lundi 27 janvier 2014

Tupolev 144, l'autre Concorde (1/2)

L'un s'appelait "Concorde", l'autre sera surnommé "Concordski" même si en réalité il ne s'appelait que Tu-144. On les croyait jumeaux, mais ils ne l'étaient pas. Ils eurent une enfance troublée et ne parvinrent jamais à révolutionner le monde, mais ils sont devenus des légendes de l'histoire de l'aviation : l'un parce qu'il a été surmédiatisé, et est adulé par certains, l'autre car le mystère entourant sa vie est tel qu'il est devenu un mythe : aujourd'hui, Hist'Aero vous emmène sur les traces de "l'autre Concorde" : le Tupolev 144.

Une ressemblance troublante avec Concorde...

Cet appareil vous le connaissez sans doute : on vous l'a sans doute présenté comme étant une pâle copie soviétique de Concorde, qui n'a jamais réussi à faire aussi bien que l'original, à tel point qu'il s'écrasa au Bourget lors d'une démonstration publique en 1973. Voilà, c'est en résumé ce que l'on peut lire danssbeaucoup de livre traitant de Concorde, pourtant, le Tu-144 est beaucoup plus que cela ! 

Le concept du Tu144 a été publié pour la première fois en janvier 1962, à l'occasion d'un article dans une revue. Sa mise au point sera approuvée dès le 16 Juillet 1963 par le "politburo" du parti communiste, puis par Kroutchev lui-même le 26 : un plan demande la construction de 5 prototypes (dont deux pour des essais statiques), dont le premier doit être opérationnel en 1966. L'ambition est de disposer d'un avion de transport supersonique opérationnel avant que Concorde n'entre en service. C'est Andrei Tupolev (junior) fils du  père des bombardiers lourds soviétiques lui-même qui dirige le programme au sein du Tupolev OKB (bureau d'études). L'idée prévalente était qu'il existait de nombreuses routes en Union Soviétique passant au dessus de zones désertiques et prenant un temps très long, d'où l'idée d'accélérer le trajet.

Une des premières photos du Tupolev 144

Tupolev décide rapidement qu'il sera plus simple de concevoir un appareil neuf plutôt que de chercher à convertir un bombardier en avion civil. Il est évident que le design de Concorde, largement publié par la presse franco-anglaise à cette période à joué un rôle important pour la mise au point de ce qui allait devenir le Tu-144, mais on notera que Tupolev prendra ses propres décisions. 

Pour aider Tupolev, de l'aide est demandé au bureau Mikoyan (MiG) qui va fournir un Mig-21 d'essai. Le but de cet appareil est de tester les formes d'ailes avant de les réaliser à grande échelle sur le prototype. Il faut savoir qu'à cette époque, il existe deux clans au sein des aérodynamiciens : ceux qui pensent que l'aile delta marchera mieux sans dérive arrière, et ceux qui pensent que cette formule ne pourra jamais marcher. L'opposition ne se résoud pas en soufflerie, et c'est donc un MiG-21 qui sera transformé avec une voilure delta pour tester le concept sans queue. Un lest mobile de 300 kg est également monté à bord pour simuler les variations de centre de gravité. Connu sous le nom de A144 ou MiG 211, cet appareil efffectue son premier vol le 18 avril 1968, deux exemplaires seront construits. Le but est atteint rapidement : il n'y a aucun problème de stabilité en vol à cause de la forme des ailes, et l'absence de dérive arrière ne pose pas de soucis de contrôle de vol.

Le Mig 211, avec ses ailes delta qui servira de banc de test.


Le prototype du Tu-144 sera donc conçu avec une aile ogivale, proche de celle de Concorde…mais cette hésitation au sein du bureau Tupolev prouve que le Tu-144 n'est pas une simple copie carbone de Concorde. Les deux Mig 211 seront également utilisés pour entrainer les pilotes du futur supersonique, dont E.V Elyan qui sera le principal pilote d'essai.

L'OTAN donne le nom de code de "Charger" au Tu-144, et pendant sa construction, de nombreuses suspicions d'espionnage commencent à poindre le jour devant l'étrange similitude entre les deux supersoniques. Dans le monde des barbouzes, plusieurs histoires circulent qui semblent attester qu'il y ait eu espionnage sur Concorde : le chef du bureau de l'Aeroflot aurait été arrêté à Paris avec une sacoche contenant des copies de plans du Concorde. Dans la même veine, un employé de Toulouse-Blagnac aurait été contacté pour vendre aux soviétiques des échantillons de gomme laissés sur la piste après des essais de roulage et de freinage de Concorde. Toujours selon la légende, le SDECE aurait eu vent de l'affaire et aurait retourné l'agent, lui faisant vendre des échantillons de bêtes pneus de voiture…bref, vous l'aurez compris, les soviétiques pratiquaient l'espionnage industriel à haut niveau. Néanmoins et toutefois, si les deux appareils possèdent des détails en communs, ils restent des appareils très différents : la forme des nacelles, les moteurs, le fuselage n'a pas la même section, étant plutôt rond sur Tu-144 alors qu'il est oval sur Concorde etc… en bref, rien ne semble accréditer l'idée de la copie carbone, même si il est indéniable que les soviétiques ont été prendre quelques idées du côté de Filton ou de Toulouse. Il est intéressant de noter cependant que l'aile ogivale, utilisée sur Concorde, ne sera utilisée que sur le seul prototype du Tu-144, avant l'adoption de l'aile en double delta, utilisée sur tous les Tu-144 de série.

Coupe du Tu-144


Le Tupolev 144 possède des surfaces de contrôle de vol commandées par des actionneurs hydrauliques, très semblables aux PFCU's de Concorde. De la même manière, trois circuits hydrauliques indépendants permettent  d'assurer une redondance en cas de panne. On notera bien-sûr la similitude avec Concorde…mais si l'on est honnête, la plupart de ces caractéristiques se retrouvent sur de très nombreux avions, non pas par copie pur et simple, mais bien parce que c'est une bonne solution, offrant le bon compromis entre poids et redondances. De nombreuses pièces sont en titane  autour des nacelles et des elevons pour supporter la chaleur des moteurs. En effet, le point faible du Tu-144 reste sa motorisation, qui est insuffisante par rapport à ce qu'il faudrait : l'appareil doit donc rester en post-combustion allumée pour tenir en vol supersonique..

Cinématique du train principal


Le train d'atterrissage est probablement la réalisation la plus bizarre de l'appareil…pourtant le train avant s'inspire fortement d'un autre appareil…le Tu-114, autre appareil de ligne de chez tupolev. Mais le train principal, avec ses bogies à douze roues (trois axes de quatre roues) est unique : le bogie est conçu pour pivoter avant de rentrer dans le fuselage, entre les deux moteurs)

Les moteurs sont des Kuznetsov NK-144, qui sont regroupés dans une unique nacelle sous le fuselage (grosse différence d'avec Concorde) mais cette disposition ne fera pas long feu : elle sera appliquée uniquement au prototype. L'appareil emporte en outre 88 000 litres de carburant.

Quelques vues du prototype et des appareils de série (en russe, mais les images parlent d'elles même)

CCCP-68001, le premier prototype n'aura pas le temps d'être terminé dans de bonnes conditions : la propagande ayant annoncé que le premier vol aura lieu en 1968, il faut vtenir les promesses. Les dernières mises au point sont donc expédiées, voire carrément non faites : il faut sortir l'avion et vite…le Politburo s'impatiente…l'appareil sort donc du hangar début décembre 1968, pour des essais de roulage à basse puis haute vitesse. Il va ensuite falloir attendre un temps dégagé pour réaliser le premier vol.


Le Tu-144 68001 lors de son "roll-out"

1 commentaire:

  1. Bonjour
    Vous ne connaitriez pas un bon documentaire en français sur l'histoire du Tupolev, du même genre que "Concorde - La chute d'un géant"
    Cordialement

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