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jeudi 7 mars 2013

Northrop et les ailes volantes (2/2)

Après le XB-35, les YB-49 connaîtront une histoire un peu plus riche, même si ces appareils ne connaîtront pas une grande carrière et eurent un destin tragique.

Le premier YB-49, S/N 42-102367, fit son premier vol le 21 octobre 1947, depuis l'usine Northrop de Hawthorne jusqu'à la base de Muroc et se révéla tout de suite plus prometteur que son prédécesseur à hélice. Il va même battre un record, restant au-dessus de 12 000 mètres pendant 6,5 heures de suite, avec un vol qui a duré en tout 9,5 heures.


Vue du YB-49



Le 4 février 1949, il effectue un vol à basse altitude à Washington DC en présence du président Truman…avant de manquer de s'écraser au retour suite à une pénurie d'huile sur 4 des 8 moteurs. Il sera le dernier YB-49 après le crash du numéro 2 en 1948, mais ne lui survivra pas longtemps : le 15 mars 1950, l'appareil fait des essais de roulage à haute vitesse à Muroc. Au cours d'un essai, la roulette de nez se met à vibrer de manière incontrôlée. Le pilote commence à ralentir, mais il est trop tard : la roue cède et l'appareil se retrouve à racler le sol…Les pilotes évacuent l'appareil qui commence à brûler..les pompiers arriveront trop tard et l'appareil sera détruit au-delà de toute réparation possible…la carcasse sera découpée sur place après récupération des moteurs encore en bon état.

Quelques vues du YB-49

Le second YB-49, S/N 42-102368, fit son premier vol le 13 janvier 1948, avant d'aller rejoindre son grand frère à Muroc. Sa carrière sera courte puisqu'il va s'écraser à peine 5 mois plus tard. L'appareil fera son dernier vol le 5 juin 1948, piloté par le major Daniel Forbes et le captain Glen Edwards, accompagné de trois autres membres d'équipage, dont le lieutenant Edward Swindell, qui avait fait partie de l'équipe de vol du B-29 qui avait largué Chuck Yeager à bord de son X-1 en octobre de l'année précédente. On trouvait également à bord Clare Lesser et Charles LaFountain.

Le Captain Glen Edwards

Le vol est un vol d'essai pour tester la récupération de l'appareil en cas de vrille. L'équipage commence les essais à haute altitude : 12000 mètres. Lors d'une récupération, après début de mise en vrille, l'appareil part en piqué à grande vitesse, et le mouvement est trop violent pour la structure très chargée de l'appareil : les deux ailes se détachent et l'appareil se disloque complètement dans le ciel avant de s'écraser sur une large zone au sud de la base de Muroc. Le compartiment de l'équipage est resté intact mais s'écrase à pleine vitesse sur le dos. Il n'y a aucun survivant.

La cause exact du crash ne sera jamais connue. Plusieurs théories viendront expliquer l'accident, mais rien de concret. On ne sait même pas de manière certaine si l'accident est dû à une vrille conduisant à la rupture de la structure ou simplement à une manœuvre trop violente. Selon Northrop, l'essai était dangereux et il avait prévenu l'Air Force de ne pas le tenter. Il est vrai que son fuselage très pur rendait le YB-49 sensible au piqué à forte vitesse, où il devenait difficile de le ralentir. Le général Cardenas témoignera que l'appareil avait également tendance à partir en vrille inversée au cours  des essais, ce que réfute complètement Northrop qui juge la chose impossible avec une aile volante.

Le Capitaine Edwards était une étoile montante du centre d'essais en vol de Muroc, où il participait à de nombreux programmes de mise au point d'appareils de pointe, pour l'Air Force et le NACA. C'est en son honneur que la base de Muroc est renommée le 5 décembre 1950 "Edwards Air Force Base Flight Test Center", un nom aujourd'hui mondialement célèbre.

Le programme YB-49 est annulé par l'Air Force, et tous les appareils en cours de production sont détruits sur ordre du gouvernement, à la vue de tous les employés de Northrop qui garderont de très vifs souvenirs de cet épisode. Une demande par le Smithsonian visant à sauver un appareil sera refusée par le secrétaire de l'Air Force, Stuart Symington.

Vue du YRB-49A

Un seul appareil, le YRB-49A sera épargné, et volera 13 vols d'essais sans aucun problème. L'Air Force annulera la commande sans explication peu de temps après, et l'appareil sera rendu à Northrop. Il restera abandonné sur un aéroport pendant deux ans avant d'être détruit le 1er décembre 1953. Il était la dernière aile volante de Northrop. Avec sa disparition prendra fin une page méconnue mais passionnante de l'aviation.

Si on regarde d'autres programmes de l'époque, et notamment le B-36, on constate combien ce super bombardier connaîtra de problèmes de mise au point, alors même que son design était directement dérivé du B-29, malgré une taille deux fois et demi plus importante. Il n'est dès lors pas étonnant que l'Air Force ait voulu mettre fin à ce programme qui était trop novateur pour l'époque. On peut aussi y voir un déphasage entre Jack Northrop et son bureau d'études, toujours prêt à repousser les limites, et la politique de Washington qui réclamait des centaines d'appareils le plus rapidement possible pour contrer la menace soviétique. Pour compenser cette annulation, l'Air Force accordera un contrat (beaucoup plus petit) pour la production du F-89 "Scorpion" . On notera aussi que Convair, fabricant du B-36, avait de bien meilleurs lobbyistes que Northrop, plus orientés vers la technique que le business…

Le cauchemar de maintenance : la timonerie des commandes des 8 moteurs...

Jack Northrop affirmera bien des années plus tard que l'annulation du contrat avait été décidée par le secrétaire de l'Air Force de l'époque, Stuart Symington…lequel deviendra directeur de Convair quelques années après…Selon Northrop, Symington avait tenté de faire pression pour fusionner Northrop avec Convair et l'annulation faisait suite au refus de l'avionneur…pourtant il existe de nombreuses raisons techniques expliquant l'abandon du programme, indépendamment de toute pression politique..

D'un point de vue technique, l'USAF avait également noté que, si l'appareil possédait de bonnes capacités de vol, avec une manœuvrabilité impressionnante en virage, en revanche il montrait une grande instabilité latérale, qui gênait beaucoup pour le bombardement : il fallait 30 secondes à un B-29 pour se mettre sur une trajectoire stable et rectiligne pour commencer un "bomb-run", alors qu'il fallait presque 4 minutes au YB-49 pour réussir la même manœuvre ! Un pilote automatique équipé d'un amortissement en lacet "yaw damper" mis au point par Honeywell promettait un vol beaucoup plus stable, mais aura à peine le temps d'être testé..Le général Robert Cardenas, qui avait volé à bord de plusieurs vols d'essais, avait d'ailleurs été très impressionné par l'efficacité du système. Il manquait cependant au YB-49 un véritable ordinateur de vol, capable de gérer l'appareil et ses instabilités dues à l'absence d'empennage vertical. Ce n'est que 25 ans plus tard que la technologie rendra un tel ordinateur de vol concevable.

Chaîne de production du YB-35...l'ensemble de ces appareils seront  détruits  lors de l'annulation du programme


Se sentant trahi et abandonné, Jack Northrop démissionnera de son poste, prenant sa retraite de la compagnie qu'il avait fondée. Il restera à jamais marqué par cet échec.

Pour autant, le chapitre des ailes volantes n'était pas clos…

Trente ans plus tard, Jack Northrop, presque 90 ans, sera invité dans les bureaux de la compagnie qu'il avait fondée. Emmené dans des bureaux confidentiels, on lui montrera une maquette et des plans de l'ATB, l'Advanced Technology Bomber, nommé le B-2…que beaucoup d'entre vous connaissent sous le nom d'aile volante. Malade et incapable de parler, Jack Northrop griffonnera sur un bloc-notes "Maintenant je sais pourquoi Dieu m'a gardé en vie ces trente dernières années".

Jack Northrop décédera en février 1989, 10 mois avant la mise en chantier du B-2. Coïncidence, le B-2 possède la même envergure que le YB-49, et on dit que les résultats des essais en vol du YRB-49A ont servi de base aux études du B-2...

Le B-2, lointain successeur du YB-49

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