lundi 17 novembre 2014

Grandeur et décadence de la Pan Am (3/3)

Juan Trippe a 64 en 1963, et était encore à la tête de la Pan Am, mais commença à se chercher un successeur. En 1966, conscient que l'avenir est au transport de masse, il va passer une commande osée : 25 Boeing du dernier modèle : le 747 qui est encore sur la planche à dessins, à une époque ou tout le monde parie sur Concorde. L'investissement est très lourd : 21 millions de dollars l'unité en 1970, c'est donc près d'un demi milliard de dollars que la Pan Am doit investir, mais cela fera entrer la compagnie dans l'ère des "Widebody", le transport aérien de masse qui se démocratise de plus en plus.

Après le Boeing 707, ce sera au tour du 747 d'entrer en scène !


Autre révolution, au sol cette fois : en 1964, IBM installe au QG de la Pan Am un ordinateur, surnommé le "PANAMAC". Cet immense machine permet une gestion électronique des réservations d'avions et d'hôtel; cet ordinateur occupe presque tout le quatrième étage du QG de la Pan, le Pan Am building à New-York, qui était à cet époque le plus grand immeuble de bureau au monde. Pan Am va également acheter son propre terminal sur l'aéroport JFK à New-York. De forme elliptique, il possédait un grand auvent permettant aux passagers d'embarquer et de débarquer à l'abri des éléments, même si cette innovation deviendra rapidement désuette avec l'arrivée des passerelles couvertes ! Nommé "Worldport", ce terminal sera un autre emblème de la Pan Am.

Le PANAMAC va permettre les réservations électroniques, une première dans l'histoire !


Juan Trippe prend enfin sa retraite en 1968, il sera succédé par Najeeb Halaby, ancien administrateur de la FAA sous l'ère Kennedy. C'est généralement cette époque que l'on considère comme l'apogée de la compagnie : ses 150 avions volaient dans 86 pays, sur tous les continents à part l'Antartique en désservant pas moins de 122 aéroports ! 6,7 millions de passagers montèrent à bord d'un avion de la Pan Am en 1966, et la compagnie affichait des profits très importants, avec un trésor de guerre estimé à 1 milliard de dollars en cash. Il faut dire que la compagnie possédait également la chaine des hôtels "InterContinental".

Imposant, le "Pan Am building" était un repère de New-York


La Pan Am est la première compagnie à mettre en ligne le 747, dès le 22 janvier 1970, même si Pan Am espérait le mettre en service pour Noël 1969, mais les problèmes de réacteurs retardèrent sa mise en service. C'est la first lady, Pat Nixon, qui va baptiser le premier Boeing 747 de la compagnie, le "Clipper Young America". Dans les jours qui suivent, Pan Am envoie plusieurs 747 faire des visites sur les principaux aéroports des Etats-Unis : l'enjeu est double, car il faut à  la fois tester la compatibilité avec les aéroports, et surtout présenter ce nouvel appareil au public et lui expliquer que c'est l'avenir ! La Pan Am va transporter pas moins de 11 millions de passagers en 747 au cours de cette seule années 1970. Cet épisode permettra de faire oublier les options prises sur Concorde, et le soutien de Pan Am au programme Boeing 2707, le "Concorde" américain. Quelques années plus tard, la Pan Am va prendre en compte la toute dernière version du Boeing 747 : le SP ou "Special Performance", lui permettant d'assurer la liaison New-York - Tokyo, sans escale, une première à l'époque !

Le Worldport, terminal historique de la Pan Am qui sera démoli en 2003


Puis vient 1973, et l'empire de la Pan Am va vaciller avant de tomber 20 ans plus tard. Avec les chocs pétroliers, une inflation galopante et la récession qui s'ensuivit, la Pan Am va être touchée : elle ne parvient plus à remplir ses 747 alors que le nombre de passagers transportés commence à dégringoler dangereusement. D'autres compagnies concurrentes commence également à monter en puissance, et la Pan Am se retrouve soudainement à devoir lutter pour maintenir ses bénéfices, puis à faire la guerre pour rester dans le vert. En 1976, le milliard de dollar de trésorerie avait fait place à un milliard de dollars de dettes ! William Seawell, le nouveau PDG qui avait remplacé Najeeb Halaby va devoir serrer la ceinture : restructuration, plan social, près de 30% des 40 000 employés sont licenciés en quelques années, les routes les moins profitables sont supprimées et les plus vieux appareils (gourmands en carburant) sont revendus. Après cette difficile cure d'austérité, Pan Am retrouve des bénéfices en 1977. Mais les 747 continuent de voler bien en deçà de leur capacité maximum.

Les Boeing 747 ne voleront pas à pleine capacité...

Pour tenter de générer plus de profits, la compagnie va tenter de construire un réseau domestique : qui dit moyen courrier dit plus rentable que les grands vols internationaux. Or Pan Am avait interdiction par le gouvernement d'opérer sur des routes américaines, ne pouvant désservir que l'international, mais en 1978, un autre évènement majeur va se produire aux Etats-Unis : la dérèglementation ! Pour la première fois, ce n'est plus le gouvernement américain qui décide de qui peut déservir telle ou telle destination ou opérer sur telle ou telle ligne : le marché n'est plus règlementé. Cela signifie une bonne et une mauvaise nouvelle pour la Pan Am : la bonne c'est que le réseau intérieur américain qui lui était interdit s'ouvre enfin à elle, la mauvaise c'est qu'elle perd tout son monopole sur les routes internationales prestigieuses. Pan Am sent rapidement le vent du boulet : à moins qu'elle ne lance un réseau intérieur important, elle risque de disparaître sous le poids de ses concurrents.

Le Worldport


Le problème, c'est qu'on ne peut pas lancer un grand réseau domestique d'un claquement de doigts : il faut appareils et pilotes, mais surtout les fameux "slots" qui permettent d'obtenir un créneau de vol entre deux aéroports : la seule solution viable  pour Pan Am est de fusionner ou d'acheter une compagnie existante. C'est ainsi que Seawell commence à se rapprocher de la compagnie intérieure National Airlines. Pan Am n'est malheureusement pas la seule à s'intéresser à National, et les enchères vont monter. C'est finalement en 1980 que Pan Am achète National, pour la somme de 437 millions de dollars, sous que la compagnie ne possède pas ! Le bilan financier de la compagnie va encore se détériorer, mais le management de Pan Am espère qu'après une période de vache maigre, National va remonter le cours de Pan Am.

Hélas, tout ce qui pouvait mal se passer va mal se passer : le climat économique est morose, les passagers préfèrent voler sur du low-cost à une fraction des prix de Pan Am, la flotte de National est incompatible avec celle de Pan Am qui n'avait que des longs-courriers ou presque, il faut donc garder tout le personnel de National, et augmenter tous les salaires pour les aligner avec Pan Am (qui avait des tarifs beaucoup plus élevés; toute ressemblance avec une compagnie à la dérive en forme de code-barre serait fortuite). Cela faisait suite à des grèves très violentes chez Pan Am, une des première de son histoire.

Un Clipper de la Pan Am en plein "Catering"

Fin 1980, Pan Am va très mal…mais extérieurement, l'honneur est sauf. L'affaire éclate cependant au grand jour en 1981, où la Pan Am est forcée de vendre une partie de ses biens pour survivre, dont le plus emblématique de tous : le 5 janvier 1981, la Pan Am cède son siège, le fameux "Pan Am Building" de New-York (400 millions de dollars)…ce symbole qui s'en va envoie un signal très fort aux investisseurs et aux passagers qui vont commencer à éviter d'investir dans Pan AM, ce qui n'arrangera pas les comptes. La société devra également céder la totalité de ses hotels "Intercontinental" (500 millions de dollars). Seawell est remplacé à la tête de Pan Am par Edward Acker, fondateur d'Air Florida dont on espère que l'expertise va faire remonter la pente. Juan Trippe, retraité, sera très atteint de voir sa compagnie en difficulté, et il s'éteint le 3 avril 1981.

Pan Am va ensuite investir dans de nouveaux appareils : elle achète une flotte d'Airbus A300, A310 et A320, économiquement plus rentables que les vieux 727 et 747, dans l'espoir que ces appareils seront mieux remplis et donc plus profitables. Hélas, elle n'a plus les moyens de payer ces appareils, et doit annuler ses commandes d'A320, qu'elle va vendre à la Braniff. Revers de la médaille, les segments moyens-courriers vont continuer d'être assurés en Boeing 727.

National et Pan Am vont fusionner...mais cela laissera des traces...


Malgré des mesures drastiques, la situation ne s'améliorait pas beaucoup, et ce malgré d'autres mesures radicales : en 1985, c'est la vente des lignes desservant le Pacifique, soit près de 25% des routes de la Pan Am. C'est United Airline qui empoche le gros lot pour 750 millions de dollars. Pan Am vent également la totalité des Boeing 747-SP et la moitié des TriStar en 1985. Parallèlement, Pan Am établit une alliance avec des compagnies régionales, sous le nom de "Pan Am Express" : le but est d'alimenter le hub de New-York avec des correspondances pour les vols internationaux vers l'Europe. H"las, cela n'aura pas beaucoup d'effet, de même que la tentative de créer une navette entre New-York, Boston et Washington pour les hommes d'affaires pressés.

Un nouveau président venu de Continental, Thomas Plaskett va s'attaquer à redresser la barre : au programme, rénovation des appareils et amélioration de la ponctualité du service, le premier trimestre de 1988 sera d'ailleurs l'un des plus rentable de l'histoire de la société.

Le coup de grâce sera donné le 21 décembre 1988 : un attentat détruit un 747 en plein vol au dessus de la ville écossaise de Lockerbie. Le bilan sera très lourd : 285 tués, ainsi qu'un 747 détruit, et la confiance du public dans la Pan Am durement ébranlée. Cet attentat marquera véritablement le début de la fin : dans l'esprit du public, voyager Pan Am, c'est voyager américain et les terroristes s'en prennent justement aux américains. Ils vont donc commencer à éviter de voler sur Pan Am de peur des attentats. Deux ans après, la première Guerre du Golfe fait exploser les prix du carburant et une nouvelle baisse de fréquentation se fait sentir : même les routes transatlantiques, le joyau de Pan Am, génèrent des pertes ! Pan Am va continuer de vendre ses routes, en se séparant de ses liaisons vers Londres, tout en licenciant pas loin de 10% de son personnel.

Avec Lockerbie, c'est le coup de grâce.


L'endettement de la compagnie ne cessant de s'alourdir, Pan Am est progressivement vendue pièce par pièce, mais même cela ne suffira pas : le 8 janvier 1991, Pan Am se déclare officiellement en faillite. Delta va alors racheter les dernières choses intéressantes, à savoir les dernières routes européennes, et le terminal "Worldport" de JFK à New-York. Pan Am est donc démembrée et réorganisée en une petite compagnie ne desservant que les caraïbes, compagnie dont Delta est actionnaire à 45%. Malré cela, le sort s'acharne, et Pan Am continue d'engranger des pertes : Delta annonce ainsi fin 1991 que Pan Am perd 3 millions de dollars par jour !

Un dernier plan de reprise est tenté, avec la TWA qui est prête à investir 15 millions de dollars pour maintenir Pan Am à flot, mais le deal ne se fera pas : la TWA ne peut pas obtenir les garanties qu'elle souhaite. Pan Am ne possède plus un centime en cette matinée du 4 décembre 1991, et Ron Allen, le PDG de Delta, sort de réunion avec le board de Delta et celui de la Pan Am en milieu de matinée avec la terrible nouvelle : c'est fini, la Pan Am aura disparue le jour même.

L'image du mythe : un équipage devant un Clipper


L'incroyable venait de se produire : la compagnie aérienne qui avait défini la puissance aérienne américaine pendant près de 70 ans doit disparaître. Le dernier vol sera le vol 436, reliant Barbados à Miami : le dernier clipper de la Pan Am se pose à Miami en fin de journée, devant les employés du groupe en larmes : ce soir là, près de 9000 personnes se retrouvent au chômage. Pan Am était la troisième compagnie américaine à faire faillite cette année là, après Eastern Airlines et Midway Airlines.

Les navettes "Pan Am" de 2001, l'Odyssée de l'espace


La vision de Stanley Kubrick dans 2001 l'Odyssée de l'espace ne se réalisera donc jamais : il n'y aura pas de navette spatiale aux couleurs de la Pan Am…et pourtant, malgré cela, aujourd'hui encore on peut trouver des produits dérivés de la Pan Am, et son logo est encore connu dans le monde entier, signe de la forte impression qu'elle a fait de par le monde. Juan Trippe avait ainsi pu révolutionner le transport aérien comme il l'avait souhaité : rendre le transport aérien accessible au plus grand nombre à un prix abordable. Malheureusement, cette compagnie pionnière deviendra au fil des ans un véritable dinosaure qui ne pourra pas s'adapter à l'évolution rapide et brutale du marché des années 70, et qui finira par disparaitre, non sans avoir lutté jusqu'au bout.

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