Il aurait du être le premier avion de ligne à réaction au monde, malheureusement il ne fut que le second avec juste treize jours de retard…et l'Histoire n'est jamais tendre pour les seconds. Il était pourtant un appareil prometteur, et ce "Jetliner" aurait pu avoir sa place dans les grands noms de l'histoire de l'aviation.
Aujourd'hui nous allons donc parler d'un appareil canadien fabriqué par Avro qui ne dépassa jamais le stade du prototype : le C102 "jetliner".
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Avro C-102 "JetLiner" |
C'est en 1945 que la compagnie nationale canadienne, la "Trans-Canada Airline" va commencer à explorer les récentes innovations pour chercher de nouveaux appareils pour transporter ses passagers. Sous l'impulsion de son "chief engineer", Jim Bain, l'état major de TCA va voyager aux Etats-Unis et en Angleterre pour faire l'état de l'art du marché de l'aviation civile.
C'est à cette occasion que Bain va découvrir les avancées de Rolls Royce en matière de réacteurs, et découvre un prototype de ce qui va devenir le réacteur "Avon". Bain est fasciné et voit tout de suite un avenir commercial à ce moteur pour la TCA.
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L'équipe d'essai du C-102 "Jetliner" devant l'appareil |
Il se rapproche donc de Avro Canada pour mettre au point les spécifications d'un avion de transport civil utilisant ce moteur. C'est l'ingénieur James Floyd qui s'attaque au problème côté Avro (vous le connaissez déjà : c'est lui qui est à l'origine du
CF-105 "Arrow" dont je vous ai déjà parlé).
Les spécifications sont figées dès le 9 avril 1946 : un avion capable de transporter 36 passagers à une vitesse de 650 km/h (très rapide pour l'époque) avec un rayon d'action de 1900 km, tout en étant capable d'utiliser les pistes existantes, mesurant au minimum 1200 mètres.
Les spécifications sont claires…en revanche, le contrat entre TCA et Avro est opaque et restrictif : interdiction à Avro de vendre l'appareil à une autre compagnie pendant une durée de trois ans, contrat à prix fixe : 350 000 dollars canadiens par avion. Autre bizarrerie impensable aujourd'hui : Avro devait assumer tous les coûts des vols d'essais pour une durée de un an après le premier vol : de cette façon, même si l'appareil était mis en service commercial avant cette période, ce serait toujours à Avro de payer les coûts des vols. Je n'ai jamais bien compris ce que signifiait cette clause…et je ne l'ai jamais vu dans aucun autre contrat !
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Projet du "Jetliner"...à l'exception des nacelles le prototype sera construit tel quel |
La suite se devine : Avro ne pouvait pas tenir les termes du contrat à prix fixe. A peine un an après, en 1947, Fred Smye, président d'Avro doit informer Herbert Symington, le PDG de TCA qu'il ne pourra pas tenir le contrat. Plutôt que de chercher une solution, TCA préfère se retirer du projet, ne voulant pas prendre de risque avec cette technologie toute jeune qu'est le turboréacteur. C'est le gouvernement canadien, en la personne de C.D Howe qui va intervenir en proposant une aide de 1,5 millions de dollars pour sauver le projet. Peu de temps après, nouvelle tuile : Rolls Royce annonce que l'Avon ne sera pas certifié à temps pour être monté sur l'appareil…Avro doit donc se rabattre sur le "Derwent", qui possède une poussée beaucoup plus faible. Problème : deux moteurs ne suffisent plus : il en faudra quatre, ce qui est beaucoup pour un avion à vocation régionale : l'avion consomme plus et est plus lourd que prévu, mais la disposition quadrimoteur permet de diminuer le couple en cas de perte d'un moteur.
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Construction du "Jetliner" à Malton |
En avril 1948, Gordon McGregor devient président de TCA, et fait savoir tout net qu'il ne veut pas essuyer les plâtres en devenant le premier à opérer un appareil à réaction de transport de passager. Malgré cela, et avec le soutien du gouvernement, le projet continue : l'appareil doit être livré en mai 1952 pour une entrée en service en octobre de la même année, ce qui laisse très peu de temps. 1948…personne ne le sait encore, mais le Boeing 707 entrera en service dans dix ans…ce qui devrait laisser une avance suffisante au Canada pour mettre au point le "Jetliner"…mais l'histoire ne se passera pas comme cela.
Le 10 août 1949, le premier prototype prend son envol, immatriculé CF-EJDX, seulement 25 mois après le début de la conception, ce qui est plutôt rapide pour un prototype entièrement nouveau. Malheureusement, l'appareil est en retard : il aurait pu être le premier avion de transport civil à réaction à prendre l'air, mais il à été coiffé au poteau par son concurrent anglais, le deHavilland "Comet" qui a volé seulement 13 jours auparavant. Le premier vol a pris du retard en partie à cause des retard de production, mais surtout à cause du retard pris pour la construction de la piste de l'aéroport de Malton qui ne possédait qu'une toute petite piste en dur, bien insuffisante pour un premier vol de prototype où l'on ne sait jamais sur quoi on peut tomber.
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Siège social d'AVRO à Malton |
Si le premier vol s'est passé sans histoire, il en va différemment du deuxième vol : le train refuse de descendre au retour à malton ! L'appareil doit donc dès son deuxième vol effectué un atterrissage d'urgence sur le ventre. Heureusement, la cellule est robuste et les dégâts seront réparés en à peine trois semaines, moyennant deux trois tôles à changer ! Sinon, le contrôle de vol est bon sur les 3 axes, et le fait d'âtre passé à une configuration quadrimoteur au lieu de bimoteur permet même de supprimer les servo-commandes de la gouverne de direction !
En avril 1950, le Jetliner va devenir le premier jet transporteur de courrier : emportant du courrier de Toronto à New-York en seulement 58 minutes, divisant ainsi par deux le record précédent. Le jet est tellement nouveau, qu'il doit se garer loin du terminal, et des bacs spéciaux sont installés sous les moteurs en cas de fuite de ce mystérieux carburant appelé kérosène !
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Maintenance facilitée sur les Derwent... |
L'appareil est un succès sur le plan technologique, même si il n'a pas encore trouvé acquéreur. Pourtant les événements vont se précipiter pour sceller son destin. Au début des années 50, la Guerre Froide commence à battre son plein, et la priorité du Canada est d'assurer sa défense contre les flottes de bombardiers soviétiques qui risquent de déferler sur son territoire. Avro se retrouve avec la mise au point du premier chasseur canadien moderne tout temps : ce sera le CF-100 "Canuck". Or ce programme prend du retard, aucun appareil supersonique n'ayant été produit au Canada auparavant. Or dans le même temps, le C-102 progresse, mais n'a toujours pas de client…le gouvernement canadien va s'en mêler, et en décembre 1951 la décision tombe de la part de C.D Howe : Avro doit mettre le C-102 en sommeil et se concentrer sur le CF-100 qui doit être mis en service au plus vite : l’intérêt supérieur de la nation prime. Le second prototype du "Jetliner" est ainsi détruit pour libérer de l'espace et des ressources, alors même qu'il était terminé à 75%.
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Profil du C-102 "Jetliner" |
Nouveau rebondissement quelques mois plus tard : Howard Hughes, aviateur et milliardaire entend parler de l'appareil, et veut le tester. Le C-102 va donc être "détaché" en Californie pendant quelques semaines. Arrivé à Culver en même temps que l'avion, James Floyd va rencontrer Howard Hugues, et passer sur le grill : Howard Hughes, ingénieur hors pair, va questionner Floyd sur l'appareil jusque tard dans la nuit. Le concepteur du "Jetliner" dira plus tard du milliardaire "qu'il était un vrai ingénieur qui lui avait posé toutes les bonnes questions".
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Aménagement de la cabine du Jetliner... |
Le milliardaire s'enthousiasme pour l'appareil et imagine déjà que la TWA (qui lui appartient) pourrait emmener des passagers depuis Washington jusqu'en Floride en moitié moins de temps que la compétition ! Il va demander avec insistance la possibilité d'acheter trente exemplaires du C-102, une belle commande pour l'époque, qui aurait pu bien aider le Canada à mener ce projet à bien. Hélas encore une fois, C.D. Howe intervient, pour rappeler qu'il finance une bonne partie du projet, et que sa priorité est de terminer le CF-100 "Canuck", et que tout "gaspillage de ressources à d'autres projets doit être arrêtée immédiatement". Non seulement C.D. va interdire à Avro d'accepter la commande pour la TWA, mais va aussi refuser à Avro d'accorder une licence de fabrication à la firme Convair qui était prête à fabriquer l'appareil pour la TWA !
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Vue du Jetliner à Malton |
En 1953, le CF-100 est en pleine production, et le bureau d'étude d'Avro peut se consacrer enfin à d'autres choses..mais le projet ne redémarre pas pour autant. En 1955, TCA commande 51 avions à Vickers : des "Viscount", très en vogue à l'époque, et surtout un appareil éprouvé et opérationnel tout de suite, autant de chose que TCA est las d'attendre d'Avro. Les Viscount resteront en service jusqu'en 1974 ! Le 10 décembre 1956, c'est la fin de l'histoire : le "Jetliner" est abandonné, et la cellule du prototype est déclarée surplus. Malgré son utilisation dans le programme du CF-100 comme appareil de soutien, personne ne veut de l'appareil, et il est détruit le 13 décembre 1956. Il subsiste encore aujourd'hui le nez et le cockpit au "Canada Aviation Museum" d'Ottawa.
Il est surprenant de voir l'étrange similitude entre ce destin et celui du CF-105 "Arrow", tout deux conçus par Jim Floyd : très en avance sur leur temps...mais qui seront tout deux ferraillé devant leur coût et le manque d’intérêt. On remarquera cependant que les canadiens ont gardé la mémoire du CF-105, sur lequel de nombreux articles et livres ont été publiés, alors qu'il ne subsiste qu'assez peu d'informations sur cet autre appareil qu'était le C-102 "Jetliner".
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Le C-102, peu de temps avant que les ferrailleurs ne lui règle son sort... |
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