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jeudi 28 août 2014

La naissance d'Airbus (3/3)

Après le problème de la production, Félix Kracht va devoir s'atteler à un nouveau problème : celui de la logistique. Comment acheminer les tronçons dont certains font presque 6 mètres de diamètre jusqu'à Toulouse pour assemblage final ? Tâche compliquée par le fait que Toulouse ne dispose d'aucun port ! En effet, à part Toulouse, tous les grands sites de production sont à proximité de la mer, la solution de barges de transport semble alors la plus simple et la plus réaliste…mais il demeure un problème pour Toulouse. On ne va quand même pas construire un canal jusqu'à Toulouse spécialement pour Airbus ? (Cette solution, aussi farfelue soit-elle a été proposée et étudiée !).

Félix Kracht va trouver le transporteur des airs dont Airbus à besoin.


Heureusement, Félix Kracht va avoir l'idée : en 1967, le CNES avait reçu une proposition d'emploi d'un avion "Mini-Guppy" pour transporter ses tronçons de fusées. L'idée n'avait pas été poussée plus loin, mais le "Mini-Guppy" était venu au salon du Bourget de 1967 où il avait fait forte impression. Aero Spacelines, son concepteur, se préparait à lancer la construction d'un Mini-Guppy encore plus gros, et Sud-Aviation avait demandé à ASI d'étudier la faisabilité d'un Super-Guppy "transport public" reprenant le gabarit du Super-Guppy de la NASA (7,8m de diamètre intérieur) tout en demandant un plancher élargi comme le Mini-Guppy. Le tout donnera naissance au premier "Super-Guppy Turbine 201" immatriculé N211AS. En Août 1969, Félix Kracht est en déplacement à Santa Barbara, siège d'ASI, où il annonce son intention d'acheter l'appareil au nom d'Airbus. Félix Kracht n'a en réalité pas le droit de faire une telle offre qui n'a pas encore été validée par le conseil de surveillance, mais on lui pardonnera ! Il faut savoir que cette  intention d'achat était vitale pour ASI, presque en défaut de paiement, qui risquait de mettre la clé sous la porte avec un appareil à moitié terminé ! Le financement d'Airbus permettra de maintenir la construction du N211AS à flot, ce qui va permettre à Airbus de disposer d'un Super-Guppy, le F-BTGV. Un second sera commandé début 1973 et livré fin Août 1973. Félix Kracht à trouvé la solution au problème de transport d'Airbus.

Le 28 septembre 1972, Airbus fait son show au côté d'Aerospatiale à Toulouse : une grande cérémonie réuni à la fois l'A300B et un Concorde en face à face, les deux produits forts de la société. Les journalistes jouent des coudes pour photographier Concorde, mais boudent l'Airbus qui n'a "rien d'exceptionnel".

Septembre 1972 : l'avenir est en marche à Toulouse

Airbus dispose d'un avion…mais il faut des équipages pour le faire voler : une fois de plus ce sera un combat et un dialogue de sourd. Au démarrage du programme, il est envisagé de les confier à Sud-Aviation, mais André Turcat, le patron des essais en vol d'Aerospatiale y est opposé : Airbus devra donc trouver sa propre solution, et embaucher ses propres équipes d'essais en vol, sous la houlette de Bernard Ziegler, fils d'Henri Ziegler (dont la carrière et les accomplissements au sein d'Airbus vous feront vite comprendre qu'il a été engagé pour ses compétences et non pour son nom !). Les équipages appartiendront donc à Airbus, mais les moyens d'essais seront sous-traités à l'Aerospatiale, curieux mélange qui va devenir un cauchemar comptable !

Premier décollage de l'A300...peu de monde au bord des pistes pour immortaliser l'évènement !

Début 1972, Airbus accélère le pas en vue du premier vol qui approche : en mars, le moteur CF-6 est certifié, fin juillet, le premier simulateur d'A300 est livré et va permettre l'entrainement des équipages,  et enfin, début octobre, l'avion est déclaré bon pour le vol. Le premier vol est prévu pour le 27 octobre 1972, mais devra être retardé d'une journée en raison d'un fort vent d'autan…finalement, le 28 octobre, tout est prêt, et l'A300 peut faire son premier vol qui sera un grand succès, malgré un atterrissage par fort vent de travers. Le vol aura comme même lieu avec un mois d'avance par rapport au calendrier initial ! Cela faisait trois ans et cinq mois que le proramme a été lancé, ce qui n'est pas mal du tout au vu de la difficulté de l'entreprise.

Dans le même temps, les essais statiques démarrent au CEAT à Toulouse. La partie arrière de l'appareil va faire du bruit (au propre comme au figuré) en explosant sur le centre d'essais en janvier 1973…les allemands vont reprocher aux français d'avoir détruit leur tronçon de test, alors que les français accusent les allemands de l'avoir mal conçu ! Les calculs vont alors prouver que le fuselage n'a pas été testé dans de bonnes conditions et il n'y aura pas de retard sur le programme.

L'A300B1 en cours d'assemblage final...

Quelques semaines plus tard, c'est l'aile qui fait parler d'elle : l'aile britannique est soumise à des flexions pour aller jusqu'à la rupture. Avant d'arriver à la valeur fatidique des 150%, elle commence à craquer de manière sinistre, laissant présager le pire…pourtant elle va tenir et tenir jusqu'à sa valeur limite. Les test devant aller jusqu'à la destruction, on continue de les tordre cm par cm…les anglais sont livides et les français rigolent dans leur coin en pariant sur la valeur à laquelle cette aile malfichue va lâcher. Soudain, l'aile se désintègre avec un bruit d'explosion violente. Il faut attendre quelques minutes que la poussière retombe pour aller juger des dégâts…et là, c'est la consternation côté français : ce n'est pas l'aile qui a lâchée, mais le support de l'aile, fabriqué par l'Aerospatiale !

Au niveau des essais en vol, les choses avancent à toute vitesse : premier vol de l'avion 2 le 5 février 1973, puis de l'avion 3 le 28 juin et enfin l'avion 4, le premier au standard B2 prévu pour équiper Air France et Lufthansa, le 20 novembre. Hormis un aterissage très dur qui va demander 18 jours d'immobilisation, le programme d'essais progresse avec une absence de problème remarquable ! En mars 1974, l'Airbus arrive au bout de son programme de vols pour sa certification, et le 15 mars, les autorités délivrent le précieux sésame : le certificat de navigabilité de type (ou CDN) pour l'A300B2 : il peut désormais transporter des passagers ! Le 30 mai, c'est au tour de la FAA de valider le certificat de type de l'A300. Deux autres étapes sont franchies avec l'autorisation d'atterrissage tout temps obtenue fin septembre, et la certification de la version B4 le 30 avril 1975.

Maintenant, il faut séduire les clients !

L'A300 est donc sur les rails, prêt à voler pour des compagnies civiles, mais ces mêmes compagnies sont encore frileuses vis-à-vis de ce nouvel avion. L'équipe commerciale d'Airbus qui se met en place à partir d'éléments détachés par Aerospatiale et HSA principalement, cherche d'abord à séduire les compagnies des pays membres du GIE. Air France, après avoir longtemps hésité s'est finalement décidé pour la version B2 : elle commande 6 avions plus 10 options…mais sans trop y croire. Idem en Espagne : Ibéria commande à reculons : 4 commandes + 8 options. Reste Lufthansa, qui est la compagnie la plus courtisée, car la plus indépendante vis-à-vis de son gouvernement. La compagnie se décide tardivement, passant commande seulement en mai 1973 pour 3 avions + 4 options, permettant ainsi à d'autres, comme Air France d'avoir les premiers avions, et donc les soucis de jeunesse qui vont avec. Pire encore, les contrats de vente comportent une clause imposée par les clients, appelée "clause sauvage" : un client peut annuler sa commande sans frais si le carnet de commandes d'Airbus n'atteint pas 50 commandes dans les 6 mois suivants leur commande…or vous avez bien compté : on est à 13 commandes fermes…encore 37 appareils à placer…

D'autres compagnies vont rejoindre le club : Air Inter en décembre 1975, KLM en 1979. Malgré tous les efforts des commerciaux d'Airbus, UTA ne commandera jamais d'avions Airbus…malgré le fait qu'elle a transporté toutes les pièces de tous les avions Airbus à l'exception du n°1 grâce aux 2 Super-Guppies !

Dans l'ensemble, les commerciaux d'Airbus découvrent vite le plus gros défaut de l'appareil : le manque de crédibilité de son constructeur : personne ne sait qui est Airbus, et cette société juridiquement très étrange ne donne pas confiance. Il faut donner confiance en montrant les qualités de l'appareil. L'avion numéro 1, une fois sa carrière d'avion d'essais terminé, va donc être employé comme "avion publicitaire" en partant faire le tour du monde. Même si ces tournées ne débouchent pas toujours sur des commandes, elles permettent de montrer qu'Airbus existe et fait un bel appareil.

Air France sera très satisfaite de ses A300B2

De manière générale, on peut distinguer les compagnies clientes d'Airbus en 3 catégories :
  • Celles pour qui l'Airbus répond à un besoin immédiat. (Korean Airlines, Indian Airlines)
  • Celles de petites tailles qui espèrent trouver plus d'indulgence chez Airbus que chez Boeing en matière de délais et de prix (TEA, SATA, Sterling) : ces contrats sont souvent sans suite.
  • Celles qui se servent d'Airbus pour faire pression sur leurs fournisseurs américains habituels (National, Western, Quantas).
Au moment de la fin du développement de l'A300, Airbus possède un carnet de commande de 16 avions fermes, un peu moins de 3% du carnet de commande mondial…il y a encore beaucoup de chemin à faire ! De plus, après avoir essayé de vendre l'A300 en quatre monnaies différentes, les compagnies interviennent, et demandent à n'avoir qu'un prix en dollars, comme la concurrence ! Si cela arrange les compagnies, c'est un problème pour Airbus qui dès lors devient tributaire des taux de changes internationaux…un problème qui perdure encore aujourd'hui…

Le début d'une très longue aventure !

1974 permet ainsi à Airbus de rentrer dans la cour des grands : son nouvel appareil vole, mais maintenant il faut le vendre ! D'un pur produit politique, Airbus est devenu un produit industriel, voilà déjà un beau pas en avant, le tout jeune avion reste fragile  : comme souvent dans cette jeunesse d'Airbus, l'euphorie sera suivie de temps difficiles : nous sommes en 1974, c'est l'époque des chocs pétroliers et d'une crise économique, la plus grave depuis la Guerre, dont la conséquence la plus notable est l'explosion des coûts du pétrole. Ce sera le début d'une crise profonde chez Airbus que l'on appellera plus tard "la traversée du désert"…mais c'est une autre histoire !

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