Page : un
appareil capable de voler à Mach 0,82 en vol de croisière avec une bombe
de 4,5 tonnes à 2400km. Il n'y a que en terme de plafond pratique que
le Valiant ne pouvait pas rivaliser avec les Vulcan et Victor. Le
Valiant présentait une silhouette somme toute classique, et sa mise au
point fut difficile, mais les ingénieurs de Vickers parvinrent à
surmonter toutes les difficultés.
Le V660 "Valiant"
effectue son premier vol le 18 mai 1951 à partir de la piste en herbe de
Wisley. Il sera suivi par deux autres prototypes en 1953. Vickers
s'attela ensuite à la fabrication en série des 25 appareils commandés
par la RAF, avec le premier appareil de pré-série qui fit son premier
vol le 21 décembre 1953, avec 10 jours d'avance sur le planning !
Le Valiant largue une maquette de la bombe "Blue Danube" |
A
ce moment de l'histoire en1952, la RAF n'avait commandé que deux
prototypes du Vulcan et deux prottotypes du "Victor"…chacun espérant
rafler le marché, convaincu qu'il y aurait un gagnant et un perdant dans
l'histoire. Pourtant, la RAF se rend compte que les caractéristiques
des deux appareils sont proches, tellement proches qu'en juin 1952, la
RAF décide de commander 25 exemplaires de chaque appareil ! Par la
suite, l'état major ne pourra jamais trancher en faveur d'un appareil
plutôt que l'autre : c'est ainsi que le gouvernement passera commande
alternativement de Victor et de Vulcan, chose impensable aujourd'hui.
Pendant
ce temps, Avro et Handley Page avançaient très lentement pour cause
d'un financement très réduit par rapport à ce qui avait été prévu au
départ. Il faudra attendre la guerre de Corée pour que des crédits
importants soient débloqués. Avro pourra ainsi avancer sur son "aile
volante", un appareil à aile delta doté d'un empennage simple, qui
rappelait certaines configurations découvertes dans les archives
allemandes à la fin de la Guerre. Les conséquences de cette forme en
revanche étaient très mal connues : l'aérodynamisme d'une telle formule
n'avait jamais été tentée à aussi large échelle auparavant. Il faudra
donc réaliser des maquettes et des appareils d'essais, dont le fameux
Avro 707, avant que les ingénieurs d'Avro puissent mettre au point la
version finale de leur bombardier. Le prototype fit son premier vol le
30 Août 1952, avec des moteurs "Avon" temporaire en attendant l'arrivée
des "Olympus", beaucoup plus puissants.
L'Avro "Vulcan" sera le deuxième bombardier "V" à entrer en service |
Handley Page de
son côté avançait avec du retard : le comportement de la voilure en
forme de croissant était inconnu, et il faudra aussi faire de nombreux
essais et construire un appareil d'essai, le HP.88 avant de trouver la
bonne formule. L'appareil fit son premier vol fin 1952, propulsés par
des "Sapphire", qui furent ensuite adaptés sur le Vulcain.
Rapidement
cependant, les prototypes vont se révéler insuffisants pour tester les
appareils en vol, il faut utiliser les avions de série pour permettre la
mise en service des appareils dans les temps : le premier Vulcan B Mk1
décolle le 4 février 1955, et le premier Victor B Mk1 un an plus tard.
C'est également en février 1955 que le "Valiant" entre en service
opérationnel au sein du "Squadron 138". L'Angleterre possède enfin son
bombardier nucléaire moderne, mis en œuvre par le fameux "Bomber
Command" de la RAF. En 1962, la RAF met au point le QRA ou Quick
Reaction Alert : chaque squadron de bombardier V doit pouvoir mettre des
avions en l'air en moins de 15 minutes, l'ensemble du Bomber Command
devant se préparer à mobiliser 80% de ses effectifs dans les 12 heures
suivant une alerte. Cependant, il va rapidement apparaître que en cas
d'attaque nucléaire surprise, le délai de 15 minutes n'était pas
suffisant pour permettre aux appareils de prendre l'air et d'évacuer les
bases avant leur destruction. Il va falloir faire une alerte
permanente, "24/7".
Décollage sur alerte des "Vulcan" |
L'alerte permanente peut alors
commencer sur les bases du Bomber Command : des appareils sont en alerte
avec un équipage à bord et une bombe atomique en soute. Un téléphone
avec une ligne reliée directement au QG du "Bomber Command" était dans
le cockpit de l'avion. Dès que l'ordre de décollage ou "scramble" était
reçu, les lignes étaient débranchées, le plein de carburant arrêté et
les moteurs mis en route. L'objectif était que le bombardier quitte la
piste en 4 minutes maximum à compter du scramble. Les équipages
connaissaient leurs objectifs à l'avance et n'avaient donc pas besoin de
briefing avant vol. Contrairement aux américains, les britanniques ne
pouvaient pas se payer le luxe de maintenir des bombardiers dans les
airs en permanence.
L'ensemble des bombardiers V seront
dispersés sur dix bases principales "class A". Il s'agissait là des
bases dépôts avec tous les ateliers et hangars de maintenance, et une
grande piste de 3000 mètres. Pour assurer la crédibilité de la
dissuasion nucléaire, garder toute la flotte de bombardiers sur
seulement dix bases est vu comme trop risqué, et les bombardiers
pouvaient également utiliser une trentaine de terrains secondaires
utilisés par l'aviation de chasse britanniques. En cas de risque de
guerre, les bombardiers pouvaient également rallier des aérodromes de
dispersion. Ces 26 aérodromes étaient très rudimentaires, constitués
d'une piste, d'une aire de parking, et de bâtiments en dur pour
accueillir équipages et installations électriques. Chaque terrain était
équipé pour accueillir quatre bombardiers pour un temps court (de
quelques jours à quelques semaines)
De g à d : Valiant, Vulcan et Victor : rare photo des 3 bombardiers "V" |
La participation
des équipages de la RAF aux exercices du Strategic Air Command américain
va permettre de maintenir la compétence des équipages, et les nombreuses
missions en déploiement extérieurs permettront également de montrer au
monde entier les capacités de projection de la flotte de bombardiers
stratégiques britannique. Les 3 modèles de bombardiers seront ainsi
envoyés au fil des ans en Australie, Nouvelle-Zélande, Amérique du sud,
Etats-Unis etc…
L'apogée des "V Bombers" est atteinte
en 1962 : à cette époque, pas moins de 144 bombardiers nucléaires
étaient en service au sein de la RAF. L'apparition des versions Mk2 des
"Victor" et "Vulcan" va aussi permettre de libérer certains appareils de
leurs missions nucléaires.
Le missile "Blue Steel" va donner une allonge plus grande aux "V" bombers |
Le plus gros changement
venait cependant de la mise au point des missiles SAM par les
soviétiques : la RAF craignait que ses bombardiers ne puissent jamais
atteindre leurs objectifs, faute de protection suffisante. La leçon
retenu par les anglais suite à l'affaire du U-2 de Gary Powers sera de
transformer les profils de missions : de pénétration à haute altitude,
les bombardiers V vont devoir désormais attaquer à basse altitude. Les
bombardiers V vont ainsi commencer à s'entraîner au vol à très basse
altitude dans l'espoir de pénétrer au cœur de l'Union Soviétique sans
être détecté. Le seul problème venait que à basse altitude, un appareil
est beaucoup plus malmené qu'à haute altitude : la structure des
bombardiers va commencer à souffrir bien plus que ce qui avait été
prévu.
Le premier des bombardiers V à prendre sa
retraite sera le "Valiant", dont les derniers exemplaires seront retirés
du service en 1964, suite à de nombreux problèmes structurels engendrés
par la rigueur des vols à basse altitude.
Une autre
piste pour améliorer la protection des bombardiers était de leur fournir
une allonge supplémentaire en le dotant d'un missile longue portée
pouvant être tiré à 150km de son objectif au moins, ce qui offrait de
meilleures chances de survie à l'équipage du bombardier. C'est ainsi que
sera mis au point le "Blue Steel", un missile nucléaire propulsé par un
moteur à poudre d'une portée de 160km. Les essais de ce nouveau missile
auront lieu principalement en Australie de 1959 à 1960, avant d'entrer
en service au sein de la RAF en 1962. Les Victor et Vulcan seront tous
les deux porteurs de l'arme. Par la suite, un autre missile sera
envisagé, mais celui-ci sera annulé, étant remplacé par le missile
"Skybolt" américain de chez Douglas. Petit problème cependant : seul le
Vulcan pouvait emporter le Skybolt, mais pas le Victor. Cela n'aura que
peu d'incidence sur la suite vu que l'administration Kennedy annula le
Skybolt en 1962, laissant les britanniques sans aucune solution de
repli.
Un "Vulcan" transportant un missile "Blue Steel" |
N'ayant plus aucun missile nucléaire crédible,
ce sera le début du déclin de la force des bombardiers V. Le Royaume-Uni
va tout miser sur les missiles Polaris des sous-marins nucléaires, et
va progressivement démanteler toute son aviation stratégique : les
Vulcan et Victor Mk1 vont commencer à partir à la ferraille, alors même
que les Victor Mk2 sont transformés en ravitailleurs, et les Vulcan en
bombardiers conventionnels. Le missile Blue Steel est retiré du service
en juin 1969, et à partir de ce moment là, les Vulcan n'assureront plus
l'alerte permanente : c'est la fin de l'alerte nucléaire pour la RAF, et
aussi la fin des bombardiers V en tant que bombardiers nucléaires.
Les
Victor seront transformés en citernes volantes et les Vulcan seront
transformés en bombardiers conventionnels. Même si le Vulcan peut
emporter une charge de bombe moins importante que le Victor, il peut
voler plus haut grâce à sa voilure plus large.
Vol en formation au tout début du programme... |
Le chant
du cygne des bombardiers V aura lieu en 1982, à l'occasion de la Guerre
des Malouines : la junte militaire argentine va envahir ces petites
îles appartenant au Royaume-Uni, espérant que l'Angleterre ne réagirai
pas. Pourtant, Margaret Thatcher fit son devoir de les récupérer, et
même si le gros de l'action sera effectué par la Royal Navy, les Vulcan
et Victor seront appelés une dernière fois à la rescousse, avec
l'organisation des missions "Black buck" de bombardement des Malouines.
Les Vulcan retrouveront brièvement leurs capacités de ravitaillement en
vol, et la flotte de Victor fournira le carburant pour ces missions qui
comptent parmi les plus longues missions de Guerre de l'histoire. Les
Vulcan participèrent également à des missions de reconnaissance.
En résumé, les 3 bombardiers "V" |
Malgré
leurs succès lors de la guerre des Malouines, les Vulcan seront retirés
du service et envoyés à la ferraille en 1983. Les Victor seront retirés
du service à leur tour dans les années qui vont suivre : le rythme de
vie intensif des Victor pendant la Guerre des Malouines va accélérer la
fin de leur carrière, et même si une quinzaine d'exemplaires resteront
en service au-delà de 1984, le Victor va disparaitre de première ligne,
remplacés par les VC-10 pour le rôle de ravitaillement en vol. En 1985,
seul le Squadron 55 alignait encore des Victor à Marham. L'ensemble de
la flotte est retiré en 1993, ce qui va clôre la grande saga des
bombardiers "V" britanniques.
Je signale un petit article sur des manœuvres en 1960/1961 ou les Vulcan ont percé les défenses aériennes nord américaines :
RépondreSupprimerhttps://en.wikipedia.org/wiki/Operation_Skyshield