mercredi 7 novembre 2012

Tornade sur Carswell !

Retour sur un petit épisode historique aujourd'hui, à savoir la tornade qui fit ce dont l'URSS rêvait : mettre hors service la moitié des bombardiers lourds de l'US Air Force...

1er septembre 1952. Il s'agit d'un jour férié (Labor Day). Sur la base de Carswell AFB (Texas), beaucoup de personnels sont en repos, mais des opérations de maintenance ont lieu.

Les 7th et 11th Bomb Wings sont stationnés sur la base. Sous l'autorité du Strategic Air Command, elles font parties des unités entrainées pour les patrouilles avec arme atomique à bord. Elles sont équipées d'un des plus grands bombardiers ayant jamais volé pour l'US Air Force : le B-36 "Peacemaker". Il s'agit du plus gros bombardier de l'époque (qui est même plus grand qu'un B-52)

Le B-36 "Peacemaker", fierté de l'US Air Force, avec ses six moteurs à pistons et quatre réacteurs...et les cauchemars de maintenance qui vont avec...


Les prévisions météo ne sont pas bonnes : des orages et bourrasques de vent sont attendues, ce qui n'est pas inhabituel  dans cette partie du Texas l'été. Les appareils sont parqués sur les vastes aires de parking, avec des docks d'entretien mobiles posés à proximité, qui permettent d'atteindre toutes les parties de l'appareil.

Vers 18 heures, des gros nuages gris commencent à converger vers la base. L'anémomètre commence à s'affoler et le baromètre dégringole à vue d'œil. L'ordre est donné d'arrimer les avions, mais il est déjà trop tard : à 18h42, une tornade traverse littéralement le parking et envoie valser les avions comme de vulgaires jouets d'enfants. Des réservoirs de carburants sont éventrés, et le kérosène commence à se répandre sur le runway, en direction des transformateurs électriques. L'officier de permanence a le réflexe de faire couper le courant d'urgence, évitant ainsi une catastrophe.

Deux avions que le vent a projeté l'un contre l'autre et qui tiennent...on ne sait pas trop comment...
Une heure plus tard, la tempête se calme, laissant la base complètement retournée. En moins d'une heure, la moitié des bombardiers lourds de l'US Air Force vient d'être mise hors service. La flotte de bombardiers lourds est sérieusement touchée, mais personne ne connaît encore l'étendue exacte des dégâts. La crédibilité des forces armées US est en jeu, il faut tout remettre en état au plus vite.

Une queue à refaire et une dérive à remplacer complètement...
Les ingénieurs de l'Air Force sont à pied d'œuvre dès le lendemain matin pour une première estimation des dégâts. Le constat est alarmant : un B-36 (le 44-92051) a été littéralement projeté hors du terrain dans un champ à proximité. Il est endommagé à un tel point qu'il est considéré comme détruit, et 82 autres sont endommagés à des degrés divers, dont 24 gravement endommagés (queue arrachée, moteurs détruits, fuselage cisaillé). La liste des réparations à faire est longue.

Après ce premier constat, le général Curtiss le May, le grand patron du SAC, retire les unités de Carswell du plan de guerre intégré, ce qui signifie qu'elles ne sont plus considérées opérationnelles en cas de conflit. Le président Truman est prévenu en catastrophe de la situation. Le May ordonne que Carswell soit mise au régime de la semaine de 84 heures jusqu'à ce que les réparations soient effectuées.

Vue générale de la rampe de Carswell montrant l'étendue des dégâts
Chez Convair, constructeur de l'appareil, c'est également l'alerte : il faut remettre un maximum de bombardiers en état de vol le plus rapidement possible. Une équipe part pour Carswell le surlendemain afin d'aider l'Air Force. C'est le début du projet FIXIT ("fix it" ou "réparez ça", les planificateurs de l'Air force ne manquent en général pas d'humour). On cannibalise les appareils les plus endommagés pour remettre en état ceux qui n'ont subi que quelques dommages. On prélève ainsi des ailerons ou des hélices sur certains appareils afin de permettre aux autres de repartir aussi vite que possible.

25 appareils doivent cependant être envoyés chez Convair pour des réparations ressemblant plus à une véritable reconstruction. Une première estimation faisait état de plus de 21 millions de dollars de réparations pour ces 25 appareils, et il semble que le coût réel a été presque le double, plus proche de 48 millions de dollars (de l'époque, en tenant compte de l'inflation, cela ferait presque 310 millions d'euros au cours actuel).

Même si ce B-36 semble en bon état, il est bon pour la casse...
L'appareil qui a été soufflé dans le champ à la périphérie de la base est perdu : son fuselage est cassé en deux endroits, ses dérives arrachées et son train très endommagé. Il est péniblement remorqué sur la base, où tous ses équipements sont retirés pour être utilisés comme pièces de rechange. La carlingue restante est découpée sur place, l'avion rayé de l'inventaire de l'Air Force.

Sur les autres appareils, les principaux dommages concernent les dérives arrière qui sont endommagées voire même simplement arrachées. Il faudra toute l'ingéniosité des ingénieurs de Convair pour fournir près de 40 dérives verticales en moins de sept semaines, avec une chaîne conçue pour en produire 2 par semaine…l'histoire est similaire pour la production des saumons d'ailes ou des nacelles moteurs.

Problème de beaucoup d'appareils endommagés ce jour là : tout l'arrière est à refaire...

Le travail acharné de l'Air Force et de Convair va permettre de remettre un appareil en service la première semaine suivant la tempête, et 9 de plus la semaine suivante. Le 7thBW est déclaré de nouveau opérationnel 10 jours après la tempête, et lancera même plusieurs missions avec les B-36 dès le 2 octobre, avec un raid simulé sur la Floride par plusieurs appareils de l'escadrille. Il faudra tout de même attendre le 11 mai 1953 pour que le dernier appareil réparable soit rendu à l'Air Force par les équipes de Convair.

Cet évènement servira de leçon au SAC, qui prendra ses précautions : déploiement des avions sur des bases plus éloignées, évacuation des avions sur des terrains de repli en cas de mauvais temps annoncé. Au cours des années qui suivirent, la flotte de B-36 fut mise en alerte plusieurs fois à Carswell, et une grande partie des appareils devra même quitter temporairement la base en cas de tempête annoncée pour éviter une répétition du désastre de la tornade de 1952.

A noter qu'un autre B-36H, le 51-5712 ne sera pas rendu au SAC…jugé trop endommagé pour être réparable, il sera reconstruit par Convair en avion expérimental, le NB-36H : l'avion à propulsion atomique. Encore une histoire passionnante et complètement oubliée de l'histoire de l'aviation que je ne manquerai pas de partager avec vous un jour !

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire