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jeudi 11 septembre 2014

Le Vickers "Valiant"

Le "Valiant" sera le premier des "V bombers", la flotte de bombardiers capables de transporter l'arme nucléaire. Conçu en tant que simple appareil de transition avant l'arrivée d'appareil plus moderne, il allait se révéler un appareil aux performances rivalisant avec ceux qui devaient le remplacer.

Le Vickers "Valiant"
Si l'Air Ministry avait besoin de bombardiers avancés, il fallait un appareil d'intérim, capable de prendre l'air le plus tôt possible pour ne pas laisser la Grande-Bretagne sans protection. C'est en ce sens que George Edwards, chef du bureau d'étude de Vickers va présenter la chose aux officiels : il s'engage même à faire voler l'appareil moins de 30 mois après la signature d'un contrat avec la RAF ! La mise au point commence donc sur les chapeaux de roues, et va mobiliser tout le bureau d'étude de Vickers de manière très intensive pour mettre au point un premier prototype.

Le prototype du "V660", immatriculé WB210 effectue son premier vol le 18 mai 1951, à partir de la petite piste en herbe de Wisley, usine d'assemblage de Vickers, concepteur de l'appareil. Piloté par Jock brice et Mutt Summers (qui était aussi le premier pilote du "Spitfire"), le prototype va vite révéler de belles qualités de vol. Ne pouvant rester à Wisley, il va partir pour Hurn, près de Bournemouth pour ses essais. Un mois plus tard, l'appareil est baptisé "Valiant" après un sondage auprès des employés de Vickers.

Ecorché du "Valiant"

Le prototype sera perdu peu de temps après, en janvier 1952, suite à un incendie en vol. Tout l'équipage est sauvé sauf le copilote qui va heurter la dérive lors de son éjection. L'enquête montrera que son siège éjectable n'était pas équipé de la bonne cartouche de poudre… Malgré cet accident, l'avion n'est pas mis en cause, et le programme d'essais en vol peut continuer. Le système de carburant sera modifié pour empêcher pareil drame à l'avenir et le deuxième prototype, Type 667 immatriculé WB215, prend l'air le 11 avril 1952

Le "Valiant possède une aile haute et un train d'atterrissage tricycle entourant une large soute à bombe capable d'accueillir la bombe atomique britannique, ou alors des bombes classiques. La particularité du Valiant est sa "colonne vertébrale" : Une unique poutre renforcée qui supporte à la fois la "wing box", la soute à bombe et le fuselage pressurisé. Cette poutre massive était réalisée en alliage de zinc et d'aluminium, un mélange qui se révèlera problématique par la suite. La queue est montée en arrière et en hauteur du fuselage, de manière à être loin des échappements des moteurs. La motorisation de série sera constituée du Rolls Royce "Avon 201" fournissant 4,2 tonnes de poussée. Les 4 moteurs sont implantés à la base des ailes contre  le fuselage. Les entrées d'air rectangulaires du prototype vont rapidement laisser place à des entrées d'air en forme de lunettes pour donner plus d'air au moteurs, surtout lors du décollage.

Les entrées d'air définitives
Le Valiant se composait d'un équipage de 5 hommes dans la cabine pressurisée tout à l'avant. Cette cabine était en forme d'œuf de manière à limiter les efforts sur la sructure lors des cycles de pressurisation. Une grande porte ovale permettait l'accès à bord à l'aide d'une échelle extérieure. Comme tous les bombardiers V, les deux pilotes étaient assis sur des sièges éjectables en position surrélevés, alors que les trois hommes d'équipages supplémentaires étaient assis "dos à la route" sur des sièges simples, non éjectables., un niveau plus bas que les pilotes. J'ai toujours trouvé cette "discrimination" entre les officiers ayant droits à des sièges éjectables et les sous-officiers n'ayant droit qu'à de simples sièges un peu limite, mais c'était comme ça.

Les pilotes disposaient de sièges éjectables...mais pas les 3 autres membres d'équipage qui devaient sauter à l'ancienne en cas de problème...


Les deux pilotes à l'avant s'occupait de la conduite du vol, pendant qu'à l'arrière le Nav-Radar gérait la navigation au radar et les radios, le Nav Plotter gérait la navigation, et l'AEO ou Air Electronics Officer gérait l'ensemble des systèmes de guerre électronique de l'appareil. On retrouvera cette disposition sur tous les bombardiers V, à l'exception du "Victor" où les cinq hommes d'équipages étaient au même niveau. Les commandes de vol sont hydrauliques avec un secours manuel, permettant ainsi de piloter le bombardier dans toutes les conditions.

Aménagement du cockpit avant du "Valiant"
Le Valiant dispose d'un radar H2S (hérité des bombardiers de la Guerre mais en version amélioré) et d'un système de bombardement à vue à l'avant, logé sous le nez. L'appareil disposait en outre du Navigation Bombing Computer Mk2. Avancé pour son temps, le système permettait de suivre la course de l'appareil pour larguer son chargement à l'instant optimum. Ce système était encore entièrement analogique, fonctionnant avec un système complexe de poulies et de renvois. Il permettait nénamoins une précision de l'ordre de 90m à une altitude de 12 000 mètres.

Après un premier contrat portant sur 25 appareils, la RAF va finalement en commander un total de 104 ! Le Royaume-Uni devient une puissance nucléaire le 3 avril 1952, avec la détonation de son premier engin nucléaire, nom de code "Blue Danube", mais si le Royaume-Uni possède la Bombe, il lui manque encore une disuasion crédible, c'est-à-dire une flotte de sous-marins et des bombardiers à la pointe de la technologie. Le temps pressait pour la RAF !

Vue de la planche de bord des 3 officiers arrière

Le Valiant entre en service début 1955 sur la base de Gaydon pour l'entrainement des équipages et la formation des mécaniciens, puis en juillet 1955 sur la base de Wittering, le Squadron 238 est déclaré opérationnel sur "Valiant". L'unité sera le premier des dix squadrons à mettre en œuvre le "Valiant". Représentant une toute nouvelle classe de bombardiers, seuls les piloes les plus expérimentés pouvaient être retenus pour voler sur Valiant : les pilotes devaient avoir au moins 1700heures de vol, dont une expérience sur Canberra, appareil jugé le plus proche du nouvel appareil. Les premiers "Valiant" n'auront pas vraiment de capacité nucléaire : ils n'auront même pas de système de navigation et de bombardement moderne avant 1956 ! C'est principalement pour entrainer les équipages à manier un quadrimoteur à réaction plutôt que des bombardiers à moteurs à pistons. Dans un premier temps, tous les appareils recoivent une livrée argentée, mais elle sera rapidement remplacée par une peinture blanche anti-radiation, destinée à protéger l'appareil du "flash" thermique d'une explosion nucléaire.

La première version à rentrer en service sera le type 660 BMk1 (33 exemplaires produits), qui se caractérisait par des entrées d'air "en fanions". Il s'agissait de la première version, qui ne possédait ni perche de ravitaillement en vol ni de réservoirs supplémentaires sous les ailes.

Flightline de Valiant de la RAF

La version suivante sera le Type 710 B(PR)Mk1 (26 exemplaires produits), qui était une version de reconnaissance équipée de caméras, mais la plupart de ces appareils seront convertis en bombardiers. Cette version possédait des entrées d'air ovales, ainsi qu'une perche de ravitaillement en vol et des bidons supplémentaires de carburant sous les ailes.

La version "ultime" du Valiant sera le Type 673 Valiant B Mk2, qui fit son premier vol dès le 4 septembre 1953. Le prototype du B.2 était le WJ954, qui était peint tout en noir  pour promouvoir la livrée nocturne des Valiant. Doté de moteurs "Avon" plus puissants, ainsi que des carottes de Kruchemann en arrière de la voilure.

Diagramme de chargement du Valiant...avec une bombe "classique" pour figurer l'arme nucléaire...

C'est le 11 octobre 1956 que va avoir lieu le premier test en vraie grandeur de la dissuasion britannique : ce jour là, un "Valiant" du Squadron 59 va larguer une bombe atomique armée "Blue Danube" dans un champ de tir du désert australien.

C'est également en octobre 1956 que le "Valiant" va connaitre son baptême du feu : plusieurs appareils seront déployés à Malte pour soutenir les opérations du canal de Suez : dans la nuit du 30 octobre au 1er novembre, des "Valiant" bricolés en urgence avec un viseur rudimentaire vont bombarder des objectifs militaires en Egypte avec des bombes classiques.

La bombe "Yellow Sun" sur son berceau
Le 15 mai 1957, un autre "Valiant", le XD818, va larguer pour la première fois une bombe thermonucléaire anglaise "Short Granite" près de l'île de Malden dans le cadre de l'opération "Grapple", testant par la même occasion une manœuvre lui permettant de se trouver à plus de 20 km du lancement lors de l'explosion, assurant ainsi la survie de l'appareil. Le test est un semi-échec : la bombe n'a pas fonctionné comme prévu et n'a délivré que 30% de son potentiel destructif…mais le Valiant à pprouvé qu'il pouvait transporter puis armer et larguer une bombe H. Le Valiant utilisé pour cet essai est le seul qui a été conservé, et se trouve aujourd'hui au musée de Cosford, repeint dans les couleurs de l'opération Grapple. D'autres essais de largage auront lieu jusqu'en novembre 1958 où le gouvernement prend la décision d'arrêter les essais atmosphériques.

Gros plan sur le train atterrissage du "Valiant"
La chaîne d'assemblage ferme en septembre 1957, après la livraison du 104ème "Valiant" à la RAF. Entre temps, le "Valiant" déviait de plus en plus de sa mission d'origine : avec l'arrivée massive des "Vulcan" et "Victor", bon nombre de "Valiant" seront convertis en citerne volante : c'est même le "Valiant" qui va servir pour la définition des procédures de ravitaillement en vol de la RAF dès 1958. Les britanniques vont reprendre et perfectionner la méthode du panier pour le ravitaillement en vol des bombardiers "V" ce qui permettait d'accroître leur rayon d'action bien au-delà de ce qui avait été prévu à la base. Les Valiant seront cependant davantage sollicités pour venir en aide aux chasseurs qu'aux bombardiers. Pour ravitailler d'autres appareils, le Valiant emportait une citerne de carburant dans sa soute à bombe, à laquelle était accrochée un entonnoir et un tuyau souple qui pouvait être enroulé ou déroulé depuis le cockpit. Revers de la médaille, le Valiant devait ravitailler les autres chasseurs avec ses portes de soute à bombe ouvertes, ce qui augmentait sa traînée et lui faisait consommer plus de carburant. La RAF va ainsi pouvoir organiser des démonstrations de force à l'intention des observateurs étrangers : en 1960, un bombardier Valiant, ravitaillé par d'autres Valiant prépositionnés pourra rallier Singapour depuis l'Angleterre sans se poser une seule fois ! En 1961, un Vulcan fera le vol non stop de l'Angleterre jusqu'en Australie.

La nouvelle peinture des Valiant...


L'arrivée massive des Victor et Vulcan va permettre d'utiliser les Valiant pour de nouvelles missions : 3 escadrilles de Valiant seront ainsi mis à la disposition de l'OTAN pour des missions  "tactiques" au 1er janvier 1960. Parmi ces missions, le Valiant va être affecté à des missions de pénétrations à basse altitude, étant équipé de la bombe atomique américaine B-43. Quelques modifications seront apportées aux appareils : un radôme métallique, des protections contre les projections de débris. Dès 1956, les premiers essais de vol à basse altitude ont lieu, et malgré un haut niveau de vibration, le Valiant est déclaré OK pour les missions tactiques.

En 1963, quelques Valiant seront repeints en camouflage, avec une peinture verte et grise plus adaptée à la pénétration à basse altitude; 3 squadrons avaient été équipés pour les missions tactiques. Malheureusement, le Valiant n'avait pas été conçu pour faire de la pénétration à basse altitude : sa structure allait se révéler trop fragile pour ce genre d'opérations.

Ravitaillement en vol d'un Vulcan par un Valiant...


Le 6 Août 1964, lors d'un vol de routine, un Valiant et son équipage vont rentrer avec les pires difficultés : suite à  un bang sonore, l'appareil est à peine contrôlable, et l'équipage se pose en catastrophe sur sa base. L'équipage est persuadé d'être rentré en collision avec un autre appareil, mais une inspection de la structure va révéler quelque chose de beaucoup plus grave : le longeron d'aile arrière droit s'est rompu, suite à d'énormes criques de fatigue qui sont découverte sur toute la voilure. Rapidement il apparaît que la voilure était à deux doigts de se détacher lorsque le Valiant à passé le mur du son à basse altitude.

Le "pod" de ravitaillement des Valiant installé dans sa soute à bombe


Du jour au lendemain, toute la flotte de Valiant est interdite de vol, et les appareils sont inspectés un par un. La situation est dramatique : tous les appareils ont des criques ou des microfissures au niveau de la jonction fuselage-voilure. Une étude fait apparaître que ces criiques venaient de l'alliage d'aluminium choisi par Vickers pour la réalisation de la "wing box", couplé aux vibrations des vols à basse altitude. Aujourd'hui encore, ce qui a provoqué ces criques de fatigue n'est pas encore connu publiquement avec certitude. Est-ce que c'est seulement le vol à basse altitude qui a généré ces criques ? Ou est ce que la conception même de l'appareil, et plus particulièrement l'alliage léger utilisé pour la poutre porteuse de la structure est aussi en cause ? Il semblerait en tout cas que les deux sont liés.

Les déboires structuraux du "Valiant" vont sonner sa fin de service...
Un tri en trois catégories est fait : la catégorie "A" regroupe les appareils qui peuvent encore voler, la catégorie "B" ceux qui doivent être réparés mais peuvent encore voler pour rallier une base avec de bons moyens d'entretiens, et la catégorie "C" c'est-à-dire la catégorie de ceux qui doivent être interdits de vol sur le champ et ne peuvent pas repartir avant réparations. Les appareils les plus atteints sont retirés du service sur le champ, et ceux qui sont gardés doivent voler le moins possible. Progressivement cependant, le nombre de Valiiant diminue de semaine en semaine : face aux nombreux Victor et Vulcan en service, les appareils au bout du rouleau sont juste garés en extérieur à côté des hangars et encore cela ne va pas durer très longtemps : le 9 décembre 1964, tous les Valiant sont rayés des listes de la RAF et ordre est donné de les expédier à la ferraille sans autre forme de procès. Il ne restait d'ailleurs à cette date plus que 50 Valiant encore en état de vol. Les longerons d'ailes de l'ensemble de la flotte comportaient de nombreuses criques, voire même de vrais trous par endroit ! Le dernier vol d'un Valiant est effectué par le XD818, celui-là même qui avait participé à l'opération "Grapple".

Le XD818 sera le dernier Valiant à voler
Ainsi se termina la carrière du Valiant au sein de la RAF, de manière aussi soudaine qu'imprévue. Bombardier de transition, son rôle et ses capacités seront toujours sous-estimés par les pro-Vucan et Victor, qui voyaient dans le Valiant un appareil conçu deux fois plus vite que le leur et pourtant avec des capacités similaires !

La fin sera tellement rapide qu'aucun musée n'aura le temps de sauver un appareil. Un unique Valiant sera épargné : le XD818. Préservé à Hendon, il sera ensuite démantelé et transporté à Cosford, où il se trouve toujours, après avoir été repeint aux couleurs qu'il portait pendant l'opération "
"Grapple".

Une retraite bien méritée !

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