jeudi 6 mars 2014

L'A380 chauffe à Istres !

Dimanche 4 mars 2007 : une intense activité règne sur la base d'Istres, autour du dernier né d'Airbus, l'A380 qui est en phase finale de certification. Pour obtenir son certificat de navigabilité, le précieux sésame qui va lui permettre de transporter des passagers, il lui faut passer une série de tests. Vous vus souvenez sans doute de l'évacuation d'urgence, mais il en existe un autre tout aussi spectaculaire : l'accélération-arrêt à énergie maximale.

Le Super-Jumbo : l'Airbus A380


Imaginez un peu : un test qui va coûter pas loin de 4 millions d'euros, et mobiliser des dizaines d'ingénieurs, des centaines de techniciens, pompiers et journalistes, et surtout un avion d'essai qui va être utilisé bien au-delà de ses limites normales. Le but : tester le système de freinage dans ses derniers retranchements.

Revenons d'abord sur ce sytème de freinage. L'Airbus A380 possède un système de freinage complexe, réparti sur les 20 roues des quatre trains principaux, elles -même réparties en 10 bogies. Le freinage est géré au niveau des bogies, 8 sont équipés de freins. Chaque bogie est géré indépendamment des autres et peut avoir trois états principaux :
  • Normal : freinage optimisé avec toutes les protections
  • Alternate : freinage moins optimisé, mais qui garde l'antiskid  
  • Basic : plus d'antiskid, la pression de freinage est limitée pour empêcher l'éclatement des pneus
Disposition du train d'atterrissage de l'A380

Sachant que en cas de soucis, certaines roues peuvent rester avec un freinage normal, et d'autres avec un freinage dégradé, les combinaisons de freinage possibles sont nombreuses et la plupart sont testées au banc, mais les tests sur l'avion sont indispensables, particulièrement les cas limites.

Pour démontrer le bon fonctionnement du système, les autorités demandent à ce que l'appareil fasse des accélérations - arrêt, c'est-à-dire que l'avion est accéléré jusqu'à une certaine vitesse avant que les moteurs soient mis au ralenti et le freinage enclenché. On fait attention à ne pas mettre trop d'énergie sur les freins à chaque essai pour que l'avion tienne…sauf la dernière démonstration, celle de l'énergie maximale, car elle va littéralement faire fondre les freins, pourtant dimensionnés pour encaisser jusqu'à 120 Mégajoules sur un A380..

Chaque Bogie du fuselage possède quatre roues équipés de freins, et deux sans freins.


Les conditions de cet essai sont drastiques : les freins doivent être usés à 90%, et l'avion doit rouler sur 6 kilomètres en marquant trois arrêts, avant d'être accéléré comme pour un décollage avorté (RTO ou "Rejected Takeoff"), puis on met les moteurs au ralenti avant de freiner au maximum, mais sans les inverseurs de poussée. Une fois l'avion arrêté, ce n'est pas fini : l'avion doit rester arrêté sur la piste pendant 5 minutes, et même en cas de début d'incendie sur les roues, il ne doit pas se propager au reste de l'avion. Ce n'est que passé ce délai de grâce de 5 minutes que les pompiers peuvent arroser le train d'atterrissage pour le refroidir.

Il faut pour réaliser cet essai une piste de près de 4000 mètres au minimum, voire plus pour disposer d'une marge de réserve…la seule piste disponible en Europe répondant à ces critères est celle de la base d'Istres : c'est donc là que c'est posé l'A380 n°1 le samedi 3 mars 2007.

Départ pour Istres

A noter que l'exercice ne peut se faire que sur piste sèche et "propre", c'est-à-dire sans résidus de gomme sur la piste. Il faut une bonne météo et pas trop de vent…on ne peut donc pas tout planifier à l'avance…la décision de partir et de faire l'essai un dimanche a donc été prise à Toulouse la veille au matin…

L'avion est donc préparé, passe sur la balance et on fait le plein de carburant et décolle "lourd" : 590 tonnes ! Direction Istres, où les équipes d'essais et pompiers commencent à converger, de même que les représentants de l'EASA, chargés d'homologuer l'essai.

Dimanche 4 mars : le grand jour arrive. Il est à peine 6h30 lorsque le briefing commence, entre les différents services concernés : pompiers, mécaniciens, techniciens, pilotes et même photographes. Le but est de bien coordonner tout le monde, afin que chacun sache ce qui se passe et ne rate rien : à 4 millions d'euros le test, il serait regrettable d'être obligé de recommencer...

Roulage...puis freinage...


L'exercice n'est pas sans risque pour l'avion : Airbus l'a appris à ses dépends lors de la certification de l'A340 : les pneus mal dimensionnés ont explosés au bout de 3 minutes après l'arrêt, provoquant un début d'incendie sur les poutres en carbone du fuselage. L'appareil était resté un mois et demi en chantier avant d'être déclaré bon pour revoler, occasionnant de sérieux retards à quelques semaines à peine de la certification finale de l'appareil !

Pendant ce temps, une autre équipe prépare l'A380 pour l'essai : l'appareil est mis sous tension, vérifié, puis le train d'atterrissage inspecté et photographié sous tous les angles.

A bord, on retrouve le même équipage que lors du vol inaugural : Jacques Rosay est à gauche, Claude Lelaie à droite, et Gérard Desbois comme mécanicien navigant, l'avion est le F-WWOW

Dans le cockpit, on suit la température des freins et la pression des pneus...tant que tout est vert, c'est bon !

Le roulage commence, et le freinage est testé. L'avion va faire non pas trois mais quatre arrêts complets avant l'accélération finale. La temprérature des freins est alors de 110°C lorsque Jacques Rosay met les gaz en "TOGA", c'est-à-dire à puissance de décollage, et il laisse l'avion accéléré jusqu'à 166 nœuds, vitesse calculée pour démontrer l'énergie maximale. Les gaz sont ensuite mis au ralenti, et l'ordinateur enclenche l'"autobrake" qui donne automatiquement le freinage maximal.

L'A380 s'arrête enfin sur la piste…les freins atteignent à présent plus de 980°…une petite poussée supplémentaire permet ensuite de dégager la piste, le test de freinage est terminé, mais il reste encore à attendre les 5 minutes réglementaires. Il faudra encore 90 secondes pour que l'avion arrive au parking, avec un dernier freinage (aidé par les reverse cette fois…vu que le freinage maximale a été démontré, c'est autorisé…et l'appareil s'arrête au parking, à côté des pompiers qui attendent le signa de la fin de l'essai. Les freins sont à leur butée de 1000°, leur température maximale théorique. Les axes de roues sont à 280°…si ils dépassent 300°, il faudra les changer…et donc immobiliser l'avion ! Une minute après son arrivée au parking, les pneus commencent à se dégonfler sous l'effet des fusibles de surpressions.

Les pneus se dégonflent sous l'effet de la chaleur...mais l'inconnu, c'est le comportement des freins...

Deux minutes et des poussières plus tard, la température des trains  dépasse les 1000°, et les axes de roues sont à 290°..mais c'est gagné, les 5 minutes se sont écoulées ! Les pompiers entrent en action : un camion prend place à côté de chaque train pour l'arroser et donc le refroidir. Pendant presque 90 minutes, une dizaine de camion vont arroser le trains de l'avion pour le refroidir.

L'A380 est mis sur vérins l'après-midi même pour changement de tous les disques de freins, alors qu'il pèse près de 500 tonnes (aucune cuve à Istres ne pouvait accueillir le carburant pendant cette opération, il fallait donc le laisser à bord de l'appareil. L'appareil retourne ensuite à Toulouse le lendemain matin. L'essai est un succès total permettant de conclure la certification de l'appareil !

Mission accomplie pour l'A380 qui va pouvoir recevoir son coup de tampon pour entrer en service...

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