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lundi 25 août 2014

La naissance d'Airbus (2/3)

1969 : Airbus est au point mort : les Anglais sont partis, les Français n'y croient plus, et l'Allemagne commence à se détourner du projet…et pour ne rien arranger Rolls est en quasi faillite suite à ses concessions dans le programme L1011...à moins d'un miracle, l'Airbus est condamné à plus ou moins court terme…

Quelques configurations étudiées pour Airbus

Et pourtant, des miracles, il va y en avoir en 1969 !

Le retrait britannique permet de chercher une autre solution pour la motorisation de l'avion que Rolls…au niveau international, le seul fabricant qui s'en sort à peu près pour les moteurs double flux de forte poussée est General Electric qui vient de mettre au point le TF-39, moteur du C-5 "Galaxy". La version civile extrapolée, le CF-6 (18 tonnes de poussée, avec marge pour aller 22 tonnes), permettrait de motoriser le nouvel Airbus à condition de réduire quelques peu sa taille pour la porter à 250 places, d'où la dénomination interne d'"A250". L'accueil de cette nouvelle solution est timide, mais Henri Ziegler est convaincu que c'est la seule solution, et va donner à Roger Béteille les moyens de continuer ce projet. Parallèlement, il officialise ce nouveau projet qu'il appelle "A300B" pour maintenir la filiation avec l'A300…et emporte l'adhésion des partenaires.

C'est le CF-6 de General Electric qui va emporter l'adhésion d'Airbus
De leur côté, les britanniques et BAC en particulier s'est engagé sur un nouveau programme : le BAC311, version agrandie du BAC111, mais qui possède le même défaut : trimoteur, il ne peut pas rivaliser avec un bimoteur en terme de prix de revient…mais les britanniques s'y accrochent. Heureusement, les gouvernements français et allemands s'accrochent à l'A300B : à l'issue de la réunion du 17 janvier 1969, les ministres des transports des deux pays auront cette réponse restée célèbre : lorsqu'on leur demande si Airbus va continuer, ils répondent "kein Airbus, kein communiqué !" "Pas d'Airbus, pas de communiqué !"

Nouvel annonce à la fin janvier 1969 : Le consortium accepte que la firme anglaise Hawker Siddeley Aviation (HSA) garde sa place au sein d'Airbus. En revanche, HSA s'engage dans cette aventure  titre privé contrairement aux autres partenaires, mais sa participation signe le retour des Britanniques dans le consortium.

Autre point positif : General Electric prend position en faveur de l'A300B. Le motoriste espère prendre sa revanche grâce à son avance acquise dans le cadre du programme C-5, et détrôner Pratt & Whitney de sa position de quasi monopole. Une coopération avec la SNECMA achève ainsi de convaincre les membres d'Airbus que même si le moteur est américain, il est indispensable d'obtenir le CF-6 pour l'A300B !

L'A300 sera mis en avant au salon de 1969
C'est au salon du Bourget qu'est signé l'accord intergouvernemental de réalisation de l'A300B, le 29 mai 1969. Ce texte est le premier des quatre textes fondateurs d'Airbus.  La rapidité de signature de l'accord surprend : il a été rédigé et signé en moins de deux mois, un record pour un texte aussi important ! On s'apercevra par la suite que certaines parties de l'accord étaient en contradiction avec les lois de la cour des comptes…mais qu'importe : ce qui avait été signé avait permis de  lancer la machine ! Cet accord fixe les montants et méthodes de paiements : le financement est apporté par les Etats sous forme d'avances remboursables, le remboursement s'étalant sur la base d'un programme de 360 avions, avec remboursements progressifs pour tenir compte des amortissements de débuts de série. On notera que HASA est en grande partie financé par les gouvernements français et allemand sous ce régime. On note également que cet accord prévoit un bureau de certification dédié pour faciliter les modalités de certification du nouvel appareil !

Le nouvel A300B sera propulsé par des CF-6 américains de chez General Electric, seule motoriste intéressé par la coopération, mais qui n'a pas le soutien des allemands (toujours pro-Rolls) ni des Français (pro Pratt&Whitney, partenaire de la SNECMA) : General Electric est donc obligé de faire une offre attractive pour décrocher le marché, grâce au CF-6-80 de 21,3 tonnes de poussée, mis au point pour la version long-courrier du DC-10. La livraison de nacelles du DC-10 et un accord de sous-traitance avec la SNECMA va achever de faire pencher la balance en faveur de GE

L'A300B sera capable de transporter 250 passagers par rangées de 8 sièges, la largeur du fuselage est prévue pour pouvoir emmener 2 conteneurs standards LD3 côté à côte en soute sous le plancher, ce qui conduit à un diamètre de 5,64 mètres  ou 222 inches, diamètre retenu pour tous les gros-porteurs Airbus. Le fait de pouvoir emmener deux conteneurs LD3 est un enseignement tiré de Caravelle, dont l'exigüité des soutes avait été critiqué par les compagnies, obligeant à charger les valises une à une d'où une perte de temps non négligeable en escale.

Vue en coupe de l'A300 : la capacité d'emmener des containers sera très appréciée !
L'A300B pourra donc non seulement transporter les bagages avec une vitesse de chargement déchargement rapide, mais aussi du fret ! Dans le domaine aéronautique, il n'y a pas de petit profit : la capacité de transport de fret permet d'arrondir les fins de mois des compagnies ! On retrouve ici l'influence de Frank Kolk, l'influent directeur technique d'American Airlines : ce qu'il avait proposé sans succès pour le L1011 et qui n'avait pas été retenu servira à la base de l'A300B, et le succès commercial de ce dernier montrera la justesse des vues de Kolk !

La voilure pose plus de soucis : il faut jongler entre créer une bonne voilure pour l'A300B, mais qui permettra de faire évoluer le fuselage par la suite. Finalement, Airbus décide de parier sur l'avenir et prévoit une large voilure capable de transporter 35% de masse en plus que l'A300B. C'est ainsi que l'A300-600 possède la même aile que son ancêtre.

La conception de la cabine n'est pas laissée au hasard !
Au niveau de l'avionique, l'Aerospatiale à la chance de s'appuyer sur toutes les études menées par Concorde : aménagement du poste de pilotage, commandes hydrauliques fiables, système d'atterrissage tout temps (initié sur Caravelle) : sans Concorde il n'y aura pas eu d'Airbus aussi bien pensé dès l'origine ! Airbus ne manque pas de tirer les enseignements des erreurs d'autres constructeurs : la conception des portes de soute sera soignée pour ne pas connaître les même déboires que le DC-10, et les trois circuits de commandes de vol sont séparés entre le haut et le bas du fuselage pour éviter toute perte totale hydraulique suite à une unique défaillance.

Pendant que le bureau d'étude avance sur la conception de l'avion, les avocats avancent sur les bases juridiques d'Airbus. Il faut en effet savoir qu'à cette époque Airbus est encore une coquille vide : comment la nouvelle organisation va pouvoir fonctionner économiquement parlant, c'est tout le problème. La solution sera arrêtée dès avril 1969 : ce sera un GIE, un Groupement d'Intérêt Economique. Bien, mais qu'est ce donc ? Il s'agit d'une union entre les partenaires mais qui agit en tant qu'entité distincte de chacun d'eux : les clients disposent donc d'une interface unique, facteur de crédibilité commerciale, et le Gie est une personnalité juridique complète, qui peut vendre, contracter ou se pourvoir en justice. Le Gie ne possède pas un très gros capital, mais dispose d'une responsabilité conjointe et solidaire de ses membres vis-à-vis des clients et fournisseurs.

Il faut non seulement assembler le puzzle...mais aussi le financer et le vendre... (ici l'A300-600)


La définition du modèle financier à été longue à venir à cause de la différence entre Aerospatiale qui met tout son outil industriel au service d'Airbus, garanti par l'état français, et Deutsche Airbus, qui est l'équivalent d'une SARL, garanti uniquement par son capital de 50 millions de marks…une telle disproportion ne peut mener que à des soucis, et il faudra l'intervention de l'état allemand qui met en place une garantie de 1,5 milliards de marks pour contrebalancer la puissance d'Aerospatiale.

Le Gie est surtout un ovni juridique incompréhensible pour le monde extérieur, les américains en particulier ! Airbus devra donc user d'une communication très ciblée pour faire comprendre à ses futurs clients que le Gie n'est pas dangereux. Point appréciable : les concurrents sous-estiment l'efficacité de la formule et ne considèrent pas Airbus comme une menace ! Autre avantage, un Gie ne peut quasiment pas mettre la clé sous la porte tellement les procédures sont complexes et peu connues. Point négatif : Airbus est donc subordonné aux entreprises industrielles ce qui posera parfois des soucis.

La coopération, quasi morte fin 1968 à réussi en l'espace d'une année une remontée spectaculaire ! Ce sera le miracle de l'Airbus ! Pourtant, tout n'est pas encore gagné !

1971 arrive, et le statuts du GIE sont déposés au tribunal de commerce de Paris, qui donne l'immatriculation définitive le 23 février 1971 : Airbus existe enfin d'un point de vue commercial. Le nouveau siège de la société est situé au 160 avenue de Versailles à Paris, dans l'ancien siège de Nord-Aviation, l'Aerospatiale ayant pris l'ancien siège de Sud-Aviation situé à quelques kilomètres de là, boulevard Montmorency. Peu de temps après, un nouveau partenaire entre au sein d'Airbus : il s'agit de la société espagnole CASA, qui entre dans Airbus à hauteur de 4,2%, le tout associé à une commande de la compagnie nationale Ibéria de 30 appareils Airbus.

Airbus est de nouveau sur les rails !

Au niveau organisationnel, Airbus possède trois niveaux de pouvoir comme prévu dans l'ordonnance de 1967. 

  • Une assemblée des membres, regroupant les industriels, chacun votant à hauteur de la participation du pays dans le GIE
  • Un conseil de surveillance regroupant cinq représentants pour chaque pays membre (mais un seul pour CASA vu sa participation). Franz Josef Strauss est nommé président. Surnommé le taureau de la Bavière, dont il est député, il sera un des plus important partisan d'Airbus. Nommé à ce poste en 1970, il y restera jusqu'àà son décès en 1988 ! Charles Cristofini, ancien PDG de Nord-Aviation est nommé vice président.
  • Un administrateur gérant, nommé pour 5 ans, qui est chargé de la gestion opérationnelle du GIE. C'est lui le patron au jour le jour d'Airbus, que ce soit pour les aspects techniques, opérationnelles ou fiancier. Le 18 décembre 1970, c'est Henri Ziegler qui est nommé à ce poste

En complément de l'administrateur gérant, quatre directeurs sont nommés pour gérer les quatre grandes branches d'Airbus, deux venant de la SNIAS (Aerospatiale) et deux de Deutsche Airbus :

  • Roger Béteille est chargé de la direction technique du programme
  • Félix Kracht est responsable de la dirction de la production
  • Didier Godechot est à le direction commerciale
  • Krambeck puis Friedrich Feye à la tête de la direction financière.


Les moyens d'Airbus, quasiment nuls au début de l'aventure, vont s'étoffer petit à petit : les effectifs passent de 10 à 200 personnes en fin de développement, en provenance des partenaires, mais Airbus fera bientôt des embauches directes. Le siège parisien s'avère rapidement inadapté, car trop proche de siège de la SNIAS et trop éloigné de Toulouse. Un nouveau site est choisi en 1972 à côté de l'aéroport de Blagnac. L'administrateur gérant restera toutefois sur Paris pour assurer les contacts politiques à haut niveau.

Roll-out officiel de l'A300...il n'y avait pas grand monde à Toulouse ce jour là...

Dans le même temps, Airbus planche sur des versions dérivés de son A300, conscient que passé la certification de l'A300B, d'autres clients voudront des A300 mais avec une portée plus grande ou une capacité plus importante. Ayant participé à Caravelle et ayant constaté qu'il faut définir des appareils avec les compagnies si on veut qu'elles les achète, Roger Béteille pousse l'étude de pas moins de 11 variantes, dénommées B1 à B11, qui préfigurent déjà l'offre d'Airbus dans le domaine des longs courriers pour les années à venir ! C'est ainsi que sont étudiés progressivement :

  • A300B1 (base) : 259 sièges, 1 200 nm et 132 tonnes au décollage ;  
  • A300B2 (en service en 1974) : 280 sièges, 1 200 nm et 138 tonnes ;  
  • A300B3 : 280 sièges, 1 600 nm et 138 tonnes ;  
  • A300B4 (en service en 1975) : 280 sièges, 2 000 nm et 146 tonnes ;  
  • A300B5 : version cargo de l’A300B4 appelée ultérieurement A300F ;  
  • A300B6 : version convertible de l’A300B4 ;  
  • A300B7 : 296 sièges, 1 600 nm et 146 tonnes ;  
  • A300B8 : (version dite « américaine ») : 212 sièges, 500 nm et 120 tonnes ;  
  • A300B9 : (précurseur de l’A330) : 350 sièges, 2 000 nm ;  
  • A300B10 : (précurseur de l’A310) : 220 sièges, 1 200 nm et 125 tonnes ;  
  • A300B11 : (précurseur de l’A340) : quadriréacteur long courrier.  
L'A300 commence à prendre sa forme définitive

Mais avant de construire toutes ces versions, il faut assembler et tester les avions d'essais : ils seront au nombre de 4 : les avions numéro 1 et 2 seront construits au standard B1, le numéro 3 est un B2 mais qui possède des systèmes B1, et l'avion 4 construit directement au standard B2.

En France, Allemagne et Angleterre, les travaux de réalisation avancent. Chaque site conçoit et produit un tronçon équipé, prêt pour l'assemblage final…mais la taille des éléments est telle que le transport jusqu'à Toulouse qui ne possède aucun port important est un casse-tête...ce serait trop bête d'avoir autant travaillé pour concevoir cet A300 et ne pas pouvoir l'assembler pour une bête question de logistique...

Heureusement, Félix Kracht va trouver la réponse !

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