1er Mai 1960. Un avion espion U-2 américain, piloté par Francis Gary Powers est abattu au dessus du territoire soviétique par une nouvelle génération de missiles sol-air, le SA-2. Cet événement aura des répercussions considérables, ridiculisant l'administration américaine, et dégénérant en incident international et qui va du coup priver les américains d'une source de renseignements de premier ordre.
Cet échec va également être le point de départ de la mise au point d'un appareil nouveau et extraordinaire : le "Blackbird".
Le U-2 volait à haute altitude…mais il était très lent et très peu manœuvrable donc vulnérable. Les américains savait que ces jours étaient comptés…c'est pourquoi dès l'été 1959, deux études vont être lancée pour trouver un successeur au U-2 : la division des projets avancés de Lockheed (concepteur du F-104 et du U-2…entre autre) commence des études sous le nom de projet "GUSTO", et la Convair débute le projet "FISH" puis "KINGFISH".
Convair propose de mettre au point un drone qui serait lancé à partir d'une version avancée du B-58 "hustler" nommé B-58B (projet FISH) ou de développer un intercepteur piloté furtif (projet KINGFISH). Ces appareils seraient capables de croiser à Mach 4,2 à une altitude de 27 km ! Trouvant l'idée trop complexe, l'USAF annule les deux engins…ne reste alors que Lockheed…
La division des projets avancés de Lockeed, plus connu sous le nom de "Skunk Works" (l'atelier du putois !) dirigé par le non moins célèbre Kelly Johnson va lancer l'étude d'un appareil capable de croiser à plus de Mach 3 à une altitude de 26 kilomètres d'altitude. Ce projet est nommé A1, A pour "Archangel" (Archange). Au fil des itérations, plusieurs propositions seront faites, allant du A-1 au A-11.
L'appareil final sera le A-11…ou le A-12…la documentation disponible n'est pas très clair sur ce point, mais ce n'est pas forcément important. En 1960, le projet est renommé "OXCART" (char à bœufs) et le gouvernement passe commande pour 12 appareils…le tout est classé "top secret" et "prioritaire" suite à la destruction du U-2 de Powers le 1er mai.
La conception détaillée de l'appareil commence…et elle ne sera pas facile ! Il est vrai qu'au même moment, le X-15 pouvait dépasser Mach 3 de manière anodine…mais le X-15 restait à cette vitesse pendant quelques minutes à peine…or concevoir un avion autonome qui peut rester à Mach 3 pendant plusieurs heures relève d'un autre niveau…le mieux que possédait l'Air Force était le F-106, capable d'atteindre Mach 2 pendant…15 minutes. Là l'objectif était Mach 3 pendant 4 heures !
Les ingénieurs de Lockheed se mettent au calcul, et vont rapidement se rendre compte que rien ne va : les températures seront trop chaudes pour l'aluminium, l'huile risque de bouillir, le carburant de s'enflammer spontanément, sans parler des réservoirs en plastique qui vont fondre et du cockpit dans lequel on pourrait faire cuire un moelleux au chocolat géant !
La conclusion est assez simple : la technologie ne permet pas de réaliser un tel appareil. Or pour Kelly Johnson, une phrase comme celle là signifie simplement qu'il faut tout inventer, pas que ce n'est pas possible.
Les Skunk Works vont donc rivaliser d'ingéniosité pour réaliser cet appareil
La structure d'abord : puisque la seule alternative à l'aluminium qui puisse supporter le vol à Mach 3 est le titane. Seulement voilà, personne ne l'a jamais utilisé à cette échelle ! D'autant plus que le seul titane de qualité disponible vient…d'URSS ! Qu'importe, la CIA va être mise à contribution...après tout, le Blackbird est conçu en partie pour les services secrets ! C'est ainsi que la CIA va monter une société écran en Europe qui va acheter du titane à l'URSS avant de l'envoyer aux Etats-Unis en contrebande pour fabriquer un avion espion pour aller espionner cette même URSS. Il est vrai que plus de 90% de la structure de l'avion était en titane, et de nombreux problèmes se poseront pour forger et souder ce métal.
Goodrich va inventer des pneus qui comporte une fine poudre métallique dans la gomme pour refléter la chaleur du logement. Le pneu est gonflé à l'azote. Chaque pneu coûtait presque 3000$ et devait être changé tous les 15 à 20 atterrissages environ…à raison de 8 pneus par avion, c'est une rente !
Côté carburant : le kérosène habituel n'est pas utilisable, car son point d'inflammation est trop bas. Il faudra donc mettre au point un nouveau carburant, le JP-7. Le SR-71 en emportait 40 tonnes…et la structure forme les parois du réservoir, car aucun plastique ne pourrait survivre à la température du Blackbird à Mach 3. Son point d'inflammation est très haut, à tel point qu'une cigarette jetée dans un réservoir de JP-7 s'éteint…
Par contre ces choix vont avoir deux conséquences majeures. La première c'est que comme l'appareil se dilate en vol, il faut prévoir des interstices de dilatation pour permettre à l'appareil de s'allonger…mais comme cette même structure abrite le carburant, cela veut dire qu'au sol, le fuselage n'est pas étanche…et donc le Blackbird suinte de partout au roulage et au décollage ! A tel point que sa première tache après le décollage est d'aller se ravitailler en vol pour refaire le plein…lorsqu'il accélère vers Mach1, l'appareil se dilate, rendant les réservoirs étanches pour le reste du vol !
Les ravitailleurs d'ailleurs : parlons-en, il s'agit des KC-135 de l'US Air Force, seulement, comme le carburant du Blackbird n'est pas un carburant normal et que le KC-135 ne sépare pas ses propres réservoirs de carburant de ceux utilisés pour le ravitaillement, il n'est pas possible d'utiliser un KC-135 de série. l'USAF va donc devoir modifier des KC-135 pour séparer les réservoirs et leur permettre d'emporter le JP-7 utilisé par le Blackbird…sans le mélanger au JP-4 utilisé par le ravitailleur ! Les KC-135Q ainsi modifiés seront les indispensables auxiliaires du SR-71.
Les ingénieurs vont aussi tirer parti de ce carburant pour l'utiliser comme liquide de refroidissement : du carburant circule dans les soutes électroniques et le nez de l'appareil pour le refroidir, avant d'aller vers l'arrière pour dissiper cette chaleur vers les points froids de l'appareil. Cette "circulation sanguine" empêche l'intérieur de l'appareil de trop chauffer.
Niveau hydraulique, il fallait trouver un fluide qui soit utilisable jusqu'à 350°C, bien au-delà de tout ce qui existait…Kelly Johnson avait repéré un produit dans une publicité qui répondait à cette exigence, et commande donc un échantillon. Il va recevoir un sac de toile contenant une sorte de pain de sucre complètement solide. Interrogé, le fabricant lui répondra que c'était normal, et que son produit devenait liquide vers 125°C…le produit ne faisait donc pas du tout l'affaire ! Skunk Works finira par trouver une huile très raffiné qui fera l'affaire.
Les vitres des caméras et du cockpit poseront un autre challenge, pour réaliser une vitre capable d'être chauffée à 70° à l'intérieur et à 350° à l'extérieur sans présenter de distorsion optique. Trois ans et 2 millions de dollars plus tard, une nouvelle technologie basée sur la fusion d'une vitre en quartz sur une structure métallique était au point !
Un système de caméra très performant dérivé et amélioré du U-2 sera mis au point pour le SR-71. Ses caractéristiques exactes sont encore classifiés aujourd'hui.
Au niveau aérodynamique, le "Blackbird" possède une aile delta profondément intégrée à la structure, et un fuselage très profilé, un peu à la manière d'un bateau. La principale caractéristique reste les larges bords d'attaque du fuselage, donnant son aspect caractéristique à l'appareil. Ces larges bords d'attaque permettaient également d'emporter une charge utile supplémentaire : détecteur infrarouge, contre-mesures électroniques etc…
Mais le plus gros challenge du SR-71 sera sa motorisation...la suite ici
Cet échec va également être le point de départ de la mise au point d'un appareil nouveau et extraordinaire : le "Blackbird".
Une silhouette semblable à rien de connu...le A-12 est un appareil à part ! |
Le U-2 volait à haute altitude…mais il était très lent et très peu manœuvrable donc vulnérable. Les américains savait que ces jours étaient comptés…c'est pourquoi dès l'été 1959, deux études vont être lancée pour trouver un successeur au U-2 : la division des projets avancés de Lockheed (concepteur du F-104 et du U-2…entre autre) commence des études sous le nom de projet "GUSTO", et la Convair débute le projet "FISH" puis "KINGFISH".
Le projet "KINGFISH" de Convair...très en avance sur son temps aussi... |
Convair propose de mettre au point un drone qui serait lancé à partir d'une version avancée du B-58 "hustler" nommé B-58B (projet FISH) ou de développer un intercepteur piloté furtif (projet KINGFISH). Ces appareils seraient capables de croiser à Mach 4,2 à une altitude de 27 km ! Trouvant l'idée trop complexe, l'USAF annule les deux engins…ne reste alors que Lockheed…
La division des projets avancés de Lockeed, plus connu sous le nom de "Skunk Works" (l'atelier du putois !) dirigé par le non moins célèbre Kelly Johnson va lancer l'étude d'un appareil capable de croiser à plus de Mach 3 à une altitude de 26 kilomètres d'altitude. Ce projet est nommé A1, A pour "Archangel" (Archange). Au fil des itérations, plusieurs propositions seront faites, allant du A-1 au A-11.
L'appareil final sera le A-11…ou le A-12…la documentation disponible n'est pas très clair sur ce point, mais ce n'est pas forcément important. En 1960, le projet est renommé "OXCART" (char à bœufs) et le gouvernement passe commande pour 12 appareils…le tout est classé "top secret" et "prioritaire" suite à la destruction du U-2 de Powers le 1er mai.
Présentation du SR-71 |
La conception détaillée de l'appareil commence…et elle ne sera pas facile ! Il est vrai qu'au même moment, le X-15 pouvait dépasser Mach 3 de manière anodine…mais le X-15 restait à cette vitesse pendant quelques minutes à peine…or concevoir un avion autonome qui peut rester à Mach 3 pendant plusieurs heures relève d'un autre niveau…le mieux que possédait l'Air Force était le F-106, capable d'atteindre Mach 2 pendant…15 minutes. Là l'objectif était Mach 3 pendant 4 heures !
Les ingénieurs de Lockheed se mettent au calcul, et vont rapidement se rendre compte que rien ne va : les températures seront trop chaudes pour l'aluminium, l'huile risque de bouillir, le carburant de s'enflammer spontanément, sans parler des réservoirs en plastique qui vont fondre et du cockpit dans lequel on pourrait faire cuire un moelleux au chocolat géant !
La conclusion est assez simple : la technologie ne permet pas de réaliser un tel appareil. Or pour Kelly Johnson, une phrase comme celle là signifie simplement qu'il faut tout inventer, pas que ce n'est pas possible.
Les Skunk Works vont donc rivaliser d'ingéniosité pour réaliser cet appareil
La chaîne de montage des A-12 et SR-71 chez Lockheed... |
La structure d'abord : puisque la seule alternative à l'aluminium qui puisse supporter le vol à Mach 3 est le titane. Seulement voilà, personne ne l'a jamais utilisé à cette échelle ! D'autant plus que le seul titane de qualité disponible vient…d'URSS ! Qu'importe, la CIA va être mise à contribution...après tout, le Blackbird est conçu en partie pour les services secrets ! C'est ainsi que la CIA va monter une société écran en Europe qui va acheter du titane à l'URSS avant de l'envoyer aux Etats-Unis en contrebande pour fabriquer un avion espion pour aller espionner cette même URSS. Il est vrai que plus de 90% de la structure de l'avion était en titane, et de nombreux problèmes se poseront pour forger et souder ce métal.
Goodrich va inventer des pneus qui comporte une fine poudre métallique dans la gomme pour refléter la chaleur du logement. Le pneu est gonflé à l'azote. Chaque pneu coûtait presque 3000$ et devait être changé tous les 15 à 20 atterrissages environ…à raison de 8 pneus par avion, c'est une rente !
Côté carburant : le kérosène habituel n'est pas utilisable, car son point d'inflammation est trop bas. Il faudra donc mettre au point un nouveau carburant, le JP-7. Le SR-71 en emportait 40 tonnes…et la structure forme les parois du réservoir, car aucun plastique ne pourrait survivre à la température du Blackbird à Mach 3. Son point d'inflammation est très haut, à tel point qu'une cigarette jetée dans un réservoir de JP-7 s'éteint…
Vue des éléments de l'appareil |
Par contre ces choix vont avoir deux conséquences majeures. La première c'est que comme l'appareil se dilate en vol, il faut prévoir des interstices de dilatation pour permettre à l'appareil de s'allonger…mais comme cette même structure abrite le carburant, cela veut dire qu'au sol, le fuselage n'est pas étanche…et donc le Blackbird suinte de partout au roulage et au décollage ! A tel point que sa première tache après le décollage est d'aller se ravitailler en vol pour refaire le plein…lorsqu'il accélère vers Mach1, l'appareil se dilate, rendant les réservoirs étanches pour le reste du vol !
Les ravitailleurs d'ailleurs : parlons-en, il s'agit des KC-135 de l'US Air Force, seulement, comme le carburant du Blackbird n'est pas un carburant normal et que le KC-135 ne sépare pas ses propres réservoirs de carburant de ceux utilisés pour le ravitaillement, il n'est pas possible d'utiliser un KC-135 de série. l'USAF va donc devoir modifier des KC-135 pour séparer les réservoirs et leur permettre d'emporter le JP-7 utilisé par le Blackbird…sans le mélanger au JP-4 utilisé par le ravitailleur ! Les KC-135Q ainsi modifiés seront les indispensables auxiliaires du SR-71.
Ravitaillement en vol d'un SR-71 par un KC-135
Les ingénieurs vont aussi tirer parti de ce carburant pour l'utiliser comme liquide de refroidissement : du carburant circule dans les soutes électroniques et le nez de l'appareil pour le refroidir, avant d'aller vers l'arrière pour dissiper cette chaleur vers les points froids de l'appareil. Cette "circulation sanguine" empêche l'intérieur de l'appareil de trop chauffer.
Niveau hydraulique, il fallait trouver un fluide qui soit utilisable jusqu'à 350°C, bien au-delà de tout ce qui existait…Kelly Johnson avait repéré un produit dans une publicité qui répondait à cette exigence, et commande donc un échantillon. Il va recevoir un sac de toile contenant une sorte de pain de sucre complètement solide. Interrogé, le fabricant lui répondra que c'était normal, et que son produit devenait liquide vers 125°C…le produit ne faisait donc pas du tout l'affaire ! Skunk Works finira par trouver une huile très raffiné qui fera l'affaire.
Les vitres des caméras et du cockpit poseront un autre challenge, pour réaliser une vitre capable d'être chauffée à 70° à l'intérieur et à 350° à l'extérieur sans présenter de distorsion optique. Trois ans et 2 millions de dollars plus tard, une nouvelle technologie basée sur la fusion d'une vitre en quartz sur une structure métallique était au point !
Autoportrait d'un pilote de Blackbird...on notera qu'il ne dispose pas forcément d'un espace immense... |
Un système de caméra très performant dérivé et amélioré du U-2 sera mis au point pour le SR-71. Ses caractéristiques exactes sont encore classifiés aujourd'hui.
Au niveau aérodynamique, le "Blackbird" possède une aile delta profondément intégrée à la structure, et un fuselage très profilé, un peu à la manière d'un bateau. La principale caractéristique reste les larges bords d'attaque du fuselage, donnant son aspect caractéristique à l'appareil. Ces larges bords d'attaque permettaient également d'emporter une charge utile supplémentaire : détecteur infrarouge, contre-mesures électroniques etc…
Chaleur de l'appareil lors du vol Mach 3...les tuyères des J-58 restant la partie la plus chaude ! |
Mais le plus gros challenge du SR-71 sera sa motorisation...la suite ici
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