lundi 24 novembre 2014

Baade 152 : l'appareil oublié

A la fin de la seconde Guerre Mondiale, un des chercheurs allemand le plus avancé dans le domaine de l'aérodynamique était le docteur Brunholf Baade. Au moment de la cessation des hostilités, il travaillait sur un projet très avancé : le Junkers Ju-287. Le Ju-287 ne suivait aucune règle en vigueur jusqu'alors : tout était nouveau sur cet appareil : un fuselage pressurisé, des ailes en flèche inversée, et une propulsion grâce à six réacteurs "Jumo", du même modèle que ceux équipant le Me-262 "Komet", à raison de deux nacelles de trois moteurs montés sous chaque aile, ce qui préfigurait le B-47 américain de plusieurs années ! Ce nouvel appareil devait avoir une vitesse estimée à près de 700km/h, un record pour l'époque.

L'appareil oublié du docteur Baade


Capturés par les soviétiques, le Dr Baade et son équipe vont devoir collaborer avec l'Union Soviétique pour compléter leurs réalisations : ils seront donc déportés à Moscou, et après neuf années de quasi-prison, après avoir traduit et complété toutes leurs trouvailles, les scientifiques allemands seront libérés et renvoyés en Allemagne de l'Est lorsque les ingénieurs soviétiques auront rattrapés leur retard. Ironiquement, aucun design du Dr Baade ne sera jamais construit par les soviétiques. Le gouvernement est-allemand se rend alors compte du potentiel qu'offre le Dr Baade et son équipe, et ils vont donc décider de créer une nouvelle industrie aéronautique allemande à partir de son équipe. Pour cela, un nouveau bureau d'étude est crée à Dresde, et l'équipe se met au travail dès mai 1956 pour créer le premier avion de ligne est-allemand !


Le Ju-287, un appareil déjà révolutionnaire

Le but est de mettre au point un avion régional de 70 personnes, qui correspond à peu de chose près à un design que Baade avait mis au point pour les Soviétiques. Non content de s'embarquer dans un programme de cellule, le gouvernement est-allemand décide également de se doter d'un réacteur pour aller avec, ce qui multiplie les obstacles techniques du programme.

Les différents design conçus par Baade de la Guerre au Baade 152


En se servant de ce qu'ils ont mis au point en Union Soviétique, ils vont reprendre les moteurs Jumo datant de 1944 et les nouveaux moteurs BMW pour créer un nouveau réacteur, le Pima 014, tout en mettant au point une nouvelle cellule pour le recevoir. Il leur faudra moins de deux ans et demi de travail pour mettre au point ce nouvel appareil, remarquable quand on constate qu'il a fallut tout recréer à partir de presque rien ! Il faut aussi faire face au manque de matière première : tout manque, même l'aluminium !

Le prototype sera le DM-ZYA


Le résultat est un appareil à aile haute et à fuselage oval, équipés de quatre turboréacteurs montés par groupe de 2 dans des nacelles implantés sous les ailes. Autre caractéristique, un train d'atterrissage en tandem, qui vient se loger dans le fuselage, et un jeu de balancines au bout des ailes pour stabiliser l'appareil au sol. On voit que ce design est directement inspiré des bombardiers de l'époque, mais adapté de cette manière, avec un pont supérieur dimensionné pour accueillir des passagers.

"Roll-out" officiel du Baade 152. Le premier prototype possède encore le train monotrace et les balancines sous les ailes.


Le 4 décembre 1958, le prototype du Baade 152 effectue son premier vol, immatriculé DM-ZYA. Ce premier vol va durer 35 minutes et se passera bien, malgré quelques problèmes qui sont découverts. Le principal problème vient des moteurs : les pods double montés sous les ailes sont posés l'un contre l'autre, et le moindre incident sur un moteur risque de toucher le deuxième. Le Pima 14 est remplacé sur les prototypes par des Tumansky RD-9, plus matures : plusieurs pima 014 ont en effet explosés au banc d'essais…le peu de témoignages historiques disponibles ne permet pas de savoir si cela était lié au design du moteur ou à la mauvaise qualité des matériaux employés.

L'imposant train monotrace aurait rendu les atterrissages compliqués par mauvais temps


Il faudra donc modifier l'appareil avant qu'il ne puisse revoler : la principale modification concerne le train d'atterrissage : le train en tandem est remplacé par un train tricycle, les deux jambes du train principal étant logés dans les pods moteurs sous les ailes, seul choix possible en raison de l'aile haute. Le prototype ainsi modifié est prêt pour son second vol le 4 mars 1959.

Le deuxième prototype aura un train tricycle plus classique...


Le vol se termine en catastrophe : l'appareil s'écrase au cours du vol et tout son équipage est tué. Face au désastre, le gouvernement est-allemand va faire ce que fait tout bon état totalitaire : le secret absolu est décrété sur l'accident, les témoins sont "invités" à ne rien dire à leurs proches, et surtout, on ne fait aucune enquête pour découvrir la cause de l'accident. Les ordres du gouvernement sont de continuer le développement en faisant passer le second prototype pour le premier. Le délai permettra également de monter le moteur Pima-014 à bord, en espérant qu'il soit devenu suffisamment stable pour pouvoir être testé en vol.

Le second prototype est en fait le quatrième appareil produit : le premier s'est écrasé, le deuxième était une cellule pour les essais structurels, et le troisième, identique au premier, sera abandonné en cours de construction plutôt que d'être converti et équipé du Pima-014. C'est donc le quatrième appareil, maquillé en premier prototype qui reprend les essais. Le second premier vol à ainsi lieu le 16 Aoôut 1960, sous l'immatriculation DM-ZYB. Il est rejoint quelques mois plus tard par le 5ème appareil, le DM-ZYC.

De l'Illiouchine 14 au Baade 152, une autre échelle !


Les vols suivants seront "pleinement satisfaisants" selon le rapport officiel, malgré un accident : au cours du troisième vol, lors d'une descente rapide, l'alimentation en carburant des moteurs s'arrête, et l'appareil manque de s'écraser. Un redémarrage des moteurs au dernier instant va permettre de sauver l'appareil. C'est sans doute la même cause que ce qui a causé le crash du premier appareil, même si il n'y a aucune certitude concernant l'origine de l'accident, vu qu'aucune enquête n'a jamais été menée. Malgré cela, le programme avance bien, et devant l'avancement du programme, le gouvernement décide de passer commande de 20 appareils pour sa compagnie Deutsche Lufthansa (qui deviendra Interflug quelques années plus tard).

La construction en série destinée à Interflug commence à partir du 8ème appareil, qui est immatriculé DM-SCA, équipé du Pima-014. il est rapidement rejoint dans le hall d'assemblage par le DM-SCB, neuvième appareil et second prévu pour Interflug.

Le Baade 152 n'entrera jamais en service commercial pour Interflug


Quelques mois plus tard, alors que la production en série commence et que 6 appareils sont en chantier, l'Union Soviétique va se réveiller et découvrir ce nouvel appareil qui menace son propre monopole sur ses pays satellites en matière d'aéronefs. Réponse immédiate du gouvernement soviétique au gouvernement allemand : "arrêtez ce programme tout de suite et faite le disparaitre". En plein régime totalitaire, le gouvernement allemand ne peut que s'exécuter : du jour au lendemain, le docteur Baade et toute son équipe reçoivent l'ordre de détruire tous les appareils, et de détruire les plans et les notes. Ils sont également informés qu'il n'y aura plus jamais de bureau d'étude aéronautique en Allemagne de l'Est. Pour la petite histoire, le Pima-014 ne sera pas totalement oublié : modifié, il servira de turbine à gaz sur des vedettes anti sous-marine de la marine allemande ! Elles ne voleront cependant jamais sur des avions.

Interflug ne pourra jamais mettre le Baade 152 en service, et va devoir acheter des Tupolev Tu104 et Tu-124 en compensation. Mais comme 10 ans après, en 1968, ils attendaient toujours les Tu-124, l'Allemagne de l'Est va annuler sa commande et se rabattre sur le Tu-134, plus moderne. Interflug achètera 39 exemplaires, qui serviront jusqu'en 1994, avant que la Russie ne les rachète pour les donner à Aeroflot  !

Il subsiste encore aujourd'hui à Dresde un fuselage de Baade 152


Aujourd'hui, il ne reste plus grand-chose du Baade 152 : quelques vidéos de propagande, quelques souvenirs, et une cellule de fuselage, celle du 11ème appareil, le 4ème destiné à Interflug, qui appartient aujourd'hui à EADS qui tente de la restaurer à Dresde.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire