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jeudi 30 octobre 2014

On ne touche pas à la cigogne de l'escadrille !

Tout au long de la Guerre Froide, il y avait des "échanges" au sein des armées de l'air des pays de l'OTAN : des pilotes d'une nation venaient s'entraîner sur une base étrangère pendant plusieurs semaines, avant de repartir et de faire un échange réciproque. C'est ainsi qu'en novembre 1976, des aviateurs britanniques du No.1(F) Squadron arrivent en échange sur une des bases la plus célèbre de l'Armée de l'Air : Dijon, en échange avec l'escadre 1/2 des cigognes. Ils arrivent avec quatre "Harrier" GR.1 et un T.2, biplace d'entrainement, le XW934. Malheureusement, le biplace se posera un peu rudement et va endommager sa quille ventrale, ce qui va le mettre hors service…au grand dam des pilotes français qui auraient bien aimés faire un tour en place arrière !

Un Mirage III...zappé !


La tradition voulait qu'à chaque échange, on "zappe" un appareil, c'est-à-dire l'affubler d'un nose art humoristique (parfois gentillet, parfois d'un goût discutable, les aviateurs restent des aviateurs) !

C'est l'équipage de la RAF qui va frapper en premier, mais ils vont s'attaquer au symbole de l'escadrille : la cigogne ! C'est ainsi qu'une équipe de la RAF va peindre sur la dérive d'un Mirage IIIE un dessin "humoristique" (dixit les britanniques en tout cas !) représentant un Harrier britannique en train de faire des choses pas très propres à la cigogne de l'escadre.

Les aviateurs français sont outrés que l'on s'attaque ainsi au symbole de leur escadrille et ils vont jurer de se venger. L'occasion se présente la veille du départ des aviateurs britanniques : une réception est donnée en leur honneur, et plus personne ne surveille les Harriers, et encore moins celui qui est en réparation : le biplace ! Une petite équipe commando va agir et "zapper" le Harrier biplace !

On distingue le Harrier qui ...bon bref cigogne tout ça...


C'est ainsi que le lendemain matin, les aviateurs britanniques ont la surprise au moment des adieux de découvrir un de leur Harrier…entièrement peint en rose ! Oui, la vengeance fut aussi terrible que cela : le Harrier biplace sera entièrement repeint dans des tons rose, blanc et rouge, le tout avec des yeux peints sur les côtés du fuselage, lui donnant un look manquant de virilité pour ne pas dire plus ! La peinture avait été faite en masquant soigneusement les antennes et les entrées d'air de manière à ne pas endommager l'appareil, ce qui fait qu'il restait en état de vol. L'heure du départ étant arrivé, il n'était pas question de le retarder, les pilotes britanniques vont donc partir avec le Harrier en l'état pour rentrer chez eux, sous les rires de l'ensemble du personnel de la base venu assister au spectacle ! Très fair-play, le biplace fera un survol à basse altitude de la base sous le nom d'appel "Pink" !

Nouveau look pour le Harrier britannique !


De retour chez lui, ce "Harrier" rosé ne fera pas rire tout le monde : le Squadron Commander de la base de RAF Wittering n'est même pas amusé du tout : il va ordonner que personne ne parte en week-end tant que l'appareil n'a pas retrouvé sa livrée règlementaire : il part donc en hangar de peinture pour être lavé, et là c'est la consternation : les gars de Dijon n'ont pas employé une peinture aéronautique qui part à l'eau, ce qui semble logique vu que la teinte rose n'est pas un standard des armées, mais à la place ils ont utilisé une belle peinture à l'huile, qui ne part pas, même en frottant avec tous les détergeants agrées : après une journée d'effort, force est de constater que le "Harrier" est toujours aussi rose, et les équipes de peinture sont épuisées après avoir tout essayé pour l'enlever. Finalement, il faudra le renvoyer chez le constructeur pour qu'il soit démonté, sablé et entièrement repeint aux couleurs règlementaires !

Jamais Harrier n'a porté décoration aussi osée !


Peu de temps après, le commandant de la base anglaise écrira à son homologue français pour lui dire que cet échange avait été des plus instructifs, mais que si jamais un Mirage devait se poser à Wittering, son pilote devrait rentrer à pied ! Quelques années plus tard, la même escadrille repartira en échange, mais avec l'escadre 92 allemande…mais cette fois les anglais détacheront également des soldats pour garder leurs appareils jour et nuit…on ne sait jamais !

Bref, on ne touche pas à la cigogne !

lundi 27 octobre 2014

Le filet attrape-Concorde

Je vous ai déjà parlé plusieurs fois de l'aventure Concorde sur ce blog, que ce soit pour la mise au point de l'appareil ou encore ses commandes de vol, mais pour mettre au point Concorde, il faudra également mettre au point bon nombre d'équipements annexes, qui ne sont pas toujours aussi "glamour" que le supersonique. C'est le cas de la barrière d'arrêt.

Lors de la mise au point de Concorde, une des craintes de l'Aérospatiale était que vu les vitesses d'approches élevées de l'appareil, si jamais ses freins faisaient défaut, il ne termine dans le décor en fin de piste : pour éviter cela il fallait rallonger la piste, mais l'Aérospatiale décidant de la jouer avec ceinture et bretelles va également demander à mettre au point une barrière d'arrêt capable d'arrêter Concorde en bout de piste avant qu'il ne sorte de piste.

C'est Aérazur qui va relever le défi du filet attrape-Concorde


Le concept de la barrière d'arrêt n'était pas nouveau en soi : ils étaient largement utilisés sur les porte-avions, et même à terre pour récupérer certains appareils lors de vols d'essais qui ne se passaient pas comme prévu. Une des sociétés ayant mis au point un filet de ce genre était la société Aérazur. Original, son filet se composait de plusieurs sous-filets composés de grandes lanières de nylon verticales, reliées par un câble tendue en travers de la piste à une hauteur de quelques mètres : même en cas de rupture de lanières, le filet garde son intégrité, car les sous-filets sont indépendants. Un système de freins permettait de détendre le filet et amortir l'impact de  l'appareil dedans. Le système marchait très bien pour rattraper des chasseurs dont le poids avoisinait la dizaine de tonnes, voire même la vingtaine mais guère plus…avec Concorde, on passait à 150 tonnes, soit presque dix fois plus !

Le filet Aérazur était utilisé depuis le début des années 60 sur la base de Bretigny, avec succès, mais l'armée de l'air ne disposant d'aucun appareil pouvant "simuler" Concorde, il sera décidé de demander l'aide des américains, qui comme souvent acceptèrent. C'est ainsi que mi-décembre 1967, une délégation française va emmener le fameux filet à Edwards AFB aux Etats-Unis pour le tester grandeur nature grâce au prêt d'un B-52 déclassé gentiment donné par les américains pour les tests. Même si le b-52 ne ressemble en rien à Concorde, il présentait l'avantage d'être de masse et d'encombrement similaire. La mission ne sera pas simple : entre les bras de fer avec les douanes pour importer puis exporter le filet, sans parler du fait que décembre est la pire période de l'année à Edwards : des pluies violentes inondent les lacs asséchés, les rendant impraticables. Malgré les difficultés, la mission est un succès et permet d'affiner le design du filet. Mais il reste la grande inconnue : comment est-ce que Concorde lui-même se comportera face à lui ?

L'USAF va prêter un B-52 pour les essais sur la base d'Edwards...


La nouvelle barrière est ainsi installée au nord de la nouvelle piste de l'aéroport de Blagnac dédiée aux essais de l'Aérospatiale, et le Concorde 001 sera utilisé pour les premiers essais statiques : en Août 1968, bien avant son premier vol, le prototype de Concorde est amené et tracté très lentement dans le filet pour voir comment celui-ci "enveloppe" le bel oiseau blanc.

Le haut du filet glisse lentement sur l'appareil, alors que les lanières l'entourent, et le haut du filet va buter sur une antenne radioélectrique située au sommet de l'appareil : l'ingénieur en charge des essais demande une échelle pour monter y voir de plus près. Un responsable programme qui était là lui demanda d'ailleurs de monter en chaussette pour ne pas laisser de traces de semelles sur le beau prototype qui sortait de l'atelier peinture ! Son épouse qui assistait également à l'essai lui lança "pourvu qu'il n'ait pas de trous à ses chaussettes"…décrochant ainsi un regard furieux de son mari !


Concorde 001 sera amené devant la barrière très lentement pour ne pas l'abimer

L'antenne posait problème : affutée comme un rasoir, elle était conçue pour fendre l'air à mach2, mais risquait de trancher net la partie haute du filet, qui regroupait toutes les lanières des sous-filets : si cet élément était tranché, le filet s'ouvrait en deux ! Il sera finalement décidé de remplacer cette antenne par une autre plus arrondie pour les essais, Concorde ne devant pas utiliser de barrière en service commerciale, l'antenne Mach 2 pourrait être remontée par la suite.

Les ingénieurs demandèrent des tests, et les tests furent effectués : on monta donc l'antenne Mach2 sur un chariot lancé à la bonne hauteur contre le filet qui avait été remonté à Istres, et cet essai fut concluant : le filet étant coupé net ! L'antenne modifié sera essayée dans les même conditions et donnera d'excellents résultats, passant sous le filet.

001 est glissé lentement à travers les mailles du filet...


Une fois ce problème réglé, il restait à qualifier l'ensemble détecteurs + barrière + freins de manière dynamique, c'est-à-dire avec un avion lancé à pleine vitesse. Comme il était hors de question d'utiliser un prototype de Concorde, Aérospatiale va confier cette mission à la Caravelle d'essais 02. L'expérience demandera de monter deux cinéthéodolites pour mesurer précisément la vitesse de l'infortunée Caravelle ainsi que des caméras à haute vitesse et des capteurs d'efforts pour ne rien rater du spectacle.

Par trois fois, la Caravelle va engager la barrière...


Cette opération très lourde sera renouvelée trois fois, les 28 novembre puis 3 et 6 décembre 1968, respectivement avec une vitesse d'entrée au filet de 80, 85 puis 95 nœuds. Pour les trois vols, la Caravelle était commandée par Gilbert Defer, celui-là même qui fera le premier vol du Béluga bien des années plus tard ! Les deux premiers essais se déroulèrent parfaitement bien, en revanche, au cours du 3ème, une pièce du filet se rompit d'un côté, mettant la Caravelle de travers sur la piste, mais sans que cela porte à plus de conséquences. Un examen attentif de la pièce montrera qu'elle avait cédée par fatigue et non par efforts excessifs. La Caravelle ne souffrira que de quelques bosses sur les bords d'attaques des ailes, mais sans plus : elle terminera ainsi sa carrière, étant par la suite ferraillé, seul son nez à été sauvé et se trouve aujourd'hui au musée du Bourget.

Le filet sera entièrement inspecté et réparé suite à ces essais, avant d'être déclaré opérationnel pour Concorde, mais la qualité des freins de Concorde étant très bonne, Concorde n'utilisera jamais cette barrière, qui sera démantelé à la fin du programme d'essai vers 1976 !

jeudi 23 octobre 2014

Interceptions de "Bear"

Tout au long de la Guerre Froide, les F-15 "Eagle" du 57th Fighter Interceptor Squadron, aussi surnommés les "Black Knights" ("chevaliers noirs"), avaient une mission très spéciale : intercepter tous les avions soviétiques qui tentaient de s'approcher des forces de l'OTAN, histoire de les forcer à faire demi-tour si besoin.  Dna sle cadre de leur mission, ils devaient souvent intercepter des Tupolev 95 "Bear" en maraude dans le triangle Irelande / Islande / Royaume-Uni.

Ces missions étaient toujours pleines de tensions : le risque d'un accident en serrant de près un grand bombardier soviétique…mais elles furent aussi l'occasion de quelques rencontres "intéressantes" !

Bear en vue !


Par exemple, la version de lutte anti sous-marine du "Bear" était dotée d'un spot d'illumination blanc très puissant; lors des quelques rencontres nocturnes avec les F-15, les "Bear" de ce type avait pour habitude d'allumer et de faire tourner le faisceau du spot histoire d'illuminer et de désorienter le pilote de l'"Eagle" intercepteur…cette pratique dura jusqu'au jour ou un pilote du 57th FIS eut l'idée de rendre au pilote du Bear la monnaie de sa pièce : lors d'une interception le long d'un Bear, il va allumer la postcombustion, laissant littéralement le Bear sur place, avant de faire demi-tour, d'ouvrir ses aérofreins et de descendre ses roues pour casser sa vitesse. Allumant ses feux d'aterissage, il va foncer sur le Bear dont on peut penser que l'équipage sera traumatisé ! Plus aucun Bear nocturne ne fera l'idiot avec son spot après cet incident, et le pilote de l'Eagle sera réprimandé pour sa créativité et l'accident qui aurait pu en résulter…

L'US Navy interceptait également les "bear"


Autre rencontre mémorable : les soviétiques ayant l'habitude de photographier tous les équipements "nouveaux" repérés sur les "Eagle", les mécaniciens du 57th FIS vont bricoler un faux pod de guerre électronique, en prenant un pod à bagage standard, et en lui soudant une antenne de télévision et des bouts de fil de fer autour. Lors de l'interception suivante, un F-15 d'alerte décollera avec ce "nouveau pod", qui ne manquera pas d'être photographié sous toutes les coutures par l'équipage du bombardier soviétique !

Des gestes amicaux de la part de l'équipage de ce Tupolev...


Les interceptions étaient aussi souvent le moyen de communiquer avec les équipages de l'autre camp…certains jeunes "hotshots" américains en profiteront donc pour promouvoir la culture américaine, en l'occurrence en affichant…le poster central de "Playboy Magazine" du mois sur le canopy ! Les équipages de "Bear" devenaient souvent plus accueillant à la vue de cette pancarte improvisée…en une occasion, à la vue du fameux poster, l'équipage du Bear va sortir et rentrer plusieurs fois la perche de ravitaillement en vol de leur appareil, vous savez, la partie avant rétractable que l'on appelle familièrement "le gland"….

La perche de ravitaillement du "Bear" est en partie rétractable...

lundi 20 octobre 2014

B-52 : la saga du BUFF (3/3)

Au début des années 80, les B-52 sont déjà en service depuis près de 25 ans...et pourtant aucun plan ne prévoit de les remplacer : ils seront même modernisés, grâce à un renouvellement de tous les calculateurs. Un ordinateur IBM AP-101 est monté à bord, comme sur le B-1B et la navette spatiale. Les plus vieux BUFF sont cependant retirés du service : en octobre 1983, le dernier B-52D arrive au "Boneyard" de Tucson, et marque la fin de la première génération des B-52 : à partir de cette date, il ne restera plus que les nouvelles générations en service, à savoir les B-52 "G" et "H"

Le B-52H, dernière version encore en service...


En 1989, le mur de Berlin va tomber, et l'Union Soviétique suivra peu de temps après : le B-52 va ainsi perdre sa mission première de dissuasion : le 27 septembre 1991, les derniers B-52 en alerte nucléaire sont mis au repos, et leurs armes démontées. Il n'y aura désormais plus de B-52 armés et prêts à décoller sur alerte, même si appareils et missiles nucléaires sont gardés en état pleinement opérationnel au cas ou…le B-52 restant disponible pour des missions conventionnelles si besoin, ce qui ne tardera pas à arriver, puisque le B-52 participera à la première Guerre du Golfe en 1991 : 74 des 90 B-52 "G" encore en service vont participer à cette campagne, effectuant près de 1740 sorties de combat depuis les bases de Diego Garcia dans l'océan indien ou de Moron AB en Espagne, voire directement de Barksdale AFB en Louisiane !

De nombreux BUFF seront ferraillés avec la fin de la Guerre Froide


Au début des années 90, avec l'entrée en vigueur des traités de désarmement, l'USAF va retirer les derniers B-52G, le dernier étant convoyés à Davis-Monthan le 5 mai 1994. A cette date, il ne restait plus que des B-52H en service. Tous les B-52G seront ensuite découpés à l'aide d'une immense guillotine en application des traités de désarmements. Coupés en cinq morceaux, à savoir les ailes découpées et le fuselage coupé en trois, la carcasse était ensuite exposé au milieu du Boneyard pour permettre aux satellites espions soviétiques de compter le nombre de bombardiers ainsi démantelés : pas moins de 365 bombardiers seront ainsi ferraillés !

La fin de la Guerre Froide donne lieu à des scènes surréalistes !


Il ne restera alors que le modèle "H" en service au sein de l'USAF, le seul encore en service à l'heure actuelle. Pourtant, le maintien en service du B-52 était loin d'être une évidence : avec le démantèlement du Startegic Air Command en 1992, et la fin des alertes nucléaires, il était possible de mettre le B-52 à la retraite…après tout, les bombardiers de nouvelle génération comme le B-1 "Lancer" ou le B-2 "Spirit" venaient d'entrer en service…mais il y avait un point sur lequel le B-52 ne pouvait pas être remplacé : sa versatilité et son faible coût d'exploitation ! Avec le retrait du B-52H, il ne reste plus que deux bases équipées de B-52, à savoir Barksdale AFB en Louisiane et Minot AFB dans le Dakota du nord, chaque base possédant environ 35 appareils.

Une force encore très crédible

Tout au long de leur carrière, les B-52 seront modernisés pour pouvoir lancer les armements les plus modernes de l'USAF et ainsi rester à la pointe de la technologie en première ligne. C'est ainsi que le missile "Hound Dog" sera rapidement remplacé par les missiles AGM-69 "SRAM", lui-même remplacé dans les années 80 par l'ALCM ou "Air Launched Cruise Missile". En 1991, l'USAF commencera également à retirer les canons des B-52H : remplacés par un carénage à l'arrière, le canonnier finira ainsi par disparaître du B-52, mais aussi de l'USAF qui était le dernier appareil à employer ce type de défense !

Dans le "rez de chaussé" du B-52 : plus rien à voir avec les années 60...


Le B-52 sera ainsi appelé une nouvelle fois en action en Irak pour le maintien des "no fly zone" en 1996 : ce sera la première utilisation du B-52H au combat. Ils seront de nouveau engagés en 1999 pour l'operation "Allied Force" au Kosovo et en Serbie. 8 B-52H basés à Fairford feront plusieurs missions de bombardement sur des objectifs militaires serbes. Malgré ces missions couronnées de succès, le plus gros engagement des B-52 sera la guerre contre le terrorisme à partir de 2001 : lancement de missiles de croisière, appui de feu pour les troupes le tout depuis la base de Diego Garcia dans l'océan Indien. A partir de 2003, le BUFF sera également engagé contre l'Irak : 28 B-52 seront mobilisés pour la campagne choc américaine depuis les bases de Fairford et Diego Garcia. Le B-52 aura d'ailleurs le meilleur taux de disponibilité des trois types de bombardiers mis en œuvre par l'USAF : plus de 80% contrairement au 53% des B1 voire 30% pour les B-2 !

En 2006, le B-52 marquera une autre première : il sera le premier jet militaire à voler avec du carburant synthétique, d'abord sur deux moteurs puis sur les 8 ! Les vols sont couronnés de succès ouvrant la voie à une utilisation plus large de biocarburant au sein de l'USAF, qui cherche à réduire par tous les moyens sa dépendance énergétique en pétrole.

La puissance américaine en action : le tapis de bombe...


En 2007, le BUFF sera équipé d'un pod de désignation laser, lui permettant de cibler ses propres objectifs avec des munitions guidées de précision de la gamme Paveway. C'est également en Août 2007 que le BUFF sera impliqué dans un incident de type "Bent Spear" qui aura de lourdes répercussions.

En janvier 2013, il ne restait que 78 B-52 en service sur les 744 qui ont été produits, et les appareils les plus anciens sont progressivement retirés du service quand il n'est plus économiquement possible de les maintenir en état, ceux qui restent utilisent récupèrent un maximum de pièces de ceux qui partent à la retraite.

Le B-52 testera avec succès les moteurs du futur C-5 Galaxy...mais ne bénéficiera pas d'une remotorisation


Malgré de nombreuses discussions, la remotorisation des B-52 par des RB211 a été envisagée mais n'est toujours pas à l'ordre du jour; cela permettrait pourtant de remplacer les huit TF33 par quatre moteurs beaucoup plus puissants et moins gourmands. Le BUFF a pourtant déjà été utilisé avec succès pour tester les moteurs du C-5 "Galaxy", prouvant que le remplacement de deux moteurs par un seul était faisable…mais remotoriser toute la flotte coûte cher, et l'USAF ne veut pas forcément faire trop de dépenses pour maintenir les B-52 en l'air face aux coûts exorbitants d'autres programmes comme le F-35 par exemple; le coût avancé par Boeing de 2,5 milliards de dollars (36 millions de dollars par appareil environ) ne semble pourtant pas si élevé que cela !

Après pas loin de 60 ans de service, le B-52 n'est toujours pas proche de la retraite : l'USAF espère garder ses B-52 jusqu'en 2040 au moins ! Dans cette optique, Boeing à déjà reçu un contrat pour modifier les éjecteurs rotatifs de bombes pour qu'il puissent acceuillir des munitions intelligentes qui pour l'instant ne peuvent être portées que sur les pylônes d'ailes. Si aujourd'hui trois bombardiers peuvent transporter 36 bombes intelligentes, grâce à cette modification, deux bombardiers pourront en emporter 40 !

L'accident sera causé par la stupidité du pilote, il y aura 4 tués tous à bord de l'appareil

Le B-52 connaitra de nombreux accidents tout au long de sa carrière : certains accidents eurent une publicité mondiale comme les accidents de "Chrome Dome", dont celui de janvier 1968 qui mit fin aux vols avec armes nucléaires à bord, d'autres lors de missions d'entrainement ne firent pas grand bruit. Plusieurs crash cependant furent causés par des problèmes techniques, comme des conduites de carburant gelées ou l'arrachement de la dérive arrière. De nombreux accidents sur B-52 furent provoqués par les conditions même de l'emploi de ce bombardier sur lequel reposait la dissuasion américaine : volant par tous les temps, effectuant de nombreux ravitaillement en vol ou encore les fameux "MITO", Minimum Intervall Takeoff, où les appareils décollent en séquence, un toute les 15 secondes etc… On peut ainsi signaler un accident d'un B-52G le 16 décembre 1982 : au cours d'un exercice "MITO", le B-52 de tête décolle "à sec", c'est-à-dire sans utiliser l'injection d'eau, alors que le 57-6482 qui est juste derrière utilise son injection d'eau, et il commence à rattraper l'appareil de devant. Le pilote s'en rend compte et va ramener les gaz à plus faible puissance. La réduction des gaz couplées aux gaz chaud de l'avion de devant fait que quatre des huit moteurs s'arrêtent, et l'appareil décroche avant de s'écraser en bout de piste, les neuf membres d'équipage sont tués. Un autre crash très spectaculaire aura lieu le 24 juin 1994 : au cours d'un show aérien sur la base de Fairchild AFB, le pilote, qui était connu pour son attitude agressive et dangereuse, dépasse les limites de sécurité et va faire décrocher l'appareil dans un virage serré : l'appareil s'écrase au sol dans une énorme boule de feu à quelques centaines de mètres des familles des pilotes qui regardaient le spectacle. La vidéo de l'accident fera le tour du monde.

Des accidents souvent dramatiques...


La longévité du BUFF est remarquable : imaginez que de la mise en service du B-17 à celle du B-52, il ne s'est écoulé que 17 années, ce qui signifie qu'un jeune mécano ayant commencé sur le B-17 à pu finir sa carrière sur B-52 : imaginez le changement ! Cela signifie aussi que les premiers pilotes de B-52 sont à la retraite depuis longtemps, et avec une date de retrait estimée à 2040, il est possible que les derniers pilotes de B-52 sont encore en maternelle à l'heure actuelle ! Le B-52 aura ainsi marqué le XXème siècle et il continue encore de symboliser la puissance américaine de part le monde, plus de 60 ans après sa mise en service !

Un équipage de BUFF en action au cours d'un entrainement...

lundi 13 octobre 2014

B-52 : la saga du BUFF (2/3)

Tout au long de l'année 1955, l'US Air Force commence à recevoir son nouveau bombardier : le B-52B. Il va remplacer les vieux B-36 unité par unité, et il sera le premier à rentrer en service à grande échelle au sein de l'USAF.

Le B-52 va progressivement évincer le B-36 du service


Comme pour beaucoup d'appareils, le B-52 aura quelques soucis de jeunesse : on peut citer tout un tas d'ennuis logistiques avec l'acheminement des pièces de rechanges sur les différentes bases de l'USAF, mais aussi des soucis plus techniques, comme avec la climatisation qui ne possédai qu'un seul réglage pour l'ensemble de la cabine : les pilotes mourraient de chaud en haut avec le soleil, pendant que navigateur et bombardier se gelaient les os en bas, vu qu'il n'y avait aucun hublot ! Le B-52 posait des problèmes sur les bases : son poids endommageait les taxiways, et l'USAF ne possédait pas suffisamment de hangar couverts pour les abriter pour les opérations de maintenance courantes ! Plus grave cependant : le système de carburant connaissait de nombreuses fuites et de nombreux cas de gel, posant parfois un danger pour l'équipage. C'était notamment le cas en cas de rupture d'une conduite de carburant dans le système de ravitaillement en vol qui passait pile au dessus du cockpit : plusieurs cas d'inondations en vol ont ainsi été rapportés en début de service opérationnel.

L'USAF entre dans une nouvelle ère avec le B-52...


Le 21 mai 1956, un B-52B va larguer pour la première fois une bombe thermonucléaire au dessus de l'atoll de Bikini, démontrant ainsi la capacité de bombardement nucléaire de l'appareil. Cet essai sera suivi en novembre de la même année par une mission d'endurance : dans le cadre de l'opération "Quick Kick", 4 B-52 vont parcourir près de 25000km en l'espace de 32 heures, en tournant en rond autour de l'espace aérien nord-américain; l'USAF notait à cette occasion que si elle avait disposé d'un jet de ravitaillement en vol au lieu des vénérables KC-97, leurs temps de vol aurait pu être réduit de 5 à 6 heures !

L'arrivée du C-135 et surtout du KC-10 va faciliter les ravitaillements en vol

La version suivante sera le B-52E, une version extérieurement identique au D, mais avec un système de bombardement amélioré, qui fait son premier vol le 3 octobre 1957, dont une centaine d'exemplaires seront construits, avant l'arrivée en 1958 d'un nouveau modèle plus puissant du réacteur J-57, qui va donner naissance à la version B-52F, dont 89 seront construits.

Le secret du B-52 : ses 8 moteurs J-57


En plus du nouveau moteur, cet appareil disposait d'un système d'injection d'eau encore plus puissant pour le décollage. L'un des B-52E sera modifié comme banc d'essai volant avec des plans canards pour tester un système de réduction des vibrations à basse altitude. L'expérience sera un succès mais sans suite.

Le B-52D sera la principale version en service au cours des années 60


Durant les premières années suivant sa mise en service, le B-52 va rapidement devenir un élément indispensable du SAC : c'est lui qui va assurer les missions d'alerte permanente, et surtout les alertes nucléaires en vol avec les fameuses missions "Chrome Dome". La plupart des B-52 de cette époque porteront une livrée aluminium avec une livrée blanche anti-flash sur le ventre. Le B-52 va également gagner son surnom de "BUFF" pour "Big Ugly Fat Fu…" ou "Gros sa… grand et moche"…mais c'est affectueux !

Lors du conflit vietnamien, la livrée argentée disparaîtra au profit d'une livrée camouflée avec le ventre peint en noir, plus discrète


Le changement de tactique, passant d'un bombardement à haute altitude à basse altitude ne sera pas bon pour les B-52 : les appareils vieillissent 8 fois plus vite à basse altitude qu'à haute altitude : il faudra lancer plusieurs programmes d'inspections et d'extensions de vie des cellules en urgence : la "peau" et les longerons de certains appareils seront remplacés en 1966-67, les ailes modifiées en 1964

L'ultime version, le B-52H, avec ses moteurs à double flux.


Viendront ensuite les versions nouvelles générations du B-52 : les "G" et "H". La naissance de ces nouvelles versions remonte à 1956, lorsque Boeing fait une proposition à l'USAF pour capitaliser sur le développement du B-52 et donner naissance à une version avancée, permettant de compenser le retard d'autres programmes comme le B-58. Le B-52G sera ainsi pensé comme un nouvel appareil, bien que reprenant la structure du B-52 de base, mais avec des améliorations tant au niveau de l'électronique que des matériaux. Au niveau des modifications remarquables, on peut citer :

Canon de queue d'un B-52D, qui sera remplacé par une tourelle téléopérée sur les nouveaux bombardiers.


  • La disparition du cannonier de la queue de l'appareil, avec un nouveau poste d'équipage à l'avant d'où il pouvait opérer le canon grâce à un circuit de télévision.
  • L'apparition d'une "aile humide", à savoir le remplacement des réservoirs de carburant souples à l'intérieur de l'aile par une aile étanche, pouvant contenir plus de carburant. Plus simple à maitenir, les ailes vieillissaient plus rapidement que le vieux modèles, et il faudra les renforcer en 1964.
  • Un gouvernail vertical plus petit, raccourci de 2,4m
  • Un système de caméra installé sous le nez de l'appareil, permettant la désignation des cibles grâce à un système tout-temps (Système constitué d'une caméra infrarouge et d'une autre à amplification de lumière.
  • Et surtout, la plus grosse modification : le B-52G avait été reconçu pour devenir un porteur de missiles de croisière : comme beaucoup de bombardiers de l'époque, il n'était plus suffisant de transporter des bombes larguées par gravité, fussent-elle nucléaire ou non, il fallait aussi pouvoir transporter des missiles pour augmenter la portée du bombardier : le "G" pouvait donc transporter deux missiles AGM-28 "Hound Dog" grâce à des pylônes montés sous les ailes, de même que des missiles "Quail Decoy", chargés de leurrer les défenses adverses. Les B-52C à E seront ensuite rétrofittés avec ce même système.
Deux pods de caméras feront leur apparition sur les B-52G et H



Le premier de ces nouveaux appareils fait son premier vol le 31 Août 1958, et un total de 193 B-52G seront construits, la plus grosse production de toute les variantes du B-52. Le B-52G pesait pas loin de 17  tonnes de plus qu'un B-52F. Ce n'est pourtant pas que l'USAF tenait tant à ce bombardier : elle cherchait activement à le remplacer, que ce soit avec la mise en service du B-58 "Hustler", qui se révélera très dangereux et onéreux à l'usage, ou encore avec l'introduction du XB-70 "Valkyrie" qui ne sera jamais produit en série ! Le B-52 restera le principal bombardier de l'armée américaine.

Le B-52D (devant) va laisser la place au B-52G (derrière)


Après le B-52G, il y aura le B-52H, un "G" modifié, et surtout remotorisé par des réacteurs à double flux TF-33 en remplacement des simple flux J-57. Le canon de queue sera également remplacé par un canon Gatling avec une cadence de feu plus rapide, ainsi qu'une avionique modifiée permettant un meilleur suivi de terrain pour pénétrer le territoire soviétique en toute discrétion, de même qu'un nouvel ensemble de guerre électronique plus puissant. Le premier modèle "H" vole le 6 mars 1961. 102 appareils seront produit, le dernier étant produit en juin 1962, ce qui en faisait le 742ème B-52 construit par Boeing, et il sera d'ailleurs le dernier B-52 produit par l'avionneur et quittera la chaîne d'assemblage le . La chaine d'assemblage ferme ainsi en 1962, après 10 années de production. Intéressant de savoir que les plus jeunes B-52 en service à l'heure actuelle étaient déjà en service au moment de la crise des missiles de Cuba ! Les premiers B-52H avaient des problèmes de fiabilité de moteurs, mais qui seront rapidement corrigés, donnant ainsi plus de poussée et une plus grande allonge au Buff grâce aux économies de carburant réalisées.

Le B-52G possède un profil moins lisse que ses prédécesseurs...

Même si il a été conçu comme un bombardier nucléaire, c'est finalement en tant que bombardier conventionnel que le B-52 va s'illustrer : le 18 juin 1965, un groupe de B-52F va bombarder des positions ennemies au Vietnam, c'est le début de l'opération "Rolling Thunder" et surtout d'un très long engagements au Sud-Est asiatique, qui va durer jusqu'au 15 Août 1973. Deux B-52 seront perdus dès le premier jour…après s'être rentrés dedans au dessus de l'objectif, causant la perte de 8 hommes d'équipage.  Rapidement, les B-52F sont renvoyés aux Etats-Unis et les flottes entières de B-52D sont expédiées en Thaïlande et sur l'île de Guam en support des opérations au Vietnam. En 1966, les B-52 vont même recevoir les modifications "Big Belly" : en changeant la disposition de la soute, il devient possible de transporter 84 bombes de 250kg, au lieu de 27 précédemment. Couplés au pylônes sous les ailes, un B-52G pouvait emmener pas moins de 108 bombes de 250kg !

Une soute à bombe de B-52, même vide, est impressionnante !

Viendra ensuite ce que l'on appelle la guerre des 11 jours, ou plus prosaïquement l'opération "Linebaker II", dont l'intensité dépassa les pires raids de la Seconde Guerre Mondiale : du 18 au 29 décembre 1972, pas moins de 729 sorties de B-52 auront lieu, délivrant près de 15 000 tonnes de bombes ! Un mois plus tard, les vietnamiens signaient les accords de paix qui mirent fin à la Guerre du Vietnam. Au total, 31 B-52 seront perdus au cours de la Guerre, la majorité du fait des SAM nord-vietnamien, sachant que l'USAF avait mobilisé à l'origine une quarantaine puis une centaine de bombardiers pour écraser le nord-Vietnam. C'est également au cours de ce conflit que le B-52 va décrocher ses premières et uniques victoires air-air : deux Mig-21 ont en effet été abattus par les "gunners" de B-52 au cours du conflit, ce qui fait du B-52 le plus gros appareil à avoir décroché des victoires aériennes.

Tableau de chasse du B-52D du musée de Duxford


Même si le Vietnam mobilisait beaucoup de bombardiers, les B-52 continuaient d'assurer des missions de dissuasions nucléaires, et ils resteront en alerte aérienne puis au sol tout au long de cette période; ce sont les B-52G et H qui assuraient ces missions. Les plus vieux appareils seront retirés du service pendant cette période : les derniers B-52B sont retirés dès 1966, à l'exception d'un seul, le "008" de la NASA qui volera jusqu'en 2004 ! Les desniers B-52C sont également retirés en 1971, et beaucoup de modèle "D" verront leurs carrières raccourcies par l'intensité du conflit vietnamien. Malgré ce conflit intense et brutal, la carrière du B-52 était loin d'être terminée...

Les B-52D seront rapidement retirés du service après le conflit vietnamien mais la carrière du BUFF n'était pas terminée pour autant !

jeudi 9 octobre 2014

B-52 : la saga du BUFF (1/3)

Pour mieux comprendre la genèse du B-52, il faut remonter à la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Le 23 novembre 1945, l'Air Material Command émet les spécifications pour un nouveau bombardier intercontinental "capable d'accomplir sa mission sans dépendre de terrain situé sur d'autres pays" : il faut pouvoir aller bombarder un objectif en Europe ou en Asie depuis les Etats-Unis: il faut un rayon d'action de près de 8 000km, le tout pour un appareil volant à 10 400m à près de 480km/h. Plusieurs firmes  vont répondre à cet appel d'offre, et c'est Boeing qui est déclaré vainqueur en juin 1946, avec son projet "Model 462", un immense hexaréacteur à ailes droites, propulsés par des Wright T-35. L'appareil doit peser 160 tonnes à pleine charge, mais n'aura un rayon d'action que de 5 000 km, malgré cette limitation, il correspond à la meilleure réponse à l'appel d'offre.

Le XB-52, premier d'une très longue série...


Le 28 juin 1946, Boeing reçoit officiellement un contrat pour la construction d'un "mock-up", une maquette à l'échelle 1 de l'appareil (un contrat d'1,7 millions de dollars tout de même !). Devant cet appareil qui prend forme, l'Army change plusieurs fois d'avis : dans un premier temps l'appareil leur semble trop lourd, puis pas assez autonome…Boeing doit revoir sa copie plusieurs fois. Le général le May va également demander un appareil plus rapide, capable d'emporter des armes atomiques, ce que Boeing va accommoder, mais rapidement, l'Army se rend compte que le XB-52 ne va rien apporter de nouveau par rapport au B-36 déjà en service à cette époque : le nouvel appareil sera démodé avant même d'entrer en service !

Qui dit intercontinental dit grandes réserves de carburant...


Le besoin du XB-52 semble s'évaporer, et la toute jeune US Air Force veut annuler tout le projet, mais le président de Boeing va directement aller voir le secrétaire de l'USAF. Bill Allen rencontre ainsi Stuart Symington et va le convaincre de ne pas annuler le contrat, mais de laisser Boeing adapter son projet pour répondre aux nouvelles exigences. En janvier 1948, Boeing reçoit donc l'ordre d'explorer les nouvelles technologies pour son bombardier : réacteurs, ailes en flèche, électronique, tout y passe !

L'obsession du secret à l'égard de ce nouvel appareil mènera parfois à des situations risibles...


En avril 1948, Boeing présente un plan de 30 millions de dollars pour modifier son appareil et en faire un bombardier moderne. Les performances vont ainsi être augmentées de manière significative : l'appareil pourra voler à près de 820 km/h à 10 700 mètres grâce à de puissants turbopropulseurs Westinghouse J40 ! Le jeudi 21 octobre, ce projet est présenté au colonel Peter Warden, chef de projet des bombardiers lourds sur la base de Wright-Patterson à Dayton dans l'Ohio. Ce dernier est déçu par la proposition de Boeing : il s'attendait à une version équipée de réacteurs plus modernes.

Le B-52 tel qu'il fut construit sera conçu au cours d'un long week-end....


L'équipe d'ingénieurs se retrouve alors le soir dans une suite de l'hôtel où ils sont logés, accompagnés par Ed Walls, le responsable ingénierie de Boeing. En une nuit, ils vont convertir leur projet en un grand projet quadriréacteurs, avant de retourner voir Warden le lendemain, un vendredi. Warden va regarder le projet, mais estime que Boeing peut faire mieux, et leur explique qu'il attend une meilleure proposition pour le lundi suivant ! Retour à l'hôtel pour les quatre hommes, qui vont solliciter l'aide de deux autres ingénieurs de Boeing qui sont en visite dans la ville. Les six hommes vont consommer beaucoup de papier ce soir là : il faut redessiner tout le projet ! C'est ainsi que va naître le projet 464-49 : en reprenant la configuration générale du B-47 "Stratojet", Boeing adopte une aile en flèche de 35° ainsi qu'un ensemble de huit moteurs regroupés par nacelles de deux, un train d'atterrissage monotrace avec des balancines en bout d'ailes . Les ingénieurs vont également rajouter la possibilité de décaler l'axe du train d'atterrissage de 20° de part et d'autres de l'axe central du fuselage pour permettre un meilleur contrôle lors d'atterrissage par fort vent de travers. Nous sommes toujours vendredi soir, et les hommes vont aller faire quelques courses : de quoi construire une petite maquette du nouvel appareil !

Après un weekend de travail, le B-52 va acquérir sa forme définitive...

La journée du samedi est mise à profit pour finaliser les calculs de poids et de performances, le tout à la règle à calcul, et le dimanche, les ingénieurs vont venir une secrétaire au pied levé pour venir taper sur machine la nouvelle proposition de Boeing. Le lundi matin arrive, et ils peuvent retourner voir Warden avec une proposition relié de 33 pages ainsi qu'une maquette de 30cm de long : c'est ainsi qu'en un week-end, six ingénieurs de Boeing ont définis les grandes lignes d'un appareil qui vole encore 60 ans après !

Arrangement général d'origine du B-52


Warden est convaincu, et plus important encore, le général Curtis LeMay est convaincu par le nouvel appareil. Le nouveau patron du Strategic Air Command voit dans ce bombardier la réponse qu'il faut apporter aux soviétiques ! Un premier contrat est rapidement passé avec l'USAF pour une livraison de 13  appareils B-52A et 17 pods de ravitaillement. Ce contrat est attribué le 14 février 1951. Avant toutefois, il est demandé à Boeing de réaliser deux prototypes et un appareil de pré-série : deux XB-52 et un YB-52. Malgré des retards à cause de la mise au point des moteurs, la mise au point continue. Beaucoup plus gros que le B-47, l'appareil pose des problèmes aérodynamiques encore jamais vu, mais force est de constater que malgré quelques modifications mineures, le design prévu durant le fameux week-end en Ohio n'a presque pas été modifié !

L'arrangement du cockpit est aussi inspiré du B-47 : un cockpit en tandem, avec les navigateurs, radariste et bombardier en dessous


Le B-52 est fortement inspiré du B-47, que ce soit au niveau des ailes, de l'agencement de la motorisation ou des commandes de vol. Contrairement au B-47, il va retenir un élément datant de la Guerre : un canon de queue, avec un cannonier pour le manier. Le B-52 sera également équipé de sièges éjectables comme sur le B-47 : les membres d'équipage s'éjectent soit vers le haut ou vers le bas suivant leur position dans la cabine. Le canonnier doit éjecter la tourelle avant de sauter.

Le cockpit d'origine du XB-52 avec le cockpit en tandem

Un élément va changer cependant sur l'appareil : Boeing avait prévu de mettre un cockpit en tandem comme sur le B-47, avec un arrangement comme sur un chasseur, pilote et copilote ne pouvaient pas communiquer autrement que par radio. LeMay n'est pas convaincu par cette disposition qu'il ne connait que trop bien sur le B-47; dans un souci d'efficacité et de meilleure communication avec l'équipage, il demande à ce que le cockpit soit modifié avec un arrangement côte à côte comme sur les avions de ligne. Boeing va accumuler pas loin de 670 jours d'essais en soufflerie et 130 jours de tests au sol avant de trouver la bonne formule pour son bombardier.

Le nouveau cockpit, inspiré des avions de ligne...

Le premier appareil, XB-52 qui comporte encore le cockpit en tandem fait son roll-out dans la nuit du 29 novembre 1951, suivi quelques semaines plus tard par le second prototype qui sera le premier à voler. Pour la petite histoire, l'USAF était tellement paranoïaque que la construction des deux premiers exemplaires se fera dans le secret le plus absolu, et le roll-out de l'appareil se fera en pleine nuit, après avoir pris soin de le recouvrir de grandes bâches blanches pour masquer ses formes…en vain, un appareil de la taille d'un B-52 ne se camoufle pas aussi simplement, et malgré les bâches, les dimensions et formes de l'appareil apparaissent très clairement !

Roll out du premier B-52, caché sous des bâches...
Le premier appareil à voler sera le deuxième produit, officiellement pour permettre à Boeing d'installer plus d'équipements d'essais à bord du premier appareil, mais officieusement, c'est parce que quelques semaines avant le premier vol, lors d'un test du système pneumatique à haute pression, une valve va se coincer, et toute une partie de l'aile va exploser ! L'appareil aura ainsi besoin de retourner au hangar pour réparations, pendant que le deuxième appareil est préparé pour le vol inaugural. L'USAF, toujours dans sa paranoïa de ne pas dévoiler les capacités de son nouvel appareil, va même demander à Boeing d'effectuer le premier vol…de nuit ! Heureusement l'équipe des essais en vol de Boeing va convaincre l'Air Force que son idée est stupide et dangereuse ! Le vol inaugural à finalement lieu le 15 avril 1952, avec Tex Johnson aux commandes comme pour le premier B-47. C'est un vol sans histoire, qui permet de prendre en main l'avion : Johnson est persuadé d'être tombé sur un excellent appareil.

Décollage du XB-52 pour son premier vol


Après le XB-52, Boeing produira directement un YB-52. Stable et manœuvrable, l'USAF trouvera peu de choses à redire sur l'appareil, qui est rapidement apprécié par les pilotes chargés de l'évaluer. L'USAF va donc passer une nouvelle commande : elle va passer de 13 appareils à 282 dans une version améliorée ! C'est une excellente nouvelle pour Boeing qui s'empresse de mettre les bouchées doubles pour livrer les premiers exemplaires le plus rapidement possible.

L'appareil suivant à prendre l'air sera le B-52A

Après deux années de tests intensifs, l'USAF reçoit ses premiers exemplaires en 1954. Boeing ne livrera que 3 B-52A au final, les 50 exemplaires suivants étant livrés au standard B-52B. Le modèle "B" sera la première version opérationnelle, qui entre officiellement en service au sein du 93rd Bomb Wing à Castle AFB en Californie dès juin 1955. Le "B" se distingue du "A" par un système de bombardement plus évolué, le MA-6A. Une fois les B-52B livrés, Boeing va récupérer les trois B-52A pour s'en servir d'appareils d'essais. L'un d'entre eux, le 52-0003 ou "Balls 3" sera transformé en NB-52, il sera utilisé pour larguer l'avion fusée X-15 après avoir été modifié.

Balls 3, un NB-52A sera utilisé pendant de longues années par la NASA

Boeing va devoir trouver de la place pour fabriquer tout ces appareils : si les B-52A, B et C sont fabriqués à Seattle, mais les riverains se plaignent beaucoup du bruit des réacteurs, et Boeing va rapidement délocaliser son centre d'essais sur la base Larson AFB, à 250km de là. Chaque vol inaugural de B-52 sert à convoyer l'appareil à Larson, où il pourra ensuite être testé tranquillement avant livraison. Le B-52 est un immense puzzle industriel : plus de 5000 firmes américaines assemblent en sous-ttraitance pas moins de 41% de l'appareil. Avec l'arrivée des versions suivantes, l'usine Boeing de Wichita dans le Kansas sera également reconvertie pour produire des B-52, puis à partir de 1957, tous les B-52 seront assemblés à Wichita, ce qui permet de libérer l'usine de Seattle pour l'assemblage des 707 civils dont la demande explose. La ligne d'assemblage de Wichite ferme en 1962, après que Boeing ait livré 744 appareils à l'USAF, dont deux prototypes.

L'arrivée du B-52B fait entrer l'USAF dans une nouvelle ère

Le dernier B-52B est livré le 31 Août 1956, il sera ensuite remplacé par le B-52C, qui avait fait son premier vol le 9 mars 1956. Extérieurement identique aux versions précédentes, à l'exception de réservoirs de carburant supplémentaires, il disposait toutefois d'une suite avionique entièrement repensée et modernisée. Seulement 35 "C" seront livrés, car Boeing va continuer de faire évoluer son appareil, et va surtout devoir le renforcer pour mieux supporter les vols à basse altitude : cette version renforcée deviendra le B-52D, qui fait son premier vol le 14 mai 1956. Le modèle "D" sera ainsi pendant de nombreuses années la version la plus répandue du B-52 au sein du SAC : que ce soit pour la dissuasion nucléaires dans les années 60, ou pour bombarder le Vietnam à la fin des années 60, le B-52 connaîtra à la fois son rôle de bombardier nucléaire, mais aussi un rôle de bombardier conventionnel au cours du conflit dans le Sud-Est asiatique.

Les B-52B seront rapidement retirés du service...mais cela ne signifiait pas la fin de la carrière du B-52 !


Appareil né dans l'urgence, mais dont la conception était soignée, le B-52 était destiné à avoir une longue carrière...