Au salon de Farnborough en 1952, un appareil avait fait sensation lors de l'ouverture du salon : l'ultime évolution du Vampire, le DH110, qui était passé en vitesse supersonique en radada, spectaculaire. Le lendemain, hélas, impossible de démarrer l'appareil pour sa nouvelle démonstration…le DH110 risquait de ne pas pouvoir participer à la démonstration de l'après-midi…
Prévenu par téléphone, l'équipe de Havilland informe l'équipe qu'il y a un autre DH110 à Hatfield en état de vol : le WG236. Le pilote John Derry et son navigateur Anthony Richards quittent donc Farnborough pour Hatfield, avant de monter à bord du WG236 dont les pleins viennent d'être refaits. L'équipage décolle en trombe, direction Farnborough où ils peuvent encore être à l'heure pour leur démonstration.
Configuration particulière de l'appareil avec son cockpit décentré |
Nous somme le samedi 6 septembre 1952 et il fait beau ce jour là, la foule est estimée à 120 000 spectateurs, répartis tout autour de l'aéroport.
Le DH110 se lance dans une démonstration acrobatique et musclée, passant au ras du sol à vitesse supersonique. John Derry pilote fermement son appareil, amène le manche à gauche et l'appareil commence un virage avant de monter…et la démonstration tourne au drame : devant les spectateurs qui n'en croient pas leurs yeux, l'appareil fait une embardée puis se disloque en plusieurs morceaux…les pièces éparpillées continuent sur une trajectoire balistique avant de retomber sur terre.
reportage d'époque sur le salon et la tragédie
Le pire reste pourtant à venir : sous l'effet du choc, les deux moteurs "Avon" se sont littéralement arrachés de leurs fixations et continuent comme des bombes non guidées. Le premier retombe en bordure de piste, mais le second se brise en deux avant de retomber de plein fouet sur une colline, nommée "observation hill" où se trouvent de très nombreux spectateurs. Les deux pièces de moteurs tombent en fauchant les spectateurs comme des quilles.
Photographie de la désintégration de l'appareil |
Le bilan est dramatique : John Derry, premier britannique à avoir franchi le mur du son, et son navigateur, Anthony Richards, sont tués, et surtout on dénombre 28 spectateurs tués, et une soixantaine de blessés, dont certains très gravement.
Le pilote, John Derry, premier britannique à avoir franchi le mur du son. |
L'évènement fait la une des quotidiens anglais et européens, et va avoir un retentissement considérable. Que s'est-il passé ce jour là ?
Paradoxalement, alors que la presse était présente en nombre sur le terrain de Farnborough, aucune photographie ou film ne sera pris de l'accident. Ce n'est que quelque jour plus tard que les enquêteurs vont trouver un film amateur qui a filmé les derniers instants du DH.110.
Autre vue de la catastrophe
Le film, bien que n'étant pas d'excellente qualité, va permettre de reconstituer le crash dans les moindres détails. Lorsque le DH.110 est passé devant la foule, sa vitesse était de 780 km/h. Derry tire sur le manche et l'amène à gauche pour rétablir l'avion en sortie de piqué. Les forces aérodynamiques sont alors trop élevées, et le saumon de l'aile droite cède, se retrouvant violemment arraché. Déséquilibré, l'appareil bascule, ce qui va arracher le saumon d'aile extérieur gauche.
Les ailes en flèche du DH.110 vont le déséquilibrer de manière fatale... |
Or, les deux extrémités arrachées des ailes sont les parties les plus en arrière : sur un avion avec des ailes en forte flèche, la perte des extrémités change brutalement le centre de portance des ailes : le DH.110 est donc violemment déséquilibré : il va se cabrer brutalement vers le haut, sans que le pilote ne puisse faire quoi que ce soit. L'appareil n'a pas été conçu pour ce genre de manœuvre : le cabrage violent arrache littéralement le nez et les ailes, et emporté par leur inertie, les deux moteurs se détachent de leur fixation pour continuer leur propre vol. Le fuselage effectue un tour sur lui-même avant de s'écraser sur le terrain. De la même manière, le cockpit va s'écraser à quelques dizaines de mètres de là. On retrouvera les deux pilotes encore sanglés sur leurs sièges. La décélération a été si violente qu'ils ont probablement perdus connaissance au moment même où l'avion s'est désagrégé. L'ensemble de la scène depuis la perte du premier saumon d'aile avait duré à peine une seconde.
Ce qu'il reste du fuselage |
Malheureusement, l'un des deux moteurs va retomber au milieu de la foule, avec les conséquences que l'on sait.
La question qui se pose ensuite est de savoir si Derry avait dépassé les limites structurelles de l'appareil ou non. L'équipe de Havilland va tester une autre aile de DH.110 à Hatfield…et découvrir que sa résistance était de 36% inférieure à ce qu'elle aurait du être. Or les calculs de résistance ont été bien faits : pourquoi cette différence ? On découvrira par la suite un problème d'écoulement d'air irrégulier lors d'un piqué transsonique, qui en l'absence de cloisons d'extrados pouvait mener à des ondes de choc capable d'arracher un bout d'aile.
C'est exactement ce qui s'est passé ce jour là à Farnborough. De Havilland va ainsi redessiner l'aile de son DH.110, qui sera produit en grande série pour la Royal Navy, devenant ainsi le "sea vixen", qui aura une brillante carrière.
Mais en ce 6 septembre 1952, dans le ciel de Farnborough, Derry et Richards ont été au prise avec un phénomène aérodynamique encore mal connu qui va leur coûter la vie, ainsi qu'à de nombreuses personnes au sol.
Les britanniques vont également modifier les règlements concernant les démonstrations lors des meetings, afin de les rendre plus strictes : interdiction du survol de la foule, distance minimale de séparation verticale et horizontale par rapport à la foule, etc..
Ces conditions plus strictes font que depuis cette date, aucun spectateur de meeting n'a plus été tué au Royaume Uni, espérons que cela dure le plus longtemps possible.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire