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jeudi 6 février 2014

L'épopée du "Comet" (2/2)

10 janvier 1954 : le Comet "Yoke Peter" ou G-ALYP, parti de Rome pour le vol BOAC 781 s'abîme en mer près de l'île d'Elbe, sans aucune explication, l'équipage n'ayant même pas eu le temps de lancer un SOS. Le coup est rude, et la BOAC décide de retirer ses Comet du service pour inspection. Tous les appareils sont examinés, mais rien n'est découvert. Décision est alors prise de remettre les avions en service le 23 mars, le crash étant "vraisemblablement du à un sabotage".

Poste de pilotage du "Comet 4"

Deux semaines plus tard, le 8 avril, c'est de nouveau le drame : le Comet "Yoke Yoke" du vol South African Airways 201 disparait exactement de la même manière au départ de Rome, près de l'île de Stromboli. Les deux accidents sont en tout points similaires : pas d'avertissements, un vol sans histoire, à la même altitude et même vitesse. Deux crashs inexpliqués en à peine 4 mois, c'est plus qu'une coïncidence.

Le 12 avril, le certificat de vol du Comet est suspendu indéfiniment, et la ligne de montage d'Hatfield est mise à l'arrêt : toute la flotte est clouée au sol. Une commission d'enquête est nommée avec pour but de faire la lumière sur ces deux crashs. C'est le "Royal Aircraft Establishment", sous la direction de son directeur, le professeur sir Arnold Hall qui mène l'enquête. Churchill affirmera à cette occasion que "résoudre le mystère du Comet est prioritaire, quel qu'en soit le coût et les moyens nécessaires".

Un Comet 2 de la RAF


La première priorité est de retrouver les épaves. La Royal Navy était déjà sur le point de remonter l'épave du "Yoke Peter" et va intensifier ses efforts. "Yoke Peter" est tombé dans des eaux peu profondes, ce qui facilite les recherche, en revanche, le "Yoke Yoke" repose par plus de 1000 mètres de fond et la technologie de  l'époque ne permet pas d'atteindre l'épave.

Il faut donc se focaliser sur le "Yoke Peter". Les premiers éléments remontés confirment la thèse de la décompression explosive : la cabine aurait donc explosée en plein vol, ce qui explique les nombreuses fractures notées sur les corps des victimes qui ont été repêchées dans l'eau. Mais d'où vient cette rupture, survenue sur un avion encore jeune ?

Reconstruction du "Yoke Peter"

On monte un "squelette" de Comet dans un hangar du Royal Aircraft Establishment. Chaque pièce remontée est inspectée, photographiée, et identifiée, avant de prendre sur la structure la même place qu'elle avait sur l'avion. Cette méthode n'avait jamais encore été utilisée à cette échelle, mais elle sera la clé pour comprendre le drame. La pièce du puzzle qui va permettre de résoudre l'énigme est remontée quelques semaines plus tard : il s'agit d'une section du haut du fuselage contenant les antennes ADF, et qui comporte deux ouvertures rectangulaires. L'équipe d'Arnold va alors découvrir la cause du problème : une crique de fatigue. Le monde entier va alors découvrir la fatigue du métal : à la manière d'un trombone que l'on plie encore et encore au même endroit qui finit par rompre, le fuselage de l'avion qui est pressurisé puis dépressurisé à chaque vol finit par se rompre. Cette découverte va alors faire comprendre la vulnérabilité du Comet : les ouvertures rectangulaires, et plus spécifiquement les hublots, dont chaque coin est vulnérable, car soumis à de très fortes pressions, de l'ordre de deux à trois fois celle appliquée au fuselage. Plus de 70 pour cent de l'avion sera remonté à la surface lors des opérations de relevage.

Près de 70% de l'appareil sera reconstitué


Pour vérifier cette hypothèse, le Comet "Yoke Uniform" va être sacrifié : installé dans une immense piscine, il va être soumis en entier à des cycles répétés de pressurisation, jusqu'à la rupture. Le 24 juin 1954, après seulement 3057 cycles, une fenêtre se rompt, et le fuselage explose, prouvant la théorie d'Arnold.

Les fenêtres des ADF du Yoke Peter

Et maintenant je veux m'arrêter un peu à ce moment de l'histoire : s'agissait-il d'une erreur de design ? C'est un peu ce que j'entends et que je lis : "ils ont voulu aller trop vite et voilà le résultat !" Ce n'est pas exact.

Evidemment, il est facile aujourd'hui, 60 ans plus tard de critiquer les choix de Havilland lors du design du Comet…et pourtant, les ingénieurs qui l'ont conçu n'étaient ni idiots, ni ignorants : ils ont fait des tests : Le Comet à subi énormément de tests de pression, et tout le cockpit avait même subi un essai de pression : plus de 16 000 cycles en piscine, presque 20 ans de vol. D'autres tests de pression avaient été réalisés sur les fenêtres : plus de 2000 cycles à une pression supérieure à l'altitude de vol, et les fenêtres s'étaient bien comportées.

Le "Yoke Uniform" dans la piscine

Si le Comet a été aussi bien testé, comment se fait-il que l'on ait rien vu ?

En fait, le fuselage entier n'a jamais été mis en piscine, et n'a donc jamais été testé entièrement : les essais qui ont eu lieu ont bien simulé la charge, mais de manière incomplète car personne n'avait suspecté ce problème de fatigue : le talon d'Achille du Comet n'a donc pas été vu lors des tests.

Il est donc regrettable que le Comet et ses concepteurs soient depuis associés à une faute de design : en effet, il est facile de critiquer 60 ans après, mais à l'époque, personne ne savait ce qu'était la fatigue du métal…dès lors comment critiquer le bureau d'étude de Havilland ? Ils n'ont pas commis de faute, ils sont justes allés plus loin que toutes les autres firmes, se heurtant par la même occasion à un phénomène physique encore inconnu  aucun avion avant le Comet n'avait volé aussi haut, aussi vite et aussi fréquemment ! L'analyse des crashs du Comet a eu des conséquences au niveau mondial, et ses effets se font encore sentir aujourd'hui. Hélas pour l'équipe d'Hatfield, 3 appareils et leurs passagers devront être perdus pour comprendre ce phénomène. L'enquête est close le 24 novembre 1954.

Hublot du "Yoke uniform", l'origine de la rupture.

Le Comet allait survivre…mais cette fois, les Boeing 707 et autre Douglas DC-8 étaient sur le point de voir le jour : l'avancée technique de Havilland allait être perdue : tous les Comet 1 et 1.A seront retirés du service sur le champ, les principales commandes de Comet 2 étant annulées. De Havilland s'embarque alors dans un programme de remise à niveau du Comet : nouveaux hublots ronds, épaisseur du fuselage renforcée, nouveaux alliages.

Les Comet 2 déjà produits seront renforcés et serviront au sein de la RAF en tant que Comet "C2". Le premier prototype du Comet 3 vole dès juillet 1954, mais ne peut pas être pressurisé (et donc voler à haute altitude) avant la fin de l'enquête sur les crashs. D'autres modifications seront effectuées, donnant naissance à la version la plus aboutie du Comet, et qui aura le plus de succès : le Comet 4. la BOAC commande 19 appareils de ce type en mars 1955, suivi par d'autres compagnies. Le Comet 4 fait son premier vol le 27 avril 1958, et reçoit un nouveau certificat type le 24 septembre 1958, avant d'être livré à la BOAC le lendemain.

Panneau du mécanicien navigant du "Comet 4"

Le 4 octobre 1958, la BOAC inaugure en grands pompe le premier service régulier transatlantique par jet, mais il est déjà trop tard : trois semaines plus tard, la Pan Am inaugure sa propre ligne New-York Londres en jet, avec un nouvel appareil : le Boeing 707, complété l'année suivante par le DC-8. Arriva ce qui devait arriver : la BOAC entre en négociations avec Boeing pour se doter de 707, face à son coût d'exploitation plus faible.

D'autres versions du Comet 4 verront le jour, se différenciant par leur rayon d'action et leur charge utile : Comet 4A, 4B, 4C. Le Comet 4A pourra ainsi acceuillir jusqu'à 99 passsagers, dans sa configuration pour British European Airways. Cette version sera commandée par Aerolineas Argentinas, ou encore East African Airways. Le comet ne servira pas beaucoup comme avion transatlantique, se contentant à la place de trajets à l'intérieur des continents, surtout au sein de l'empire britannique, comme le Comet 1 le faisait en son temps.

Ecorché du "Comet 4"


Le Comet 4B effectue son premier vol en octobre 1959, qui se différenciait du 4A par des ailes rallongées et des réservoirs supplémentaires, il sera commandé par Kuwait Airways, Missle East Airline, United Arab Airlines et Sudan Airways : autant de compagnies du Golfe des anciens protectorats anglais.

Pourtant, le vent tourne rapidement : dès 1959, la BOAC retire le Comet des routes transatlantiques, libérant les appareils pour les autres compagnies britanniques. Pour ne rien arranger, la fusion des entreprises britanniques commence, et de Havilland est absorbé par Hawker Siddeley, ce qui réduit encore les efforts commerciaux pour vendre le Comet : de 1958 à 1964, alors que toutes les compagnies commencent à s'équiper en long courrier, seulement 78 Comet sont livrés, alors même que la BOAC retire son dernier Comet en 1965.

Les Comet vont encore voler en service commercial, principalement grâce à Dan-Air, une compagnie court-courrier anglaise. Elle possédait à une époque les 49 derniers Comet encore en état de vol dans le monde !

Dan Air sera sans doute la compagnie qui sera la plus fidèle au "Comet"


Malgré cela, l'ère du Comet était terminée. En plus des crashs du Comet 1, l'absence de commande venant du marché américain avait déjà scellé son destin. Pourtant malgré son échec relatif, Comet avait déjà emmené l'industrie britannique dans l'ère du jet, et plus encore, du jet transportant des passagers. Que ce soit en terme de structure ou de propulsion, le monde ne sera plus le même après le DH-106. D'autres avionneurs comprendront cette tendance, et finiront par dépasser le Comet en matière de conception, en tirant des leçons de ce que de Havilland avait si durement appris.

Le dernier vol "connu" d'un Comet remonte au 14 mars 1997, où le Comet 4C "Canopus" a effectué son dernier vol. Vous connaissez déjà ce Comet : il est à Bruntingthorpe !

Un luxe qui fait rêver aujourd'hui...

Tout au long de sa carrière, le Comet aura connu 26 crashs, et fait près de 426 victimes, mais seulement 3 crashs seront attribués à la fatigue du métal sur les Comet 1.

L'héritage du Comet se retrouve dans le "Nimrod", avion de lutte anti-sous-marine développé par Hawker Siddeley. Il s'agit en fait d'un Comet ayant eu un fuselage redessiné pour accommoder des radars plus volumineux et une soute à torpilles, mais ses ailes et moteurs sont identiques à ceux du Comet….et les "Nimrod" ont volé jusqu'en 2011 !

Le "Nimrod", héritier du "Comet"

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