lundi 27 octobre 2014

Le filet attrape-Concorde

Je vous ai déjà parlé plusieurs fois de l'aventure Concorde sur ce blog, que ce soit pour la mise au point de l'appareil ou encore ses commandes de vol, mais pour mettre au point Concorde, il faudra également mettre au point bon nombre d'équipements annexes, qui ne sont pas toujours aussi "glamour" que le supersonique. C'est le cas de la barrière d'arrêt.

Lors de la mise au point de Concorde, une des craintes de l'Aérospatiale était que vu les vitesses d'approches élevées de l'appareil, si jamais ses freins faisaient défaut, il ne termine dans le décor en fin de piste : pour éviter cela il fallait rallonger la piste, mais l'Aérospatiale décidant de la jouer avec ceinture et bretelles va également demander à mettre au point une barrière d'arrêt capable d'arrêter Concorde en bout de piste avant qu'il ne sorte de piste.

C'est Aérazur qui va relever le défi du filet attrape-Concorde


Le concept de la barrière d'arrêt n'était pas nouveau en soi : ils étaient largement utilisés sur les porte-avions, et même à terre pour récupérer certains appareils lors de vols d'essais qui ne se passaient pas comme prévu. Une des sociétés ayant mis au point un filet de ce genre était la société Aérazur. Original, son filet se composait de plusieurs sous-filets composés de grandes lanières de nylon verticales, reliées par un câble tendue en travers de la piste à une hauteur de quelques mètres : même en cas de rupture de lanières, le filet garde son intégrité, car les sous-filets sont indépendants. Un système de freins permettait de détendre le filet et amortir l'impact de  l'appareil dedans. Le système marchait très bien pour rattraper des chasseurs dont le poids avoisinait la dizaine de tonnes, voire même la vingtaine mais guère plus…avec Concorde, on passait à 150 tonnes, soit presque dix fois plus !

Le filet Aérazur était utilisé depuis le début des années 60 sur la base de Bretigny, avec succès, mais l'armée de l'air ne disposant d'aucun appareil pouvant "simuler" Concorde, il sera décidé de demander l'aide des américains, qui comme souvent acceptèrent. C'est ainsi que mi-décembre 1967, une délégation française va emmener le fameux filet à Edwards AFB aux Etats-Unis pour le tester grandeur nature grâce au prêt d'un B-52 déclassé gentiment donné par les américains pour les tests. Même si le b-52 ne ressemble en rien à Concorde, il présentait l'avantage d'être de masse et d'encombrement similaire. La mission ne sera pas simple : entre les bras de fer avec les douanes pour importer puis exporter le filet, sans parler du fait que décembre est la pire période de l'année à Edwards : des pluies violentes inondent les lacs asséchés, les rendant impraticables. Malgré les difficultés, la mission est un succès et permet d'affiner le design du filet. Mais il reste la grande inconnue : comment est-ce que Concorde lui-même se comportera face à lui ?

L'USAF va prêter un B-52 pour les essais sur la base d'Edwards...


La nouvelle barrière est ainsi installée au nord de la nouvelle piste de l'aéroport de Blagnac dédiée aux essais de l'Aérospatiale, et le Concorde 001 sera utilisé pour les premiers essais statiques : en Août 1968, bien avant son premier vol, le prototype de Concorde est amené et tracté très lentement dans le filet pour voir comment celui-ci "enveloppe" le bel oiseau blanc.

Le haut du filet glisse lentement sur l'appareil, alors que les lanières l'entourent, et le haut du filet va buter sur une antenne radioélectrique située au sommet de l'appareil : l'ingénieur en charge des essais demande une échelle pour monter y voir de plus près. Un responsable programme qui était là lui demanda d'ailleurs de monter en chaussette pour ne pas laisser de traces de semelles sur le beau prototype qui sortait de l'atelier peinture ! Son épouse qui assistait également à l'essai lui lança "pourvu qu'il n'ait pas de trous à ses chaussettes"…décrochant ainsi un regard furieux de son mari !


Concorde 001 sera amené devant la barrière très lentement pour ne pas l'abimer

L'antenne posait problème : affutée comme un rasoir, elle était conçue pour fendre l'air à mach2, mais risquait de trancher net la partie haute du filet, qui regroupait toutes les lanières des sous-filets : si cet élément était tranché, le filet s'ouvrait en deux ! Il sera finalement décidé de remplacer cette antenne par une autre plus arrondie pour les essais, Concorde ne devant pas utiliser de barrière en service commerciale, l'antenne Mach 2 pourrait être remontée par la suite.

Les ingénieurs demandèrent des tests, et les tests furent effectués : on monta donc l'antenne Mach2 sur un chariot lancé à la bonne hauteur contre le filet qui avait été remonté à Istres, et cet essai fut concluant : le filet étant coupé net ! L'antenne modifié sera essayée dans les même conditions et donnera d'excellents résultats, passant sous le filet.

001 est glissé lentement à travers les mailles du filet...


Une fois ce problème réglé, il restait à qualifier l'ensemble détecteurs + barrière + freins de manière dynamique, c'est-à-dire avec un avion lancé à pleine vitesse. Comme il était hors de question d'utiliser un prototype de Concorde, Aérospatiale va confier cette mission à la Caravelle d'essais 02. L'expérience demandera de monter deux cinéthéodolites pour mesurer précisément la vitesse de l'infortunée Caravelle ainsi que des caméras à haute vitesse et des capteurs d'efforts pour ne rien rater du spectacle.

Par trois fois, la Caravelle va engager la barrière...


Cette opération très lourde sera renouvelée trois fois, les 28 novembre puis 3 et 6 décembre 1968, respectivement avec une vitesse d'entrée au filet de 80, 85 puis 95 nœuds. Pour les trois vols, la Caravelle était commandée par Gilbert Defer, celui-là même qui fera le premier vol du Béluga bien des années plus tard ! Les deux premiers essais se déroulèrent parfaitement bien, en revanche, au cours du 3ème, une pièce du filet se rompit d'un côté, mettant la Caravelle de travers sur la piste, mais sans que cela porte à plus de conséquences. Un examen attentif de la pièce montrera qu'elle avait cédée par fatigue et non par efforts excessifs. La Caravelle ne souffrira que de quelques bosses sur les bords d'attaques des ailes, mais sans plus : elle terminera ainsi sa carrière, étant par la suite ferraillé, seul son nez à été sauvé et se trouve aujourd'hui au musée du Bourget.

Le filet sera entièrement inspecté et réparé suite à ces essais, avant d'être déclaré opérationnel pour Concorde, mais la qualité des freins de Concorde étant très bonne, Concorde n'utilisera jamais cette barrière, qui sera démantelé à la fin du programme d'essai vers 1976 !

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