Le programme nEUROn (prononcé "neurone") est un programme de démonstrateur technologique de drone, conçu en collaboration entre 5 pays européen. Il préfigure les drones de demain, même si lui n'a pas vocation à être produit en série. Il a effectué son premier vol en 2012 et devrait sans doute être mis à la retraite vers mi-2015.
Un appareil bien étrange, nommé nEUROn |
Pour mieux comprendre d'où vient ce programme, il faut remonter en 2003, au salon du Bourget. Le ministre de la défense de l'époque, Michèle Alliot-Marie, annonce officiellement l'intention de la France de lancer un programme de démonstrateur "UCAV" ou "Unmanned Combat Aerial Vehicule" soit un drône armé apte à combattre. Ce programme vise à fournir un premier vol en 2012, avec une coopération européenne pour le développement et les essais. Le but est de baisser le coût d’acquisition par état, tout en garantissant une bonne maîtrise des technologies par les pays partenaires.
Ce programme s'inscrit également dans le programme futur d'équipemement des forces armées. En effet, aujourd'hui, l'ossature de l'armée de l'air se compose de Mirage 2000 et de Rafale. Le Mirage est à peu près à mi-vie, et devrait avoir disparu des forces armées d'ici 2030. Parallèlement, les différents standards du Rafale continuent de se succéder : d'abord le standard F3R, puis F4 (vers 2018), puis la RMV ou "Rénovation à Mi-Vie" (vers 2023) qui permettra de maintenir le Rafale opérationnel au-delà de 2050, mais les premiers exemplaires du Rafale à partir à la retraite quitteront l'armée de l'air d'ici 2030.
Quel concept pour 2050 ? |
On le voit : il va exister à l'horizon 2030 un "gap", une baisse capacitaire, qu'il faudra combler. Or, en terme de recherche et d'équipements des forces, 2030, c'est presque demain ! Il faut donc réfléchir au successeur du Rafale. C'est ce que la DGA surnomme le "SCAF" ou "Système de Combat Aérien du Futur", qui ne désigne pas un appareil, mais bien un ensemble de moyens : avion, piloté ou non, ainsi que l'armement associé. En clair ce qu'il faut développer dans peu de temps pour avoir un système mature d'ici 2030.
Le schéma directeur du "SCAF" présente donc deux options : soit un "Rafale NG" (pour "Nouvelle Génération"), qui capitalise sur les acquis du programme Rafale, tout en développant de nouvelles formes plus furtives, l'appareil étant "optionnellement piloté", c'est-à-dire utilisable comme drône ou comme intercepteur classsique, au choix. Ça fait cher du drône, mais ça offre la meilleure polyvalence. La seconde option est celle d'un Rafale "amélioré", mais proche de ce que l'on connait actuellement, auquel on adjoint un "UCAV haute intensité" et un "drône ISR - armé". Concrètement, un UCAV haute intensité est un drône de combat autonome ou semi-autonome, qui est capable de pénétrer un environnement anti-aérien dense où il serait dangereux de risquer un pilote, alors que le drône ISR est un drône plus petit, capable de missions de recherche et sauvetage, ainsi que de missions de surveillance à longue portée.
Cette deuxième option offre une plus grande flexibilité tout en permettant un coût d’acquisition plus réduit, et un taux d'attrition plus faible en cas de pertes (perdre un drône ISR est moins gênant que de perdre un Rafale NG qui va coûter une fortune).
Maquette du nEUROn en soufflerie |
Seulement voilà, l'Europe n'a jamais développé de drône "avancé", du petit drône de reconnaissance oui, mais pas plus. Il y a donc clairement un retard à rattraper comparé aux américains ou aux israéliens…et c'est exactement le but du programme nEUROn : combler le retard technologique, assurer la maîtrise des connaissances afin de pouvoir lancer un "vrai" UCAV en série d'ici 2020. Le programme lancé en 2003 était donc ambitieux à plus d'un titre.
Tout était à faire : la furtivité, le contrôle de vol, la survivabilité ou encore le fonctionnement en réseau (station sol, relais satellite etc…).
Le rogramme nEUROn a levé un financement de 450 millions d'euros, avec un peu plus de la moitié fourni par la France, l'autre moitié par les pays partenaires, à savoir la Suède (SAAB), l'Italie (Alenia), l'Espagne (CASA), la Grèce (HAI) et la Suisse (RUAG). L'ensemble du programme est chapeauté par la DGA, et Dassault assure la maîtrise d'œuvre. Le contrat est lancé en 2006.
On voit la une des clés du succès du programme : il y a un seul chef d'orchestre, qui dirige la participation de tous les pays sans exception, ce qui évite toutes les tensions politiques qui ont été rencontrées sur les grands programmes européens comme l'A400M.
nEUROn s'est fixé 5 objectifs technologiques dont la maîtrise est indispensable pour tout programme futur :
Furtivité (thermique et radar)
Contrôle de vol depuis un réseau C4I
Contrôle de vol autonome sur certaines phase du vol (décollage, taxiage, atterrissage etc…)
Largage de l'armement depuis la soute interne (pour ne pas dégrader la signature radar)
Détection et reconnaissance de cibles (via une bouboule optique, qui doit être "cachée" dans un logement transparent aux IR, mais opaque au rayonnement radar.
écorché du nEUROn |
Extérieurement, l'appareil se présente comme une aile volante de forme lenticulaire, tenant un peu du B-2, mais en beaucoup plus petit, avec une mono-flèche à 50°. Instable, l'appareil est piloté par ordinateur à l'aide de quatre dérives situés sur le bord de fuite des ailes. Deux soutes internes permettant d'emporter une bombe de type GBU de 250kg chacune. L'appareil à une longueur de 9,2 mètres pour une envergure de 12,5 mètres (dimensions comparables à un mirage 2000 en un peu plus court) le tout pour un poids de 7 tonnes en ordre de marche, et pour une vitesse maximum de Mach 0,8 et un plafond de 20 000 pieds. Une grande entrée d'air dorsale est située en avant de l'appareil, et débouche via une conduite coudée destinée à éviter les echos radars, à un moteur "Adour" modèle 951H, qui est le même que celui qui motorise le "Hawk" britannique. Des traitemements spéciaux sont appliqués sur les ailes et les portes de soute pour éviter les échos parasites, et sa forme est étudiée pour que les directions "poubelles" (correspondant aux directions où se disperse l'énergie radar) soient vers l'avant. Dans un souci de furtivité, la tuyère arrière est large et pincée avec un fort allongement, ce qui permet de masquer les gaz chaud visibles depuis le sol, indispensable pour la furtivité infrarouge.
répartition du programme industriel |
De nombreux systèmes demanderont beaucoup d'attention de la part de Dassault et de ses partenaires : il n'y a pas de tube pitot mais une sonde anémométrique pariétale, qui ne dépasse pas, ainsi qu'un boitier "flight control" très robuste : l'idée est que l'appareil puisse "vivre" par lui-même en cas de perte de la station sol, quitte à se crasher lui-même en cas de besoin si il ne peut pas se maintenir en vol de façon sûr. Mais la revue de design est passée avec succès en 2010, ouvrant la voie à la fabrication du nEUROn !
La furtivité critique sur le projet, entraine l'essai de maquettes de toutes les tailles à la fois en soufflerie et en chambre anéchoïdes, entre Turin, Rennes (au CELAR de Solange) et Istres.
modèle du nEUROn |
Côté sécurité, l'objectif était de respecter la JAR23, ce qui permet au nEUROn de voler au dessus de zone faiblement peuplé, contrairement à d'autres drônes qui ne peuvent pas, sauf autorisation exceptionnelle. Pour obtenir cette autorisation, il faut démontrer que l'appareil peu de chance de subir un crash incontrôlé, donc redondance duplex, voire triplex et boitiers de surveillance sont indispensables), avec une option de "crash contrôlé en cas de besoin, si le drône menace de ne plus être controlable.
Si le nEUROn perd contact avec sa base, il sait quoi faire. Il intègre en effet une cartographie des zones ennemies à éviter, et des zones amies où il sera susceptible de retrouver le contact avec une station sol, ce qui évitera qu'il n'aille se perdre au dessus d'un territoire où il pourrait se faire capturer.
assemblage final |
2011 est l'année de l'assemblage final…qui ne se fera pas sans tension entre les partenaires. La DGA ayant fixé la date du premier vol, il faut tenir les délais, mais certains ont du retard. Dassault décide de passer au "plan B" : les sous-ensembles doivent être livrés "en l'état" à Istres au hall d'assemblage…et les partenaires termineront le travail en même temps que l'assemblage final…programme plutôt tendu ! Malgré cela, l'assemblage se termine en octobre 2011, ce qui permet de démarrer les tests systèmes au sol. Le banc d'intégration global est à Istres, alors que le banc simulation est à Saint-Cloud, où se trouve une maquette du drône avec les vrais calculateurs (similaire dans son principe à l'"Iron Bird" d'Airbus.
Le roll-out a lieu en janvier 2012, ce qui engage le sprint final pour le premier vol à l'automne 2012. Toujours à Istres, l'appareil va faire de nombreux essais de roulage plus ou moins rapidement, jusqu'à ce qu'il soit prêt pour le grand vol…malheureusement, nous sommes en novembre, et le temps est tout sauf beau. Mais le 1er décembre, il fait beau : ordre est donné de lâcher le nEUROn !
Malgré la température presque glaciale, tout le monde veut voir l'appareil…pourtant, là où tout se passe, c'est en salle de contrôle où les pilotes surveillent le drone et en salle d'écoute, là où les ingénieurs attendent toutes les données de télémétrie.
Un premier vol réussi...la sonde devant est provisoire et sert à calibrer l'installation anémométrique |
Il faut savoir que pour autant, les pilotes n'ont pas de joystick comme cela peut se faire sur les "Reaper" américains. Non, nEUROn sait rouler, décoller et voler tout seul, et se pilote un peu comme on peut piloter un avion à travers son pilote automatique : on peut lui imposer un cap, une vitesse ou un profil de vol qu'il va suivre sans soucis. L'opérateur doit cependant "valider" certaines opérations comme l'atterrissage où le largage de l'armement que le drône ne peut faire sans le feu vert d'un humain.
Ce premier vol est un succès ! Le nEUROn décolle et effectue un tour en l'air avant de revenir, le tout sans intervention directe humaine, juste une validation de son comportement par les opérateurs ! S'est ainsi ouvert une période de vol d'essais et d'endurance pour tester les technologies jusque dans leurs retranchements afin d'engranger un maximum d'enseignements pour les programmes futurs. Après ces essais en vol à Istres, nEUROn partira pour la suède, à vieselen, où il continuera ses essais en conditions climatiques plus difficiles sur une zone plus étendue.
L'assemblage final du nEUROn |
Et après ?
nEUROn devrait arrêter de voler en 2015. La prochaine étape sera de lancer un programme complet, destiné à lancer un appareil opérationnel, ce qui n'est pas gagné pour le moment. On évoque pour le moment le programme "FCAS DP" qui pourrait être lancé d'ici 2014, dans une coopération avec les britanniques, mais il existe encore de nombreux soucis politiques à régler, tel les transferts de technologie furtive. Les Anglais refusent en effet de parler furtivité avec des sociétés qui ne sont pas américaines. Cette exclusivité est une conséquence du classement de BAE systems comme partenaire de rang 1 avec lockeed martin dans le cadre du programme F-35. Ne serais-ce que sur ce point, il y a encore pas mal de travail à faire avant de lancer un drône en coopération.
On peut néanmoins penser, à l'aune des études actuelles, que le futur UAV sera plutôt dédié à l'attaque au sol et/ou la reconnaissance, et n'aura pas de capacité supersonique, mais plutôt subsonique avec longue endurance.
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