jeudi 29 août 2013

Mystérieux ARIA

ARIA est un acronyme de "Apollo Range Instrumentation Aircraft". Il s'agit d'une famille d'appareils conçu par la NASA en vue de communiquer avec les capsules Apollo en orbite durant la conquête de la lune. Version modifiée du Boeing 707, ces appareils ont joué un rôle crucial tout au long du programme Apollo.

Un EC-135(N) "ARIA"



Retour au début des années 60. Le président Kennedy mobilise toute la nation en lançant son défi d'aller sur la lune avant 1970. La NASA se jette alors dans l'inconnu en entamant la mise au point d'un véhicule capable de se poser sur la lune et d'en revenir. En parallèle, il faut mettre au point tout un ensemble de station au sol pour pouvoir communiquer avec le vaisseau en orbite, voire même sur la lune. L'enjeu n'est pas simple : il s'agit de garder le contact avec un vaisseau qui file à près de 28 000 km/h en orbite terrestre…et près de 40 000 lors de son voyage qui l'emmène à 380 000 km de la Terre.

La NASA se rend vite compte que les stations au sol ne suffisent pas : la Terre s'appelle la planète bleue, ce n'est pas pour rien ! La NASA a absolument besoin d'être en communication avec les astronautes pendant les phases critiques du vol.  La NASA va donc mettre au points des navires relais capable de communiquer avec ses vaisseaux. D'anciens "liberty ship" datant de la Guerre sont équipés d'antennes de 9 mètres de diamètre, et de tout le barda pour pouvoir faire fonctionner ces antennes.

Malgré cela, il devient vite clair qu'il subsiste des trous dans la couverture. Il faut autre chose : la NASA en conjonction avec le Department of Defense (DoD) décide d'équiper des avions pour servir de relais radio. Le défi est de taille : ces avions doivent intégrer une grande antenne en bande S orientable pour pouvoir communiquer avec le vaisseau Apollo, tout en pouvant relayer le signal en HF ou VHF avec le centre des vaisseaux habités de Houston au Texas. L'avantage est double : volant à 10 000 mètres d'altitude, un avion est beaucoup plus mobile et peut rejoindre un point donné bien plus rapidement qu'un vénérable Liberty-ship, et en altitude, l'horizon et donc la distance à laquelle l'avion peut communiquer avec les autres stations terrestres est beaucoup plus grande.

Patrick Air Force Base, base des ARIA

Le but de ces avions était de fournir un support pour l'injection lunaire, c'est-à-dire le moment où le vaisseau quitte l'orbite terrestre pour se diriger vers la lune, et la rentrée dans l'atmosphère, les deux moments les plus critiques du vol avec le décollage.

Une première étude de la NASA en 1962 avait montré qu'il était possible d'obtenir un bon lien avec un vaisseau en orbite moyennant une antenne de 3 mètres de diamètre montée sur avion, et qu'il faudrait une flotte de 8 avions pour couvrir le pacifique, et 4 pour l'atlantique, soit un total de 12 appareils. Deux ans plus tard, les performances de la fusée de lancement "Saturn V" étant mieux connues, une nouvelle étude montrait que en connaissant l'heure de lancement,  l'injection vers la lune aurait lieu soit au dessus de l'atlantique ou du pacifique, mais pas les deux. Cette solution arrangeait la NASA, puisqu'un total de 8 avions, dont 2 de réserve, permettait de couvrir soit l'atlantique soit le pacifique. La NASA décida donc de se lancer dans l'acquisition de huit appareils (avec financement pour moitié du département de la défense). Par contre, si jamais le lancement devait être décalé, et que l'injection lunaire changeait d'océan, il fallait 60 heures au minimum pour repositionner le flotte des ARIA, ce qui était une contrainte supplémentaire pour le lancement.

Schéma général d'aménagement d'un "ARIA"
 

Quel appareil choisir ? Loger une antenne orientable de 3 mètres de diamètre n'était pas chose facile, et seul un gros porteur pourrait l'accommoder. Après de rapide études, la NASA se tourna vers un avion bien connu de l'US Air Force : le EC-135, cousin militaire du Boeing 707. Le EC-135 était déjà utilisé comme appareil d'écoute électronique, et les techniciens de l'Air Force étaient habitués à travailler dessus.

L'ARIA au centre des communications entre Apollo "CSM" et soit un lien terrestre, soit un satellite relais "TAC SAT" pour être acheminé au MCC, centre des vaisseaux à Houston, TX. 


L'idée était simple sur le papier : remplacer le radar météo par un nez "à la cyrano" pouvant loger l'antenne en bande S, qui serait orientable avec une grande liberté de mouvement. Des antennes VHF montées sur les ailes et une grande antenne HF courant le long du fuselage sous l'avion permettait de compléter le système. Il y avait largement de place à bord pour accommoder les techniciens chargé de la gestion des différents équipements.

Les avions étaient des C-135A, cousin du Boeing 707, en prêt longue durée de l'Air Force à la NASA (mais toujours piloté par des équipages de l'Air Force qui eux n'étaient pas prêtés à la NASA). Les appareils seront modifiés par la société "Douglas". Pour être sûr de disposer des appareils à temps, l'Air Force signa un contrat à prix fixe de 27 millions de dollars, avec des primes telles que si les appareils étaient livrée en avance, Douglas pouvait espérer jusqu'à 3 millions de dollars de bonus ! Plus de 300 personnes étaient affectées au programme au sein de l'usine de Tulsa. Malheureusement, le programme pris du retard, et le premier appareil qui aurait du être livré début 1966 ne le fut que fin 1966…Douglas ne toucha donc aucune prime dans l'affaire. La principale modification était l'installation du radôme géant de 3 mètres de diamètres accueillant une antenne de plus de 2,4 mètres de diamètre orientable, la plus grande jamais montée sur un appareil à l'époque. Ce nez, plus connu sous le nom de "droop snoop" allait devenir la signature de l'appareil.

identifiable au premier coup d’œil !


Les moyens installés sur l'avion étaient les suivants :
  • Lien S band unifié simple et 6 lien VHF pour recevoir et enregistrer la télémétrie. La bande S était utilisé en système principal, et le lien VHF en système de secours.
  • Lien VHF ou HF pour la voix, enregistrée et transmis en temps réel au centre de contrôle de mission (Houston, Texas)
  • Teletype de 100 mots à la minute (sorte de MSN Messenger archaïque,  permettant de transmettre du texte sur une ligne radio - mais pas encore de smileys.
  • Une horloge au rubidium très précise permettait de dater tous les enregistrements pour leur traitement ultérieur.
L'antenne bande S d'un ARIA sans son radôme


Basés à Patrick Air Force base, les avions étaient déployés avant le lancement soit à Hickam field (Hawaï) ou l'île d'ascension suivant la mission, mais restaient sous la responsabilité de de l'AFETR, l'Air Force Eastern Test Range. Les appareils sollicités étaient déployés sur une base avancée au minimum 24h avant le début d'une mission, et subissaient un vol de test et de calibration au minimum une semaine avant la mission pour vérifier le bon fonctionnement de tous les systèmes.

Aménagement intérieur de l'appareil


L'équipage d'un ARIA se composait de 12 hommes au minimum : 2 pilotes, 1 navigateur, 1 mécanicien navigant, 1 coordinateur tactique (responsable de la mission) et entre 7 et 12 opérateurs.  Ces opérateurs étaient répartis en 3 groupes : un groupe "Antenne" chargé du suivi et de la manœuvre de la grand antenne du nez; un groupe RF était en charge des communications entre l'ARIA et tous les éléments extérieurs, et enfin un dernier groupe était en charge de la sauvegarde des données. Le coordinateur tactique possède une console de contrôle central, lui permettant de surveiller tous les moyens de communications et de donner des instructions à tous les opérateurs en direct.

Poste du coordinateur tactique à bord d'un ARIA

Le grand point fort de l'ARIA était sa capacité de retransmission de données en temps réel, permettant au centre des vaisseaux habités de Houston de discuter avec les astronautes en direct, comme si ils étaient dans la pièce à côté ! La fiabilité de ce réseau de communication doit beaucoup aux techniciens des ARIA, qui veillaient en permanence sur les équipements embarqués pour assurer un fonctionnement sans interruption. L'ARIA pouvait ainsi traiter les données télémétriques et les données voix, sans compter la possibilité de transmettre les données des émises par les navires de récupération, accélérant ainsi leur transmission !

Un ARIA avec le pod ALOTS sur le côté


Les ARIA participeront à toutes les missions Apollo sans exception, de 1967 à 1975, devenant un maillon peu médiatisé mais absolument indispensable du réseau de communication de la NASA, relayant sans cesse les communications entre les astronautes et le sol. Pour certaines missions, un appareil ARIA sera équipé d'un "pod" contenant une caméra avec un zoom géant, nommé ALOTS, lui permettant de suivre les capsules Apollo lors de leur rentrée dans l'atmosphère.

Vue de la rentrée dans l'atmosphère d'Apollo 8, grâce au pod ALOTS d'un ARIA

A la fin des missions Apollo, l'Air Force ne voulut pas se séparer de ces appareils si précieux, et le "Apollo" fut changé en "Advanced" pour garder la dénomination "ARIA". Ils furent récupérés et modernisés, pour servir d'avion relais pour d'autres satellites de la NASA, mais aussi pour suivre les essais de missiles balistiques, ce qui en fait l'équivalent américain des DC-7 "AMOR" français. Conçu de manière très modulable, l'ensemble de traitement des données peut-être modifié pour un essai en particulier, et la configuration des ARIA se fera au cas par cas, suivant les besoins de chaque mission.

Pour son rôle de "chasseur de missile", le 60-0374 sera surnommé "l'oiseau de proie"

Il n'y eut qu'un seul accident durant toutes ces années, mais il fut dramatique. Le 6 Mai 1981, ARIA-328 décolle de la base de Wright-Patterson dans l'Ohio pour une mission d'entrainement. Une heure plus tard, un souci mécanique provoque un mouvement à piquer de l'avion. L'appareil n'est pas repris en main et s'écrase, tuant ses 21 passagers. On compte trois civils parmi les victimes, dont deux sont les épouses de membres d'équipage, qui avait eu l'autorisation de faire un vol d'entrainement pour découvrir le travail de leurs époux.

Hormis cet accident, l'ensemble des missions ARIA (dont certaines sont toujours secrètes) s'est très bien déroulé. De la course à la lune à la mise au point des missiles balistiques sans oublier le support des missions martiennes, les ARIA ont apporté une contribution essentielle à tous ces programmes. Le dernier vol d'un "ARIA" eut lieu le 24 Août 2001, mettant fin au programme. C'est désormais l'avion espion "JOINT-RIVET" ou "JOINT-STAR" (un autre dérivé du C-135 !) qui assure les missions de chasseur de missiles.

1970, départ de mission à Patrick AFB

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