Pages

lundi 23 septembre 2013

"c'était à cause d'une femme"

15 mars 1970…une soirée tranquille sur l'aéroport Rhein-Main de Francfort. Il fait déjà nuit lorsqu'un appareil non annoncé se pose sur la piste…c'est un Boeing 707 bleu et blanc, marqué "United States of America" vous le connaissez sans doute : il s'agit de SAM 26000 (mais pas Air Force One, le président n'est pas à bord). Le Boeing roule jusqu'à un emplacement de parking un peu à l'écart. Quelques minutes plus tard, un autre appareil se pose, sans aucune explication…celui-ci est un Mystère 20, aux armes de la république française. Il roule, et va se garer près de SAM 26000. Soudainement, les lumières s'éteignent sur cette partie de parking…moins d'une minute plus tard, les lumières se rallument, et les Mystère 20 décolle à toute vitesse avant de mettre le cap sur Paris, toujours sans explication…

Le mystère 20 présidentiel

Que s'est-il passé ? Les contrôleurs allemands n'en savent rien…et font donc un rapport. Le lendemain matin,  l'attaché militaire de l'ambassade allemande à Paris se retrouve envoyé de toute urgence sur la base de Villacoublay, où le Mystère 20 présidentiel est basé. Il va directement au bureau du colonel Francis Calderon, pilote personnel de George Pompidou. Ne perdant pas de temps, il va droit au but "mon Colonel, à propos du vol de cette nuit, de quoi s'agissait-il ? L'appareil du président français s'est posé neuf minutes sur une base allemande, sans aucune explication, c'est une violation grave de l'espace aérien allemand". Calderon n'est pas intimidé, mais sait qu'il doit donner une réponse…il s'explique vaguement  "ah, vous savez, le protocole, les plans de vol, c'est dur d'être romantique de nos jours". Peu impressionné, l'attaché militaire allemand lève le ton "Romantique ? Qu'y a-t-il donc de romantique à violer l'espace aérien allemand ?" Calderon se penche par-dessus son bureau, avant de murmurer, comme si il avait peur d'être écouté "le voyage d'hier impliquait...une femme" "Une femme !...vous voulez dire que…" Calderon hoche la tête en silence…mais son hôte est satisfait : il a eu sa réponse…

Les controlleurs de Rhein-Main se sont posés bien des questions...

En fait, rien de tout cela n'est vrai; mais pour comprendre ce qui s'est passé, il faut retourner en arrière à l'été 1969, à Washington. Invité à la Maison Blanche sous un faux prétexte, Ralph Albertazzie, le pilote de Nixon, se retrouve en meeting avec Henri Kissinger et Alexander Haig. Le but de la réunion est simple : Nixon sait que les pourparlers entre américains et nord-vietnamiens ne marche pas, chaque rencontre étant utilisé à des fins de propagande, et rien d'utile n'en sort. Le président à donc décidé d'organiser des rencontres secrètes à Paris entre les deux camps. C'est Kissinger qui s'y colle, mais il y a un léger problème : Kissinger doit pouvoir s'absenter sans que le "Department of State" ne soit au courant, et surtout pas la presse. Albertazzie reçoit donc la mission de trouver un moyen d'emmener Kissinger à Paris et de le ramener, dans le plus grand secret, même ses supérieurs ne doivent pas le savoir ! Un vrai casse tête en somme…

Henry Kissinger et Le Duc Tho, en négociations officielles en 1973..mais en 1972, ils se voyaient  déjà lors de réunion secrètes

Le choix d'Air Force One était logique : SAM 970 et SAM 26000 étaient les seuls appareils sous contrôle direct de la Maison Blanche…mais ce ne sont pas des avions très discrets. Heureusement, Albertazzie avait une excuse sous la main : le "scopesafe", un attirail de cryptage des communications, installé sur SAM 26000 dans les années Johnson, mais qui marchait assez mal…Albertazzie va donc programmer des vol "d'évaluation et de calibrage" pour ce système qui avait coûté pas moins de 25 millions de dollars…et que l'Air Force voulait faire marcher !

Pas forcément l'avion le plus facile à cacher sur une base ou un aéroport...

En revanche, plus difficile : comment poser Air Force One en France secrètement ? Depuis que la général de Gaulle avait claqué la porte de l'OTAN, il n'y avait plus de base américaine…sans raison impérieuse, impossible de poser Air Force One sur un aéroport français. Heureusement il y avait le général Vernon Walters. Attaché militaire à l'ambassade des Etats-Unis, futur directeur adjoint de la CIA, parlant 6 langues sans aucun accent…c'est lui qui va gérer les "escales" parisiennes . Conscient qu'il est obligé d'en parler à Pompidou, car les renseignements français finirait tôt ou tard par découvrir le pot aux roses, il met Pompidou et son chef de cabinet, Michel Jobert dans la confidence…Pompidou apprécie cette ouverture, et va même offrir son assistance. Il va ainsi permettre à SAM 26000 de venir se poser sur des bases françaises, et autorise un avion de transport américain à faire la navette jusqu'à la base de Villacoublay où un parking sécurisé à proximité d'Orly !

Nixon et Pompidou, certes des tensions, mais Pompidou apportera un soutien précieux lors des négociations avec le nord vietnam

Le premier voyage secret intervient le week-end du 20-21 février 1970. Kissinger part rencontrer Le Duc Tho, un diplomate nord vietnamien. Faire disparaître Kissinger n'était pas un problème : ayant une réputation d'homme à femmes, il se faisait photographier avec une star ou une autre juste avant de partir, laissant le Washington Post imaginer la suite de l'histoire ! Albertazzie soumet un plan de vol d'Andrews à Wiesbaden en Allemagne….mais va faire un petit détour par la base d'Avord…gros avantage d'Avord : c'est la base d'attache des KC-135 ravitailleurs…de nuit, tous les avions sont gris, et SAM 26000 passe inaperçu au milieu de ses cousins militaires ! Un Falcon avec Walters à bord attend Kissinger, avant de partir pour paris, alors que SAM 26000 reprend son plan de vol pour aller se poser à Wiesbaden. Walters accueillera même Kissinger dans son appartement de Neuilly pour la nuit !

Vernon Walters et Richard Nixon, alors que ce dernier était vice-président des Etats-unis en 1958

Le dimanche 21 février, c'est une autre paire de manche : SAM 26000 se pose à Avord à 14h55 pour un rendez-vous à 15h avec kissinger…et Kissinger n'est pas là ! Albertazzie essaye de garer SAM 26000 "l'air de rien" au milieu des KC-135 en espérant que les gars de l'armée de l'air ne soit pas trop curieux…les heures passent et Albertazzie ne sait pas si il peut rompre le silence radio pour essayer d'en savoir plus. Enfin vers 18h30, Le Mystère 20 avec Kissinger à bord se pose. "On est en retard, allons y" sera la seule explication du diplomate… L'armée de l'air ayant ravitaillé le Boeing (gratuitement, pour éviter toute facture embarrassante) SAM 26000 fonce à Andrews à vitesse maximum pour ne pas éveiller trop les soupçons : il y a plus de quatre heures à rattraper ! Mais au final, aucun problème : le secret est bien gardé…

Par contre, le 15 avril 1970, c'est l'imprévu. Kisisnger est à bord de SAM 970, toujours piloté par Ralph Albertazzie, en direction d'Avord pour un "largage" discret…mais au milieu de l'atlantique, c'est la panne du système hydraulique…l'avion peut encore voler et se poser, mais il ne redécollera pas…comme il n'est pas possible de laisser le Boeing coincé au sol à Avord, Albertazzie cherche une solution…il reçoit un ordre crypté de la Maison Blanche : maintenir le secret de la mission coûte que coûte…facile à dire ! Finalement, Albertazzie met le cap sur Francfort, où il y a un centre de maintenance des 707 de la lufthansa, et une base de l'USAF, où il peut donc poser l'appareil. Il appelle Walters pour trouver une solution pour Kissinger…ce dernier étant tout seul se sent démuni, mais ne se démonte pas, il va aller frapper à une porte pour aller demander de l'aide. 30 minutes plus tard, il informe le gendarme de faction devant l'élysée qu'il à besoin de voir Michel Jobert en urgence….celui-ci appelle le chef de cabinet du président de la république, à qui Walters explique la situation…Jobert ne sachant que faire va voir Pompidou. Ce dernier appelle immédiatement Villacoublay et donne l'ordre à son pilote d'attendre Walters et de foncer à Francfort pour prendre Kissinger et le ramener à Paris...

Michel Jobert, chef de cabinet de Pompidou

Et maintenant vous comprenez comment une femme imaginaire à servie de prétexte pour ne pas révéler les vols secrets de Kissinger à Paris…et l'histoire était tellement grosse que les allemands y ont cru, sans aucun problème !

Vernon Walters, dont l'aide sera indispensable au bon déroulement des réunions secrètes
Entre 1970 et 1971, il y aura pas moins de treize missions clandestines  de ce type, à chaque fois Albertazzie parviendra à ramener Kissinger en moins de 48h à Washington ! Aucun problème à déplorer hormis cet incident . Le monde n'apprendra ces missions que en janvier 1972, lorsque Nixon les rendra publique, en même temps que le plan de paix de Paris, qui mettra fin à la guerre du Vietnam une année plus tard.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire