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mardi 19 février 2013

Les quelques trouvailles de Richard Whitcomb

1953 : l'Air Force se trouve face à un problème : son nouvel intercepteur, le F-102, n'est pas capable de franchir le mur du son, malgré une conception très soignée. Contrairement aux chasseurs de l'époque, qui recourraient à la force brute (et la gravité) pour franchir le mur du son, le F-102 devait passer le mur du son en vol palier (horizontal) juste avec la poussée de son moteur…et pourtant…

Le F-102...après re-design

Arrivé peu avant Mach 1, le F-102 ralentissait inexorablement, malgré un moteur poussé à 104% de sa puissance maximale…quelque chose n'allait pas bien sur cet appareil, mais personne ne savait quoi..

En fait si, une personne savait  : Richard Whitcomb.



Richard Whitcomb en 1969

Aérodynamicien au centre du NACA (le National Advisory Comitte on Aeronautics, ancêtre de la NASA) de Langley, Whitcomb était déjà un ingénieur remarqué parmi les ingénieurs remarquables qui formaient le centre de Langley.

Passionné par l'aéronautique depuis son plus jeune âge, son père ayant été pilote de ballon pendant la Grande Guerre, Whitcomb avait étudié au Worcester Polytechnic Institute. Contrairement à bon nombre d'étudiants avec lui, Whitcomb n'aspirait pas à travailler dans l'industrie, mais voulait se lancer dans la recherche. Voyant un article dans "Fortune" vantant les mérites du NACA, il rencontre un recruteur et postule. Accepté, il rejoint le centre de Langley en 1943. Il est accueilli avec une affectation au centre d'instrumentation, là où commençaient généralement les jeunes ingénieurs pour maîtriser les fondamentaux avant de passer à d'autres sujets, mais le jeune Whitcomb rétorque au chef de division que l'instrumentation ne l'intéresse pas, ce qu'il veut c'est devenir aérodynamicien. Impressionné par une telle assurance à un si jeune âge, il obtient un poste dans l'équipe de John Stack, un des meilleurs aérodynamicien des années 40 (deux fois récipiendaire du "Collier's Trophy, c'est vous dire), au sein du tunnel de 2,40 mètres de Langley, l'un des plus grand du monde à l'époque.

Le jeune Whitcomb dans "sa" soufflerie à Langley

Arrivé a ce poste Whitcomb va ni plus ni moins que réécrire la conception des tunnels de soufflerie, en inventant un tunnel capable de générer des vitesses supersoniques, grâce à un système de vannes permettant de décharger les ondes de choc qui se formaient dans les tunnels traditionnels, rendant les résultats inexploitables.

Ce nouveau tunnel deviendra "son" tunnel personnel, y passant la majeure partie de son temps. Il faut savoir qu'aujourd'hui, les souffleries sont littéralement prises d'assaut par les chercheurs, et il faut réserver des semaines à l'avance pour obtenir un créneau de quelques heures…mais à cette époque là, il y avait beaucoup moins d'expériences, le tunnel n'étant occupé qu'environ 30% du temps…permettant à Whitcom d'occuper les 70% restants pour ses recherches personnelles…

C'est ainsi qu'immédiatement après la guerre, les chercheurs du NACA commenceront à explorer le comportement de l'aile delta…mais Whitcomb étudiera, à titre personnel pendant ses loisirs, l'interaction entre aile delta et fuselage, découvrant ainsi que la traînée générée par un avion est plus importante que celle générée par son fuselage et sa voilure pris individuellement.

En utilisant une technique photographique, il va découvrir que des ondes de choc se forment à la liaison ailes - fuselage…découverte déconcertante, que les scientifiques ne savaient pas traiter…sauf un, du nom d'Adolf Busemann. Busemann était pratiquement l'inventeur de l'aile en flèche en l'Allemagne, et avait été accueilli à Langley à la fin de la Guerre. Il fit l'analogie que les "flux d'airs transsoniques étaient si intriqués, que les aérodynamiciens jouaient au plombier pour écouler l'air autour d'un appareil.

section constante à gauche et taille de guêpe à droite

Cette remarque fera sourire, mais surtout réfléchir Whitcomb : en étudiant ses résultats de soufflerie, une étincelle jaillit : si les ondes de choc se forment à la liaison ailes-fuselage, il faut leur laisser de la place pour se détendre, autrement dit amincir le fuselage au niveau des ailes…la loi des aires vient de lui apparaître. En étudiant l'interaction ailes-fuselage, Whitcomb vient de découvrir ce qu'on ne pouvait pas voir en étudiant la voilure ou le fuselage de manière séparée !

Whitcomb présente ses résultats au sein du NACA. A la fin de sa présentation, Busemann se lève et déclare "certains nous apportent des idées à peine ébauchées qu'ils appellent théorie, alors que Whitcomb arrive avec une idée brillante et l'appelle une petite règle de conception". A tout juste 30 ans, Whitcomb vient de redéfinir la conception des avions supersoniques ! Pour cette découverte, il reçoit le "Collier Trophy" en 1954, et l'Air Force lui décerne une "Exceptional Service Medal".

Sa théorie arrive juste à temps pour sauver le F-102, et sauver la firme Convair. En redessinant le fuselage, Whitcomb permet à Convair de gagner 25% de vitesse en plus sans toucher au moteur. Tous les appareils supersoniques conçus après cette date utiliseront la loi des aires ! Whitcomb a également redoré le blason du NACA, fortement critiqué à la fin de la Guerre car très en retard par rapport aux études britanniques et surtout allemandes.

Mais Whitcomb n'en reste pas là : il va ensuite conceptualiser l'aile supercritique, permettant ainsi une meilleure portance e des gains de carburant substantiels. Face aux crises pétrolières, son invention est adoptée pour tous les nouveaux avions de transport, il reçoit ainsi l'"Exceptional Scientific Achievment Medal" de la NASA.

LE YC-14 de Boeing, application directe de l'aile supercritique

Un an plus tard, il fait une autre découverte : les winglets. Conçu pour réduire au maximum la traînée de l'appareil, les winglets permettent d'adoucir les vortex qui se forment à l'extrémité des ailes. Il teste sa découverte grandeur nature sur un KC-135 prêté par l'Air Force. En l’équipant de winglets, il gagne 7% de distance franchissable totale ! Un jour de fort vent, il reviendra aussi avec un winglet complètement tordu en arc de cercle, preuve de la violence des tourbillons ! Une fois bien étudiés, ces petits appendices seront adoptés en masse par l'industrie, d'abord par Learjet en 1979 sur ses biréacteurs d'affaires, puis progressivement par Boeing et Airbus et tant d'autres.

Le C-135 de la NASA...avec ses winglets
A la surprise générale, Whitcomb prend sa retraite de la NASA en 1980 à 59 ans, convaincu qu'il ne restait plus de grand challenge dans le domaine aéronautique. Interrogé en 2003 à propos du futur de l'aviation, il répondra à cette occasion que "si vous voulez accomplir quelque chose de significatif, n'allez pas en aéronautique. Cela fait presque 20 ans que je suis parti et il ne s'est rien passé de spectaculaire depuis ce temps là". Même si la formule est sans doute un peu exagérée, il est vrai qu'il serait difficile aujourd'hui d'arriver à un tel niveau d'accomplissement au cours d'une unique carrière.

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