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lundi 5 janvier 2015

Une capsule temporelle de 1976

On fait parfois des trouvailles étonnantes…comme celle que j'ai faite à la grande brocante Aéropuces il y a quelques temps. Au milieu de livres et de photographies, je suis tombé sur une petite serviette en simili-cuir qui ne payait pas de mine. L'ayant ouverte par curiosité, je me suis empressé de l'acheter en voyant ce qu'elle contenait !

Une mystérieuse serviette...



C'est en réalité une véritable machine à remonter le temps : cette petite serviette est en réalité un dossier de presse complet distribué par l'Aérospatiale pour le salon de Farnborough en 1976, avec les brochures de tous les produits de la société, l'occasion de revenir sur la structure et les réalisations de l'Aérospatiale en 1976 !

...qui présente l'Aérospatiale en 1976 !


Le dossier commence par un petit journal publié pour l'occasion, qui rappelle les fondements et les chiffres de la société publique. Crée le 1er janvier 1970 par la fusion des sociétés de cellules Nord et Sud-Aviation, ainsi que la SEREB, la Société pout l'étude et la réalisation des engins balistiques, la société compte en 1975 pas moins de 40 300 employé et un chiffre d'affaire de 7 200 millions de francs (hors TVA) ! Ce document est complété par la plaquette institutionnelle du groupe, document qui fait un peu "bling bling" selon nos standards actuels : une couverture dorée avec des dessins au crayon noir, très loin des présentations bleues d'Airbus aujourd'hui !

Beaucoup de brochures...


Le folder se compose de cinq livrets : un marqué "the group" et 4 livrets pour les quatre grandes divisions. On apprend ainsi que l'Aérospatiale est dirigée par le général Jacques Mitterand, frère de François, mais qui ne partage pas grand-chose avec lui, que la surface total des usines est de 1 490 000m², et que le groupe possède 6780 machine-outils, dont 237 sont à commande numériques !

Une présentation style années 1970...


La division avions (basée à Paris mais dont les usines sont à Toulouse, Nantes et Saint-Nazaire, Méaulte et Suresnes), représente 30% des ventes, avec 4 programmes principaux : l'Airbus, le Concorde, la Corvette et la Frégate. En 1976, Concorde ne se vend plus…mais l'Aérospatiale possède encore plusieurs appareils sur les bras dont elle espère pouvoir se débarrasser, ce qui explique que Concorde soit encore mentionné dans la documentation. L'A300 en revanche est un produit phare qu'il faut vendre, ce qui explique qu'il soit à la fois présenté par l'Aérospatiale et de manière séparée comme nous le verrons plus loin.

Présentation du groupe dans des tons bien tristes...


La division hélicoptères (basée à Marignane) : plus de 4500 hélicoptères Aérospatiale volaient en 1975 sous les couleurs de 87 pays, avec un chiffre d'affaires de 1,5 millions de francs (hors TVA), soit 25% des ventes du groupe ! On retrouve ainsi toutes les réalisations de feu la SNCASE et de l'Aérospatiale : Alouette 2 (dont on fêtait déjà les 20 ans du lancement !) et 3 , Lama dérivé, Super Frelon, Puma, Gazelle ou encore Super Frelon…

La division engins tactiques (Basée à Chatillon) représente 25% des ventes : souvent considérée comme le joyau du groupe, la division missile était la plus profitable de toutes les divisions : on a toujours besoin de missiles partout dans le monde. De grandes réalisations comme le Roland, le pluton, L'exocet et tant d'autres : au 1er juillet 1976, la division avait un carnet de commande de près de 400 000 missiles pour près de 30 pays ! Que ce soit les missiles air sol comme le SS10 ou SS11, ou surface-air comme le AS20 ou AS30, voire les missiles anti-tanks comme le MILAN ou le HOT, voire les engins cibles comme le CT-10 ou le CT-20, les produits de la division couvrent tout les besoins possibles et imaginables...

Avions, engins tactiques...


La division espace et défense (Basée aux Mureaux) et représente 19,4% du chiffre d'affaire du groupe. S'il n'existe encore aucun lanceur européen opérationnel à cette époque, la division spatiale possédait déjà 15 années d'expériences dans le domaine, avec deux segments : le premier était le lancement de satellites scientifiques, seul ou en coopération avec l'Europe, et le second était la mise au point des missiles balistiques pour la force de dissuasion française. La division présente également l'avenir, à savoir le lanceur "Ariane", dont le premier vol est attendu pour juillet 1979 (il aura lieu le 24 décembre 1979) et qui sera le "lanceur européen des années 80"

A chaque division sa plaquette !

Au-delà de la plaquette institutionnelle, chaque division vient rajouter sa plaquette de présentation en complément, et là on constate que chaque division possède sa propre présentation et son propre code de couleurs, ce qui fait un patchwork assez diversifié.

Les produits de la division hélicoptère...


La division hélicoptère à choisi la version la plus simple : des feuillets dactylographiés récapitulatifs des différents produits…pourtant le rendu est très sympa par rapport à ce que l'on connait actuellement : papier de fort grammage, avec filigrane, et des photos…de vrais photos collées (sans doute à la main !) à même le papier ! Elle présente ainsi son dernier-né, un hélicoptère amené à devenir célèbre sous le nom d'AS350 "écureuil". Il n'avait été présenté à la presse que le 9 mars précédent, ce qui en faisait un appareil encore peu connu, même si les deux prototypes avait déjà accumulé pas moins de 450 heures de vol !

Beau papier, vrai photo etc...


La division des engins tactiques nous présente une brochure dans des tons bleus, rose, mauve et marron qui font très rétro et pas forcément au goût du jour…mais bon, nous sommes été 1976, ne l'oublions pas. On ouvre…du rose, du jaune, du bleu clair…oula, elle n'a pas été conçu pour les daltoniens celle là ! C'est à la fois très criard et très austère…on y retrouve toutes les réalisations d'engins, et surtout des chiffres : de 693 millions de francs de commande en 1970, on passe à 2381 MF en 1976. Dans le même temps on constate une progression du chiffre d'affaire tout aussi spectaculaire : de 468 MF en 1970, on passe à 1682 MF en 1976 (dont 51% pour la France et 49% pour l'export ce qui n'est pas mal du tout) ! Le détail par système d'arme montre sans conteste que le système phare est l'Exocet qui représente un quart du chiffre d'affaire total de la division, et pour la France, le grand système est l'AMX 30 "Pluton", missile tactique à moyenne portée qui représente 200MF pour l'année 1976. C'est d'ailleurs curieux de trouver ce chiffre : la division missile balistique ne publie à aucun endroit combien est ce que la mise au point de la force de dissuasion française à coûté au total…et de manière général, les industriels ne publie jamais les chiffres sur le coût réel de la mise au point de la force de dissuasion.

Les engins tactiques...bleu et rose...

Beaucoup de produits, beaucoup de chiffres...

C'est ensuite au tour de la division avions de nous présenter ses produits, avec tout d'abord une brochure vantant les mérites du Nord-262 et "Frégate", les "seuls appareils disponibles offrant un fuselage pressurisé pour 26 ou 29 passagers" le tout en noir sur fond vert-pomme...mazette les mirettes ! Le tout alors même que l'appareil est en fin de vie, cette dernière brochure datée de mai 1975 semble être là par accident, plus pour combler le vide de la division avions plus que pour véritablement marquer des ventes...Nord propose ainsi une version "avion d'affaires" ou encore "parachutistes" en plus des configurations PAX habituelles...

Le Nord 262..


La brochure suivante souffre du même problème, elle présente le "biréacteur le plus économique de sa catégorie", un avion d'affaires capable d'embarquer entre 6 et 14 passagers...non, il ne s'appelle pas Dassault : il s'appelle la "Corvette" et est fabriqué par l'Aérospatiale...vous ne connaissez pas ? Çà ne m'étonne guère... Cet appareil fit son premier vol en 1970, et sera produit à seulement 40 exemplaires de 1974 à 1977...l'Aérospatiale espérait sans doute en vendre quelques unes, mais l'histoire nous montre que ce ne fut pas un franc succès...

Corvette...

On arrive ensuite à un appareil très célèbre, j'ai nommé la "bonne à tout faire de l'Europe", le Transall, dont la version "Nouvelle Génération" était déjà en service à cette époque ! De nombreuses illustrations en blanc sur kaki (of course !) détaillent les nombreuses possibilités d'emport du Transall.

Transall...déjà en fin de production à l'époque..


On arrive ensuite à une autre brochure d'un produit que l'Aérospatiale cherche à vendre : Airbus ! La brochure écrite en trois langues vante les mérites du "premier gros-porteur bi-réacteur au monde", et qui enfonce sur le clou sur le fait qu'un triréacteur équivalent a besoin de 27% de surface de voilure en plus et de 20t de structure en plus et cerise sur le gateau qui devient importante dans ces années de crises pétrolières : une consommation de carburant réduite, et un bruit réduit grâce à ses moteurs à fort taux de dilution ! La brochure présente les deux versions de l'A300 : la B2 qui ne sera que peu vendue, mais surtout la B4 qui elle deviendra vite la référence d'Airbus.

Airbus en trois langues...


La brochure revient également sur le confort des passagers : une cabine spacieuse qui comporte "des porte-chapeaux plus pratique et spacieux pour pouvoir y ranger ses bagages à main" ! Evidemment, le chapeau ayant disparu de la vie courante, cela fait sourire ! On passe sur les photos d'aménagements de cabine "style 70's" en jaune orange marron et assimilé...En fin de brochure, Airbus se présente longuement, tant le concept du Groupement d’intérêt Economique est un concept qui ne parle à personne.."tous les contrats sont signés directement avec Airbus industrie, qui est totalement responsable vis à vis du client et dont la structure légale donne à ce dernier une plus grande sécurité que si il avait à faire à un partenaire pris isolément" (hum...est ce vraiment le cas ? je me demande...) "Le programme A300 est garanti par les gouvernements français allemand et espagnol qui veillent à ce que le financement de la production se fasse par les voies commerciales normales"...ouf, nous voilà rassuré alors ! Le tout sur fond d'une belle image du Super Guppy F-BPPA à l'atterrissage !

Clin d’œil du Super-Guppy n°2, le F-BPPA !

Un design...très vintage !


C'est ensuite la divion spatiale qui nous présente ses produits, avec deux réalisations importantes : la première est le satellite "METEOSAT", un programme de satellite qui doit être placé en orbite géostationnaire pour donner en temps réel des images de la couverture nuageuses terrestre au dessus de l'Europe et de l'Afrique. Le premier satellite sera lancé nous dit-on en 1977 par une fusée Thor-Delta américaine...(et ce sera effectivement le cas !)

Oh et dans un coin, une représentation de la future fusée Ariane...


On trouve une autre brochure pour un programme de satellite de communication dénommé PHEBUS, conçu par la division des Mureaux...autant que je sache, ce programme n'a jamais abouti et je n'ai jamais plus entendu parler de ce programme par la suite...dommage, il ressemblait à un Intelsat avant l'heure...

La dernière brochure elle nous présente une réalisation qui était encore en pleine étude : un lanceur européen dénommé "Ariane", programme auquel pas moins de 10 pays participent (de la France qui finance 62% du bazar au Danemark qui en finance 0,5%, le tout pour placer un satellite de communication de 1,5 tonnes en orbite géostationnaire...pour info aujourd'hui Ariane 5 peut placer 10 tonnes en orbite géostationnaire ! La brochure est dactylographiée avec des illustartions, mais semble un peu baclée sur les bords : on trouve des titres comme "characteristics géométriques" qui font sourire...Arianespace et sa communication millimétrée n'existait pas encore...

Ariane, futur lanceur européen..


On y apprend également que la division espace de l'Aérospatiale est à la fois architecte industriel et étagiste, le manque d'architecte industriel avait expliqué le manque de coordination qui avait mené à l'échec du projet "Europa" quelques années auparavant...cette erreur ne sera pas répétée...

Le plan de développement est le suivant : tests systèmes aux Mureaux dès la mise en service du grand bâtiment d'intégration du lanceur en 1976, premier vol d'Ariane 1 en juillet 1979, suivi d'un deuxième en décembre 1979, et deux autres vols de qualification en juillet et décembre 1980, le tout menant à une qualification du lanceur fin 1980 pour des lancements commerciaux, dont les études montrent qu'Ariane peut espérer un marché de 35 à 50 lancement pour la décennie 1980-1990...ça c'était le plan...

Le site d'intégration d'Ariane du site des Mureaux


Le premier vol d'Ariane aura lieu en réalité à Noël 1979, le second le sera le 23 mai 1980, mais suite à un problème de moteur ce sera un échec...il n'y aura pas d'autre lancement avant juin 1981 ! Le quatrième vol aura lieu le 20 décembre 1981, et Ariane qualifié début 1982 : soit plus d'une année de retard sur le planning initial...mais le succès sera au rendez-vous : 36 lancements supplémnetaires auront lieu jusqu'à la fin de 1990, soit pas moins de 63 satellites lancés : plus que les 50 espérés !

Cette brochure termine ainsi cette "caspsule temporelle" de Farnborough en 1976...elle permet de se rendre compte des progrès effectués, mais aussi de comparer les prévisions faites à un instant t avec la réalité des événements, ainsi que les bientôt 40 ans de recul que nous avons aujourd'hui...

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