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mardi 11 décembre 2012

Les ailes brisées du Canada (2/3)

Après les études préliminaires et suite à l'inspection de la maquette, et après quelques modifications, la RCAF donna son accord pour la production de l'appareil en juin 1955. Un premier contrat fut signé, portant sur la production de 13 exemplaires, Mk1 de pré-série et 37 Mk2 de série. Le premier appareil sorti officiellement du hangar le 4 octobre 1957. Avro organisa un grand évènement, invitant plus de 13 000 personnes à cette occasion : politiciens, ingénieurs, ouvriers, stars et hommes d'affaires, tout le monde était invité pour ce qui devait être l’événement de l'année.

Pourtant la date vous dit peut-être quelque chose…il s'agit de la date de lancement par l'URSS du premier "Spoutnik". La sortie du CF-105 qui aurait du faire la une fut reléguée aux pages intérieurs des journaux canadiens…et ne fut tout simplement pas rapportée dans les journaux internationaux. Pour le coup de publicité, Avro enregistrait un échec cuisant.

1ère sortie officielle de l'appareil, 4 octobre 1957

L'appareil était opérationnel en tant qu'avion, mais pas en tant que système d'arme. Les moteurs J-75 étant plus lourds que ce qui avait été calculé, il fallut mettre du poids dans le nez de l'appareil pour ramener son centre de gravité dans les limites. Le système de contrôle de tir "Astra" n'étant pas prêt, il fut également remplacé par des boîtiers en plomb pour faire du lest, les baies d'armement étant remplies d'équipement de mesures.

Le premier appareil, nommé RL-201 effectua son premier vol le 25 mars 1958, avec le chef pilote d'essai d'Avro aux commandes, Januz Zurakowski. Quatre autre appareils seront livrés dans les 18 mois qui suivirent (nommés RL-202 à RL-205). La campagne de test se déroulait admirablement bien : le concept était sain et ne cachait aucun "piège à pilote". Quelques soucis mineurs découvert lors du premier vol seront réglés très rapidement. Jack Wodman, le seul pilote de la RCAF à avoir volé sur Arrow était pleinement satisfait de l'avion.

Les commandes de vol électriques demandèrent plusieurs réglages pour répondre aux attentes des pilotes. Bien que ce type de commande avait déjà été testé, il ne l'avait jamais été sur un appareil de cette taille (longeur de 23 mètres pour une envergure de 15 mètres) et possédant un système hydraulique de cette puissance (28 Mpa). Avro explorait une nouvelle frontière, et fit un travail remarquable à cette occasion.

Gros plan sur les grandes entrées d'air de l'appareil...et son cockpit particulièrement fin
Il y eut deux accidents, identiques lors du programme : par deux fois en juin et novembre 1958, l'Arrow fut victime d'une défaillance de son train principal : l’affaissement d'une jambe de train endommageant légèrement l'avion, qui fut la cible de la presse suite à ces incidents.

Début 1959, les cinq appareils avaient terminé le programme de tests prévu par Avro, et commençait les tests d'acceptence de la RCAF. L'appareil avait un léger retard par rapport au programme initial, et avait dépassé son budget de plusieurs pourcent, ce qui n'est pas si mal compte tenu de la complexité du programme. Géré directement d'une main de fer par Crowford Gordon, le président d'Avro Canada, ce progamme reste encore aujourd'hui un modèle de gestion.

Pourtant, si le développement de l'appareil suivait son cours, il était dans de sérieuses turbulences…à un niveau politique.

Le Canada n'avait pas fait les choses à moitié : le CF-105 avait un coût élevé (et qui avait été dépassé...mais pas de manière excessive) et la RCAF voulait le nec plus ultra des intercepteurs. Des voix politiques s'èlevèrent contre les dépenses engendrés par le programme dès 1953. Elles restèrent discrètes jusqu'en 1957 lorsque les libéraux perdirent les élections fédérales et qu'un gouvernement conservateur fut élu. Le nouveau premier ministre canadien, John Diefenbaker, avait mené une campagne contre les dépenses excessives, et il apparu rapidement que l'"Arrow" était dans sa ligne de mire.

Profil du CF-105 "Arrow"

Des tractations eurent lieu entre les Etats-Unis et le Canada en vue d'élaborer une politique de défense commune, ce qui arrangeait beaucoup les militaires américains. l'accord du NORAD signé en 1957 illustre bien cette tendance. Par cet accord, la défense aérienne était unifiée entre le Canada et les Etats-Unis et gérée par le NORAD (North American Air Defense).

Les Etats-Unis étaient en train d'automatiser leur défense aérienne via le projet SAGE (Semi-Automated Ground Environment), un ensemble de calculateurs et d'ordinateurs capable de gérer de façon unifiée la défense du territoire national. Le président Eisenhower essaya donc de vendre le système aux canadiens…qui n'en voulaient pas forcément. On estimait que le financement nécessaire au programme SAGE serait de l'ordre de 100 millions de dollars US pour le système sol, plus l'introduction des BOMBARC (missile guidé par radars) de l'ordre de 170 millions de dollars…étalé sur 5 ans, cela faisait une augmentation de 30% du budget de défense canadien.

L'"Arrow" n'intéressait pas les américains. Bien que supérieur à tout ce qu'il possédait en service (ou sur la planche à dessin en 1957) l'"Arrow" possédait cet énorme défaut vis-à-vis du "Department of Defense" ne ne pas être américain, il était donc hors de question de l'acheter. De plus l'"Arrow" ne pouvait pas s'interfacer avec le système SAGE, ce qui ne plaisait pas au NORAD : toute menance détectée au dessus du territoire canadien ne pouvait pas être traité avant d'être à porté des chasseurs US, c'est-à-dire trop tard ! Les américains voulaient vraiment vendre un système leur appartenant aux canadiens, à la fois par arrogance et par intérêt pour disposer d'un système compatible avec SAGE. L'arrivée du Spoutnik et la menace des missiles balistiques offrait un autre argument contre les avions "conventionnels" pilotés : l'avenir était dans l'espace et les missiles.

Les deux premiers appareils côte à côte chez Avro

Le gouvernement de Diefenbaker, soucieux de réduire les dépenses, décida de prolonger le programme jusqu'au 31 mars 1959, date à laquelle le projet serait de nouveau examiné. Pour Crowford Gordon, cela voulait dire frapper un grand coup : son objectif était de faire voler le RL-206, le premier Mk2 équipé de réacteurs "Iroquois" avant cette date. Le planning était serré, mais tenable.

La première victime de cette charge fut le système de contrôle de tir "Astra". Jugé trop coûteux, il fut annulé officiellement le 23 septembre 1958, remplacé par un système Hughes…américain lui. Malgré cela, les essais en vol de l'appareil suivaient leur cours, et tout indique que l'appareil répondait bien à tous les espoirs placés en lui. Pourtant, sa fin était déjà proche, même si personne ne le savait encore. Au début 1959, cinq appareils étaient opérationnels, et le RL-206 était en phase de montage, terminé à plus de 50%.

Le programme de vol avait engrangé fin 1958 près de 57 vols avec les 3 premiers appareils pour un total de 61 heures de vol. Le RL-204 fit 6 vols à partir d'octobre 1959 et le RL-205 effectua un unique vol le 11 janvier 1959.

La fin était pourtant proche...

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