Le KC-97 et sa perche volante... |
Nous avons vu dans le précédent article l'histoire des avions ravitailleurs ainsi que les différentes méthodes de ravitaillement disponible. Nous allons voir à présent un peu plus en détail comment fonctionne le matériel et les procédures utilisées. Nous allons étudier le cas de la perche volante avec le KC-97 et le KC-135. Même si ces appareils sont un peu "vieux" par rapport aux standards actuels, les principes utilisés n'ont pas changés, tout au plus l'informatique permet de libérer le "boomer" pour qu'il se concentre sur ses tâches de gestion du carburant.
Une perche en grand nettoyage...c'est pour vous donner une idée de sa taille ! |
Avant même de penser à se ravitailler, il faut d'abord que avion ravitaillé et ravitailleur arrivent à se retrouver. Il faut donc organiser un rendez-vous pour se voir visuellement avant quoi que ce soit d'autre. Il existe trois "types" de rendez-vous :
- Buddy : les deux avions volent ensembles, il n'y a donc rien à faire dans ce cas, les deux appareils ayant déjà le contact visuel
- Head on : les deux appareils vont à la rencontre l'un de l'autre, et sont en rapprochement rapide. Dans ce cas, le tanker se coordonne avec son client pour amorcer un virage à 180° suffisamment en avance pour que les deux appareils se retrouvent au même point.
- Point : le tanker est en attente sur un point donné, où il décrit des cercles ou des ellipses en attendant un "client". Sur KC-97, la procédure type était de voler droit pendant quatre minutes, puis entamer un virage lent de quatre minutes, puis de nouveau droit pendant quatre minutes, et nouveau virage et ainsi de suite. Sur KC-135, on passe a 10 minutes de vol droit, soit environ 90km. On parle aussi d'hippodrome d'attente pour désigner cette orbite.
Principe de l'hippodrome d'attente |
Le long de l'une des branches de l'hippodrome, on définit l'ARCP, ou "Air Refuelling Control point", qui est un point associé à une heure de référence permettant au ravitailleur et au ravitaillé de se donner rendez-vous.
Le contact peut se faire par radio ou par radio et radar suivant les avions concernés. Les ravitailleurs sont équipés de balise à courte portée répondant sur un code spécifique. Les deux avions se coordonnent sur l'altitude de ravitaillement la mieux adaptés. Une fois l'altitude choisie, le tanker va se positionner à 150 mètres au dessus de cette altitude, et le client 150 mètres en dessous, de manière à avoir une séparation verticale importante permettant d'éviter un accrochage si les deux avions ne se voient pas…
Le "boomer" à son poste à bord d'un KC-135 |
C'est aussi à ce moment là que le "boomer", l'opérateur de la perche va aller rejoindre son poste à l'arrière de l'appareil. En effet, durant toutes les phases du vol en dehors des phases de ravitaillement, le boomer est assis dans le cockpit, plus confortable, et surtout moins dangereux en cas de problème, le ventre d'un avion ayant tendance à prendre contact avec le sol en premier en cas d'atterrissage forcé !
Le compartiment du "boomer" n'est pas forcément des plus confortable. Il est allongé, dos à la marche, sur une couchette certes, rembourrée, mais la position allongée sur le ventre n'est pas forcément la plus confortable de manière prolongée. Sur KC-97, le poste est aménagé dans la soute, au milieu des tuyaux et des commandes de vol. C'est bruyant et mal chauffé, et l'opérateur allongé doit regarder par son poste d'observation qui dépasse de la carlingue arrière de l'appareil !
B-52 en position d'observation, en dessous et en arrière du ravitailleur |
Lorsque la distance de séparation est de moins de 15km, et que le contact radio est bien établi, le tanker descend à l'altitude prévue, et le client reste 150 mètres en dessous. Lorsque la distance de séparation est de moins de 3km, et que le contact visuel est établi, le client peut monter juste en dessous de l'altitude désirée. Il va continuer à approcher le ravitailleur par derrière et légèrement en dessous.
Le pilote averti par le Boomer doit alors couper le pilote automatique et reprendre les commandes, voler droit, et s'abstenir de tout mouvement ample ou brusque. Le Boomer peut alors déverrouiller la perche, qui va alors pendre derrière l'avion. Cette traînée parasite va alors ralentir un peu l'appareil, et le pilote doit remettre un peu de gaz pour compenser la perte de vitesse.
Position et débattement de la perche sur KC-135 |
C'est le moment de nous intéresser un peu plus à cette perche.
La perche rigide, invention Boeing, a été spécifiquement conçue pour pouvoir ravitailler les grands bombardiers de l'USAF de manière fiable et rapide. Elle se compose d'une perche extensible, fixée au fuselage au moyen d'un pivot, lui donnant ainsi trois degrés de mobilité (droite-gauche, haut-bas, et sortie-rentrée).
Arrangement de la perche à l'arrière du KC-97G, avec sa tringlerie associée |
Elle se manœuvre grâce à deux petites dérives placées en "V" au deux tiers du tube extérieur. Ces dérives, appelées "ruddevators" ou "ruddervators" ou encore "ruddelevators" (c'est compliqué, je sais, mais ça dépend de la documentation et de l'époque). Ces deux petites surfaces mobiles se comportent comme des ailes qui guident la perche, alors que l'avion ne fait que la porter par le pivot. C'est le boomer qui contrôle la perche à l'aide d'un manche et d'une commande depuis son poste de ravitaillement. A sa droite, un manche qui commande les deux "ruddevators", et à sa gauche une commande permettant l'extension/rétraction de la perche. Au centre, un panneau lui donne un rappel des pressions hydrauliques ainsi que la position de la perche, ainsi que les débits de carburants (montant restant et quantité servie).
Schéma des Ruddevators d'une perche montée sur KC-97 |
Sur KC-97, il existe toute une tringlerie permettant via des câbles semblables aux commandes de vol, de venir actionner les dérives. L'extension de la perche est quand à elle contrôlée par un moteur hydraulique, reliée à un système de câble et poulies. L'ensemble des ces commandes est aujourd'hui numérique sur le KC-10 et le futur KC-46, permettant ainsi d'alléger la charge du Boomer.
Au moment où l'appareil s'approche, la perche est alimentée hydrauliquement et à moitié sortie, et c'est maintenant le Boomer qui contrôle la radio de bord.
On distingue derrière le ravitailleur trois zones. La première est située immédiatement derrière : il s'agit de la zone de ravitaillement à proprement parler. Il ne peut y avoir à tout moment qu'un seul avion dans cette zone. Sur la gauche et en arrière du ravitailleur, il y a la zone 'observation et d'attente, où se retrouvent pour attendre les chasseurs qui attendent leur tour. En arrière et à droite du ravitailleur se trouve la zone de reformation, qui est là où les avions déjà ravitaillés attendent les autres appareils en cours de ravitaillement.
Un F-15 en cours de ravitaillement, alors que les clients suivants attendent leur tour... |
Le client est alors en position dite "d'observation", situé à environ 30 mètres derrière et 15 mètres en dessous du ravitailleur. L'opération peut alors commencer : le contact visuel doit obligatoirement être établi à ce stade. L'avion cible ne peut bouger que lorsqu'il reçoit le signal "Tanker ready", également indiqué par un jeu de lumières vertes situées sous le ventre de l'avion.
Le Boomer doit alors stabiliser sa perche, car l'air déplacé par la cible peut déstabiliser la perche voire le tanker, surtout dans le cas de gros appareils comme un C-5 ou C-141, ce qui oblige à stabiliser la perche. Le pilote du tanker doit également stabiliser son appareil, en utilisant le trim, mais pas la manette des gaz sous peine de prendre de la vitesse par rapport à sa cible.
à quelques mètres du contact... |
L'avion cible doit alors approcher tout doucement en remontant jusqu'à 5 mètres sous le tanker, opération délicate, demandant des ajustements minimes de puissance et une maîtrise sans faille de la part du pilote. Une fois son avion en position, c'est au tour du boomer d'étendre, et de connecter la perche dans le réceptacle. Dans ce type de ravitaillement, tout repose en effet sur l'adresse du boomer, c'est lui qui coordonne les deux avions, et lui qui gère la position de la perche.
"Contact" : ça y est, la perche est connectée, et le boomer peut alors activer les pompes d'alimentation en carburant. Ces pompes sont alimentées hydrauliquement, sur KC-97 il y en a 2, contre 6 sur un KC-10 par exemple. Le débit est directement proportionnel au nombre de pompes activées. Le carburant provient de réservoirs placés dans la soute (KC-97), ou directement des réservoirs de l'avion (cas du KC-135). Sur KC-97, il faut faire attention, car les moteurs à pistons utilisent de l'essence, et les jets qu'il ravitaille fonctionnent au kérosène. En conséquence, les réservoirs situés dans la soute sont remplis de JP-5, et ne doivent pas être connectés avec les réservoirs de l'avion. Sur KC-135, comme sur KC-10, il n'existe plus qu'un seul type de carburant, le kérosène, ce qui simplifie la logistique (à une exception près cependant : les KC-135Q qui ravitaillaient les SR-71 de l'Air Force).
Contact établi... |
Pendant ce temps, le pilote du tanker, qui ne voit pas ce qui se passe derrière lui, doit continuer de voler droit. Si une manœuvre est nécessaire, elle doit être coordonnée par le boomer via la radio.
Le pilote de l'avion cible ne doit pas bouger…plus facile à dire qu'à faire ! Il y a en effet toujours des petits courants qui déportent un peu les appareils…souvent ce n'est pas grave, car les deux avions subissent les mêmes forces, mais parfois l'un peut bouger plus que l'autre, ce qui engendre quelques frayeurs.
Heureusement, durant toute cette phase du ravitaillement, la perche est souple : elle peut s'étendre ou de détendre de manière automatique, et le pivot sur lequel elle est montée n'est pas bloqué. Un jeu de symboles sont peints sur la perche et indiquent si elle est trop tendue ou trop compressée, ce qui permet au pilote et au Boomer d'appliquer les actions correctives.
Les limites de débattement de la perche du KC-135, avec en dessous les indicateurs lumineux servant à guider le pilote |
Si la tension devient trop forte, il y a une déconnection automatique de l'embout de la perche. Un clapet ferme automatiquement l'embout et évite que le carburant ne vienne "doucher" l'appareil cible en cas de problème.
Si jamais le boomer sent que la procédure est mal engagée, il peut l'interrompre à tout moment, grâce à la gâchette sur son manche. Il existe aussi un terme réservé à cet usage "Breakaway". Ce terme désigne la rupture du contact lors du ravitaillement.
De nuit, avec les lunettes de vision nocturne...ça demande un cran de concentration en plus |
Sous le Tanker, il y a un ensemble de signaux lumineux, permettant d'indiquer l'action corrective au pilote de l'avion cible (haut-bas, avant ou arrière), qui sont complétées par les indications colorées qui sont présentes sur la perche, destinées davantage à aider le Boomer. Le pilote de l'avion ravitaillé n'a pas forcément une bonne visibilité sur la perche, comme dans le cas du B-52 où la perche vient se brancher sur le dos de l'avion, plusieurs mètres derrière le pilote. Les indications du Boomer sont primordiales dans ce cas.
A la fin de l'opération, le Boomer arrête les pompes de l'avion, et déconnecte la perche. Le pilote de l'avion cible doit alors s'éloigner en reculant et en baissant son altitude, de manière à venir vers l'aire d'attente après ravitaillement si il n'est pas seul, ou de manière à dépasser le tanker avec une distance de sécurité suffisante.
Bouh !! |
Après le départ du dernier avion, l'opérateur doit remonter la perche en douceur, pour ne pas venir frapper le fuselage, l'air circulant près de l'appareil ayant pour effet "d'aspirer" la perche, ce qui risquerait d'endommager la perche ou l'avion.
Dans le cas d'opérations aériennes compliquées (vague de bombardier ou de chasseurs), on trouve aussi la méthode dite "ravitaillement en box", qui consiste à empiler les ravitailleurs dans le même espace, sans hippodrome d'attente, avec une séparation verticale de 300 m et une séparation horizontale de 2km. C'est évidemment plus dangereux, car la concentration en appareils est très dense, mais c'est souvent la seule méthode de ravitailler beaucoup d'avions de manière compacte et rapide.
Un travail demandant énormément de rigueur, réservé à des professionnels |
Voilà, j'espère avoir quelque peu démystifié le ravitaillement en vol dans cet article, mais il ne doit pas faire oublier que le ravitaillement en vol est et reste une opération dangereuse, qui ne peut bien s'accomplir que grâce à une vigilance et un professionnalisme de tous les instants !
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