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jeudi 21 août 2014

La naissance d'Airbus (1/3)

Airbus…un nom, un symbole et une entreprise mondialement connue…Pourtant ce ne fut pas toujours le cas…retour au début des années 60 pour mieux comprendre la naissance d'Airbus.

Retour sur la naissance d'Airbus
Le début des années 60 fut une période clé pour la construction européenne, avec la création de la CEE dès 1957 et son entrée en vigueur 10 années plus tard. Il y eut également la réconciliation franco-allemande en 1963. L'aviation est alors en plein dans un "âge d'or" : le trafic est en forte hausse, de 15 à 20% par an, et les avancées technologiques issues de la Guerre commencent à donner naissance à des produits matures et fiables.

L'Europe est alors dans un environnement monétaire favorable et les pays européens veulent unir leurs forces dans le domaine économique face aux Etats-Unis : c'est la période de "Concorde" avec la signature du traité franco-britannique du 29 novembre 1962. Pourtant, au fur et à mesure que la décennie avance, il commence à émerger que le transport supersonique n'est peut-être pas la meilleure des solutions : les compagnies s'orientent plus vers des avions gros porteurs, de l'ordre de 200 à 300 passagers, adaptés à des dessertes inter-européennes.

Le Boeing 747 qui va donner une position de monopole à son constructeur
L'impulsion va venir des Etats-Unis, et de Boeing en particulier qui va donner naissance à une version civile de son modèle de transport militaire géant qui a perdu le concours de l'USAF face au C-5 "Galaxy" de Lockheed : c'est le 747, qui va devenir le long-courier de référence. Il reste le moyen courrier : une fiche programme établie par American Airlines  va devenir une référence : 250 places sur 2500km, adapté aux lignes intérieures américaines. Cette solution est proposé par un homme très influent : Frank Kolk, directeur technique d'American Airlines : l'appareil visé est un bimoteur avec des réacteurs à double flux. Pourtant les fabricants américains vont se détourner du bimoteurs, préférant développer des trimoteurs, ceci afin de satisfaire les compagnies qui veulent faire du "coast to coast" ou celles qui opèrent depuis des aéroports en altitude ou avec des pistes courtes. En janvier 1968, Douglas lance ainsi le DC-10 et Lockheed le L-1011 "Tristar" .

Il y a donc un trou dans l'offre américaine : pas de bimoteur civil moyen courrier. C'est une chance à saisir pour l'Europe : développer un "autobus des airs" ou encore un "aérobus".

Le "Comet" britannique

En Europe, l'Angleterre souffre : son avance acquise lors de la mise en service du Comet à été balayée par les accidents qui ont suivis. Les dernières versions du Comet sont techniquement très réussies, mais les américains ont inondés le marché avec le Boeing 707, plus avancé. Sur les 36 modèles d'appareils de transport civils que la Grande-Bretagne a produit depuis la fin de la Guerre, seulement 8 ont dépassés la centaine d'exemplaire ! La France n'est pas mieux : après l'aventure de la Caravelle, Sud-Aviation peine à lancer un nouveau programme. La nomination d'un certain Maurice Papon comme gestionnaire de Sud-Aviation après sa mise en cause dans l'affaire Ben Barka ne fait pas du bien : gestionnaire absent, son immobilisme paralyse la société nationale. En parallèle, Dassault ne s'engage pas sur le marché gros porteur, mais préfère se cantonner sur un avion purement franco-français qui allait devenir le Mercure. En Allemagne, les sociétés aéronautiques n'ont que très peu d'activité depuis la fin de la Guerre : de la sous-traitance et de la fabrication sous licence principalement, et l'Allemagne veut sortir de ce schéma pour retrouver une activité de bureau d'étude, mais sa situation est fragile : hors de question de se lancer seul dans un programme aéronautique.

Un semi-succès français : la Caravelle

L'Allemagne va agir la première : elle décide de rassembler ses différents moyens de production au sein d'un comité commun : le "Studiengruppe Airbus", nous sommes en 1965. L'année suivante, une nouvelle entreprise est crée en Allemagne pour parler d'une seule voie face aux autres pays européen : Deutsche Airbus GMBH, et le dirigeant de Bölkow en devient le premier président : le Dr Bernhart Weinhard. Deutsche Airbus commence à étudier un quadriréacteurs à aile haute dans l'optique de lancer un long courrier.


Nord Aviation et Breguet étudient le HBN-100, un "wide-body"

En France, les dirigeants de l'aviation civile réfléchissent à lancer un nouvel appareil moyen ou long courrier, mais le projet n'est pas vu d'un bon œil par le ministère des Finances, qui après Concorde ne veut pas se lancer dans un nouveau programme "coûteux et voué à l'échec". Seul un grand programme en coopération peut faire avancer un nouveau projet d'avion civil. Sud-aviation et Dassault décident d'unir leurs forces pour produire deux appareils : Dassault sera maître d'oeuvre du Mercure avec Sud comme sous-traitant, et Sud sera maitre d'oeuvre d'un grand moyen-courrier bimoteur, appelé "Galion" dont Dassault sera sous-traitant. Pourtant, des contacts commencent à se nouer entre la France d'une part et l'Angleterre d'autre part, qui accepte de participer à condition que Rolls Royce obtienne la motorisation.

Le projet "Galion" de Sud-Aviation et Dassault

Ainsi à l'été 1966, France et Grande Bretagne annoncent leur intention de lancer un nouveau programme d'avion civil, qui sera développé en consortium par Sud-Aviation et Hawker-Siddeley Aviation. Pourtant les deux pays vont rapidement s'apercevoir que l'Allemagne partage aussi ce but commun, et les trois pays acceptent de s'associer. C'est ainsi que le 26 septembre 1967, est signé à Londres le "protocole  d'accord lançant la phase de définition du projet d'Airbus européen" entre les trois ministres de l'industrie. Le projet à un nom et des participants, mais c'est à peu près tout. Concrètement personne ne sait comment faire, mais c'est un premier pas !

L'accord de septembre 1967 marque le premier pas vers le lancement d'Airbus
L'Airbus doit répondre aux critères suivants : une capacité de 250 à 300 sièges, avec un confort "spartiate", un rayon d'action à pleine charge de 2000km au moins, le tout avec des coûts d'exploitation qui doivent être de 30% inférieurs à ceux de l'étalon de l'époque, le Boeing 727-100, le tout pour une mise en service au printemps 1973.

Côté sous, les travaux doivent se répartir à hauteur de 25% pour Deutsche Airbus, 37,5% pour Sud-Aviation, désigné maître d'œuvre, et 37,5% pour Hawker Siddeley, désigné politiquement "contractant associé. Le financement est fait sous forme d'avance remboursable par les gouvernements, et les gouvernements doivent décider au plus tard le 30 juin 1968 si le projet peut continuer ou pas.

A Toulouse, l'avenir est à Concorde...
Pourtant, du côté industriel, le projet démarre difficilement : entre Concorde, le BAC111, le Mercure ou encore le F-28, l'Airbus n'a pas la priorité. Du côté de l'Aerospatiale à Toulouse, il est même mal vu de travailler sur ce nouveau projet : l'avenir c'est Concorde, et pour beaucoup, travailler sur l'Airbus n'est qu'une voie de garage. Pour preuve, le projet de l'Aerospatiale s'appelle le "Galion" mais il est plus connu par son surnom de "grosse Julie".

On notera qu'à cette époque, il n'y a pas de bureau d'étude unifié : chaque partenaire étudie son propre projet, le meilleur étant retenu à la fin…cette méthodologie ne durera pas ! Cependant, l'industrie européenne va s'inspirer des choix de Boeing pour l'Airbus : un fuselage de large section à ailes basse et moteurs installés dans des nacelles sous les ailes. En 1966, le design évolue dans les trois pays vers cette configuration, non pas parce que Boeing l'a retenue, mais parce qu'elle est la mieux optimisée. C'est ainsi que l'avant projet de l'A300 ou Airbus 300 sièges voit le jour à la mi-1966.

Roger Béteille, alias Monsieur Airbus, qui porte sa traditionnelle cravate blanche
Les partenaires vont alors désigner trois hommes clés pour la suite du programme : Roger Béteille devient directeur du programme et représentant de la France, alors que Jim Thorne, directeur de l'usine de Hatfield est nommé représentant de Hawker Siddeley, et enfin Félix Kracht est nommé directeur de Deutsche Airbus. Ces trois hommes partagent une vision européenne de l'aviation, et ils ne quitteront Airbus que pour partir à la retraite ! On peut vraiment les considérer comme les "pères fondateurs" d'Airbus, et leur présence sera un facteur très important de la réussite d'Airbus par la suite. D'autres structures se mettent en place sous la direction de Roger Béteille : une équipe de direction à paris, un groupe technique à Toulouse sous la direction de Paul Ducassé et une équipe de "salesmen" détachés des trois partenaires au sein de la société "Airbus International" crée pour la commercialisation de l'Airbus.

Félix Kracht, autre père fondateur d'Airbus
L'année 1968 est marquée par le combat de Félix Kracht pour trouver une répartition industrielle viable. Tenant compte des enseignements de Concorde, ses règles sont les suivantes :
  • Production en source unique (pas de doublon)
  • Une unique chaîne d'assemblage finale (et non 2 comme Concorde)
  • Des interfaces simples n'impliquant que 2 des partenaires, jamais 3 !
Félix Kracht va se battre pour trouver la bonne répartition et la faire accepter par les partenaires, ce qui n'était pas une mince affaire. Il parvient cependant à une répartition qui sera conservée sur tous les programmes futurs à quelques modifications près :
  • l'avant de l'avion est fabriqué en France (comme sur Concorde)
  • Le fuselage et la queue en Allemagne (comme sur Transall)
  • Les ailes en Angleterre (spécialiste reconnu des voilures complexes !)
Tous les éléments doivent ensuite converger vers Toulouse pour leur assemblage final et la livraison de l'avion au client final.

Le puzzle industriel complet se met en place (ici pour l'A310, mais il était similaire pour l'A300)

Le client final justement : dès 1968, Airbus se rend compte que le confort "spartiate" décrété à la base n'est pas du tout du goût des compagnies, qui veulent un confort "minimum" sans atteindre le luxe des avions d'après-guerre pour autant. Il faut repenser la "grosse Julie" : le poids de l'avion augmente, et la rentabilité par siège diminue : on dépasse alors l'objectif du protocole d'accord !

Les Anglais et Rolls Royce ne se plaignent pas : le moteur RB207 prévu pour Airbus pourra être poussé à 25 tonnes de poussée, bien plus que  le RB-211 prévu pour le Lockheed Tristar…et Rolls espère bien que l'Europe va payer tous les dépassements budgétaires du RB207 et du RB211. Il faut en effet savoir que pour décrocher le contrat de motorisation du Tristar, Rolls à accepté des concessions financières très importantes qui mettent la société au bord de la faillite : le RB207 est vu comme l'occasion de "se refaire" pour Rolls…Or l'état major d'Airbus n'est pas dupe du jeu britannique : tout le programme dépend de ce moteur dont les coûts ne font que grimper : bientôt, Rolls aura l'audace de facturer les deux RB207 de l'Airbus au même prix que les 3 RB211 du Tristar !

Ecorché du RB211 de Rolls qui fera couler tant d'encre...


En 1968, les pouvoirs publics français commencent à être frileux à propos de ce nouvel avion : le gouvernement français s'engage en faveur de Dassault et du Mercure, mais pas d'Airbus. L'efficacité du constructeur privé étant réputé meilleur qu'une société publique, le Mercure commence sa longue route vers sa débâcle. On notera également que 1968 est une année électorale, ce qui ne fait qu'accentuer le problème : Dassault peut financer un parti politique, Sud aviation ne peut pas ! De plus les grèves de 1968 vont retarder tous les jalons prévus pour l'Airbus : seule la partie technique avance ! Il faut même dans l'urgence déménager une partie de l'état-major D'Airbus à Bruxelles pour pouvoir organiser les réunions dans le calme !

Pourtant, les événements de mai 68 vont avoir des conséquences inattendues : Maurice Papon est élu député en juin, et démissionne de son poste de président de Sud -Aviation : pour le remplacer, le gouvernement fait appel à un expert de l'aéronautique : Henri Ziegler. Seul problème : le gouvernement lui demande d'abandonner Airbus et lui ne veut pas, ce qui va retarder sa nomination…un sursis de 6 mois arraché aux forceps va permettre de garder Airbus quelque temps…le temps qu'Henri Ziegler s'installe dans son nouveau fauteuil et remette le projet d'Airbus sur les rails !

Si le Mercure a les faveurs du gouvernement, ce n'est pas le cas d'Airbus...

L'année 1968 est également marqué par ce que les toulousains vont appeler la "trahison anglaise" : la perfide Albion ayant gagné son marché avec Lockheed commence à affirmer sur tous les toits que la coopération européenne n'en vaut pas la chandelle : les compagnies anglaises passent des commandes pour le "TriStar" de Lockheed, mais aucune pour Airbus ! Le climat se détériore, et début 1969, le gouvernement de sa majesté annonce qu'il se retire du projet d'Airbus. Aucune compagnie britannique ne passera commande à Airbus…il faudra attendre 1999 pour que British Airways commande des A320, devenant le premier client anglais d'Airbus !

Rolls se prononce en faveur du Tristar...


Pour ne rien arranger, le marché aéronautique se dégrade très fortement dès 1969 : il y a une surcapacité au sein des compagnies, et les commandes commencent à ralentir…un autre mauvais point pour l'Airbus ! Pourtant, il faut comprendre que tout le monde est touché par cette conjecture, américain compris : Boeing à investi près de 2 milliards de dollars pour produire son nouveau 747…et ses caisses sont vides ! Le géant américain est donc dans l'incapacité de réagir, et les perspectives de l'Airbus étant pour le moins mauvaises, il ne s'intéresse même pas au problème ! Cette erreur va assurer la survie d'Airbus sur le long terme !

Cependant en Europe, c'est la crise : l'Angleterre est partie, la France veut se retirer, ce n'est que l'obstination d'Henri Ziegler qui maintient le bateau à flot, et l'Allemagne ne se voit pas continuer avec des partenaires aussi peu fiables et cherche d'autres alliances. Un rapprochement avec Fokker au Pays-Bas donne naissance à VFW-Fokker, et d'autres rapprochements au sein de l'industrie allemande donnent naissance à MBB, Messerschmitt-Bölkow-Blohm, chacun se lançant dans de nouveaux projets.

Alors même que tout semble perdu, Airbus va renaître de ses cendres...
Ainsi début 1969, on s'attend à un décès rapide de l'Airbus, preuve que les alliances politiques ne marchent pas dès qu'il s'agit de faire du Business…et pourtant, l'Airbus allait quand même voire le jour grâce à l'obstination de ses pères fondateurs…

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