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lundi 15 décembre 2014

Les records du SO9000 "Trident" (2/2)

En 1965, le Trident est encore un appareil expérimental, qui n'a pas encore vraiment connu son "baptême du feu", c'est à dire le vol avec les trois fusées, qui vont générer près de 50 000cv pour propulser le Trident au delà de tout ce que l'on connait en France !

Allumage !


Le 6 juillet 1955 est une grande date pour le Trident : pour la première fois, on va tenter d'allumer les trois chambres du moteur fusée ! Charles Goujon vient de passer plusieurs semaines à s'entrainer rigoureusement pour cet essai, en simulant des vrilles à différentes vitesses et altitude à l'aide du "Météor" du CEV pour être sûr de pouvoir reprendre le contrôle si besoin, le tout alors même que l'appareil est testé au sol avec ses trois fusées. Après les habituels crachats ocre et sifflements, les fusées se déchainent dans une langue de feu impressionnante, l'appareil solidement arrimé au parking du CEV par de grandes chaines va libérer toute son énergie pendant 90secondes : près de 50 000cv ! Tout le monde est là ce 6 juillet, même Lucien Servanty et l'ingénieur général Bonté, le patron du CEV qui va suivre les essais par radio. L'ordre est de faire un vol "en ascenseur" : hors de question en effet d'allumer la troisième fusée en vol horizontal : nul ne sait comment se comportera le Trident avec une telle puissance à l'arrière !

Essai au sol des fusées avant le vol...


Le décollage se fait sur une seule fusée, tout se passe bien. Il rentre ensuite le train puis les volets, avant d'entamer sa montée en arrêtant le moteur fusée, ne volant que sur ses réacteurs. Il atteint 3000 mètres d'altitude, règle le chauffage et la pressurisation de sa cabine, tout en continuant à monter  jusqu'au niveau 260, c'est-à-dire 8000 mètres. Tout est paré, Goujon se sangle au maximum ssur son siège pour être sûr de ne pas être projeté en avant en cas d'arrêt intempestif de la fusée. Le pilote tire sur le manche et rallume la première chambre du moteur fusée : tel un bon coup de pied au derrière, Goujon grimpe sur une pente de 20° alors même que le machmètre grimpe jusqu'à Mach 0,9…c'est le moment d'allumage de la deuxième chambre : l'angle passe à 30° et Mach 1 est franchi d'un coup ! Goujon peut alors allumer la troisième fusée, et là ce n'est plus un avion qu'il pilote, mais une véritable fusée ! Il grimpe encore jusqu'à près de 52 000 pieds soit 15 600 mètres avant de se remettre en vol horizontal et en attendant que les fusées ne s'arrêtent…moment immanquable, qui fait croire au pilote qu'il vient de rentrer dans un mur tellement la décélération est brutale ! La limite de 52 000 pieds à été déterminée par les ingénieurs avant le vol, et correspond à la limite à ne pas dépasser sous peine de rentrer dans l'inconnu le plus total..cette limite s'appelle "le trait" et la dépasser s'appelle "bouffer le trait" en jargon de pilote, ce qu'il faut éviter à tout prix..pour être sûr de ne pas la dépasser, Goujon fera d'ailleurs installer sur la planche de bord un deuxième altimètre ne comportant aucune graduation sauf ce "trait" qu'il peut ainsi ne pas quitter des yeux : difficile de lire un altimètre à cadran quand on grimpe à 6km/min dans le ciel !

en route vers des records !


Mais Goujon, excellent  navigateur, n'a pas dépassé le seuil, le voilà à présent en vol horizontal à des vitesses encore jamais atteintes à cette altitude…il doit à présent redescendre, mais mission accomplie : le Trident à rempli sa mission avec brio ! Goujon se trouve toujours dans son Trident qui n'est plus propulsé que par ses moteurs Viper qui tournent au ralenti, ce qui le propulse tout de même à 950km/h dans l'air fin de haute altitude. Pour marquer le coup, Goujon fait un tonneau au dessus du terrain, manœuvre normalement interdite…mais qui ira lui reprocher ? Il s'agit là à la fois d'une grande première française, mais aussi d'une grande première mondiale : bien que les américains ont déjà effectués de tels vols, leurs appareils sont largués par un avion porteur à haute altitude, alors que le Trident lui est totalement autonome, ce qui ajoute un degré de complexité supplémentaire. Malheureusement l'évènement n'aura pas la portée que l'on pouvait lu souhaiter : en  pleine Guerre Froide, le secret est de mise : il faudra plusieurs mois avant que l'exploit de Goujon ne soit officiellement reconnu !

Le SO 9000 -01 sera rapidement retiré du service au Bourget !


Ce sont à présent les pilotes des services officiels qui vont prendre le Trident en main. Les performances atteintes sont spectaculaires : plus de 15 000 mètres d'altitude atteint, une vitesse de Mach 1,63 et en légère montée de plus, et également à signaler : un tonneau à Mach 1,4 ! En revanche, le rapport était beaucoup plus critique en ce qui concernait les qualités de vol : fort couple piqueur à la rentrée des volets, vibrations élevées en haut subsonique rendant la lecture des instruments illisibles, profondeur hypersensible en régime supersonique.

Le SO-9050 se présentait comme un appareil opérationnel destiné à être armé...


Le SO9000 avait prouvé ses qualités de vol, et allait laisse place à un nouvel appareil, extérieurement très similaire mais ayant de bien meilleures performances : le SO 9050, également appelé "Trident". Le SO9000 devient dépassé et il est alors mis à le retraite et donné au musée de l'air de de l'espace du Bourget dès décembre 1956, où il est accroché dans le hall des prototypes, il s'y trouve toujours.

Si le SO9000 avait été conçu depuis le début comme un démonstrateur grandeur nature, le SO9050 était lui conçu comme un avion d'arme. Un marché est conclu par les services officiels.

Système d'alimentation du moteur fusée...


Extérieurement, le SO9050 était très similaire au SO9000 mais présentait également un certain nombre de différences :

  • La voilure avait une épaisseur fixée à 6,5%
  • La cabine de pilotage n'était plus largable, mais équipée d'un siège éjectable "de l'âge des cavernes" : un E105B de SNCASO.
  • Le train d'aterrissage était à plus large voie, équipé de pneus moyennes pressions, et surtout surélevé pour permettre d'accrocher l'armement sous l'appareil et également permettre de cabrer davantage l'appareil lors de la phase de décollage.
  • Les turboréacteurs prévus étaient des Turboméca "Gabizo", mais ceux-ci n'étant pas encore disponibles, ils seront remplacés par des "iper" comme sur le SO9000-01.
  • Le moteur fusée était un SEPR-63, équipé de deux chambres de combusion contre trois pour le SO9000, ce qui permettait d'avoir un emps de fonctionnement plus long malgré une poussée un tout petit peu plus faible.

Le SO-9050 est beaucoup plus haut sur patte, ce qui permet l'emport d'armement extérieur...


Le SO9050-01 fait son premier vol le 19 juillet 1955, avec Charles Goujon aux commandes. Il fera également le premier vol avec fusée le 21 décembre suivant. Il sera suivi du premier vol du 02 le 4 janvier 1956…hélas, sa carrière sera courte, il sera détruit dès son second vol à la suite d'une panne d'alimentation de carburant. Heureusement, Jacques Guignard qui en est à son deuxième crash de Trident s'en sort indemne, mais le prototype est perdu. Guignard est indemne et peut s'extraire lui-même de la capsule, en s'exclamant "mais il m'en veut cet avion !" ! L'état n'ayant commandé que deux protoypes, on pourrait penser que la série s'arrête là, et pourtant non : quand l'état avait commandé ses deux prototypes, la SNCASO avait décidé de construire un troisième prototype à son propre usage. L'idée était de le tester en version "dronisé" c'est-à-dire télécommandé à distance. Il effectuera son premier vol le 30 mars 1956 avant d'être loué par l'état, qui en avait besoin pour ses essais. Les services officiels finiront d'ailleurs par acheter cet appareil un an et demi plus tard, le 1er ocotbre 1957.

Jacques Guignard se sort indemne de son deuxième crash sur Trident !


Mais en attendant, l'état pouvait entamer ses essais avec deux prototypes. Le 01 testant la partie "haute performance" de l'enveloppe de vol, alors que le 03 testait la partie "Basse vitesse". Le 01 va ainsi atteindre Mach 1,6, et monter à 14500m d'altitude, tandis que le troisième effectuait des essais de décrochage et d'approche à basse vitesse, émontrant sa capacité à se poser jusqu'à 170 km/h ! Le 03 ne fera son premier vol avec fusée que le 13 mai 1957

La manoeuvrabilité du SO9050 était bien meilleure que celle du SO9000, le couple piqueur des aérofreins avait disparu, de même que les oscillations en haut supersonique. En revanche, il restait quelques points génants, comme la visibilité du pilote qui était mauvaise, et il restait des instabilités sur les trois axes en transsoniques, encore accentuée par la présence de l'engin. L'adoption d'un amortisseur de lacet SFENA permettra d'améliorer ce comportement.

Jacques Guignard continuera de voler sur trident !


Une démonstration en vol particulièrement musclée était prévue au salon du Bourget 1957 : Charles Goujon s'entrainait avec le 01 pour la rendre la plus spectaculaire possible, tout en respectant le créneau de 5 minutes imposé et les zones de sécurité pour la démonstration. Le 21 mai, il décolle à bord du 01 pour le 152ème vol de ce prototype. Après avoir commencé sa démonstration, il allume le moteur fusée avant de faire une ressource en demi-tonneau suivi d'un piqué… mais le piqué se prolonge anormalement et Goujon ne dit rien à la radio. Tout d'un coup, sans prévenir, l'appareil se désintègre dans une lueur…Charles Goujon  n'a pas le temps de s'éjecter et il est tué sur le coup à l'impact, on retrouvera son corps encore sanglé sur son siège éjectable qu'il n'a pas eu le temps d'actionner. Il laissera une veuve et trois jeunes enfants derrière lui. Le prototype est perdu, et surtout un brave pilote avec, ce qui est bien plus tragique. La cause d drame ne sera jamais établie avec certitude : dépassement des limites structurelles ou explosion des réservoirs de carburant suite au mélange accidentel du carburant de la fusée avec son comburant ? La SNCASO conclut que l'explosion aurait pu avoir été produite par l'explosion d'un accumulateur hydraulique.

Les services officiels vont alors acheter le 03 et le remettre au même standard que le 01 pour continuer les vols d'essais de manière intensive tout au long de la fin d'année 1957, effectuant même des décollages et atterrissages "hors piste" sur un terrain caillouteux, avec succès. Le 03 totalisait 164 vols au 1er janvier 1958, mais seulement 15 avec fusée.

On s'affaire pour préparer un vol !


L'attention de la SNCASO était cependant accaparée par le "Trident III", la version de pré-série du SO9050, dont une commande officielle pour 4 appareils avait été passée dès juin 1956.…il faut dire que la SNCASO poussait ce dossier depuis mai 1955 ! Le Trident III serait équipé de turboréacteurs "Gabizo" secs, sans postcombustion dans un premier temps, et le moteur SEPR 631 serait remplacé par un SEPR 632, plus puissant et utilisant du "Touka" en lieu et place de la Furaline. La capacité en carburant serait passé de 1,8 tonnes à 2 tonnes. L'appareil serait en plus équipé d'un radar de veille, conçu pour lancer l'armement, un MATRA R511. Un renforcement de la cellule permettra également de monter à un poids de 5,9 tonnes au décollage.

Autre projet : le Trident sans pilote : un autre projet qui ne verra jamais le jour : l'idée était qu'ne enlevant tous les équipements du pilote, il serait possible de faire un gain de poids d'environ 1 tonne, ce qui permettrait d'emporter un engin air-air plus lourd ayant une meilleure portée. Il aurait quand même fallut télécommander l'appareil depuis le sol. La SFENA ainsi que CSF collaborait activement à ce projet, qui sera mis en sommeil lorsque le 03 sera réaffecté aux essais en remplacement du 02 accidenté.

Le Trident au parking entre deux vols...


Les appareils numéros 04, 05 et 06 firent leurs premiers vols respectivement en mai puis octobre 1957 et janvier 1958, avant d'entamer une nouvelle campagne d'essais aux côtés du 03. Ils n'eurent jamais de radar ni d'engin MATRA si ce n'est des maquettes, mais fin 1957, le Trident atteignait Mach 1,9 et 19 500m d'altitude. Ce sera aussi l'occasion de battre quelques record ; le 04 va battre deux records internationaux en vitesse ascensionnelles : Jacques Guignard va atteindre 15 000 puis 18 000 mètres de haut en respectivement 2min 36 et 3min 17. Le 2 mai suivant, le commandant Roger Carpentier atteint 24217 mètres d'altitude, pulvérisant ainsi le record du monde grâce au 06. Hélas le soir même de ce vol historique, les essais constructeurs sont annulés, et les Trident privés de vol.

Pourquoi ce soudain revirement de la part des services officiels ? Alors que l'appareil était prometteur, et que malgré la perte de deux prototypes, aucun obstacle ou défaut sérieux n'avait été trouvé !

Ce sera la fin du trident...


Les nouvelles versions du Trident II étaient prometteuses : capable d'opérer pour des missions d'interceptions, pouvant gagner une altitude de 27 000 mètres en seulement 5 min ! ET encore, ce n'était rien par rapport au Trident IIC, une version qui aurait été entièrement redessinée, sans aucune pièce commune avec le IIB. Appliquant la loi des aires et équipé d'un radar DRAC 36, il aurait été capable de tirer un engin air air en interception à la vitesse de M=2,3…mais hélas, il aurait fallut beaucoup d'études pour pouvoir faire voler cet appareil…le budget ne suivi jamais, et le IIC fut relégué aux oubliettes. On parlait même d'un IID capable de voler à Mach 3, même si celui-ci ne quitta jamais la planche à dessins.

Les essais fusées étaient toujours spectaculaires...


Pour expliquer l'abandon du programme, il faut savoir que dès 1957, l'armée de l'air se retrouve financièrement en position difficile, comme le reste du gouvernement : entre la Guerre d'indochine, les évènements d'Algérie et une contraction budgétaire comme la France n'en avait pas connu depuis la Guerre, il faut limiter les dépenses. Le serrage de vis sera particulièrement sévère au sein des forces armées, et va mettre un terme définitif à la politique de prototypes à outrance. Malheureusement, l'armée de l'air n'a plus les moyens de ses ambitions, et va devoir se résoudre à abandonner une bonne partie des programmes en cours. Des grands programmes comme le SO4060 ou le Leduc sont abandonnés du jour au lendemain, mais le Trident semble sauvé…du moins temporairement, mais cela ne va pas durer. Dès la fin 1957, les avions Trident n°10 à 13 sont abandonnés alors que leur construction avait déjà commencée.

Le système de propulsion par fusée sera vu comme complexe et dangereux...


L'état-major juge cependant que le Trident III est complémentaire au Mirage III et ne lui fait pas concurrence. Le mirage III possède un rayon d'action plus grand et une meilleure manœuvrabilité à basse altitude, mais il ne peut pas rivaliser avec le Trident pour les interceptions à haute altitude au-delà de 15 000 mètres. Hélas, la réduction du budget est telle que l'armée de l'air devra se résoudre à abandonner un des deux appareils. c'est finalement le Mirage III qui sera choisi, l'ordre étant donné le 26 avril 1958 de stopper le travail sur le Trident.

Quelques vols du trident seront encore autorisés jusqu'à octobre 1958, mais uniquement pour les pilotes du CEV qui désiraient s'accoutumer au vol à haute vitesse. Le dernier vol d'un Trident aura lieu le 6 octobre 1958, avec le commandant Jean-Pierre Rozier aux commandes du 06. Ce vol sera l'occasion d'un dernier baroud d'honneur : le 06 atteindra plus de 26000 mètres d'altitude, mais sans aucun contrôle officiel, ce record ne sera jamais homologué.

Vol avec une maquette de l'engin Matra...


Beaucoup ont vu dans cet abandon un favoritisme de l'état envers une société privée qui avait un pouvoir politique très large (Dassault pour ne pas la nommer) plutôt que vers une société nationale. En réalité, le choix était déjà établi depuis 1956, lorsque le Trident à été spécialisé en intercepteur à haute altitude, laissant l'interception classique à d'autres. La présence du moteur-fusée est une contrainte opérationnelle forte (manutention du carburant toxique, purge et vidange problématique en cas d'incident sur l'avion etc..) et on peut constater que le Mirage possédait un spectre d'action beaucoup plus large. Ce n'est donc pas tant un choix politique qu'un choix pragmatique auquel s'est livré l'armée de l'air.

La disparition du Trident va aussi marquer la fin des intercepteurs-fusées au sein de l'armée de l'air : la puissance des réacteurs deviendra suffisante pour permettre des interceptions à haute altitude par la suite. Il ne subsiste aujourd'hui qu'un seul Trident : le 01, appareil le moins représentatif, qui trône fièrement au sein du hall des prototypes du musée de l'air du Bourget.

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