dimanche 14 octobre 2012

Mystérieuses boites noires (1/3)

Première partie : la genèse

Les "boites noires" sont devenues aujourd'hui un appareil courant, et même connu du public. En effet, à chaque accident aérien, les journaux tiennent leur audience en haleine jusqu'à ce que les enquêteurs retrouvent ces fameuses boites noires, clé pour la compréhension de l'accident. Généralement, le sujet disparaît de la l'actualité dès que ces fameux boîtiers ont été retrouvés, l'enquête qui suit dure plusieurs mois et n'est pas compatible avec la notion d'actualités qui se mesure en jour voire en heures.

Pourtant, si disposer d'enregistrement de vols est aujourd'hui une évidence, cela n'a pas toujours été le cas. Pour mieux comprendre l'origine et la naissance des boites noires, il faut se replonger à la fin des années 30.



A cette époque, les moyens de conception d'un appareil n'était pas les mêmes qu'aujourd'hui : il n'était pas possible de simuler le comportement en vol de l'appareil autrement que sur papier avec une règle à calcul. Les essais en vol représentaient donc vraiment une "découverte" du comportement de l'avion..et de nombreuses modifications étaient apportés aux prototypes à cette occasion. Mais ce métier de pilote d'essai n'était pas sans risques : de nombreux accidents prirent la vie de nombreux pilotes, comme le savait bien Sir Geoffroy de Havilland, concepteur d'avion en Grande Bretagne, qui perdit ses deux fils dans des accidents de prototypes. Or dans une ère d'instruments purement mécaniques, seul le témoignage du pilote pouvait apporter des précisions sur le comportement de l'avion. Suite à un crash, si le pilote n'avait pas survécu, il était souvent impossible de savoir ce qui avait causé le problème. De plus, on imagine le souci que pouvait avoir un pilote d'essai de piloter l'appareil d'une main tout en prenant des notes sur un carnet fixé sur sa cuisse !

Portrait de François Hussenot

Pour mieux suivre le vol, en complément des compte-rendu de pilotes, un enregistrement photographique fut mis au point. Un appareil photo placé au dessus du pilote prenait des photographie à intervalles réguliers. Le système était loin d'être idéal, ne fournissant que quelques points de mesures par vol, les photos s'avérant souvent floues ou sombres. De plus, en cas de crash, l'appareil (et le film) était détruit. Il fallait trouver mieux.

C'est alors qu'un ingénieur du centre d'essais en vol, François Hussenot, eut l'idée de mettre au point un enregistreur de vol standard, capable d'enregistrer en continu les paramètres essentiels du vol. En collaboration avec Charles Beaudoin, ils vont mettre au point le premier enregistreur de vol de l'histoire.

François Hussenot n'est pas n'importe qui. Né à Charleville-Mézières en 1912, il intègre l'Ecole Polytechnique en 1930 à tout juste 18 ans. Passionné d'aéronautique, il intègre ensuite Sup'aero. Ayant passé son brevet de pilote, il intègre ensuite le centre d'essais de Villacoublay en tant qu'ingénieur de l'air. Il s'intéresse très vite au moyen d'essais, et passera sa carrière à perfectionner les technologies permettant de mieux suivre les essais d'aéronefs, tant au sol qu'en vol. Il était connu au Centre d'essais en vol comme "le père des moyens d'essais"

Exemple de film photographique après dépouillage d'un Hussenographe


Ce n'est pas tant le boitier d'enregistrement qui pose problème que l'adaptation des chaines de mesures. En effet, la plupart des instruments étant analogiques, et à transmission directe, il n'est pas évident de créer des dérivations pour enregistrer les paramètres. De plus, il n'existe pas d'enregistreur sur bande assez rapide et disposant de suffisamment de capacité de stockage pour enregistrer les différents paramètres. Qu'importe, François Hussenot attaque le problème de façon optique ! L'idée est de créer un enregistreur équipé de capteurs pouvant projeter les paramètres de façon optique sur une bande photographique. Cette bande photographique tourne en continue, enregistrant tous les paramètres (à l'époque, une dizaine à comparer avec plusieurs centaines aujourd'hui). La bande photographique est enfermée dans un caisson renforcée pour survivre à un crash. Hussenot met ainsi au point "l'enregistreur multiple A11" dès 1939.

La guerre arrive, et Hussenot est obligé de détruire ses notes, et pour que son enregistreur ne tombe pas aux mains de l'ennemi, il va le cacher dans les sables du bassin d'Arcachon. Manque de chance, la dune ayant bougé, Hussenot ne retrouva jamais son enregistreur après la guerre ! Qu'importe, le principe est au point : à la libération, il reprend ses travaux depuis zéro, perfectionne le principe, et dispose dès 1945 de 25 enregistreurs Hussenot-Beaudouin (HB) ou Hussenographe.

La réalisation industrielle de capteurs de précision avec un enregistreur photographique multiple représente un grand défi, et pour le relever, François Hussenot fonde la Société Française pour l'Instrumentation (SFIM, aujourd'hui intégrée au groupe Safran) en 1947. La boite noire est née.

Un des premiers modèle d'enregistreur Hussenot - la caisson blindé avec la bande photo est en bas

En plus de la boite noire, Hussenot ne reste pas inactif : professeur à Supaero, ingénieur de l'air, il fonde même en 1946 de l'EPNER, L'Ecole du personnel Navigant d'Essais et de Réception, pionnière en son genre. A 35 ans, il avait déjà déposé une demi-douzaine de brevets à titre personnel et autant pour l'état.

La boite noire était née, nous verrons dans un prochain article son évolution vers la forme moderne que nous lui connaissons actuellement.

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