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jeudi 14 mars 2013

L'avion hypersonique : le X-15 (1/4)

En 1947, le Bell X-1 devient le premier appareil à franchir le mur du son. Il était le premier d'une longue série d'appareils expérimentaux utilisés par l'Air Force et le NACA pour des recherches sur le vol à haute altitude et haute vitesse. La série des X (pour eXperimental) contient de nombreux appareils passionnants, et elle culmine par l'appareil qui détient encore aujourd'hui le records absolus de vitesse dans sa catégorie : le X-15.



L'avion hypersonique, le X-15, ici le X-15-A2



Conçu à la fin des années 50, le but de cet appareil était de pousser l'enveloppe de vol jusque dans les vitesses hypersoniques, c'est-à-dire Mach 4 et au-delà, pour des altitudes de 60 kilomètres et au-delà. Il effectuera 199 vols, dont 13 dépasseront l'altitude de 80km, officiellement reconnue comme étant la limite de l'espace, ce qui fait que huit de ses pilotes obtiendront le statut d'astronaute. Sur ces 13 vols, deux dépasseront l'altitude de 100 km, soit la définition de la Fédération Aéronautique Internationale du vol spatial, ce qui fait du X-15 le premier avion spatial, 20 ans avant la navette spatiale. Au cours d'un autre vol, il établira un record de vitesse qui tient encore aujourd'hui en 2013 :  7 274 km/h ! Trois appareils seront construits, dont deux exemplaires existent encore aujourd'hui.

Au début des années 50, Walter Dornberger (ancien chef de Von  Braun à Peenemünde, et qui fut chef de projet des V1 et V2) du NACA propose à l'Air Force  de mettre au point un avion hypersonique. Il est clair dès le départ que des vitesses de Mach 8-10 ne pourront pas être obtenues, mais que Mach 6-7 est à portée de main. Intéressée, l'Air Force soumet le "projet 1226" le 30 décembre 1954 pour un appareil de recherche hypersonique capable d'aller se frotter aux frontières de l'espace. Il est intéressant de noter que les premières études envisagent l'appareil comme "un banc d'essai pour tester l'enveloppe de vol de la prochaine génération d'avions militaires". Il est vrai que la vitesse des appareils n'avait cessée de croître depuis la fin de la Guerre, et rien ne laissait supposer que cela s'arrêterait de sitôt !

Première ébauche de ce qui allait donner le X-15


A la fin de l'automne 1954, l'Air Force, la Navy et le NACA s'étaient mis d'accord sur les grandes lignes du programme. Le memorandum of Understanding qui en résulte est l'un des rare document où le vrai but du X-15 est annoncé : fournir des études aux avionneurs pour les futurs avions de combat, ajoutant que ce programme est une question d'urgence nationale. L'air Force envoya ensuite des appels d'offres aux principaux avionneurs du pays pour le construire, et c'est l'offre de la North American qui fut finalement retenue.

NAA ppropose de construire trois appareils, de façon à en avoir deux en état de vol et un en chantier (réparations ou modifications) ou la possibilité de disposer d'un appareil de rechange au cas ou. Le planning était ambitieux : un premier vol moins de 2 ans et demi après la signature du contrat. Même si contrairement à un avion d'arme, le fabricant n'avait pas beaucoup d'électronique à intégrer, cet appareil représentait quand même un grand saut dans l'inconnu, en matière de contrôle de vol, de propulsion ou de contraintes thermiques.

Vue d'artiste du projet du X-15, très proche de l'appareil qui sera construit au final


Pour simplifier la tâche, le NACA décida d'explorer le domaine de vol de manière progressive de manière à ne pas pousser l'appareil dans l'inconnu dès le départ. Cela signifiait aussi que certaines parties de l'appareil pourrait évoluer par la suite. C'est ainsi que la maquette fonctionnelle est présentée dès décembre 1956.

Pour tenir les délais, il fallait rester sur un appareil simple, ne faisant pas appel à des techniques trop novatrices pour limiter les risques. Le NACA proposera de ne pas encombrer l'appareil avec trop d'instruments, hormis ce qui était nécessaire au vol, tout en laissant une petite place pour emporter des équipements d'essais ou de recherche. C'est ainsi que le X-15 restera un appareil simple, dépourvu d'électronique de bord, hormis un système de contrôle de vol augmentant la stabilité.

Les commandes de vol...toutes situées à l'arrière...

Pour la partie spatiale du vol, les commandes de vol classiques sont inefficaces. North American Aviation devra donc mettre un système de mini-moteurs fusées fonctionnant au peroxyde d'azote pour assurer le contrôle de l'appareil au-delà de 60 kilomètres d'altitude.

Le système de contrôle par fusées, dans le nez et les ailes...


Trois appareils seront construits :
  • X-15A-1, #56-6670, 82 vols
  • X-15A-2, #56-6671, 53 vols (qui sera reconstruit en X-15A2-2 après un accident)
  • X-15A-3, #56-6672, 64 vols
Il est  intéressant de noter que les trois appareils seront détruits et reconstruits au moins une fois au cours du programme ! En outre, deux B-52 seront achetés par la NASA pour permettre de larguer les X-15 :
  • NB-52A #52-003
  • NB-52B #52-008
Les pilotes seront recrutés au sein du NACA, des forces armées et de NAA. Au total 12 hommes piloteront le X-15 au cours du programme, dont un certain Neil Armstrong.

L'appareil se présente comme un appareil de petites dimensions, dont le fuselage est constitué de deux réservoirs de carburant. Un logement à l'avant permet d'emporter des expériences scientifiques, et un autre à l'arrière abrite le moteur-fusée. Le cockpit à l'avant abrite le pilote, assis sur un siège éjectable capable de fonctionner jusqu'à Mach 4. Assis dans un cockpit très étroit, avec une visibilité nulle vers l'avant et deux hublots sur le côté, il portrait de surcroit une combinaison intégralement pressurisée qui sera adoptée par la suite pour les astronautes, ce qui lui assurait les meilleures chances de survie en cas de problème. Deux larges logements de part et d'autres du fuselage abritaient les câbles des commandes de vol et toute la timonerie de commande, ainsi que les appareils électriques de vol, libérant ainsi le fuselage pour le carburant.

Comme beaucoup d'appareils de la série des "X", le X-15 ne pouvait pas décoller par ses propres moyens, mais devait être largué par un avion porteur comme le B-36, même si en réalité, la NASA utilisa le B-52, qui venait d'entrer en service. Le X-15 pouvait suivre deux profils de missions : un vol à haute altitude (vol "en cloche" avec un départ quasi vertical et ne portée très courte) ou haute vitesse (trajectoire plus basse mais plus longue portée). Chaque mission durait entre 10 et 15 minutes, le moteur fusée étant allumé entre 70 et 90 secondes…Dépourvu de train d'atterrissage classique, le X-15 possédait une roulette ne nez et des patins escamotables à l'arrière, ce qui lui permettait de se poser sur un lac pétrifié (ce qui ne manque pas en Californie) mais lui interdisait l'usage d'une piste en béton.

Vue de profil du X-15

Un gros problème se posait au niveau thermique : comment résister à des températures de 1200°F, température atteinte lors de la rentrée dans les couches denses de l'atmosphère ? Les études du NACA indiquaient que si l'appareil était soumis à très forte température pendant une période de quelques minutes, la structure pouvait résister et absorber cette chaleur, à conditions d'utiliser les bons matériaux. Si il était possible d'utiliser de l'aluminium ou du titane pour le squelette interne, il fallait trouver mieux pour le revêtement extérieur. La solution viendra de l'International Nickel Company, qui venait de mettre au point un alliage capable de résister à ces températures : l'"Inconel X". Si le produit était connu, on avait jamais réalisé un avion entièrement en Inconel X…le fait qu'il pèse trois fois plus que l'aluminium était un défi supplémentaire. Pour ne rien arranger, il n'existait aucun endroit où l'on pouvait simuler à grande échelle l'échauffement que subirait le X-15 durant son vol, il faudrait se contenter des calculs…toujours à la main et à la règle à calcul...

Essai du XLR-11 au banc

Côté propulsion, les premiers vol du X-15 seront propulsés par deux moteurs fusées XLR-11, chacun équipé de quatre tuyères et quatre chambres de combustion (soit le même moteur que le X-1 de Chuck Yeager). Il fonctionnait à l'alcool et à l'oxygène liquide. Il sera vite remplacé par le XLR-99, un monstre capable de délivrer 25 tonnes de poussée à pleine puissance. Utilisant presque 6 tonnes de carburant en 80 secondes, il fonctionnait à l'ammoniac et à l'oxygène liquide. Sa puissance pouvait être ajustée entre 60% et 100% de sa puissance totale, ce qui était une première par rapport aux moteurs "tout ou rien" qui était en service, donnant plus de contrôle au pilote pour ajuster sa trajectoire. Le XLR 11 possédait quatre chambre de combustion indépendantes, ce qui permettait au pilote de moduler la poussée, mais pas avec la même flexibilité qu'un moteur à poussée variable. Par ailleurs, le XLR-11 fournissait à peine 30% de la puissance du XLR-99. Les réservoirs du X-15 était dimensionné pour pouvoir fournir au moteur un temps de combustion "garanti" de 83 secondes…et pas plus ! C'est très peu, et ce qui explique pourquoi le X-15 revenait se poser en vol plané, comme la navette spatiale 20 ans plus tard !

Installation du XLR-99 sur un X-15

Côté aérodynamique, le X-15 fut conçu dès le départ comme un appareil hypersonique, tenant compte des enseignements dont disposait le NACA, notamment en ce qui concernait la stabilité du F-100. En effet, à vitesse supersoniques, la queue peut perdre toute son efficacité aérodynamique à cause des ondes de choc, même à un angle d'attaque très faible. Le X-2 sera perdu à cause de ce phénomène, pour un angle d'attaque de seulement 5°…or pour le X-15, envisagé avec un angle d'attaque de 20°, il fallait faire mieux. En conséquence, North American va concevoir un appareil long et avec des moignons d'ailes, et surtout un empennage arrière très large, et s'étendant verticalement aussi bien au dessus que sous le fuselage. En contrepartie, l'appareil devait larguer la partie inférieure de la dérive juste avant d’atterrir  car elle s'étendait bien en dessous de la ligne des patins. Équipée d'un parachute, cette dérive était récupérée après chaque vol et remonté pour le suivant !

La dérive verticale et double aérofrein

Cette dérive très large assurait un bon écoulement d'air et une bonne stabilité à très haute vitesse, mais générait beaucoup de traînée à basse vitesse, ce qui n'était pas gênant vu que l'appareil passait très peu de temps à basse vitesse au final. La dérive verticale représentait pas moins de 60% de la surface alaire, ce qui donnait un empennage d'aspect cruciforme au X-15.

Pour donner encore plus de stabilité à l'appareil, deux panneaux latéraux situés juste au dessus du fuselage pouvaient se déployer pour servir de stabilisateur ou d'aérofreins. Les ailes, très fines assurait à peine la moitié de la portance totale de l'appareil à basse altitude, le reste étant fourni par l'empennage horizontal et le fuselage. A noter également qu'il faudra découper l'avion en plusieurs endroits pour mettre des sondes de température, chose qui ne pouvait être faite que lors de la construction de l'avion.

Un système d'augmentation de la stabilité analogique sera monté sur les avions 1 et 2, alors que le numéro 3 bénéficiera du MH-96, un contrôleur de vol numérique, qui passait automatiquement du régime de vol atmosphérique  au vol spatial de manière transparente pour le pilote. On trouvait en outre une centrale inertielle dérivée des missiles balistiques, capable de donner la position de l'avion avec suffisamment de précision durant les 10 minutes que devait durer le vol.

Le cockpit du X-15 avait la dimension minimale requise pour accueillir le pilote et son scaphandre. Faisant face à une planche de bord somme toute classique pour l'époque, le pilote disposait de pas moins de trois manches à balais : un manche à balai classique entre les jambes, un mini-manche latéral avec efficacité réduite mais pouvant être actionné seulement avec les mouvements de la main, destiné à être utilisé lors des phases de forte accélération, et un troisième mini-manche destiné à manœuvrer le système de moteurs-fusées pour le vol spatial.

Vue du cockpit du X-15-3


En ce qui concerne l'évacuation d'urgence du pilote, NAA voulait mettre au point une capsule indépendante, pouvant protéger le pilote durant toutes les phases du vol. La mise au point d'un tel appareil aurait demandé un programme au moins aussi complexe que l'avion lui-même, et finalement le NACA et NAA décidèrent de mettre le pilote sur un siège éjectable, considérant que à 80 km d'altitude, l'avion reste la meilleure protection possible pour le pilote, et qu'il peut s'éjecter ensuite à basse altitude et basse vitesse. Notons toutefois que dans le cas du X-15, basse vitesse signifie…Mach 3 ! Aucun système ne permettait une telle évacuation…il faudra donc mettre au point un siège bien sophistiqué, qui, conjugué au scaphandre pressurisé, permettra de protéger efficacement le pilote.

Le siège le plus avancé de l'époque, capable d'assurer la survie du pilote jusqu'à Mach 4
Le B-52 porteur sera également modifié, principalement par l'ajout d'un pylône sous son aile droite, avec modification des réservoirs de carburant et ajout d'un contrepoids de l'autre côté. On ajoutera également des réservoirs d'oxygène liquide et d'ammoniac, de façon à pouvoir compléter les pleins du X-15 en vol pour compenser l'évaporation. Le poste du bombardier sera modifié avec les commandes de gestion du X-15. Contrairement au B-36 qui avait été envisagé à l'origine, l'avion ne pouvait pas tenir dans la soute du fait de la position des roues (et de l'imposante dérive ventrale de l'appareil) ce qui signifie que le pilote devait être attaché et connecté au X-15 avant le décollage du B-52, et devait faire le convoyage à bord du X-15. Il faudra donc attacher le X-15 en avant de l'aile du B-52 pour permettre au pilote de s'éjecter si besoin. En contrepartie, il faudra découper une encoche dans les volets du B-52 à l'arrière de l'aile pour laisser passer la dérive verticale du X-15.

Profil de l'aile du B-52 avec le X-15 entre le fuselage et le groupe de moteurs intérieurs

Au sol, une des nouveautés du X-15 sera son simulateur de vol. Réplique d'un cockpit du X-15, mais piloté par un ordinateur analogique s'il vous plait), le pilote pouvait ainsi préparer son vol de manière réaliste et s'entrainer à gérer les urgences qui peuvent survenir en vol. Très avancé pour l'époque, ce simulateur sera une clé de la réussite du programme. Autre clé : la préparation du vol. Contrairement aux autres appareils de la série "X", la précision demandée par le X-15 ne laissait aucune place à l'improvisation : il fallait préparer minutieusement chaque vol ! Pour vous donner une idée, un pilote déjà qualifié sur le X-15 passait entre 8 et 10 heures au simulateur pour un seul vol de 10 minutes.

La naissance du simulateur de vol moderne


Un autre simulateur sera utilisé au début du programme : un cockpit du X-15 sera placé au sein de la grande centrifugeuse de l'US Navy de Johnsville au sein de L'"Aviation Medical Acceleration Laboratory", avec une nouveauté : auparavant la centrifugeuse permettait de suivre une accélération préprogrammée. Or le NACA va coupler un ordinateur sur le simulateur, qui va ajuster la vitesse de la centrifugeuse en fonction des actions du pilote. Cet outil se révélera très précieux pour la mise au point  de l'ergonomie des commandes.

Une fois tout ces éléments au point, les vols pouvaient commencer...

Le simulateur de vol, lieu d'entrainement des pilotes...


1 commentaire:

  1. Très très bon article, complet, intéressant... Cela donne envie d'être d'en le cockpit de ce bijou!

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