jeudi 5 septembre 2013

C-133 "Cargomaster" (2/2)

Les derniers Cargomasters quittent l'USAF en septembre 1971, 14 ans après leur mise en service, un temps relativement court comparé aux increvables Hercules qui volent toujours (et dont la production n'est pas terminée !)…on notera cependant que leur mise à la retraite correspond également à l'entrée en service des premiers C-5 "Galaxy"…mais d'un autre côté, les C-124 "Globemaster II" resteront en service jusqu'en 1974 au sein des unités de réserve. Comment expliquer ce retrait pour le moins rapide des unités de première ligne..et de l'Air Force tout court ?

Panneau du mécanicien navigant...toute une époque !


Il faut en effet savoir que le Cargomaster détient surtout un triste record d'insécurité : sur les 52 appareils construits (dont 2 exemplaires d'essais statiques qui ne voleront jamais), 10 se sont écrasés ou furent perdus en vol en 14 ans de carrière, un taux d'attrition particulièrement élevé ! Par exemple, le C-5 "Galaxy, son successeur direct, ne connaitra que quatre accidents en vol sur 141 appareils construits (et 40 ans de carrière)

Le 1er accident touche le 54-0146 le 13 avril 1958. Ce jour là, le Cargomaster décolle de Dover à 8h28…et l'appareil s'écrase à 8h40 sur le dos dans une forêt, sans aucun message de détresse de l'équipage. Il n'y a aucun survivant. La cause du crash n'a jamais été connue…mais il semble que l'équipage soit tombé, victime du décrochage pernicieux de l'appareil. Une autre analyse montrera qu'un écoulement d'air anormal sur le plan fixe horizontal pouvait diminuer la réponse des commandes. Une modification sera mise au point et rétrofité sur tous les appareils en sevrice sous la forme d'une excroissance en "queue de castor" pour garder l'écoulement de l'air plus stable le long de la dérive. En plus de cela, les enquêteurs identifient pas moins de 17 défauts majeurs sur le système de contrôle de vol ayant pu contribuer au crash !

Restes d'un C-133 après un crash...
Les trois années suivantes sont calmes, mais en juin 1961, nouveau drame : un C-133 disparait en vol au départ du Japon, même scénario, pas d'appel de détresse…on ne retrouvera aucun débris. Un an plus tard, c'est le 57-1611 qui disparait, peu de temps après le décollage..le pilote annonce au contrôle qu'il passe les 4000 mètres, puis les opérateurs voient le spot de l'avion dégringoler au radar. En deux ans, deux appareils de perdus et 14 aviateurs tués.

Le Cargomaster va ainsi se faire une mauvaise réputation auprès des équipages, qui apprennent (difficilement) à reconnaitre les signes avant-coureur d'un décrochage, phénomène incriminé dans les trois crashs. De juin 1961 à février 1970, pas moins de 7 avions seront perdus et 47 membres d'équipage tués ou disparus. Herbert Nakagawa, un ex-lieutenant colonel, qui a accumulé 4500 heures de vol sur C-133 raconte que lorsqu'il avait reçu son affectation sur C-133 à l'école de navigation, son instructeur lui aurait serré la main en disant "ravi de vous avoir connu"...aucune trace d'humour.

Poste de travail du navigateur.

Un signe avant-coureur du décrochage, qui n'était pas dans le manuel : lorsque l'appareil s'approchait du domaine dangereux, les essuie-glaces du cockpit commençaient à vibrer…subtile, mais ça marchait, la plupart du temps..

Cela n'empêchait pas les sueurs froides..Jon Burnett, pilote et instructeur pendant plusieurs années sur Cargomaster, se souvient d'un vol mémorable au départ de Chateauroux. Arrivé en fin de montée, l'avion tremble très légèrement..sentant venir le décrochage, il pousse sur le manche pour baisser le nez de l'avion…et rien ne se passe : la gouverne ne répond plus. Seul son réflexe de mettre 15° de volet va le sauver lui et l'avion…seulement voilà, si l'instructeur qu'il est s'est fait une belle frayeur, que penser de la réaction d'un jeune pilote moins expérimenté ? Dans ce cas précis, ce n'est pas un décrochage qui menaçait l'avion, mais bien le "masquage" du plan fixe horizontal déjà rencontré lors des essais en vol à Edwards.

Malgré le mystère entourant cet appareil, Nakagawa se souvient que les équipages étaient dévoués à cet avion et voulaient le faire voler du mieux possible. En 1963, une enquêtes est menée sur le Cargomaster, à la demande de la division matériel de l'USAF. Douglas, le MATS, le pilotes et instructeurs, tout le monde se retrouve autour de la table pour tenter de trouver la cause des crashs non élucidés…mais ce sera un échec. En 1965, suite à de nouveaux crashs, nouvel enquête, avec cette fois des essais en vol avec des ingénieurs de Douglas. Ils vont étudier les moteurs et le décrochage.

Un des premiers C-133 en vol
Les moteurs T34 sont des moteurs à vitesse constant et pas variable. La puissance du moteur est donc gérée par le mécanisme du contrôle de pas d'hélice, non par la puissance du moteur en elle-même. SI les quatre moteurs des quatre hélices se désynchronise en vol, cela peut conduire à une perte de contrôle…ce cas de figure sera étudié à la loupe, ainsi que le comportement en décrochage de l'avion. On découvrira ainsi que le décrochage était totalement asymétrique, l'aile droite décrochant toujours la première, et l'aile gauche restant en vol, provoquant un roulis brutal qu'il était difficile, voire impossible à contrer. Les ingénieurs de Douglas vont trouver une modification "à la russe" contre ce problème : installer une pièce métallique le long du bord de d'attaque de l'aile gauche pour la faire décrocher en même temps que l'aile droite. Le remède marchait…mais les grands mystères ne sont jamais totalement résolus…tout se passait bien sauf sur un C-133 récalcitrant…qui ne décrochait pas comme les autres : son aile droite décrochait plus tard ! Allez comprendre…il en sera quitte pour un second renfort, mais sur son aile droite…il sera le seul de la flotte équipé ainsi.

C-133

En 1967, un Cargomaster décolle d'Okinawa à son bord se trouve…en gros des poubelles…et l'équipage doit rentrer au Etats-Unis. Quelques temps après le décollage, le moteur numéro 4 s'emballe. Le pilote l'arrête et le mécano nav tente de remettre le circuit de contrôle des hélices en marche (il y avait un unique circuit pour les quatre hélices)…un court circuit se produit, et les trois hélices restantes se bloquent à un pas trop haut…nom de nom c'est pas possible…l'équipage remet le cap sur Okinawa d'urgence, et commence à se poser des questions sur comment se poser avec leurs hélices à pas fixes, lorsque les trois moteurs se coupent…panne moteur totale ! La soirée qui avait mal commencée allait de plus en plus mal…l'équipage parvient à amerrir indemne et par miracle l'épave flotte ! Les neuf survivants formeront un club exclusif : les seuls survivants d'un crash de Cargomaster !

Encore un crash...mais aucun blessé à déplorer, même si l'impact a du être mémorable...

Il y aura un dernier crash de C-133, le 6 février 1970. Ce jour là, le Cargomaster 59-0530 transportant un hélicoptère se désintègre en vol…il n'y a aucun survivant. L'enquête ne mettera pas longtemps à déterminer la cause du drame : fatigue du métal. La structure s'est rompue au niveau de la porte cargo, détruisant le moteur numéro 2. L'avion s'est ensuite disloqué en vol sans que l'équipage puisse rien faire. Toute la flotte est inspectée, et on pose en urgence des "belly strip", des bandes d'aluminium de 10 cm de large sur l'ensemble du fuselage pour le rigidifier, mais la décision de l'Air Force est prise : tous les C-133 seront retirés du service dès que le C-5 Galaxy sera opérationnel. Cela prendra une année et demie.

Le rafistolage des C-133 : des bandes de renfort tout le long du fuselage

En septembre 1971, les derniers Cargomaster sont rayés de l'inventaire de l'Air Force. 10 crash sur 50 avions de construits, ce qui est énorme…mais d'un autre côté, la taux d'accident par 100 000 heures de vol du C-133 était de 2,7, contre 1,9 pour le "Hercule"…mais la moyenne de l'USAF à l'époque était de 7,7 ! Le Cargomaster n'était donc pas si dangereux statistiquement parlant, même si 61 hommes ont perdu leur vie à son bord.

On notera également que tous les C-133 seront retirés du service en 1971…sauf deux, qui va continuèrent  à voler pour Northern Ar Cargo, basée en Alaska. La société réussi à obtenir un certificat de navigabilité restreint, permettant d'utiliser les Cargomaster sur des routes déclarées. Les deux appareils, 56-1999 et 59-0531, seront utilisés en Alaska pour la livraison de morceaux de Pipeline. Le 59-0531 sera ferraillé en 2001, mais le C-133A restant continua de voler jusqu'en 2008 avant de prendre sa retraite dans un musée…mais cette histoire, vous la connaissez, vu qu'il s'agit du C-133 de Travis AFB !

Comparaison  entre le C-133 et le C-5 : rien ne bat le C-5, mais le Cargomaster est honorable second...

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