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lundi 22 décembre 2014

Miracle de Noël pour Pacific Southwest

Le cauchemar des vacances : être coincé dans un aéroports dont plus aucun avion ne peut décoller : en un mot, le piège ! Cette situation devient de plus en plus rare aujourd'hui : les appareils peuvent voler par tous les temps, et la diversité des opérateurs et des vols fait que l'hypothèse d'annulation totale des vols est assez faible, quoique à l'occasion un volcan ou des attentats peuvent précipiter la fermeture d'un espace aérien, mais dans l'ensemble, la météo ne représente plus un risque…mais ce ne fut pas toujours le cas.

Pacific SouthWest ne va pas se laisser arrêter par le brouillard !


Nous allons donc remonter le temps, au moment des vacances de Noël de 1962 aux Etats-Unis. L'un des aéroports les plus usités des Etats-Unis, celui de San Francisco, est en plein milieu d'une crise : tout le terrain est enveloppé d'un brouillard redoutable, tellement épais "qu'une balle de baseball lancée par quelqu'un donne l'impression de disparaître dans le néant"…et bien sûr plus aucun vol ne peut partir ou arriver : l'aéroport est fermé, mais pire encore, le brouillard va persister presque toute la semaine de Noël et les passagers sont coincés dans le terminal en attendant de pouvoir un jour rentrer chez eux…sauf les passagers de la Pacific Southwest Airlines ou PSA !

Chômage technique avec ce brouillard...mais pas pour tout le monde !


Les responsables de la PSA, voyant le mauvais temps arriver décident d'agir pour ne pas se retrouver coincés à San Francisco : il se trouve que si le grand aéroport va être complètement bloqué, l'aéroport de Half Moon Bay, situé de l'autre côté de la baie de San Francisco, est totalement dégagé,et par chance, il peut acceuillir les appareils de la PSA : le L188 "Electra" (la version civile du Lockheed P-3 "Orion" de lutte anti sous-marine). Half Moon Bay est un petit aéroport régional qui ne possède pas de terminal ni même de tour de contrôle, mais il y fait beau, et c'est mieux que rien; décision est prise par la PSA de déplacer toutes ses opérations aériennes là-bas.

Un "Super Electra" de PSA, vu dans des conditions plus clémentes...


Dans l'heure qui suit, la compagnie affrète une flotte de 32 bus pour faire la navette entre l'aéroport de San Francisco et le nouvel aéroport, et dans le même temps, la compagnie envoie ses contrôleurs, dispatcheurs et techniciens directement sur place, alors que les grandes compagnies ne peuvent pas faire de même : le petit aéroport ne peut pas accueillir les grands jets !

Half Moon Bay est un petit aéroport qui ne possède qu'une unique piste...


Les "Electra" commencent ainsi à se poser à Half Moon Bay, mais il faut faire vite : les taxiways ne sont pas suffisamment résistants pour accueillir les Electra, ils doivent donc rester sur la piste principale. Rapidement la méthode se met au point : les passagers attendent en bout de piste, et les appareils qui se posent font demi-tour en bout de piste, laissant descendre leurs passagers par l'avant, tout en embarquant les nouveaux par l'arrière, idem pour les bagages, pendant que les pétroliers ravitaillent l'appareil ce qui permet un Turn Around Time d'à peine une demi-heure ! L'appareil redécolle dès qu'il est prêt, laissant le champ libre pour le prochain appareil !

Idem, il faut improviser pour faire de Half Moon Bay un aéroport fonctionnel : le terrain ne possède pas de tour de contrôle, mais qu'importe : les contrôleurs montent sur le toit d'un hangar, avec des radios portatives, et ils vont mettre au point une tour de contrôle locale pour gérer les mouvements sur la piste ! Le hangar étant lui-même transformé en terminal temporaire, à même d'accueillir et d'enregistrer les passagers, grâce à la débrouillardise du personnel au sol qui va positionner des barrières et des tables pour faire des comptoirs improvisés. Devant l'afflux de passagers et le manque de moyens, certains employés vont devoir travailler 24 ou 36 heures d'affilés ! Pendant ce temps là, un petit hôtel en face de l'aéroport est réquisitionné et permet aux pilotes ayant dépassés leurs horaires de pouvoir se reposer au chaud.

Les Electra sont les seuls appareils à pouvoir se poser...


Un renfort viendra des forces de police locales qui vont isoler l'aéroport pour s'assurer que rien ne vienne perturber le trafic, et après quelques jours d'opérations, les passagers se présentent spontanement à Half Moon Bay pour prendre leurs vols. Pacific Southwest va également créer de la publicité et faire des annonces à la radio en annonçant que "Pacific Southwest vous ramène chez vous pour Noël !"

Ce sera le "miracle de Noël"


L'opération va durer du 14 décembre jusqu'à Noël où le brouillard va se lever progressivement sur l'aéroport de San-Francisco, permettant un retour à la normal des opérations aériennes. Le petit aéroport de Half Moon Bay aura en tout vu passer pas loin de 40 000 passagers, qui pourront rejoindre les aéroports de Burbank, Los Angles et San Diego, où les conditions sont plus favorables et permettent aux passagers de prendre des correspondances avec d'autres vols. Ainsi est née la "légende de Half Moon Bay", deux semaines d'opérations intensives depuis un aéroport qui n'avait pas été conçu pour cela, grâce au dévouement et au professionnalisme de tout le personnel de Pacific Southwest Airline qui se dépensèrent sans compter pour s'assurer que leurs 40 000 passagers puissent arriver chez eux à temps pour Noël ! En tout, ce n'est pas moins de 488 vols qui seront assurés malgré la précarité des conditions sur site. Pendant plusieurs semaines, PSA recevra chaque jour plusieurs centaines de lettres de passagers reconnaissant de leur avoir permis de "sauver leur Noël" !

lundi 15 décembre 2014

Les records du SO9000 "Trident" (2/2)

En 1965, le Trident est encore un appareil expérimental, qui n'a pas encore vraiment connu son "baptême du feu", c'est à dire le vol avec les trois fusées, qui vont générer près de 50 000cv pour propulser le Trident au delà de tout ce que l'on connait en France !

Allumage !


Le 6 juillet 1955 est une grande date pour le Trident : pour la première fois, on va tenter d'allumer les trois chambres du moteur fusée ! Charles Goujon vient de passer plusieurs semaines à s'entrainer rigoureusement pour cet essai, en simulant des vrilles à différentes vitesses et altitude à l'aide du "Météor" du CEV pour être sûr de pouvoir reprendre le contrôle si besoin, le tout alors même que l'appareil est testé au sol avec ses trois fusées. Après les habituels crachats ocre et sifflements, les fusées se déchainent dans une langue de feu impressionnante, l'appareil solidement arrimé au parking du CEV par de grandes chaines va libérer toute son énergie pendant 90secondes : près de 50 000cv ! Tout le monde est là ce 6 juillet, même Lucien Servanty et l'ingénieur général Bonté, le patron du CEV qui va suivre les essais par radio. L'ordre est de faire un vol "en ascenseur" : hors de question en effet d'allumer la troisième fusée en vol horizontal : nul ne sait comment se comportera le Trident avec une telle puissance à l'arrière !

Essai au sol des fusées avant le vol...


Le décollage se fait sur une seule fusée, tout se passe bien. Il rentre ensuite le train puis les volets, avant d'entamer sa montée en arrêtant le moteur fusée, ne volant que sur ses réacteurs. Il atteint 3000 mètres d'altitude, règle le chauffage et la pressurisation de sa cabine, tout en continuant à monter  jusqu'au niveau 260, c'est-à-dire 8000 mètres. Tout est paré, Goujon se sangle au maximum ssur son siège pour être sûr de ne pas être projeté en avant en cas d'arrêt intempestif de la fusée. Le pilote tire sur le manche et rallume la première chambre du moteur fusée : tel un bon coup de pied au derrière, Goujon grimpe sur une pente de 20° alors même que le machmètre grimpe jusqu'à Mach 0,9…c'est le moment d'allumage de la deuxième chambre : l'angle passe à 30° et Mach 1 est franchi d'un coup ! Goujon peut alors allumer la troisième fusée, et là ce n'est plus un avion qu'il pilote, mais une véritable fusée ! Il grimpe encore jusqu'à près de 52 000 pieds soit 15 600 mètres avant de se remettre en vol horizontal et en attendant que les fusées ne s'arrêtent…moment immanquable, qui fait croire au pilote qu'il vient de rentrer dans un mur tellement la décélération est brutale ! La limite de 52 000 pieds à été déterminée par les ingénieurs avant le vol, et correspond à la limite à ne pas dépasser sous peine de rentrer dans l'inconnu le plus total..cette limite s'appelle "le trait" et la dépasser s'appelle "bouffer le trait" en jargon de pilote, ce qu'il faut éviter à tout prix..pour être sûr de ne pas la dépasser, Goujon fera d'ailleurs installer sur la planche de bord un deuxième altimètre ne comportant aucune graduation sauf ce "trait" qu'il peut ainsi ne pas quitter des yeux : difficile de lire un altimètre à cadran quand on grimpe à 6km/min dans le ciel !

en route vers des records !


Mais Goujon, excellent  navigateur, n'a pas dépassé le seuil, le voilà à présent en vol horizontal à des vitesses encore jamais atteintes à cette altitude…il doit à présent redescendre, mais mission accomplie : le Trident à rempli sa mission avec brio ! Goujon se trouve toujours dans son Trident qui n'est plus propulsé que par ses moteurs Viper qui tournent au ralenti, ce qui le propulse tout de même à 950km/h dans l'air fin de haute altitude. Pour marquer le coup, Goujon fait un tonneau au dessus du terrain, manœuvre normalement interdite…mais qui ira lui reprocher ? Il s'agit là à la fois d'une grande première française, mais aussi d'une grande première mondiale : bien que les américains ont déjà effectués de tels vols, leurs appareils sont largués par un avion porteur à haute altitude, alors que le Trident lui est totalement autonome, ce qui ajoute un degré de complexité supplémentaire. Malheureusement l'évènement n'aura pas la portée que l'on pouvait lu souhaiter : en  pleine Guerre Froide, le secret est de mise : il faudra plusieurs mois avant que l'exploit de Goujon ne soit officiellement reconnu !

Le SO 9000 -01 sera rapidement retiré du service au Bourget !


Ce sont à présent les pilotes des services officiels qui vont prendre le Trident en main. Les performances atteintes sont spectaculaires : plus de 15 000 mètres d'altitude atteint, une vitesse de Mach 1,63 et en légère montée de plus, et également à signaler : un tonneau à Mach 1,4 ! En revanche, le rapport était beaucoup plus critique en ce qui concernait les qualités de vol : fort couple piqueur à la rentrée des volets, vibrations élevées en haut subsonique rendant la lecture des instruments illisibles, profondeur hypersensible en régime supersonique.

Le SO-9050 se présentait comme un appareil opérationnel destiné à être armé...


Le SO9000 avait prouvé ses qualités de vol, et allait laisse place à un nouvel appareil, extérieurement très similaire mais ayant de bien meilleures performances : le SO 9050, également appelé "Trident". Le SO9000 devient dépassé et il est alors mis à le retraite et donné au musée de l'air de de l'espace du Bourget dès décembre 1956, où il est accroché dans le hall des prototypes, il s'y trouve toujours.

Si le SO9000 avait été conçu depuis le début comme un démonstrateur grandeur nature, le SO9050 était lui conçu comme un avion d'arme. Un marché est conclu par les services officiels.

Système d'alimentation du moteur fusée...


Extérieurement, le SO9050 était très similaire au SO9000 mais présentait également un certain nombre de différences :

  • La voilure avait une épaisseur fixée à 6,5%
  • La cabine de pilotage n'était plus largable, mais équipée d'un siège éjectable "de l'âge des cavernes" : un E105B de SNCASO.
  • Le train d'aterrissage était à plus large voie, équipé de pneus moyennes pressions, et surtout surélevé pour permettre d'accrocher l'armement sous l'appareil et également permettre de cabrer davantage l'appareil lors de la phase de décollage.
  • Les turboréacteurs prévus étaient des Turboméca "Gabizo", mais ceux-ci n'étant pas encore disponibles, ils seront remplacés par des "iper" comme sur le SO9000-01.
  • Le moteur fusée était un SEPR-63, équipé de deux chambres de combusion contre trois pour le SO9000, ce qui permettait d'avoir un emps de fonctionnement plus long malgré une poussée un tout petit peu plus faible.

Le SO-9050 est beaucoup plus haut sur patte, ce qui permet l'emport d'armement extérieur...


Le SO9050-01 fait son premier vol le 19 juillet 1955, avec Charles Goujon aux commandes. Il fera également le premier vol avec fusée le 21 décembre suivant. Il sera suivi du premier vol du 02 le 4 janvier 1956…hélas, sa carrière sera courte, il sera détruit dès son second vol à la suite d'une panne d'alimentation de carburant. Heureusement, Jacques Guignard qui en est à son deuxième crash de Trident s'en sort indemne, mais le prototype est perdu. Guignard est indemne et peut s'extraire lui-même de la capsule, en s'exclamant "mais il m'en veut cet avion !" ! L'état n'ayant commandé que deux protoypes, on pourrait penser que la série s'arrête là, et pourtant non : quand l'état avait commandé ses deux prototypes, la SNCASO avait décidé de construire un troisième prototype à son propre usage. L'idée était de le tester en version "dronisé" c'est-à-dire télécommandé à distance. Il effectuera son premier vol le 30 mars 1956 avant d'être loué par l'état, qui en avait besoin pour ses essais. Les services officiels finiront d'ailleurs par acheter cet appareil un an et demi plus tard, le 1er ocotbre 1957.

Jacques Guignard se sort indemne de son deuxième crash sur Trident !


Mais en attendant, l'état pouvait entamer ses essais avec deux prototypes. Le 01 testant la partie "haute performance" de l'enveloppe de vol, alors que le 03 testait la partie "Basse vitesse". Le 01 va ainsi atteindre Mach 1,6, et monter à 14500m d'altitude, tandis que le troisième effectuait des essais de décrochage et d'approche à basse vitesse, émontrant sa capacité à se poser jusqu'à 170 km/h ! Le 03 ne fera son premier vol avec fusée que le 13 mai 1957

La manoeuvrabilité du SO9050 était bien meilleure que celle du SO9000, le couple piqueur des aérofreins avait disparu, de même que les oscillations en haut supersonique. En revanche, il restait quelques points génants, comme la visibilité du pilote qui était mauvaise, et il restait des instabilités sur les trois axes en transsoniques, encore accentuée par la présence de l'engin. L'adoption d'un amortisseur de lacet SFENA permettra d'améliorer ce comportement.

Jacques Guignard continuera de voler sur trident !


Une démonstration en vol particulièrement musclée était prévue au salon du Bourget 1957 : Charles Goujon s'entrainait avec le 01 pour la rendre la plus spectaculaire possible, tout en respectant le créneau de 5 minutes imposé et les zones de sécurité pour la démonstration. Le 21 mai, il décolle à bord du 01 pour le 152ème vol de ce prototype. Après avoir commencé sa démonstration, il allume le moteur fusée avant de faire une ressource en demi-tonneau suivi d'un piqué… mais le piqué se prolonge anormalement et Goujon ne dit rien à la radio. Tout d'un coup, sans prévenir, l'appareil se désintègre dans une lueur…Charles Goujon  n'a pas le temps de s'éjecter et il est tué sur le coup à l'impact, on retrouvera son corps encore sanglé sur son siège éjectable qu'il n'a pas eu le temps d'actionner. Il laissera une veuve et trois jeunes enfants derrière lui. Le prototype est perdu, et surtout un brave pilote avec, ce qui est bien plus tragique. La cause d drame ne sera jamais établie avec certitude : dépassement des limites structurelles ou explosion des réservoirs de carburant suite au mélange accidentel du carburant de la fusée avec son comburant ? La SNCASO conclut que l'explosion aurait pu avoir été produite par l'explosion d'un accumulateur hydraulique.

Les services officiels vont alors acheter le 03 et le remettre au même standard que le 01 pour continuer les vols d'essais de manière intensive tout au long de la fin d'année 1957, effectuant même des décollages et atterrissages "hors piste" sur un terrain caillouteux, avec succès. Le 03 totalisait 164 vols au 1er janvier 1958, mais seulement 15 avec fusée.

On s'affaire pour préparer un vol !


L'attention de la SNCASO était cependant accaparée par le "Trident III", la version de pré-série du SO9050, dont une commande officielle pour 4 appareils avait été passée dès juin 1956.…il faut dire que la SNCASO poussait ce dossier depuis mai 1955 ! Le Trident III serait équipé de turboréacteurs "Gabizo" secs, sans postcombustion dans un premier temps, et le moteur SEPR 631 serait remplacé par un SEPR 632, plus puissant et utilisant du "Touka" en lieu et place de la Furaline. La capacité en carburant serait passé de 1,8 tonnes à 2 tonnes. L'appareil serait en plus équipé d'un radar de veille, conçu pour lancer l'armement, un MATRA R511. Un renforcement de la cellule permettra également de monter à un poids de 5,9 tonnes au décollage.

Autre projet : le Trident sans pilote : un autre projet qui ne verra jamais le jour : l'idée était qu'ne enlevant tous les équipements du pilote, il serait possible de faire un gain de poids d'environ 1 tonne, ce qui permettrait d'emporter un engin air-air plus lourd ayant une meilleure portée. Il aurait quand même fallut télécommander l'appareil depuis le sol. La SFENA ainsi que CSF collaborait activement à ce projet, qui sera mis en sommeil lorsque le 03 sera réaffecté aux essais en remplacement du 02 accidenté.

Le Trident au parking entre deux vols...


Les appareils numéros 04, 05 et 06 firent leurs premiers vols respectivement en mai puis octobre 1957 et janvier 1958, avant d'entamer une nouvelle campagne d'essais aux côtés du 03. Ils n'eurent jamais de radar ni d'engin MATRA si ce n'est des maquettes, mais fin 1957, le Trident atteignait Mach 1,9 et 19 500m d'altitude. Ce sera aussi l'occasion de battre quelques record ; le 04 va battre deux records internationaux en vitesse ascensionnelles : Jacques Guignard va atteindre 15 000 puis 18 000 mètres de haut en respectivement 2min 36 et 3min 17. Le 2 mai suivant, le commandant Roger Carpentier atteint 24217 mètres d'altitude, pulvérisant ainsi le record du monde grâce au 06. Hélas le soir même de ce vol historique, les essais constructeurs sont annulés, et les Trident privés de vol.

Pourquoi ce soudain revirement de la part des services officiels ? Alors que l'appareil était prometteur, et que malgré la perte de deux prototypes, aucun obstacle ou défaut sérieux n'avait été trouvé !

Ce sera la fin du trident...


Les nouvelles versions du Trident II étaient prometteuses : capable d'opérer pour des missions d'interceptions, pouvant gagner une altitude de 27 000 mètres en seulement 5 min ! ET encore, ce n'était rien par rapport au Trident IIC, une version qui aurait été entièrement redessinée, sans aucune pièce commune avec le IIB. Appliquant la loi des aires et équipé d'un radar DRAC 36, il aurait été capable de tirer un engin air air en interception à la vitesse de M=2,3…mais hélas, il aurait fallut beaucoup d'études pour pouvoir faire voler cet appareil…le budget ne suivi jamais, et le IIC fut relégué aux oubliettes. On parlait même d'un IID capable de voler à Mach 3, même si celui-ci ne quitta jamais la planche à dessins.

Les essais fusées étaient toujours spectaculaires...


Pour expliquer l'abandon du programme, il faut savoir que dès 1957, l'armée de l'air se retrouve financièrement en position difficile, comme le reste du gouvernement : entre la Guerre d'indochine, les évènements d'Algérie et une contraction budgétaire comme la France n'en avait pas connu depuis la Guerre, il faut limiter les dépenses. Le serrage de vis sera particulièrement sévère au sein des forces armées, et va mettre un terme définitif à la politique de prototypes à outrance. Malheureusement, l'armée de l'air n'a plus les moyens de ses ambitions, et va devoir se résoudre à abandonner une bonne partie des programmes en cours. Des grands programmes comme le SO4060 ou le Leduc sont abandonnés du jour au lendemain, mais le Trident semble sauvé…du moins temporairement, mais cela ne va pas durer. Dès la fin 1957, les avions Trident n°10 à 13 sont abandonnés alors que leur construction avait déjà commencée.

Le système de propulsion par fusée sera vu comme complexe et dangereux...


L'état-major juge cependant que le Trident III est complémentaire au Mirage III et ne lui fait pas concurrence. Le mirage III possède un rayon d'action plus grand et une meilleure manœuvrabilité à basse altitude, mais il ne peut pas rivaliser avec le Trident pour les interceptions à haute altitude au-delà de 15 000 mètres. Hélas, la réduction du budget est telle que l'armée de l'air devra se résoudre à abandonner un des deux appareils. c'est finalement le Mirage III qui sera choisi, l'ordre étant donné le 26 avril 1958 de stopper le travail sur le Trident.

Quelques vols du trident seront encore autorisés jusqu'à octobre 1958, mais uniquement pour les pilotes du CEV qui désiraient s'accoutumer au vol à haute vitesse. Le dernier vol d'un Trident aura lieu le 6 octobre 1958, avec le commandant Jean-Pierre Rozier aux commandes du 06. Ce vol sera l'occasion d'un dernier baroud d'honneur : le 06 atteindra plus de 26000 mètres d'altitude, mais sans aucun contrôle officiel, ce record ne sera jamais homologué.

Vol avec une maquette de l'engin Matra...


Beaucoup ont vu dans cet abandon un favoritisme de l'état envers une société privée qui avait un pouvoir politique très large (Dassault pour ne pas la nommer) plutôt que vers une société nationale. En réalité, le choix était déjà établi depuis 1956, lorsque le Trident à été spécialisé en intercepteur à haute altitude, laissant l'interception classique à d'autres. La présence du moteur-fusée est une contrainte opérationnelle forte (manutention du carburant toxique, purge et vidange problématique en cas d'incident sur l'avion etc..) et on peut constater que le Mirage possédait un spectre d'action beaucoup plus large. Ce n'est donc pas tant un choix politique qu'un choix pragmatique auquel s'est livré l'armée de l'air.

La disparition du Trident va aussi marquer la fin des intercepteurs-fusées au sein de l'armée de l'air : la puissance des réacteurs deviendra suffisante pour permettre des interceptions à haute altitude par la suite. Il ne subsiste aujourd'hui qu'un seul Trident : le 01, appareil le moins représentatif, qui trône fièrement au sein du hall des prototypes du musée de l'air du Bourget.

jeudi 11 décembre 2014

Les records du SO9000 "Trident" (1/2)

Cela semble loin aujourd'hui, mais dans les années 50, il existait une race d'avions aujourd'hui éteinte : les "intercepteurs fusées" Le concept est simple : face à la Guerre Froide et au risque de déferlement des bombardiers nucléaires sur un territoire somme toute réduit (Europe de l'ouest), il était nécessaire de disposer d'appareils légers et manœuvrables capables de s'envoler pour intercepter des bombardiers en un minimum de temps. A l'époque où les réacteurs possédaient encore une poussée limitée et une consommation très élevée, l'avion répondant à cet exigence était l'intercepteur fusée, un appareil doté d'un ou plusieurs moteurs fusées, capable de décoller sur alerte, d'intercepter des bombardiers et de revenir se poser en planant, concept inauguré par le Me-163 "Komet". Aujourd'hui nous allons parler de l'ultime évolution de ce concept : le SNCASO SO-9000 "Trident".

Ascension d'un Trident grâce à son moteur fusée...


Le bureau d'étude de la SNCASO dirigé par Lucien Servanty étudie dès 1948 les enjeux des intercepteurs pour les années 50, en réfléchissant aux moyens de lutter contre les bombardiers soviétiques. Deux approches sont étudiées : le statoréacteur et les moteurs-fusées. Le Statoréacteur n'est pas encore mature, et la SNCASO accuse d'un certain retard dans ce domaine par rapport à la SNCAN et Leduc. Servanty décide donc de se lancer dans un programme d'intercepteur fusée. l'idée est de combiner les moteurs fusées pour obtenir des performances supersoniques très élevées pour l'interception, couplés à des réacteurs classiques pour un retour plus tranquille à la maison après la mission.

L'ambition était de disposer d'un intercepteur supersonique, capable de décoller rapidement sur alerte. Pour obtenir des performances optimales, il est décidé de monter des moteurs fusées dans le fuselage et des turboréacteurs en bout d'aile, ce qui permet une bonne stabilisation de l'avion.

Un appareil mixte réacteurs / fusée


Trois moteurs fusées, trois pods moteurs (fusées + 2 réacteurs : le nouvel appareil ne pouvait que s'appeler "Trident". Lucien Servanty dessine très tôt la configuration d'un petit appareil à aile droite et rectangulaires, avec deux pods réacteurs en bout d'ailes. La configuration, figée très tôt, permet d'avancer rapidement sur la réalisation de l'appareil.

Pourtant avant de réaliser le Trident, il est vital de vérifier sa motorisation en vol : fort heureusement, la SNCASO dispose d'un appareil qui fera un très bon banc d'essai : le SO 6020 "Espadon". Modifié pour emporter le turboréacteur "Marboré" et le moteur fusée SEPR, il va permettre d'engranger des heures de vol pour parfaire la mise au point du Trident.

C'est le 7 juillet 1949 que SNCASO présente son projet aux services officiels, qui acceptent de financer son étude : le projet est bien pensé et son étude bien avancé. Après une phase de pré-étude, l'état signe un premier contrat le 1er mars 1951, mais dès le 8 avril suivant, un amendement était ajouté pour permettre la réalisation de deux prototypes, avec des voilures légèrement différentes (6% et 7% d'épaisseur relative). La vitesse contractuelle prévue est de M1,40 avec des réacteurs Marboré.

L'appareil se présente déjà comme révolutionnaire..


L'appareil est d'une conception révolutionnaire et fait appel à de nouvelles méthodes qui commencent seulement )à être maîtrisée en France, comme l'utilisation des structures en nid d'abeille ainsi que le collage métal-métal, qui avait déjà été timidement testé sur le "Vautour". Les ailes sont sèches, sans aucun réservoir, et se compose d'un grand caisson en nid d'abeille. Une longue conduite de carburant court sur tout le bord de fuite des ailes pour aller nourrir les réacteurs "marboré II" en bout d'ailes fournissant près de 400kgp.

Planche de bord du trident 9000 - 01.


Surprise : aucun aileron sur les ailes : le contrôle est assuré par le plan fixe arrière ! Une autre première en France ! La conception soignée de la dérive fait que cette absence d'ailerons est absolument transparente pour le pilote, qui contrôle l'appareil de la manière la plus classique qu'il soit, avec manche et palonnier. Pour augmenter l'efficacité de ces gouvernes, elles sont entièrement mobiles, un autre tour de force, mais rendu possible grâce à la mise au point de l'empennage monobloc sur Vautour. Les commandes sont hydrauliques, de marque jaccotet-Leduc. Ces commandes avaient déjà été utilisées sur l'Espadon, et elles seront ainsi réutilisées avec confiance sur le Trident. Un système de "sensibilisateurs", c'est-à-dire un système de retour d'effort artificiel est installé pour le pilote

Toutes les commandes de vol sont à l'arrière de l'appareil


Le fuselage était conçu en trois parties : la partie arrière contenant les empennages et supportant les moteurs-fusées, la partie centrale contenant le train principal et les réservoirs de carburant, et enfin une point avant, détachable, permettant de sauver le pilote si besoin. Cette capsule utilisait le système Leduc, qui avait le premier conçu ce type de capsule. Le pare-brise est en forme d'étrave, forme classique des appareils contemporains comme chez le Skyrocket américain. Chaque détail, chaque aspérité est soigneusement étudiée pour minimiser la traînée. Charles Goujon racontera ainsi que bien que le pilote a de la place dans le trident, il a les yeux au ras du fuselage, ce qui est suffisant pour la plupart des phases du vol mais limite grandement sa vision vers le bas. Le moteur fusée était un SEPR-48 fonctionnant au kérosène, mais celui-ci ne délivrant pas la poussée promise, SNCASO va se rabattre sur le SEPR 481, fonctionnant à la Fluraline et à l'acide nitrique. Il faudra d'ailleurs prévoir un système de vide-vite très efficace pour empêcher tout accident en cas de crash. L'avion pouvait emporter au total 800 litres de kérosène pour ses réacteurs, et 320 litres de furaline et 900 litres d'acide nitrique pour son moteur fusée

Le prototype 01 fait son premier vol le 2 mars 1953, avec Jacques Guignard aux commandes. Ce premier vol était réalisé sans moteur-fusée, avec du ballast pour compenser l'absence du moteur. Ce sera le début d'une année complète d'essai grâce à cet appareil dénommé SO 9000-01. Cela va permettre de défricher le domaine de vol subsonique, ainsi que les tests de vibrations.

C'est Jacques Guignard qui le premier va prendre les commandes du "Trident"...


6 mois plus tard, le second prototype est paré pour ses essais en vol. son premier vol à lieu le 1er septembre 1953, mais il ne va pas aller bien loin : la chaleur est caniculaire ce jour là, et les réacteurs ne donnent pas assez de poussée. Guignard se retrouve avec un appareil qui vole à la limite du décrochage, il ne peut pas toucher le manche sous peine de faire décrocher l'appareil..hélas, droit devant l'appareil se dresse un poteau électrique. Le pilote ne peut rien faire et le Trident heurte le poteau en béton à près de 300km/h. La capsule se détache et part en faisant des tonneaux avant de s'arrêter plusieurs centaines de mètres plus loin. Les pompiers se précipitent mais n'ont pas beaucoup d'espoir : ils ouvrent la capsule et trouvent le pilote encore sanglé à son siège, son casque est fendu et un mince filet de sang coule le long de sa tête…on le sort de son siège, et miracle il est vivant, et trouve quand même la force de dire "je n'ai rien, fo… moi la paix !" avant de s'évanouir. On l'emène d'urgence à l'hopital : le médecin annonce qu'il ne passera pas la nuit : traumatisme cranien, vertèbres fracturés, moëlle osseuse aimée, côtes cassées, bras cassé…et pourtant, et pourtant : Jacques Guignard va s'accrocher à la vie. Il passera tout de même 10 jours dans le coma, et va se réveiller paraplégique, mais il refuse d'accepter cet état de fait, et il va se battre pendant des mois : d'opérations complexes en rééducation poussée qui le fait atrocement souffrir, il va retrouver l'usage de ses jambes ! Il parviendra même à retrouver sa licence de pilote d'essai ! Quasiment miraculé, même si ses jambes ne fonctionneront jamais aussi bien qu'à l'origine, il aura encore une longue carrière devant lui !

Le SO 9000 en vol


C'est donc le second pilote titulaire de l'appareil, Charles Goujon dit "Charlie",  qui va poursuivre les essais du 01. Il fait son premier vol sur Trident le 16 janvier 1954. Ancien pilote de l'"Espadon", il est déjà familier du maniement des moteurs-fusées et c'est également lui qui va effectuer le premier vol avec moteur fusée le 4 septembre de la même année.  Après plusieurs essais de roulage à haute vitesse pour "sentir l'avion", c'est le moment du premier vol. Ce premier vol n'ira pas bien loin : au moment d'atteindre la vitesse de décision, un voyant rouge s'allume : il faut couper les moteurs et rentrer au hangar. Heureusement l'inspection révèle que c'est un capteur capricieux qui est à l'origine du problème : après vérification, il est décidé de retenter l'expérience, et à 18h le Trident peut enfin décoller. Ce premier vol n'a lieu qu'avec une seule des trois fusées, mais même dans cette configuration, l'accélération est impressionnante !

Charles Goujon va reprendre les essais de l'appareil...


Le 26 octobre, grosse frayeur : le moteur fusée s'arrête au moment ou l'appareil quitte la piste…trop lourd, il ne peut pas s'élever sur la puissance des ses deux faibles moteurs : Goujon vidange les réservoirs d'acide en urgence, mais  l'appareil à perdu sa vitesse, et le voilà qui fonce sur une rangée d'arbre…heureusement, ses qualités de pilote hors pair vont lui permettre de grignoter quelques km/h de badin, ce qui lui permet de franchir la cime des arbres, et de reprendre de l'élan pour revenir au terrain.

Le plus impressionnant : décollage sur fusée !


Hormis ces incidents, la carrière de l'appareil se passe bien, et il ne va pas tarder à recevoir de nouveaux moteurs : fin 1954, les "Marboré" sont remplacés par des "Viper" fabriqués sous licence par Dassault, ce qui va donner plus de punch à l'appareil. Il revole dans cette configuration pour la première fois le 17 mars 1955 à Istres. Le vol manque de se terminer en catastrophe lorsque l'un des aérofreins se bloque : le Trident échappe au contrôle de Goujon et commence à ruer dans tous les sens. Heureusement ce dernier à le réflexe de réduire les gaz et à basse vitesse, l'appareil reste contrôlable, même si cela s'apparente plus à du rodéo qu'à du pilotage ! Heureusement, il parvient à ramener l'appareil sans casse !

D'autres Tridents améliorés vont venir s'ajouter à la liste des appareils...


Pourtant, malgré de nombreux rebondissements, toute cette période n'est qu'une période d'essais limités : le Trident allait encore battre bien des records !

lundi 8 décembre 2014

Constellation : le mythe

Le plus gros, le plus puissant, le plus cher…beaucoup d'avions ont pu gagner l'un ou l'autre de ces titres au fil des années, peu ont pu gagner les trois d'un coup, auquel s'ajoute un quatrième avec le recul : le plus mythique…Cet avion mythique est bien connu sous le nom de "Constellation" ou simplement "Connie". Il fut l'un des appareils les plus réussi de son temps, capable de franchir de grandes distances à haute altitude, apportant alors un confort encore jamais égalé aux passagers chanceux (et fortunés) volant à son bord.

Vu au Bourget, le son d'une époque révolue..


Pour connaitre la genèse de cet appareil, il faut remonter au 23 juin 1938 : c'est ce jour là qu'est voté la loi McCarran de réorganisation de l'aéronautique civile américaine. Pour les constructeurs américains, il s'agissait de gagner un maximum de part de marché vis-à-vis des compagnies civiles. Boeing possédait le 307 "Stratoliner" et Douglas le DC-4…et Lockheed empêtré dans ses programmes militaire comme le P-38 n'avait rien…si ce n'est un projet d'avion de transport nommé "Excalibur" qui ne sera jamais construit. Lockheed possédait en outre de l'expérience en matière de cabine pressurisée avec le XC-35, et décide donc de combiner les deux pour lancer un projet encore plus ambitieux.

La saga du "Connie" est liée à celle de la TWA


Le projet avance doucement jusqu'au 9 juin 1939, et la visite d'un PDG de compagnie aérienne. Il ne s'agit pas de n'importe qui : la compagnie s'appelle la TWA, et son PDG n'est autre que Howard Hughes en personne, qui vient de racheter la majorité des parts de la compagnie. La TWA est en difficulté, et peine à se démarquer des autres compagnies. Hughes est persuadé qu'avec un avion à long rayon d'action pressurisé, il peut offrir un confort encore jamais vu, permettant même d'offrir la traversée d'est en ouest des États-Unis sans aucune escale !

La naissance d'une silhouette peu ordinaire...


C'est très ambitieux : un avion de 24 tonnes à vide, qui doit être propulsé par quatre moteurs de 2200cv, assurant une traversée à une vitesse moyenne de 485 km/h…tous les constructeurs refusent de s'engager sur un projet aussi ambitieux, sauf Lockheed, qui va charger deux de ses meilleurs ingénieurs de relever le défi : Hall Hibbard et Kelly Johnson. Ils firent plusieurs proposition, annonçant à Howard Hughes que l'opération allait lui coûter 425 000 dollars…Le milliardaire, conscient des difficultés de la TWA va alors prendre une décision historique : il sait que la compagnie n'est pas en bonne santé financière, et qu'elle ne pourra jamais financer une telle opération. Hughes va donc répondre cette phrase devenue célèbre "La TWA n'a pas les moyens, ce n'est pas grave, je vous en commande 40, et je les paierai de ma poche"

La plus grosse commande d'avions civils de l'époque...


C'est une des plus grosse commande d'avion civil de l'époque…et la plus grande commande de tous les temps pour un particulier ! Mais Lockeed peut ainsi lancer le programme en toute sérénité. Pour la petite histoire, le comptable d'Howard Hughes failli en tomber de sa chaise lorsqu'il reçu la facture de Lockheed…le milliardaire n'avait pas pris la peine de le prévenir…

La cabine a été pensée pour des passagers, mais peu aussi transporter du fret...


Nous sommes en pleine guerre, et le programme n'est pas prioritaire par rapport aux programmes de l'US Army. Malgré tout, Lockheed parvient à s'attacher les services du pilote d'essai Eddie Allen, qui va faire décoller le prototype de l'appareil Lockheed 49 le 9 janvier 1943…mais cet appareil, le NX67900 et les suivants ne porteront jamais les couleurs de la TWA : ils seront tous livrés à l'US Army Air Force, sous la désignation de C-69. L'USAAF recevra ainsi 22 Constellation pendant la Guerre, les 9 premiers étant "réquisitionnés" sur la commande d'Howard Hughes, les 13 autres venant d'une grands commande de 180 appareils achetés par l'USAAF en 1942…L'USAAF annula d'ailleurs sa commande le lendemain de la fin de la Guerre, mettant l'usine Lockheed de Burbank en presque faillite.

Les premiers constellation seront donc militaires.

Il faut savoir que Burbank était une usine appartenant à l'armée : tous les outillages et les cellules en cours d'achèvement était la propriété du gouvernement. Lockheed, sentant venir le vent du boulet, rachète à très bon prix les outillages ainsi que toutes les cellules en cours d'achèvement au gouvernement qui veut de toute façon s'en débarrasser. Ainsi naquit le Lockheed L-049 "Constellation", version civile du C-69 en version de série. En à peine neuf jours, ce n'est pas moins de 75,5 millions de dollars de commandes portant sur 103 "Constellation" de la part des huit plus grandes compagnies aériennes du pays que va recevoir Lockheed.

La TWA prend enfin livraison de ses appareils.


La TWA peut enfin prendre livraison de ses appareils en décembre 1945. Le certificat de navigabilité de l'avion étant signé le 11 décembre, son exploitation commerciale commence  début février 1946. Lockheed venait ainsi de placer sur le marché civil un avion ultra moderne, presque dix mois avec les célèbres DC-6 ou Boeing "Stratocruiser". L'arrivée sur le marché de C-69 déclassés par l'armée permettra à Lockheed d'honorer ses contrats encore plus rapidement, sa décision de racheter outillage et cellules de Burbank s'avérant une excellente affaire.

Aménagement commerciaux de la TWA, avec des rangées de 5 de front


Rapidement, une nouvelle version va voir le jour : le L-1049 "Super-Constellation", qui fait son premier vol le 13 octobre 1950, avec un fuselage rallongé de presque 6 mètres, et avec des hublots carrés. La version passager sera le L-1049C, qui va enfin permettre à la TWA de desservir New-York - Los Angeles sans escale ! La puissance accrue fournie par les moteurs Wright turbo compound rendant l'appareil plus rapide et moins gourmand. Cette version sera également vendue aux militaires en tant que C-121C à l'USAF et R7V1 pour l'US Navy, pour un total de 90 exemplaires.

Version transport de troupe pour l'USAF

Lockheed fournira encore une nouvelle version, dite "Super G" ou "Starliner", encore une fois sur demande de la TWA. L'idée était de rallonger encore un peu l'autonomie du L-1049 pour lui permettre de rester dans la compétition avec un nouveau conccurent qui s'annonçait comme dangereux : le DC-7 de Douglas. Cette fois changer les moteurs ne suffisait pas : le fait de monter des "Turbo-Compound" ayant deux fois la puissance des Wright d'origine se traduisait par des vibrations très élevées et un niveau de bruit assez insupportable. Lockheed va donc devoir mettre au point une nouvelle voilure, plus grande et qui pouvait du même coup accueillir des réservoirs de carburant supplémentaires. Ce nouveau modèle, le L-1649A sera mis en service sur les lignes atlantique nord de la TWA le 1er juin 1957. Il eut une vie plutôt courte : l'arrivée des premiers quadriréacteurs long courrier allait mettre un terme aux avions à moteurs à pistons. Les 707, DC-8 et autres allaient dorénavant régner en maître sur le marché.

Un des clients du "Starliner" sera la "Trans Canada Airline", futur Air Canada !


Lockheed avait investi 60 millions de dollars pour réaliser ce "Starliner", et ne les rentabilisa jamais, malgré la vente de 10 avions à Air France. Au total seulement 44 "Super G" furent produits. La production cessa peu de temps après, Lockheed ayant tout de même produit près de 856 appareils, dont 578 "Super Constellation". Certaines compagnies comme Ibéria exploitèrent leurs "Connies" un peu plus longtemps, mais ils disparurent très rapidement du paysage.

Mais le "Connie" n'était pas encore mort : il allait rester en ligne encore de nombreuses années au sein de l'US Navy et de l'US Air Force dans plusieurs versions différentes, dont plusieurs versions de guerre électronique.


Coupe du EC-121D, radar aéroporté monté sur Constellation, aussi surnommé "Willie Feud"
Si les forces aériennes US utilisaient le Constellation sous le nom de C-69 depuis 1943, ce n'est que en 1949 que l'US Navy commence à s'intéresser au fait de placer un radar de grande dimension sur un appareil. C'est le 9 juin 1949 que le premier L-749 modifié prend l'air, équipé de deux radômes volumineux situés au dessus et en dessous du fuselage. Désigné PO-1W, l'appareil va rapidement être mis en service, avant d'être désigné WV-1. Rapidement, une deuxième version est commandée, le WV-2, qui se base sur le L-1049 "Super Constellation" plus volumineux, et pouvant embarquer un radar plus important. Le WV-2 sera également commandé par l'USAF pour la détection aéroportée lointaine sous le nom d'EC-121D.

L'USAF sera l'autre grand client du "Connie"


L'EC-121D se compose d'un radar 2D AN/APS-45 sous son radôme supérieur, ainsi qu'un radar de veille aérienne AN/APS-20 sous son radôme ventral. Avec un équipage de 18 hommes, dont 6 opérateurs radar, l'appareil devient ainsi une véritable station radar volante, qui offre les mêmes capacités qu'une station terrestre, voire même mieux, car l'altitude permet au radar de voir et donc de détecter des cibles à une distance beaucoup plus importante qu'un radar terrestre qui est limité par l'horizon visible; à cause de la rotondité de la Terre, les cibles à basse altitude ne peuvent être détectées que à courte distance…l'EC-121D permet de s'affranchir de cette contrainte.

La silhouette particulière de l'EC-121D


142 WV-2/EC121D seront commandés, avec la livraison des premiers appareils intervenant en 1953. le WV2 sera communément appelé "Willy Victor" par ses équipages. Les Willy Victor seront utilisés de 1956 à 1965 comme "piquet radar" par la Navy, patrouillant à plusieurs sur des altitudes différentes aussi bien sur les côtes est et ouest des Etats-Unis, de manière à étendre la couverture des radars terrestres d'alerte avancée (la fameuse "DEW line". Les appareils volaient sur des missions durant entre 6 et 12 heures, volant parfois jusqu'en Islande pour étendre encore davantage la couverture radar disponible pour l'US Navy. En 1962, avec la standardisation des désignations des aéronefs, ils deviendront des EC-121K. 13 de ces appareils deviendront des appareils de guerre electronique ou EC-121M, caractérisé par l'ajout de grandes antennes le long du fuselage. Avec l'arrivée des premiers AWACS de nouvelle génération et de radars plus modernes, les vols de piquet radar cessent en 1965.

Une scène classique : 2 F-104 escortant un EC-121D...


L'USAF de son côté va employer les EC-121 d'abord dans un rôle similaire aux piquets radar de l'US Navy, puis progressivement, les appareils seront employés au Vietnam, au sein du 553rd Reconnaissance Wing. Basés en Thaïlande, les EC-121 vont effectuer des missions "Bat Cat" de 1967 à 1970.Le principe de ces missions était de patrouiller au dessus de la fameuse piste Ho-Chi-Minh en surveillant toutes les émissions électromagnétiques le long du chemin, pour détecter les activités ennemies. Pas moins de 30 ex-Connie de l'USN seront rachetés et modifiés pour ce rôle, qui n'était pas sans danger pour les équipages : lourd, peu manœuvrant, et visible de loin, les EC-121 étaient des cibles faciles pour la chasse nord-vietnamienne. Les EC-121 seront remplacés à partir de 1970 par un drône, le QU-22 Pave Eagle.

Opérateurs au travail à bord d'un EC-121D...


Pourtant, la contribution de l'EC-121 à la campagne du sud-est asiatique ne s'arrête pas là : ils seront également utilisés comme AWACS tout au long du conflit, patrouillant pendant de longues heures au dessus du golfe du Tonkin et plus tard au dessus du Laos, ils seront utilisés pour guider les vagues de bombardiers et dans une moindre mesure les chasseurs vers les MiG. Un mot sur ces missions AWACS : le radar du Connie était très mal adapté pour voir vers le bas, à cause des nombreux échos parasites dus à la réflexion des ondes sur l'eau et la végétation qui créait des échos parasites, cependant les opérateurs des appareils avaient développés une technique en surveillant l'espace aérien au dessus de Cuba : en volant à basse altitude et en utilisant le radar ventral, ils pouvaient faire rebondir les ondes radar sur l'eau pour détecter les appareils à haute altitude ! La portée pratique de ce bidouillage était de 150km, juste ce qu'il fallait pour l'USAF ! Un autre outil viendra aider encore un peu plus les équipages : un interrogateur IFF. l'IFF est le transpondeur des avions militaires : interrogés par un radar, il va répondre un code permettant de déterminer si l'appareil est ami ou ennemi (friend or foe). La NSA ayant réussi à craquer le code IFF des MiG cubains, et ayant constatés que les MiG vietnamiens utilisaient le même, il sera décidé en 1967 de monter les fameux transpondeurs sur les Constellation pour permettre une meilleure identification du trafic aérien dans les zones les plus denses. Le système n'était cependant pas parfait : il était très difficile de séparer deux échos très proches, et il était impossible d'identifier rapidement des appareils amis ou ennemis avec ce système : les consoles des opérateurs affichaient des images radar brutes, et il fallait toute leur expertise pour décoder ce que le radar affichait, et il fallait ensuite recouper avec l'affichage du transpondeur de l'IFF ! A basse altitude, avec la chaleur produite par les équipements du radar, la climatisation ne pouvait pas suivre, ce qui faisait des missions longues et difficile à supporter pour l'organisme, sans parler du risque de se faire abattre ! Cependant, le gain de renseignement était tel que pour ces missions, des contrôleurs aériens et des commandants de groupes de combat participaient également à ces missions.  Pour limiter les risques, une paire de F-104 accompagnait souvent les EC-121 au cours de leurs missions.

Les deux radômes caractéristiques de l'EC-121D


En 1975, l'USAF retire de première ligne tous les EC-121, en les remplaçant par le nouveau E-3 "Sentry", beaucoup plus moderne, reversant les EC-121 à des unités de réserve. Le dernier vol d'un EC-121 a lieu le 25 juin 1982, alors que les E-2 et E-3 sont déjà en service depuis de longues années, mais l'USAF avait préféré garder les EC-121 en service pour les réservistes et l'entrainement des opérateurs. D'autres appareils serviront d'appareils de mesure contre les tornades, en prenant des mesures à distance de sécurité des perturbations.

Le dernier vol commercial d'un "Constellation" aura lieu en 1993, lorsque la FAA interdira de vol la compagnie de la république dominicaine de voler aux Etats-Unis. Il s'agissait de la dernière compagnie exploitant des Constellation. Aujourd'hui, le Constellation fait partie de la légende

Le Super Constellation de Breitling, toujours majestueux

lundi 1 décembre 2014

Nimrod AEW3 : l'avion le plus moche du monde

Le Nimrod, appareil de lutte anti-sous-marine dérivé du Comet de chez Havilland était déjà un appareil au physique ingrat…mais lorsque la Grande-Bretagne s'engage sur un programme d'avion radar en prenant pour base ce même Nimrod, elle va créer un des appareils les plus moches jamais conçus…on pourrait se dire que si le concept marche, pourquoi pas…mais hélas, le concept ne marchait pas non plus, et cet appareil sera l'un des grand fiasco des années 80 en matière d'acquisition de défense.

Un appareil au physique très ingrat...

Au milieu des années 60, la Grande-Bretagne se cherche un nouvel avion radar d'alerte avancé de type "AWACS". Le besoin est criant : les radars basés à terre ont une portée limitée face aux nouveaux appareils soviétiques et  le seul avion que possède l'aviation britannique comme avion radar est le Fairey "Ganett", une antiquité doté d'un radar AN/APS-20, lui aussi antique qui avait été développé pendant la Guerre…c'est vous dire !

Les "Ganett" de la Royal Navy sont déjà totalement dépassés...


A la même époque, l'US Navy met au point son premier Awacs dédié : le E-2 "Hawkeye", et les britanniques vont chercher à trouver une solution comme le E-2, mais de fabrication britannique. Les britanniques sont conscients que le E-2 est une révolution, et que si ils ne répondent pas rapidement, ils disparaitront du marché des avions de veille aérienne. Cette réponse, ce sera le projet P-139, mais il sera annulé très peu de temps après son lancement à la suite des grandes coupes budgétaires des années 60, qui verront entre autre l'annulation du TSR-2. Le P-139 aurait du être équipé d'un nouveau radar appelé le FMICW pour Frequency Modulated Interrupted Continuous Wave. Les études montrent rapidement que ce type de radar deviendrait inefficace sur un avion à moteurs à hélice à cause de leurs vibrations en vol, ce qui achève d'enterrer le projet

Une modification du Hercule sera également considérée...


Malgré ce revers, l'industrie britannique va continuer à travailler sur un appareil radar, mais basé à terre cette fois. Après avoir considéré le Andover, qui était trop vieux, on considère le Nimrod, mais l'opération de conversion est jugée trop coûteuse. En attendant, de vieux Avro "Shackleton" sont équipés des radars des "Ganett" et mis en service à partir de 1972 pour fournir une capacité limité de détection radar. Cette solution "d'intérim" rappelle alors aux britanniques leur besoin plus qu'urgent d'un appareil digne de ce nom.

Entre temps, l'US Air Force à mis en service son propre AWACS moderne, le E-3 "Sentry", équipé d'un radar à impulsion doppler..et les retours d'expérience prouve que le doppler est bien mieux adapté aux AWACS que le FMICW britannique ! Le FMICW est donc abandonné en 1972 et remplacé par un système doppler, bien plus efficace.

Equipé des radars de "Ganett", les "Shackleton" feront de l'intérim pendant de longues années, et ce n'était pas un appareil très confortable...


L'armée de sa majesté se trouve donc face à la possibilité d'acheter un ou plusieurs éléments du système aux américains, ou bien de s'obstiner à vouloir développer une solution nationale, ce qui coûtera plus cher, mais assure un plan de charge industriel…il s'agissait cependant de la solution la plus risquée, car il fallait réinventer la roue : c'est pourtant cette dernière solution que va privilégier le gouvernement : développer un nouveau  système répondant exactement aux besoins du Ministry of Defence. Pour cela on va nommer deux entreprises co-responsables du programme : British Aerospace et GEC Marconi. Fin 1974, plutôt que d'acheter un système sur étagères, les britanniques décident de réinventer la roue ! Le fait de nommer deux chefs d'orchestre est une autre erreur, déjà comise avec le TSR-2 dont on connait le résultat !

British Aerospace et Marconi s'embarquent sur une modification du "Nimrod"


Les études débutent ainsi en 1976 : le radôme monté sur le fuselage comme les américains n'est pas retenu, et Marconi se lance dans la mise au point d'un radar à deux antennes. Il faut un avion porteur, et c'est le "Nimrod" qui est choisi pour devenir le nouvel AWACS britannique. Les modifications sont ambitieuses : il faut remplacer le radôme et la perche de détection magnétique par deux énormes radômes : un à l'avant, un à l'arrière, les deux balayants l'espace sur 180°, un ordinateur devait ensuite raccorder les deux images en une, sans avoir de trou dans l'espace aérien surveillé. Au lieu d'avoir un unique radôme, les britanniques ont déjà une difficulté supplémentaire. L'ordinateur Marconi qui doit gérer à la fois le couplage et présenter une situation tactique claire aux opérateurs était le GEC 4080M. L'ensemble du système, appelé MSA pour Mission System Avionics.

Le Comet XW626 fera les premiers essais du système, avec juste le radar avant...

En 1977, c'est l'appareil le plus proche du Nimrod, le "Comet" qui est choisi pour les premiers essais. Le XW626, un Comet 4 de la RAF, est modifié avec un immense radôme à l'avant pour les premiers essais du système Marconi. Il vole modifié pour la première fois le 28 juin 1977 depuis la base de Woodford. Les résultats sont suffisamment encourageants pour inciter la RAF à demander la construction de 3 Nimrod Awacs en utilisant trois cellules d'appareils récemment réformés.

Il faudra cependant attendre 1980 pour voir le premier de ces appareils modifiés prendre l'air. Le premier vole le 16 juillet 1980, et doit tester l'aérodynamique de la cellule modifiée, alors que le second appareil doit tester l'avionique MSA, et plus particulièrement l'ordinateur GEC 4080M. Cet ordinateur devait traiter les données des deux antennes, du système IFF "Cossor" et du système de navigation inertiel "Ferranti"  avant d'afficher le tout sur les consoles des opérateurs, ce qui est beaucoup pour la faible puissance de calcul disponible. Chaque système avait été testé de manière indépendante et fonctionnait bien, mais une fois que l'intégration commence, tout va vite déraper : l'ordinateur épuisait presque toutes ses capacités de calcul juste pour démarrer tous les composants…il faut dire qu'avec 1 MégaOctet de mémoire, on ne peut pas aller bien loin ! Avec un stockage externe, il devenait possible d'avoir jusqu'à 2,4Mo de stockage, ce qui était faible, même pour l'époque ! Le suivi des cibles s'en trouvait ralenti, et au bout d'un moment, des échos fantômes commençaient à apparaitre, rendant le système totalement inutilisable.

Le Nimrod était plein à craquer après avoir été ainsi modifié...


Pour ne rien arranger, à pleine puissance, l'ordinateur génère beaucoup de chaleur; pour l'évacuer un système de caloducs est installé pour transférer la chaleur au carburant dans les réservoirs. Un seul problème avec ce système : il ne pouvait marcher que si les réservoirs étaient au moins à 50% de leur capacité totale, ce qui signifie que l'avion devait garder en permanence 50% de son carburant dans ses réservoirs... ou ne pas utiliser son radar…pratique ! Même la synchronisation entre les antennes avant et arrière du Nimrod est problématique. Les essais de 1984 montreront qu'il existait un "gap" dans la couverture des deux radars, ce qui se traduisait par des échos fantômes ou des plots qui disparaissaient pour de bon…guère fiable comme système ! La détection maritime en particulier était catastrophique.

Le Comet permettra déjà de tester le système en vol, mais ce n'était pas suffisant...


La gestion du programme est également catastrophique : le développement de l'appareil est géré par un officier de la RAF, alors que la responsabilité du radar est celle du directeur de l'armement et de l'électronique de la RAF, un général, qui est supérieur à l'officier qui gère le programme, un "simple" Group Captain (équivalent d'un colonel chez nous)…et dans le même temps, aucun des deux ne gère le budget du programme : ça c'est du ressort du ministère des finances…et tout ce petit monde commence à s'affronter sur la suite à donner au programme…des réunions d'avancement leur permette de se rencontrer et de discuter en face à face…mais il y a une réunion par trimestre ! Chaque sujet épineux doit donc attendre la fin du trimestre pour trouver une réponse…la réponse étant souvent "il faut faire une étude, on verra la prochaine fois…"…de plus, les règles de la RAF stipulent que chaque officier doit changer de poste tous les deux ans, ce qui signifie que au moment ou un officier commence à comprendre l'ensemble du projet, il part ailleurs... Bref, tout ce qu'il ne faut pas faire est fait...

Antenne arrière, avant et console pour les opérateurs : les réalisations de Marconi


Vers 1982, le temps moyen entre deux pannes sur l'avionique était de 2h…et il fallait 2h30 pour charger tous les paramètres de missions dans l'ordinateur ! Concrètement, si l'appareil pouvait décoller avec tous ses sous-systèmes OK, cela tenait du miracle ! Les performances étaient somme toute asssez médiocre : ce qui sauvait Marconi était le système IFF "Cossor" qui permettait de suivre les cibles de manière efficaces, mais dès que ce système s'arrêtait, les performances du sysème se dégradaient rapidement. Concrètement cela signifiait que l'appareil était bon pour suivre les appareils amis, mais médiocre pour suivre les appareils ennemis…c'est mieux que rien, mais c'est loin d'être idéal.

AEW3 au décollage...


Le choix du Nimrod comme plateforme s'avéra in fine un auvais choix : l'appareil était trop petit et mal adpaté : le poids du Nimrod AEW à pleine charge devait être à peine la moitié du Boeing 707 américain…mais devait pourtant accomplir les mêmes missions ! Si le E-3 possédait 14 stations pour les opérateurs, le Nimrod ne devait en avoir que 6, dont 4 pour le radar, par manque de place.

Les opérateurs étaient très serrés par rapport à un E-3

Les tensions entre les co-responsables sont palpables, chacun accusant l'autre auprès du MoD des retards et problèmes. Si British Aerospace à pu livrer les appareils demandés à temps, GECC Marconi est confronté à tout un tas de problème pour la mise au point de l'avionique. Malgré tout les problèmes, la mise au point continue et 8 appareils de série sont commandés, là aussi à partir de cellules de Nimrod MR1 déclassés. Le premier de ces nouveaux appareils vole en mars 1982. Il est livré à la RAF en 1984, alors même qu'il n'est pas opérationnel, les problèmes de surchauffe, mauvais fonctionnement du radar et problème de sous capacité mémoire n'étant toujours pas résolus. Sur les 8 premières sorties, a RAF arrivera péniblement à faire fonctionner le radar pendant 3 heures (en cumulé, pas en temps d'affilé..) Mais cela permet tout de même au Squadron 8 de mettre enfin ses Avro Shackleton hors d'âge à la retraite.

Le gros problème était qu'en raison de la date d'entrée en service du Nimrod AEW qui avait été prévue pour 1982, le Squadron 8 avait été réduit à peau de chagrin suite aux grandes réformes de 1981, et au moment de la Guerre des Falklands, la Grande Bretagne ne disposait d'aucun appareil radar de disponible. La Royal Air Force devra dans l'urgence adapter des Nimrod MR2 de patrouille maritime en appareil de détection aérienne rudimentaire pour assurer des patrouilles aériennes en Atlantique du sud. Il faut aussi dire que la Royal Navy ne valait guère mieux, ayant décidé d'abandonner les grands porte-avions en 1965, elle se retrouvait dans l'impossibilité de lancer ses Fairey "Ganett" de veille aérienne…il n'y aura donc aucune couverture radar permanente pendant la campgne, ce qui aurait sans doute permis de détecter les Super-Etendards argentins qui s'approchaient en maraude des navires britanniques et causèrent de lourdes pertes.

Le Nimrod AEW3 ne fonctionnera jamais comme prévu...


Pourtant, même à cette époque, le choix d'achat d'un système indigène ou étranger (américain) se pose toujours. Il faut dire qu'entre les capacités des E-3 américains et les difficultés de Marconi pour mettre au point un appareil qui marche même de façon rudimentaire, le choix semble clair, mais comme souvent, des considérations patriotiques vont primer sur les considérations d'efficacités pratiques et économiques. La Grande Bretagne va se retrouver à dépenser des fortunes pour un système qui fonctionne très mal. Alors même que les premiers appareils sont livrés en 1984, le Ministry of Defence (MoD) décide de passer un audit complet du programme devant les sommes astronomiques dépensées.

écorché du Nimrod AEW3


L'audit, réalisé en 1986, va révéler au grand jour les dérives du programme : alors qu'il avait été annoncé en 1977 que le programme couterait entre 200 et 300 millions de livres, en 1982, le MoD avait déjà dépensé près d'1 milliard de livres sterling ! Le tout pour un système inefficace ! Malgré cela, un nouvel appel d'offre est lancé pour un appareil de veille aérienne. Sont envisagés l'E-3 "Sentry" et le E-2 "Hawkeye" américains, ainsi que le Nimrod. La compétition finale a lieu en 1986 entre le "Sentry" et le "Nimrod". c'est le E-3 américain qui est choisi, menant ainsi à l'annulation du Nimrod en sa version AWACS. Le programme du Nimrod AEW3 va survivre quelques temps grâce à l'intérêt du gouvernement Indien pour l'appareil, mais une fois que celui-ci annonce son désintérêt du projet, il n'y a plus qu'à tout abandonner. Avant de pouvoir disposer d'appareils plus modernes, il faudra remettre en service les Avro Shackleton, qui devront rester en service jusqu'en 1991, ce qui en faisait de vraies pièces de musées au sein de la RAF, avec tous les cauchemars de maintenance associés ! Très inconfortables et non pressurisés, les vols étaient un supplice à bord pour les équipages !

Le Nimrod AEW3 n'entrera finalement jamais en service...

Les 7 Boeing E-3D "Sentry" commandés sont enfin livrés en 1991, ce qui permettra enfin  à la Grande Bretagne d'avoir ses propres capacités de détection aéroporté. C'est un peu tard pour la Guerre Froide…mais mieux vaut tard que jamais !

Que retenir de cet échec ? Tout d'abord que les capacité d'un AWACS sont très liées à la taille de l'avion porteur : comment espérer faire mieux que le E-3 dans un appareil faisant la moitié de sa taille ? Essayer de mettre autant de systèmes dans un avion conçu dans les années 40 posera son propre lot de problème. On peut aussi en retenir que le prix à payer pour se maintenir au "top level" technologique est souvent affaire de volonté politique et mène rarement à des économies…cependant dans ce cas particulier, à vouloir absolument rester dans la course technologique, les britanniques ont développé un système inutilisable, le tout pour un milliard de livres sterling…ce qui prouve bien que si la qualité à un prix, le prix n'est pas toujours un gage de qualité !