Les derniers Cargomasters quittent l'USAF en septembre 1971, 14 ans
après leur mise en service, un temps relativement court comparé aux
increvables Hercules qui volent toujours (et dont la production n'est
pas terminée !)…on notera cependant que leur mise à la retraite
correspond également à l'entrée en service des premiers C-5
"Galaxy"…mais d'un autre côté, les C-124 "Globemaster II" resteront en
service jusqu'en 1974 au sein des unités de réserve. Comment expliquer
ce retrait pour le moins rapide des unités de première ligne..et de
l'Air Force tout court ?
Panneau du mécanicien navigant...toute une époque ! |
Il faut en effet savoir que le Cargomaster
détient surtout un triste record d'insécurité : sur les 52 appareils
construits (dont 2 exemplaires d'essais statiques qui ne voleront
jamais), 10 se sont écrasés ou furent perdus en vol en 14 ans de
carrière, un taux d'attrition particulièrement élevé ! Par exemple, le
C-5 "Galaxy, son successeur direct, ne connaitra que quatre accidents en
vol sur 141 appareils construits (et 40 ans de carrière)
Le
1er accident touche le 54-0146 le 13 avril 1958. Ce jour là, le
Cargomaster décolle de Dover à 8h28…et l'appareil s'écrase à 8h40 sur le
dos dans une forêt, sans aucun message de détresse de l'équipage. Il
n'y a aucun survivant. La cause du crash n'a jamais été connue…mais il
semble que l'équipage soit tombé, victime du décrochage pernicieux de
l'appareil. Une autre analyse montrera qu'un écoulement d'air anormal
sur le plan fixe horizontal pouvait diminuer la réponse des commandes.
Une modification sera mise au point et rétrofité sur tous les appareils
en sevrice sous la forme d'une excroissance en "queue de castor" pour
garder l'écoulement de l'air plus stable le long de la dérive. En plus
de cela, les enquêteurs identifient pas moins de 17 défauts majeurs sur
le système de contrôle de vol ayant pu contribuer au crash !
Restes d'un C-133 après un crash... |
Les
trois années suivantes sont calmes, mais en juin 1961, nouveau drame :
un C-133 disparait en vol au départ du Japon, même scénario, pas d'appel
de détresse…on ne retrouvera aucun débris. Un an plus tard, c'est le
57-1611 qui disparait, peu de temps après le décollage..le pilote
annonce au contrôle qu'il passe les 4000 mètres, puis les opérateurs
voient le spot de l'avion dégringoler au radar. En deux ans, deux
appareils de perdus et 14 aviateurs tués.
Le
Cargomaster va ainsi se faire une mauvaise réputation auprès des
équipages, qui apprennent (difficilement) à reconnaitre les signes
avant-coureur d'un décrochage, phénomène incriminé dans les trois
crashs. De juin 1961 à février 1970, pas moins de 7 avions seront perdus
et 47 membres d'équipage tués ou disparus. Herbert Nakagawa, un
ex-lieutenant colonel, qui a accumulé 4500 heures de vol sur C-133
raconte que lorsqu'il avait reçu son affectation sur C-133 à l'école de
navigation, son instructeur lui aurait serré la main en disant "ravi de
vous avoir connu"...aucune trace d'humour.
Poste de travail du navigateur. |
Un signe
avant-coureur du décrochage, qui n'était pas dans le manuel : lorsque
l'appareil s'approchait du domaine dangereux, les essuie-glaces du
cockpit commençaient à vibrer…subtile, mais ça marchait, la plupart du
temps..
Cela n'empêchait pas les sueurs froides..Jon
Burnett, pilote et instructeur pendant plusieurs années sur Cargomaster,
se souvient d'un vol mémorable au départ de Chateauroux. Arrivé en fin
de montée, l'avion tremble très légèrement..sentant venir le décrochage,
il pousse sur le manche pour baisser le nez de l'avion…et rien ne se
passe : la gouverne ne répond plus. Seul son réflexe de mettre 15° de
volet va le sauver lui et l'avion…seulement voilà, si l'instructeur
qu'il est s'est fait une belle frayeur, que penser de la réaction d'un
jeune pilote moins expérimenté ? Dans ce cas précis, ce n'est pas un
décrochage qui menaçait l'avion, mais bien le "masquage" du plan fixe
horizontal déjà rencontré lors des essais en vol à Edwards.
Malgré
le mystère entourant cet appareil, Nakagawa se souvient que les
équipages étaient dévoués à cet avion et voulaient le faire voler du
mieux possible. En 1963, une enquêtes est menée sur le Cargomaster, à la
demande de la division matériel de l'USAF. Douglas, le MATS, le pilotes
et instructeurs, tout le monde se retrouve autour de la table pour
tenter de trouver la cause des crashs non élucidés…mais ce sera un
échec. En 1965, suite à de nouveaux crashs, nouvel enquête, avec cette
fois des essais en vol avec des ingénieurs de Douglas. Ils vont étudier
les moteurs et le décrochage.
Un des premiers C-133 en vol |
Les moteurs T34 sont des
moteurs à vitesse constant et pas variable. La puissance du moteur est
donc gérée par le mécanisme du contrôle de pas d'hélice, non par la
puissance du moteur en elle-même. SI les quatre moteurs des quatre
hélices se désynchronise en vol, cela peut conduire à une perte de
contrôle…ce cas de figure sera étudié à la loupe, ainsi que le
comportement en décrochage de l'avion. On découvrira ainsi que le
décrochage était totalement asymétrique, l'aile droite décrochant
toujours la première, et l'aile gauche restant en vol, provoquant un
roulis brutal qu'il était difficile, voire impossible à contrer. Les
ingénieurs de Douglas vont trouver une modification "à la russe" contre
ce problème : installer une pièce métallique le long du bord de
d'attaque de l'aile gauche pour la faire décrocher en même temps que
l'aile droite. Le remède marchait…mais les grands mystères ne sont
jamais totalement résolus…tout se passait bien sauf sur un C-133
récalcitrant…qui ne décrochait pas comme les autres : son aile droite
décrochait plus tard ! Allez comprendre…il en sera quitte pour un second
renfort, mais sur son aile droite…il sera le seul de la flotte équipé
ainsi.
C-133 |
En 1967, un Cargomaster décolle d'Okinawa à son
bord se trouve…en gros des poubelles…et l'équipage doit rentrer au
Etats-Unis. Quelques temps après le décollage, le moteur numéro 4
s'emballe. Le pilote l'arrête et le mécano nav tente de remettre le
circuit de contrôle des hélices en marche (il y avait un unique circuit
pour les quatre hélices)…un court circuit se produit, et les trois
hélices restantes se bloquent à un pas trop haut…nom de nom c'est pas
possible…l'équipage remet le cap sur Okinawa d'urgence, et commence à se
poser des questions sur comment se poser avec leurs hélices à pas
fixes, lorsque les trois moteurs se coupent…panne moteur totale ! La
soirée qui avait mal commencée allait de plus en plus mal…l'équipage
parvient à amerrir indemne et par miracle l'épave flotte ! Les neuf
survivants formeront un club exclusif : les seuls survivants d'un crash
de Cargomaster !
Encore un crash...mais aucun blessé à déplorer, même si l'impact a du être mémorable... |
Il y aura un dernier crash de C-133, le 6
février 1970. Ce jour là, le Cargomaster 59-0530 transportant un
hélicoptère se désintègre en vol…il n'y a aucun survivant. L'enquête ne
mettera pas longtemps à déterminer la cause du drame : fatigue du métal.
La structure s'est rompue au niveau de la porte cargo, détruisant le
moteur numéro 2. L'avion s'est ensuite disloqué en vol sans que
l'équipage puisse rien faire. Toute la flotte est inspectée, et on pose
en urgence des "belly strip", des bandes d'aluminium de 10 cm de large
sur l'ensemble du fuselage pour le rigidifier, mais la décision de l'Air
Force est prise : tous les C-133 seront retirés du service dès que le
C-5 Galaxy sera opérationnel. Cela prendra une année et demie.
Le rafistolage des C-133 : des bandes de renfort tout le long du fuselage |
En septembre 1971, les derniers
Cargomaster sont rayés de l'inventaire de l'Air Force. 10 crash sur 50
avions de construits, ce qui est énorme…mais d'un autre côté, la taux
d'accident par 100 000 heures de vol du C-133 était de 2,7, contre 1,9
pour le "Hercule"…mais la moyenne de l'USAF à l'époque était de 7,7 ! Le
Cargomaster n'était donc pas si dangereux statistiquement parlant, même
si 61 hommes ont perdu leur vie à son bord.
On notera
également que tous les C-133 seront retirés du service en 1971…sauf
deux, qui va continuèrent à voler pour Northern Ar Cargo, basée en
Alaska. La société réussi à obtenir un certificat de navigabilité
restreint, permettant d'utiliser les Cargomaster sur des routes
déclarées. Les deux appareils, 56-1999 et 59-0531, seront utilisés en
Alaska pour la livraison de morceaux de Pipeline. Le 59-0531 sera
ferraillé en 2001, mais le C-133A restant continua de voler jusqu'en
2008 avant de prendre sa retraite dans un musée…mais cette histoire,
vous la connaissez, vu qu'il s'agit du C-133 de Travis AFB !
Comparaison entre le C-133 et le C-5 : rien ne bat le C-5, mais le Cargomaster est honorable second... |
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