lundi 18 août 2014

Echec total : les Convair 880 et 990

Vous connaissez tous le Boeing 707, le premier jet moderne intercontinental qui a révolutionné le transport aérien, et vous connaissez sans doute le Douglas DC-8, qui fut son concurrent pendant très longtemps, mais savez vous qu'il existe un troisième appareil aux caractéristiques de vol très similaires ? Retour sur un programme méconnu que son concepteur à préféré oublier parce qu'il a perdu dans l'affaire près du quart de son capital, à savoir un demi-milliard de dollars : cet appareil c'est le Convair 880/990

Un Convair 990 de la Swissair...un appareil extérieurement proche des 707 qu'il ne put jamais remplacer...


Au cours des années 50, la firme Convair était l'une des plus grande de l'industrie américaine, avec à son actif des appareils particulièrement réussis : on pourra citer le F-102 "Delta Dagger" et son cousin, le F-106 "Delta Dart", mais aussi l'imposant B-58 "Hustler", et un peu plus en arrière, l'immense bombardier B-36 "Peacemaker".

Toujours au cours des années 50, après les catastrophes du "Comet", l'industrie américaine se lance dans les jets à fond, donnant naissance chez Boeing au 707 et chez Douglas au DC-8. Convair avait beaucoup de contrat militaire sur les bras, et ne souhaitait pas se lancer dans une aventure civile…pourtant quelques mois plus tard, constatant que toutes les compagnies voulaient des jets, et que Boeing et Douglas avaient du mal à en livrer en quantité suffisante. Howard Hughes, propriétaire de la TWA  y voit une opportunité, et va souffler que ce serait une excellente idée pour Convair de se lancer dans l'aventure. Le 22 mars 1955 a lieu une réunion secrète entre Convair et la TWA pour discuter de l'idée de lancer un long-courrier. Hughes, ingénieur ayant une forte expérience insiste pour contribuer au projet, et sa contribution est le premier clou sur le cercueil qui allait se refermer sur ce nouvel appareil : il y aura des rangées de 5 sièges uniquement…ce qui veut dire que à longueur égale, il y aura une allée de passagers payants en moins qu'un 707 ou DC-8.

Des rangées de 5 sièges...ce sera le plus gros handicap de l'appareil...

Côté Convair, les responsables des programmes militaires sont opposés à tout lancement d'avion civil, estimant que Convair ne pourra jamais rivaliser avec Boeing et Douglas sur le marché civil, mais ils ne sont pas écoutés. Il  faut savoir que Convair traverse aussi une crise de gouvernance : son charismatique président, Jay Hopkins est décédé brutalement quelques mois auparavant et il a été remplacé par Franck Pace, qui n'arrive pas à trancher ni à se faire écouter. La conséquence ne se fait pas attendre : la division "avions civils  décide de se lancer dans l'aventure et de mettre au point son propre avion de ligne long-courrier à réaction. Nous sommes en avril 1956, et l'appareil prend le nom de "Skylark 600", avant d'être redésigné "Golden Arrow" trois mois plus tard. Convair annonce alors triomphalement avoir reçu 30 commandes de la part de la TWA et 10 de la part de Delta : c'est suffisant pour lancer le projet.

Vue éclatée de ce qui allait devenir le Convair 880


Une autre explication sera donnée sur le choix du nom "Golden Arrow" ("flèche dorée") : c'était à la fois pour symboliser la vitesse du nouvel appareil, mais aussi parce que Convair avait décidé d'innover en utilisant un finish doré pour l'appareil, au lieu de l'habituel finish aluminium, à l'aide d'un procédé d'anodisation complexe. Quatre mois après cette annonce, convair fut bien forcé de constater que ce nouveau procédé serait complexe et coûteux sans rien apporter…et l'idée fut mise au placard. Il était cependant trop tard pour certains équipements qui avait déjà été commandés couleur or, ce qui allait jurer sur les nouveaux appareils, mais c'était là un moindre mal…La désignation de "Golden Arrow" sera également abandonné, remplacé par la désignation officielle de "Convair 880", en raison de la vitesse ascensionnelle de l'appareil estimée à 880 pieds par minute.

écorché du Convair 880


Le travail de design commence, avec le choix du moteurs J79, équipant déjà le "Hustler", avec la même disposition que 707 ou le DC-8.

La maintenance sera facilitée par la présence d'une aile basse...


L'appareil semble promis à un bel avenir, mais rapidement, les analystes financiers se rendent compte que le prix de lancement de l'avion de 4,5 millions de dollars couvrait à peine le prix des moteurs et de l'avionique de bord…Cette tentative de dumping de la part de Convair allait donner de très bons résultats..sur le court terme ! Alléchés par un prix de vente aussi bas, de nombreuses commandes vont arriver de la part de KLM, United et American Airlines.

Le prototype du Convair 880 fait son premier vol le 27 janvier 1959. Le programme d'essais en vol se déroula sans problème notable, hormis un incident où le prototype perdit une bonne partie de son gouvernail au cours d'essais de "buffeting". Les quatre prototypes termineront rapidement leurs programmes de vol, le FAA délivrant le certificat de type dès le 1er mai 1959 : l'appareil était une réussite !

Le Convair 880 décolle pour un vol d'essai...


Réussite ou pas : les nuages vont vite arriver au dessus de Convair, et le premier problème va venir de Howard Hughes et de la TWA : La TWA était en difficulté financières, et ne pouvait pas payer ses appareils…Howard Hughes non plus. Pour ne rien arranger, dans un épisode digne d'un feuilleton comique, Hughes va refuser à Convair la permission d'utiliser "ses" avions pour les essais en vol : il va donc…séquestrer ses deux premiers appareils (qu'il n'a pas encore payés !) dans un hangar gardés jour et nuit. En représailles, Convair va cesser le travail sur les 18 exemplaires suivants destinés à la TWA et les remorquer sur le parking de l'usine, où ils seront exposés aux éléments, et vont s'abîmer de semaine en semaine…Finalement, la TWA arrivera à trouver un financement suffisant pour payer ses appareils, et le travail pourra reprendre dessus. Problème cependant : les archives concernant ces 18 appareils ont tout simplement disparues au moment de reprendre le travail, ce qui fait que personne ne sait plus trop quels équipements ont été montés sur tel avion… ils devront tous être entièrement recâblés, le tout à un coût considérable pour un programme qui ne roulait déjà pas sur l'or…

Un salon tel que le proposait Convair à ses clients...


La TWA réceptionne finalement son premier appareil en janvier 1961, avec un an et demi de retard. Ce sera le premier de 27 appareils, soit juste trois de moins que sa commande d'origine ! Delta de son côté aura beaucoup moins de soucis, et pourra même obtenir ses appareils à l'heure, le convoyage de son premier appareil de San Diego à Miami permettra même d'établir un record transcontinental de vitesse, le premier d'une longue série pour le Convair 880 ! Delta va recevoir au final 17 appareils, mais malheureusement pour Convair, aucune autre compagnie américaine ne passera jamais commande du 880… Une autre commande signée avec Capital aurait du aboutir, mais la compagnie en difficulté financière devra renoncer à sa commande.

Une chaîne d'assemblage à plein régime...mais les clients ne se bousculent pas

Un facteur expliquant ce manque d'intérêt est l'arrivée sur le marché d'un nouvel appareil, le Boeing 727, qui va être vendu par Boeing à prix cassé, en capitalisant sur le succès du 707 : le 727 jouait dans la même gamme que le 880, et l'appareil de Convair sera le grand perdant du match.

Un Convair 880 qui va être livré à la TWA au premier plan.

Après ces commandes, Convair mis sur le marché une version modifiée, le 880M en visant le marché à l'étranger. Il s'agit d'une version plus puissante, avec un fuselage rallongé et un train renforcé. Il n'y aura en tout et pour tout que 18 exemplaires de commandés : 9 pour Japan Airlines, 3 pour VIASA, 2 pour Cathay Pacific et d'autres commandes de un ou deux appareils pour des compagnies plus modestes. Malheureusement, la durée de vie de ces appareils sera courte : dès le début des années 70, les premiers appareils commenceront à être revendus ou mis à la retraite en stockage dans le désert de Mojave. Quelques appareils seront rachetés pour faire du fret, mais la plupart seront simplement stockés : les compagnies ne veulent pas d'un appareil peu répandu et avec un fuselage étroit pour transporter du fret ! Le 38ème appareil trouvera cependant une seconde vie : il sera racheté par Elvis Presley et utilisé pour ses tournées, nommé le "Lisa-Marie" en hommage à sa fille. Il se trouve aujourd'hui dans le musée de Graceland. Il s'agit à l'heure actuelle (2014) du seul Convair 880 qui est proprement préservé.

Aux commandes du 880


De manière générale à la fin des années 80, la plupart des Convair 880 ne volaient déjà plus. Il restait moins d'une douzaine d'appareils convertis en avions cargo, dont utilisé par la FAA pour entraîner ses inspecteurs…qui sera d'ailleurs détruits quelques années plus tard dans une explosion…un entrainement qui c'est mal passé sans doute. 65 appareils furent produits, le bilan total du programme s'élevant à 425 millions de dollars…de pertes pour Convair, un échec coûteux. La chaîne d'assemblage ne fonctionnera que pendant à peine trois années !

Malgré une communication agressive, l'appareil n'aura jamais un franc succès...


Pourtant après l'arrivée du 727, Convair avait lancé en première urgence le 880M, mais préparait sa revanche : le Convair 990 était sur la planche à dessins. Utilisant la structure du 880, mais avec des réacteurs à double flux (les premiers jamais montés sur un avion commercial) CJ805 et un fuselage rallongé et une voilure agrandie. Le Convair 990 devait afficher une consommation moins élevée (40% de moins annoncé par le constructeur) et un niveau de bruit moindre, tout en offrant une charge utile plus importante. Mais l'engouement des compagnies ne se faisant pas sentir, Convair va alors être prêt à tout pour placer son nouvel appareil auprès d'une compagnie majeure américaine. C'est ainsi que Convair va reprendre les vieux DC-7 d'American au double de leur valeur, alors qu'ils étaient au bout du rouleau. Pire encore : Convair va vendre le 990 à peine plus cher que le 880 : 4,7 millions de dollars…somme qui ne permettait même pas de couvrir le prix d'un 880 ! American passera ainsi une commande de 25 appareils et ce sera la seule commande significative.
American Airlines aura la seule commande significative...

Pour ne rien arranger, le Convair 990 n'aura pas de prototype : Convair lance la chaîne d'assemblage directement, persuadé qu'avec l'expérience du 880 il n'y aura pas de surprise…hélas, il va y en avoir une et de taille : Le premier appareil vole le 24 janvier 1961 depuis San Diego, et quelques semaines plus tard, lorsque les essais à haute vitesse commencèrent, il apparut rapidement que la trainée de la voilure devenait trop importante : la vitesse maximal n'était que de 935 km/h au lieu des 1000 prévu, mais surtout la surconsommation de carburant était telle que la traversée des Etats-Unis devenait impossible sans escale : un immense retour en arrière ! Pour ne rien arranger, les moteurs extérieurs vibraient et les ailerons étaient en partie inefficaces. L'appareil était un vrai désastre : au lieu de prendre les atouts du 880 pour faire un meilleur appareil, Convair avait fait un appareil moins bien en en prenant tous les défauts.

Particulièrement moches, les carénages des ailes seront le seul moyen de corriger l'aérodynamisme du Convair 990...


American Airlines voulait résilier sa commande, mais avait désespérément besoin d'augmenter ses capacités de transport : elle accepta d'acheter les avions avec leurs défauts, mais du coup son plan de ne l'exploiter qu'en première classe avec un supplément justifié par le silence de l'appareil et sa rapidité tomba à l'eau…

Swissair réceptionna ses 8 appareils à partir de 1962 et en fut satisfait. Ils furent baptisés "Coronado", en référence à une île de l'océan pacifique, et seront utilisés jusqu'en 1975 sur les routes d'Amérique du sud ou d'extrême orient.

Swissair, un des rares clients contents de ses Convair 990...

Convair va alors s'embarquer dans un programme de modernisation pour permettre d'atteindre les spécifications promises : des gros carénages seront installés en arrière des ailes pour donner un meilleur écoulement aérodynamique, même si en fait c'est toute la voilure qu'il aurait fallut refaire. Même avec des modifcations "à minima", ce sera tout de même un programme de 30 millions de dollars, que Convair devra payer de sa poche…pire encore, la capacité "coast to coast" ne sera jamais vraiment réalisée : la forte consommation des moteurs (beaucoup plus que prévu).

Autre vue d'un "Coronado" de la Swissair


Le premier Convair 990 sera mis en service en 1962, et le premier appareil modifié un an plus tard. Les derniers exemplaires de la commande d'American Airlines seront vendus directement à la Garuda et Aerolineas Peruanas au Pérou…Comme le Convair 880, le 990 fut un échec : sa carrière fut brève et ils furent vite revendus à des compagnies charters ou pour du fret. En compéition directe avec le 727 ou le 720 (une version modifiée du 707) de Boeing, l'appareil ne trouva jamais d'autres acheteurs. La compagnie espagnole Spantax racheta d'ailleurs 14 Convair 990, et le dernier vola en 1987. Il n'y eut donc au total que 37 "Coronado" de produits, ce qui faisait un total de 102 appareils si on additionne les 880 et 990 : un échec complet, qui causa la perte de plus d'un demi-milliard de dollars à Convair, à l'époque la plus grosse perte jamais enregistrée par une firme privée…

Bien conçu, mais mal pensé...on pourrait résumer le 880 ainsi...

Ainsi se terminèrent les ambitions de Convair sur le marché du transport aérien civil, qui ne fabriqua plus jamais d'avion de transport civil. Les pertes furent durement ressenties par la société, mais grâce à ses nombreux contrats militaires, la firme à réussi à survivre, et deviendra sous-traitante de Douglas pour la construction de fuselage de DC-10 entre autres. Il reste aujourd'hui assez peu de Convair 880/990 et aucun n'est encore en état de vol. On peut signaler la présence d'un "Coronado" de la Swissair qui est exposé au musée des transports Suisse de Lucerne.

Un appareil qui va finir par disparaître dans l'indifférence générale...


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