lundi 3 mars 2014

Une surprise nommée MiG-15

L'attaquant arrivait trop vite pour pouvoir être identifié. Le canonier du bombardier n'aura même pas le temps de braquer ses mitrailleuses pour tenter de riposter. L'appareil est touché par plusieurs rafales de mitrailleuses, mais peut encore rejoindre sa base. Nous sommes le 30 novembre 1950, et l'équipage de ce B-29 en route pour bombarder un aéroport en Corée du nord ne comprend pas bien ce qui lui est arrivé. Ses chasseurs P-80 d'escorte n'ont même pas réussi à poursuivre l'assaillant.

Un chasseur venu du froid...

Le compte rendu de mission de ce bombardier va faire l'effet d'une bombe dans tout le commandement allié en Corée : les coréens disposent d'un nouveau chasseur inconnu, qui semble capable d'abattre les bombardiers en se jouant de leur escorte. Les services de renseignement alliés ne tardent pas à identifier l'intrus : il s'agit du MiG-15, un chasseur dont les performances ne sont pas connues avec précision, mais qui a été aperçu lors d'une parade du 1er mai à Moscou. Or ce chasseur est le dernier-né du constructeur soviétique, et sa présence en Corée ne peut s'expliquer que par le fait que les soviétiques ont décidé d'intervenir directement dans le conflit, en fournissant à la fois avions et pilotes au régime de Pyongyang. Le nid des MiG-15 est également repéré : sur des bases aériennes construites à la hâte en Manchourie, c'est-à-dire en territoire chinois, hors d'atteinte du mandat de l'ONU, et qui ne peuvent pas être bombardé sans risque de déclencher un conflit ouvert avec la Chine.

La menace est redoutable, et donne la peur au ventre à tous les équipages de bombardiers qui interviennent en Corée. Progressivement les rapports commencent à affluer : attaque surprise, impossibilité des systèmes défensifs du B-29 de répliquer face à la vitesse et à la manœuvrabilité du nouveau chasseur : le MiG-15 devient le cauchemar des équipages américains.

Le nouvel appareil sème la terreur chez les équipages de bombardiers américains...


En octobre 1951, c'est le "black Tuesday", le "mardi noir" : une formation de 9 B-29 est interceptée, Malgré une escorte lourde, plus de 55 F-84 "Thundersrteak" et 34 "Sabre", six des bombardiers sont abattus en à peine quelques minutes, grâce à une attaque coordonnée de 56 MiG. Même le nouveau F-86 "Sabre" introduit en Corée en urgence ne peut pas rivaliser avec le nouveau MiG-15 : il est plus lent, et moins manœuvrable : Charles Cleveland, jeune pilote de Sabre et futur général de l'Air Force n'oubliera jamais sa première rencontre avec un Mig-15 : au cours d'un combat tournoyant, il serre un peu trop fort pour suivre le MiG, et décroche en plein milieu, partant en vrille. Heureusement il parvient à rétablir, et vivra encore pour devenir un as de l'USAF en Corée. (5 MiG abattus + 2 probables)

Plus aucun bombardier B-29 ne prendra l'air de jour du reste de la guerre : le MiG-15 a réussi à s'assurer la maitrise du ciel de jour. Pour ne rien arranger, MiG-15 et Sabre se ressemblent à tel point que sous le coup du stress, des pilotes américains commencent à abattre d'autres "Sabre". Les premiers pilotes de "Sabre" du 4th Fighter Wing, pourtant pour beaucoup des vétérans de la seconde Guerre Mondiale, n'en reviennent pas : les pilotes nord-coréens qu'ils affrontent ne sont pas des débutants, mais bien des vétérans comme seule la Guerre peut en former. Les pilotes de "Sabre" vont appeler ces mystérieux pilotes les "honchos", ce qui veut dire "les boss" en japonais.

Sabre et MiG-15 : les deux protagonistes...remarquez qu'ils sont assez similaires...


Pour mieux comprendre d'où vient cet avion si redoutable, il faut remonter à la 2ème Guerre Mondiale : les alliés ayant la maîtrise du ciel, Hitler cherche une solution miracle, et va lancer un appel à idées. Kurt Tank, chef designer de Focke-Wulf va proposer une solution radicalement différente : un appareil à réaction, équipé d'ailes en flèches, d'un fuselage élargi avec une entrée d'air à l'avant, et une dérive en "T" : c'est le TA-183. Cet appareil ne sera jamais produit. En revanche, en 1945, les britanniques investissent l'usine Focke Wulf, et vont trouver plans, maquettes et résultats d'essais en soufflerie du TA-183, qu'ils vont rapidement partager avec les américains. Quelques semaines plus tard, à berlin, les soviétiques tombent sur une liasse de plan complète du TA-183, et s'en emparent.

A partir de cet appareil, et avec des moteurs à réaction BMW remis en état, l'Union Soviétique va produire son premier chasseur : le MiG-9, nom de code "Fargo". Fragile, peu manoeuvrable, ce n'était pas un bon appareil…mais il va donner un premier aperçu de ce qu'est un chasseur "moderne" à Mikoyan et Gurevitch.

Le TA-183 allemand


La course et lancée entre les deux superpuissances, et rapidement de nouveaux avions vont voir le jour : le Mig-15 en Union Soviétique, et le "Sabre" P-86 (puis F-86) côté américain. Les deux appareils sont étonnements similaires, mais je viens de vous expliquer pourquoi ! Le moteur utilisé par le Mig-15 n'est autre que le Rolls Royce "Nene", vendu par les britanniques puis copié sans état d'âme…l'histoire est intéressante, et j'ouvre une parenthèse.

Au début des années 50, le premier ministre Attlee invite une délégation soviétique à venir constater la supériorité technologique anglaise. La délégation se rend dans les plus grandes usines anglaises, en prenant beaucoup de notes…mais ce qui les intéresse le plus, là où la technologie soviétique était vraiment en retard, ce sont les moteurs. Les soviétiques sont très intéressé par le "Nene" de Rolls…et ils demandent à acheter la licence de fabrication ! A la surprise générale, le gouvernement de sa majesté, par la voix de Sir Stafford Cripps, ministre du commerce,  accepte, contre la promesse solennelle qu'Il ne sera utilisés que pour propulser des avions civils ! Les américains ne sont pas très contents, et le font savoir. Staline lui-même n'en croira pas ses oreilles en voyant la facilité avec laquelle il a pu acheter le "Nene". Les promesses n'engagent que ceux qui y croient, le "Nene" modifiés sera monté sur toute la première génération de chasseurs soviétiques, dont en premier le MiG-15…ainsi contrairement à une croyance populaire, les soviétiques n'ont pas "copié" le "Nene"…ils ont juste acheté la licence à un gouvernement pas très futé…

Moteur du MiG-15...un "Nene" modifié..


Une fois que les premiers "Nene" sont envoyés en Union Soviétique, les ingénieurs du bureau d'étude Klimov vont se mettre au travail, et vont faire un reverse-engineering méticuleux du moteur, moyennant quelques modifications. Indigné les britanniques vont protester mais il est déjà trop tard : malgré des problèmes de qualité de fabrication, le Klimov est installé en série sur les deux prototypes de ce qui va devenir le MiG-15. Ce nouvel appareil devait avoir des caractéristiques encore inconnues à l'époque : chasseur diurne avec une vitesse de 1000 km/h pour un rayon d'action de 1200 km !

Mikoyan se met au travail, et à partir du MiG-9 adopte les ailes en flèche à 35° et le moteur Klimov "Nene+", avec une entrée d'air frontale en deux parties contournant le cockpit ce qui va donner naissance au I-310, qui sera renommé MiG-15 par la suite. L'appareil fait son premier vol le 30 décembre 1947, deux mois à peine après le premier vol du "Sabre" américain.

Le premier MiG-15 de série vole en 1948, et entre en service au sein de l'armée de l'air russe dès 1949. Pour la petite histoire, les variations de production d'un appareil à l'autre faisait que les appareils avait tendance à partir en vrille à gauche ou à droite…les techniciens plaçaient donc des destructeurs de portance de manière à corriger ce défaut, en ajustant leur position jusqu'à ce que l'avion vole droit…il n'y avait donc pas deux MiG-15 totalement identique dans toute l'armée de l'air soviétique…L'appareil est ensuite livré à la Chine dès 1950, et Staline accepte enduite de fournir aux chinois avions et pilotes soviétiques pour lutter contre les forces de l'ONU en Corée.

Profil du MiG-15


Malgré l'envoi en urgence d'escadrilles de F-86 "Sabre" en Corée, seul chasseur à ailes en flèche disponible dans l'USAF, la situation ne s'améliore pas : en effet, Staline va ordonner l'envoi en Chine de ses meilleurs escadrilles, formées de vétérans. Suite à l'arrêt des bombardements de jour, les américains reprennent l'avantage avec les bombardements de nuit..au moins pendant un temps : des MiG-15bis sont envoyés en Chine, équipés pour le combat nocturne, et l'hécatombe recommence. Les américains vont donc devoir déployer leur deux chasseurs nocturnes les plus modernes pour protéger les B-29 : les F-94 "Starfire" et F-3D "Skynight" sont ainsi déployés en urgence sur le front…le F-94 se révèlera inadapté mais le F-3D s'avèrera un chasseur de MiG redoutable. Les MiG menacent la supériorité aérienne américaine, et pour l'US Air Force, capturer un MiG pour le tester et le démonter va devenir priorité numéro 1 : les américains estiment en effet que les soviétiques ont là une avance d'au moins quatre ans sur les avions américains, le "Sabre" étant encore en phase de montée en production. Une grande opération est donc menée pour dénicher un MiG en état de vol.

L'affaire n'est pas facile, car il y a peu de MiG pilotés par des Coréens, la majorité étant pilotés par des russes en uniforme nord coréens, voire en civil pour masquer leur origine. Ces pilotes étaient priés de parler en coréen à la radio pour tromper les américains, mais malgré des cours de langues, les réflexes reprennent le dessus, et les pilotes de l'ONU interceptent ainsi quotidiennement des conversations animés en russes…mais revers de la médaille, ils ont bien été endoctrinés, et les chances qu'ils veuillent passer à l'ouest sont faibles. Les combats aériens ont souvent lieu au dessus du territoire ennemi, dans ce qui va devenir "l'allée des MiG", une bande de territoire étroite le long de la rivière Yalu au nord-ouest de la Corée, à la frontière avec la Chine, territoire dont les MiG ne sortaient jamais, opérant toujours par paires, un attaquant et un ailier…chacun ayant ordre d'abattre l'autre si il tentait de passer à l'ouest, et en cas de problème, ils regagnaient le territoire chinois là où les chasseurs de l'ONU n'avaient pas le droit de les suivre. Heureusement, il y a des escadrons de MiG-15 pilotés par des chinois, plus susceptibles d'être "retournés".

Un des nombreux tracts largués par les américains dans le cadre de l'opération "Moolah"


Malgré l'inspection de deux épaves de MiG, les américains avaient besoin d'un appareil en état de vol pour en percer ses secrets : c'est le début de l'opération "MOOLAH" : l'USAF offre une récompense de 100 000$ et l'asile politique à tout pilote du bloc de l'est qui fera défection avec un MiG-15 en état de vol ! De nombreux tracts de propagandes sont largués dans toute la Corée.

Le 15 mars 1953, un pilote de l'armée de l'air polonaise, Francisek Jarecki, fait défection, et va ainsi permettre pour la première fois aux occidentaux d'analyser un vrai MiG-15. Pour éviter un incident, les autorités danoises vont rendre le MiG à la Pologne, mais après avoir permis aux américains d'analyser et de photographier l'avion dans tout ses détails. Le pilote touchera cependant une prime de 50 000$ et trouvera asile aux Etats-Unis.

La prime de 100 000$ promise à un pilote coréen sera donnée le 21 septembre 1953, lorsque le lieutenant No-Kum-Sok de l'armée de l'air nord-coréenne se pose sur la base américaine de Kimpo. Le pilote ne savait même pas qu'il y avait une récompense pour un MiG-15 en état de vol ! Il touchera donc la prime de 100 000$ et obtiendra la nationalité américaine.

Le lieutenant No-Kum Sok en tenue de vol

Démonté, le précieux MiG-15 est expédié en urgence a Kadena au Japon. Là, il va recevoir la visite de deux pilotes d'essai : Harold Collins et Chuck Yeager, le premier américain à avoir franchi le mur du son. Leur rôle est simple : lister les points faibles du MiG pour permettre aux chasseurs américains de s'en débarrasser…

Le 29 septembre 1953, un pilote américain décolle pour la première fois aux commandes d'un MiG-15. C'est le début d'une campagne dévaluation, qui va permettre de découvrir les faces cachées du MiG : sa vitesse est limitée à Mach 0.92, et au-delà les commandes perdent leur effectivité. De même, la fâcheuse tendance du MiG à partir en vrille après un décrochage, même à basse vitesse etc…

"Le" MiG de l'US Air Force


D'autres découvertes attendent les américains : l'horizon artificiel est déroutant, car il représente la partie brune en haut et la partie bleue en bas, tout le contraire d'un horizon classique…pourtant il avait été conçu comme cela, mais était à l'envers par rapport à la représentation habituelle : lorsque l'avion montait, son symbole bougeait vers le bas…et non vers le haut !

L'analyse de l'armement du MiG va aussi révéler des surprises : aucune mitrailleuse, mais des canons, beaucoup plus puissants, mais avec une fréquence de tir plus faible…deux canons de 23mm à raison de 80 coups chacun…et un canon de 37mm à 40 coups. Le problème étant que ces deux munitions ont des ballistiques très différentes…ce qui explique que certains pilotes de Sabre ont eu la désagréable expérience d'être frôlé par des obus de 23mm par-dessus…et au même moment par des abus de 40mm, mais par-dessous ! Par contre, si le Sabre était un peu plus près, il était touché par les deux…et finissait irrémédiablement au tapis !

La planche de bord du MiG-15...avec son horizon inversé...


De même les jauges à carburant sont d'une précision toute relative…et il vaut mieux se fier à la pendule qu'à la jauge de carburant pour être sûr de rentrer !

Grâce à ces découvertes, le ratio de MiG abattu par rapport au nombre de Sabre descendu va s'améliorer, mais les chiffres sont toujours sujets à discussion.

Lequel était le meilleur ? Ah, fameuse question, qui n'a toujours pas trouvé de réponse : tout dépend des chiffres..

Par exemple, à la fin de la guerre de Corée, l'USAF annonce un total de 792 MiG abattu contre 58 "Sabre" perdus…pourtant au fil des ans, et surtout depuis la fin de l'URSS, les chiffres ont été ramenés à 315 MiG abattus pour 92 Sabre envoyés au tapis : on est ainsi passé d'un ratio de 1 à 13 à un ratio plus réaliste de 1 à 3,5….sachant que la plupart des livres d'histoire publiés pendant la guerre froide donnent un ratio de 1 à 7, qui comme on peut le voir avec l'ouverture des archives russes, était sans doute exagéré…

écorché du MiG-15bis


On notera que les soviétiques de leur côté avait fanfaronné le chiffre de 640 "Sabre" impérialistes abattus (presque tout le contingent américain en Corée) au prix de seulement 300 MiG abattus…la guerre des chiffres va toujours du simple au centuple !

Si on se limite à des périodes plus restreintes, on peut obtenir des statistiques plus parlantes : si l'on prend la fin de la Guerre, où les pilotes américains expérimentés affrontaient des jeunes pilotes chinois et coréens, le ratio était presque de 9 à 1 en faveur du "Sabre"…mais si on regarde pour l'année 1951, où les jeunes pilotes américains (ou nouvellement formés sur "jets") affrontaient des soviétiques entrainés et vétéran de la "grande guerre patriotique, le ratio tombe à 1,4 contre 1 pour le "Sabre"…on voit tout de suite le changement radical entre le début du conflit et la fin du conflit où les américains avait "apprivoisé" le MiG-15 ! Vers la mi-53, les pilotes coréens évitaient au maximum la confrontation avec les "Sabre" américains, et ce jusqu'à l'introduction du MiG-17, version amélioré en incorporant les "trouvailles" soviétiques sur des épaves de F-86.

Le MiG-15 servira tout de même dans les forces aériennes de plus de 35 nations au fil des ans !

Pour voir un MiG-15bis superbement restauré de près, je vous encourage à faire un petit tour aux Ailes Anciennes Toulouse, qui dispose d'un MiG-15bis Tchèque !

Le MiG-15 reste toujours étroitement lié à la guerre de Corée.

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