Le complexe de lancement 374-7 était un site de lancement de missile "Titan II", qui termina sa carrière en 1980 suite à la chute d'une clé à douille.
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Vue aérienne du site de Damascus, avant l'accident |
Le "Titan II" est un missile balistique produit pendant la Guerre Froide, et déployé à grande échelle dans tous le pays. Fabriqué par Martin, c'est un missile à deux étages, à propulsion liquide d'une portée de 10 000 kilomètres. Equipé d'une tête nucléaire W-53, il était propulsé par des moteurs fusées fonctionnant avec un carburant aussi efficace que redoutable : l'Aerozine 50, un mélange 50/50 d'hydrazine et de UDMH (du dimethylhydrazine asymétrique si vous voulez des idées de mots pour le scrabble). C'est un produit toxique, corrosif, dont les vapeurs attaquent les poumons...il existe donc des procédures très strictes pour sa manipulation.
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Décollage d'un missile Titan II lors d'un exercice |
La première unité de Titan II prend l'alerte le 8 juin 1963. Chaque missile est installé dans un silo enterré et protégé, relié par un long tunnel à une capsule souterraine qui accueillait deux officiers de tir, chargé de lancer le missile en cas de besoin. Largement automatisé, le missile pouvait être géré à distance depuis la capsule et ne nécessitait que peu d'interventions en direct.
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Vue d'un complexe de lancement, avec la capsule de tir à gauche et le silo et son missile à droite |
La désactivation du Titan II est décidée en 1982, ils eront remplacés par des missiles "Minuteman" à combustible solide, beaucoup plus stables et moins dangereux pour les équipes d'entretien. Le Titan II est définitivement retiré du service en Août 1987. Un site fut pourtant retiré d'alerte bien plus tôt, dès 1980 : le site 374-7. Situé à Damascus dans l'Arkansas, suite à un accident grave.
Sa construction fut engagée en janvier 1961, et la première alerte commença le 18 décembre 1963. Hormis un incident en 1978, où une fuite de carburant avait forcé l'évacuation des populations alentours, il eut une carrière comme les autres sites de lancement de Titan II : vie ponctuée de maintenance, réparations, alerte et exercice des équipages vivant en permanence dans la capsule de tir et se relayant régulièrement.
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Un missile Titan II dans son silo, avec les plateformes de travail relevées. |
Tout changea le 20 septembre 1980.
Ce jour là, une procédure de repressurisation du deuxième étage du missile est en cours. Une équipe de spécialiste de l'Air Force est sur place pour l'intervention. La procédure est simple : le réservoir est dépressurisé, son niveau contrôlé et réajusté si besoin, avant de remettre la pressurisation en route. C'est une procédure de routine.
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La manipulation de l'Aérozine 50 impose le port d'une combinaison spéciale, digne d'un astronaute |
Il est 18h35 lorsque l'un des technicien pose une clé à douille sur la plateforme de travail. C'est une clé à douille assez imposante et qui pèse plus de 5 kilos. Contrairement à la procédure, il ne pose pas la clé dans sa caisse à outils, mais par terre. La plateforme n'est pas droite, et la clé roule sur le sol avant de tomber dans le vide. Elle fait une chute de plus de 20 mètres de haut, avant de rebondir sur un pilier en béton, et de venir percuter le missile, trouant le réservoir d'Aérozine 50.
Une petite explication s'impose : comment expliquer qu'un choc banal puisse faire un trou dans un réservoir de fusée qui supporte les forces d'un lancement pour aller presque dans l'espace ? En vérité, une fusée est extrêmement fragile : les parois ont une épaisseur d'à peine 1 mm, et il n'y a aucune structure interne : le "cylindre" du réservoir est la seule structure. Sur ces premières générations de missiles balistiques, il fallait même pressuriser les réservoirs avec de l'air pour transporter le missile, sans quoi il s'effondrait sur lui-même telle une vulgaire canette de soda vide !
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Les vapeurs d'Aerozine 50 |
Le silo est évacué, et une équipe d'urgence se rend sur place. La baisse de pression est confirmée et le seul moyen de s'en sortir est de vidanger le missile, opération ultra-risquée car il faut d'abord retirer la tête nucléaire, puis vider le deuxième étage, le démonter et enfin vider le premier étage où se trouve la fuite, tout en drainant le puits de silo qui se rempli d'Aérozine prêt à exploser à la moindre étincelle.
L'équipe de secours n'aura pas le temps de faire grand-chose : il est 3 heures du matin lorsque le carburant détonne, et le missile explose. Le "Senior Airman" David livingstone qui se trouvait dans la galerie souterraine au niveau 2 est tué par la déflagration. Il sera la seule victime.
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Vue du silo au matin suivant l'explosion |
Dans la capsule de tir, tous les mécanismes amortisseurs, destinés à résister à une attaque nucléaire de proximité, ont joués : un verre de soda à moitié plein posé sur une console ne s'est même pas renversé ! En surface par contre, c'est une autre histoire : le silo ressemble à un champ de bataille : il y a un trou béant là où se trouvait la porte du silo., et la gaine intérieure du silo, pourtant en béton armé, a été arraché de ses fondations.
La première question qu'il faut régler c'est celle de la tête nucléaire : si elle a été éventrée, il peut y avoir une contamination grave des alentours. Une équipe d'intervention spécialisée est dêpechée sur place dans la demi-heure, et ils ont de la chance : une recherche au compteur Geiger permet de localiser la tête, intacte, elle n'a pas été éventrée, et il n'y a aucune fuite radioactive. C'est le "Department of Energy" qui en prend tout de suite possession pour la démanteler.
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La porte a été projetée au delà de la grille d'enceinte... |
En revanche, le missile a été déchiqueté, et les débris en sont éparpillés sur plus d'une centaine de mètres carrés autour du silo. Sans doute le plus impressionnant, la porte du silo, ensemble de béton et d'acier de plus de 650 tonnes a été soufflée par la déflagration à plus d'une quarantaine de mètres, sur la route d'accès au silo. On retrouve en plus des pièces métalliques du missile à plusieurs centaines de mètres du silo.
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Les bords du silo ont été arrachés de leur fondation... |
Quatre jours après l'accident, Hanz Mark, le secrétaire de l'Air Force nomme un comité chargé de faire une évaluation de la sécurité du lanceur Titan II à la lumière de l'accident. Le comité conclura à la faute humaine, estimant que le Titan II est un lanceur fiable, mais ne pardonnant pas les erreurs. Le coût de la remise en état étant estimé à 220 millions de dollars contre 20 pour la démolition du silo, l'USAF décide de le condamner en vidant les débris dangereux, et en remplissant le silo de gravier et de cailloux.
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Vue de l'intérieur du silo lors des opérations de déblaiement. |
Avant la fin de cette même année, le président Reagan décide de moderniser les forces nucléaires stratégiques américaines en mettant le Titan II à la retraite.
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