lundi 24 mars 2014

L'histoire des commandes de vol électriques (1/3)

Grande question : quel fut le premier appareil équipé de commandes de vol électriques ou "CDVE" ? Vous allez soit me répondre "je ne sais pas" ou "facile, l'A320 !". La deuxième réponse est la bonne mais ce n'est pas si simple que ça. Comme beaucoup d'innovations techniques, il y a eu des essais et des erreurs avant d'arriver à la fiabilité des systèmes actuels. Comment est-on passé d'un système purement mécanique à un véritable système numérique capable de piloter l'avion tout seul (ou presque) ?

Un avion, une révolution ?

Pour mieux comprendre ce que sont les CDVE et d'où elles viennent, il va falloir faire un petit retour en arrière. Des débuts de l'aviation aux années 40, malgré quelques modernisations, le principe des commandes de vol est resté le même : commandes mécaniques à câbles. Dans ce système, le manche du pilote agit sur des câbles, qui via des poulies et renvois, permettent de contrôler les surfaces de vol sur les trois axes. On trouve en outre des commandes de trim permettant d'équilibrer l'avion au neutre, de telle sorte que l'avion reste stable lorsque le pilote lâche le manche. Pour de plus amples renseignements, je vous invite à vous reporter à mon autre blog où je traitais le cas des commandes de vol du Super-Guppy, identique à celles du Stratocruiser et des avions des années 50.

A la fin des années 40, l'apparition des turboréacteurs va faire faire un bond en avant en terme de performance aux avions : on passe d'un régime de vol subsonique à un régime transsonique voire même supersonique à partir de 1947. Or de telles variations de vitesses et d'altitude modifient le comportement des gouvernes : l'avion répond bien près du sol, mais répond moins bien à haute altitude, ou l'inverse. Le Boeing 707 sera le premier équipé de trim (compensateurs) électriques, mais ce sera un échec : trop puissant et mal maitrisé il conduira à des crashs, dont celui du "château de Sully" d'Air France à Orly en 1962.

Les restes du "Chateau de Sully" après son crash, du à un moteur électrique de trim bloqué ayant empêché l'appareil de décoller


L'électricité n'est pas prête, mais c'est l'énergie hydraulique qui va apporter une réponse : les servo-commandes hydrauliques vont apparaitre et vite devenir populaire sur les avions à réactions d'après guerre, comme le Comet, la Caravelle…mais aussi le Vautour, Mystère IV et Mirage III. Dans ce système, le manche du pilote reste le même, et toute la timonerie de commande reste inchangée. En revanche, la timonerie n'est plus connectée à des commandes, mais à des tiroirs d'admission des servo-commandes, qui contrôlent directement les gouvernes. Problème : le pilote ne "sent" plus l'avion. Pour obtenir un sentiment comparable à celui de l'air sur les surfaces mobiles, il faut donc installer un système de retour de force artificiel, donnant au pilote des sensations d'effort correctes.

Sur Caravelle : une timonerie de commande "classique"...
...mais le pilote en réalité ne commande plus les gouvernes, mais des servodynes, constitués de deux vérins montés dos à dos...
...chaque vérin est alimenté par un circuit hydraulique différent....


Les servo-commandes permettent de réduire l'effort musculaire du pilote…mais la timonerie de commandes reste inchangée, et elles ne permettent pas d'améliorer la stabilité de l'avion. Dès 1952, les anglais (bombardier Avro "Vulcan") et canadiens (sur le CF-105 "Arrow") testent des vérins electrohydrauliques en boucle ouverte, et en France, le concept de commandes de vol électrique (CDVE) apparait dès 1955 dans des recherches au STAé (Service Technique de l'Aéronautique).

Mais avant d'aller plus loin, arrêtons nous un instant sur une différence fondamentale entre "commandes électriques", et "commandes de vol électrique CDVE". Les commandes électriques agissent en "boucle ouverte", c'est-à-dire que à chaque déplacement du manche correspond un déplacement des gouvernes, et ce pour tous les domaines de vol. C'est ensuite au pilote de vérifier le comportement de l'avion. Ce système est plus simple, et permet d'éliminer l'encombrante tringlerie des commandes de vol, mais c'est à peu près tout. Dans le cas des CDVE, le déplacement du manche correspond à une consigne (par exemple à un déplacement du manche correspond un facteur de charge) et l'avion maintient cette consigne tant que le pilote n'a pas relâché le manche. Ce système est plus complexe, car du coup pour une même consigne, il faudra un grand déplacement des ailerons à basse altitude et basse vitesse, mais un tout petit débattement obtient le même résultat à haute vitesse et haute altitude : l'avion devient malin, car il sait envoyer un ordre à la gouverne, et vérifier que cet ordre est bien compris et obtient le résultat attendu. Pour le pilote, cela veut dire que le comportement de l'avion ne se sent plus à travers le manche, mais directement à travers les instruments.

Les différents types de commandes de vol.
A : simple assistance hydraulique (Mystère IV)
B : asservissement : le pilote n'a plus directement la main sur les commandes (Brabazon)
C : amélioration de la stabilité (Caravelle)
D amélioration des qualités de vol (Mirage IV)
E : Fly by Wire : CDVE avec système de réversion manuel (Concorde)
F : Fly By Wire total : plus aucun secours mécanique (A320)

Un tel système CDVE permet également d'ajouter des automatismes transparents pour le pilote. Prenons l'exemple d'un avion à voilure delta : à vitesse supersonique, le foyer de portance recule à cause de la formation d'on de de choc, et cela provoque un couple piqueur puissant qu'il faut contrer par la gouverne de profondeur : une compensation automatique facilite le travail du pilote. C'est ainsi que la Mirage IV ou l'Avro Arrow (tout deux conçus à la fin des années 50) ont bénéficié de CDVE avec compensation automatique en profondeur.

En 1962, va avoir lieu une "expérience" sur un Mirage IIIB, le c/n 225 : modifié, l'appareil devient à stabilité variable. Même si il conservait ses commandes hydrauliques, le pilote ne le contrôlait plus directement, mais par l'intermédiaire de calculateurs à loi variables. Il était le fruit des travaux de Gilbert Klopstein, un ingénieur pilote du CEV. Ainsi équipé, l'appareil pouvait simuler d'autres avions, donner l'illusion au pilote que le moteur était haut perché sur le dos, ou haut contraire pendu sous une nacelle bien en deçà du fuselage ! L'appareil était génial et plaisait beaucoup, mais aux dires du général Alain Brossier, il possédait un gros défaut : "il était indispensable  que le "Klop" (Klopstein), lui et personne d'autre, soit à la place arrière, lui seul pouvant jouer de tous les potards (potentiomètres) et bitards (boutons) qu'il y avait installés"…en clair, seul Klopstein savait faire voler l'avion. Il pouvait concocter n'importe quelle loi de pilotage depuis la place arrière, permettant au pilote de voler comme si il était sur Concorde ou sur Mirage IV, voire des avions farfelus !

Le "jouet" de Klopstein : le Mirage IIIB no 225


Les commandes électriques sont nés, et vont d'abord être installé en doublement des commandes mécaniques, avant d'être mise en œuvre seules sur le F-16 en 1974 puis sur le Mirage 2000 en 1978…pourtant, il ne faut pas négliger un autre avion qui sera capital pour la mise au point des CDVE : Concorde. Sur Concorde, les CDVE avaient été choisies en raison de l'échauffement et de la dilatation de la cellule, qui risquait d'empêcher une bonne utilisation des câbles de commandes classique…mais en même temps sera installé un système de secours par câble, permettant une réversion mécanique par câble en cas de pannes des CDVE (le cas de la foudre était particulièrement redouté).

Schéma de principe des commandes de vol électriques de Concorde, avec deux voies : une de commande et une de suivi. Les PFCU (Primary Flying Control Unit) sont les vérins hydrauliques....


Pourtant Concorde n'a pas de calculateurs numériques : de simples calculateurs analogiques, qui répliquent le fonctionnement que l'appareil aurait eu avec une timonerie de commandes "classique", mais dans tous les domaines de vol, car le comportement de Concorde n'était pas du tout le même en subsonique que en supersonique, étant naturellement instable sur ses 3 axes. Le maintien de la stabilité dans le domaine transonique était particulièrement important, à la fois pour le confort et la sécurité de l'avion tout court. On peut ainsi voir les CDVE de Concorde comme un système de compensation automatique ultra-perfectionné. Deux circuits de commande et de surveillance fonctionnent en parallèle, et sont en plus redondés pour assurer la sécurité du système...

Les PFCU de Concorde étaient particulièrement impressionnants... 
....PFCU de Concorde : double corps et double alimentation hydraulique séparées


Le système a déjà bien avancé, mais une autre révolution se prépare : la révolution du numérique...

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